Déclaration de M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, sur la relation franco-allemande dans la construction européenne et sur les priorités de la présidence française de l'Union européenne, à Munich le 1er février 2008.

Prononcé le 1er février 2008

Intervenant(s) : 

Circonstance : Conférence de clôture du séminaire franco-bavarois de Fischbachau-Perspectives de la politique européenne-, à Munich (Allemagne) le 1er février 2008

Texte intégral

Monsieur le Ministre-Président,
Mesdames et Messieurs,
Chers Amis,
Ich freue mich, hier zu sein. Bitte entschuldigen Sie, dass ich kein Deutsch spreche - und noch viel weniger Bayerisch !
(traduction : je me réjouis d'être avec vous ce matin. Tout d'abord je vous prie d'excuser que je ne parle pas allemand et encore moins le bavarois !)
C'est une joie et un très grand honneur pour moi d'intervenir à la suite de Monsieur le ministre-président, Günther Beckstein, et de participer aujourd'hui, à Munich, à la conclusion de vos travaux.
Je suis d'autant plus honoré que cette session marque le quarantième anniversaire du Séminaire de Fischbachau et me donne l'occasion de saluer la mémoire d'Alfons Goppel, ministre-président de l'Etat libre de Bavière, qui, s'appuyant sur l'ancienneté et la richesse des relations entre la France et la Bavière, a pris en 1968 l'initiative de créer ces rencontres pour marquer le cinquième anniversaire du Traité de l'Elysée. Il a ainsi donné à la Bavière une place centrale dans la réconciliation entre nos peuples.
La densité des relations nouées entre la France et la Bavière, à tous les niveaux, est la meilleure illustration de la dynamique de coopération qui existe entre nos deux pays. Cette coopération est régionale (la Bavière a noué des partenariats avec le Languedoc -Roussillon, Midi-Pyrénées, Provence Alpes Côte d'Azur, le Limousin), communale (350 jumelages, un nombre dont la France et la Bavière peuvent être fiers), culturelle, universitaire, industrielle et technologique.
Le séminaire de Fischbachau vient très opportunément rappeler chaque année aux participants français que la coopération avec l'Allemagne ne saurait se résumer à des contacts avec les acteurs fédéraux - tendance à laquelle un esprit jacobin serait naturellement porté - mais exige, pour être efficace, des partenariats étroits avec les Länder et les acteurs locaux.
En ma double qualité de secrétaire d'Etat chargé des Affaires européennes et de Secrétaire général pour la coopération franco-allemande, je veille à accorder une place particulière aux relations avec les Länder, en complément de mes rencontres très fréquentes avec mon homologue et ami Günter Gloser - qui nous fait l'honneur d'assister aux festivités d'aujourd'hui malgré le fait que ce soir il accueille le ministre des Affaires étrangères allemand à Nuremberg. C'est à cette coopération avec les Länder que l'on doit certains des résultats les plus emblématiques de la coopération franco-allemande, je pense notamment au manuel d'histoire commun, dans la préparation et la diffusion duquel les Länder ont joué un rôle central. Günter et moi, serons très fiers de présenter le premier tome de ce manuel aux Japonais, lors de notre déplacement conjoint à Tokyo à la fin du mois. Et nous présenterons le deuxième tome, consacré à la période 1870-1945, la plus difficile dans l'histoire de nos deux pays, à l'occasion du prochain Conseil des ministres franco-allemand dans trois mois.
Si je suis, comme chacun d'entre vous ici, persuadé du caractère sans équivalent de la relation franco-allemande en Europe et même dans le monde, je mesure également que l'évidence même de cette relation franco-allemande est un risque pour son existence. Il ne faudrait pas en effet que la relation franco-allemande se banalise au point de la faire passer après des relations nouvelles avec les nouveaux grands acteurs de la mondialisation. Il faut faire attention en effet aux phénomènes de mode... La relation franco-allemande restera toujours pour nos deux peuples d'une autre nature, d'une nature privilégiée : celle de relations très étroites à tous les niveaux, celle d'une solidarité garante aux yeux de nos partenaires du progrès de la construction européenne, celle aussi des valeurs que nous partageons dans le domaine économique et social et qui permettent de concilier croissance économique et la cohésion sociale - comme la Bavière en est l'exemple - pour ne pas dire le modèle.
Je voudrais partager ma conviction que la France a besoin de l'Allemagne et l'Allemagne de la France pour continuer à faire avancer l'Europe, et pour permettre à l'Union européenne d'exister sur la scène mondiale et offrir des réponses pertinentes aux défis du XXIe siècle.
Le Traité, signé à Lisbonne, mais conçu, comme nous le savons, en Allemagne, à partir d'une coopération exemplaire entre nos deux pays, entre maintenant dans la phase des ratifications, à laquelle nous devons accorder la plus grande attention. La France, pour sa part, ratifiera selon toute vraisemblance dans les jours à venir. Ce traité vient mettre un terme aux interrogations sur l'avenir institutionnel de l'Union européenne et dote l'Europe, composée désormais de vingt-sept Etats membres, d'une capacité d'action nouvelle.
Il convient donc de nous préparer dès maintenant à cette nouvelle phase de la construction européenne qui débutera, nous l'espérons tous, dès le 1er janvier 2009. La Présidence française de l'Union européenne, à partir du 1er juillet prochain, aura à préparer, à la suite de la présidence slovène, la nouvelle dynamique permise par le Traité sur les grandes politiques communes. Nous avons besoin d'une coopération étroite avec vous pour répondre à ces nouveaux défis : la globalisation, le changement climatique, la politique énergétique, la gestion des flux migratoires, l'intégration des populations non-européennes, le défi alimentaire, qui donne à nos agricultures un rôle central, la menace terroriste, l'affirmation de l'Europe sur la scène internationale et la politique de défense.
Pour préparer ce que nos peuples doivent percevoir comme une véritable relance de la construction européenne, la relation franco-allemande est plus que jamais indispensable. Cette dynamique, elle existe indéniablement au niveau le plus élevé de nos deux Etats. Comme le président de la République l'a dit lors du dernier Conseil des ministres franco-allemand : "la Présidence française de l'Union européenne se préparera avec l'Allemagne" - y compris sur les sujets les plus sensibles comme la coopération que nous devons développer avec l'autre rive de la Méditerranée.
Cette dynamique est d'autant plus indispensable que les priorités de la Présidence française appellent une concertation étroite avec l'Allemagne. Il faut le reconnaître : nous sommes souvent en compétition, nos intérêts, notamment dans le domaine industriel, sont parfois antagonistes, mais cela rend d'autant plus indispensable une coopération étroite entre nos deux pays.
Le président de la République a identifié les priorités auxquelles il souhaite donner un relief particulier et qui correspondent aux préoccupations des citoyens européens : la politique de l'énergie, la politique de l'environnement, la politique de l'immigration et le développement de l'Europe de la défense.
- S'agissant de l'Energie et de la lutte contre le changement climatique :
La France s'inscrira dans la continuité de la Présidence allemande qui avait, la première, fait de la lutte contre le changement climatique une de ses priorités et donné à l'Union européenne des objectifs ambitieux en matière de réduction des émissions et de développement des énergies renouvelables.
Nous nous efforcerons à notre tour de placer l'Europe à la tête de la lutte contre le changement climatique :
- en recherchant un accord sur la libéralisation du marché de l'énergie : je suis heureux de dire que c'est grâce à une coopération entre nos deux pays que nous allons présenter à la Commission une solution alternative de séparation des distributeurs et producteurs d'énergie, dite "troisième voie".
- nous oeuvrerons également à la mise en place d'un système ambitieux de réduction des gaz à effets de serre dans les négociations post-Kyoto.
- s'agissant des émissions de CO2 par les véhicules, notre divergence est connue. Mais elle porte les modalités, non sur l'objectif qui repose sur la mise en oeuvre du principe pollueur/payeur, ni non plus sur la nécessité de sauvegarder la compétitivité de nos industries automobiles. Nous devrons y travailler, sauf à porter atteinte à la crédibilité de la démarche engagée durant la présidence allemande.
Avant même la Présidence française, l'énergie et le climat seront au coeur du prochain Conseil des ministres franco-allemand, dans trois mois, à Paris. Le choix de ce thème montre la détermination de nos dirigeants à aboutir à un compromis entre la France et l'Allemagne sur ces sujets sensibles, avant la Présidence française de l'Union européenne.
- En matière de migrations, nos deux pays ont engagé un important travail de concertation à l'occasion du dernier Conseil des ministres franco-allemand qui était spécifiquement consacré à ce thème nouveau dans la relation franco-allemande. Cette discussion a permis de constater que malgré tout ce qui sépare la France et l'Allemagne dans ce domaine - qu'il s'agisse de l'origine des migrants, de nos pratiques d'intégration, ou du droit de la nationalité - nos deux pays sont aujourd'hui confrontés à des enjeux similaires : comment faciliter aujourd'hui l'intégration d'enfants, voire de petits enfants d'immigrés ? faut-il faire une place à la discrimination positive pour promouvoir l'égalité des chances ? quelle place donner dans la vie publique aux religions des migrants devenues maintenant les religions de nombre de nos compatriotes ?
Sur toutes ces questions nous avons décidé de mener un travail d'échange d'expériences, dans lequel la Bavière aura naturellement un rôle central compte tenu de son expérience en matière d'intégration (d'abord des Allemands expulsés des Sudètes et aujourd'hui des personnes réfugiées des Balkans, pour ne citer qu'eux).
Les questions migratoires constitueront une priorité forte de notre Présidence, qui reposera sur plusieurs initiatives :
- la plus grande coopération entre Etats membres à travers l'adoption d'un ensemble de règles et d'engagements dans le cadre d'un "pacte européen sur l'immigration et l'asile" ;
- la poursuite de la mise en oeuvre de l'Approche globale des migrations dans toutes ses composantes, notamment le co-développement ;
- l'avancée des travaux sur les propositions législatives relatives à la migration légale ;
- la poursuite d'un objectif d'harmonisation européenne des règles sur l'asile.
Sur tous ces thèmes, il était important de faire converger nos positions avant d'aborder la Présidence française de l'Union européenne.
- Quant au renforcement de l'Europe de la Défense, qui constitue une autre priorité de la Présidence française, ce thème sera développé à Munich lors de la prochaine réunion de la "Wehrkunde" et sera au centre de la prochaine rencontre en format "Blaesheim" qui se déroulera à Straubing, en Bavière, le 3 mars prochain.
La Politique européenne de sécurité et de défense est l'un des principaux succès de ces dix dernières années ; l'Union européenne a en effet conduit une quinzaine d'opérations au titre de la PESD.
Ces opérations conduites dans le cadre de la PESD permettent aujourd'hui de dresser un bilan pour aller plus loin :
- dans la conduite des opérations, les relations entre l'Union européenne et l'OTAN ont été bonnes : deux des quatre opérations militaires PESD ont été conduites avec des moyens de l'OTAN, en Bosnie-Herzégovine et en ARYM (sur la base du mécanisme dit de "Berlin plus") : cela montre qu'il n'y a pas concurrence mais complémentarité entre l'Union européenne et l'OTAN ; telle est bien notre approche.
- le système alternatif au recours aux moyens de l'OTAN, c'est-à-dire le recours à une "nation-cadre" s'est également avéré bénéfique : il en va ainsi de la participation de l'Allemagne à l'Opération "EUFOR Congo" en 2006 : le fait qu'un Etat sans passé colonial ait pris le commandement d'une opération européenne en Afrique marque un véritable progrès et un signe de maturité de la politique de sécurité et de défense de l'Union européenne.
Il s'agit là d'un domaine où les opinions publiques sont très demandeuses, et où l'Union européenne dispose d'une vraie légitimité pour agir.
Comme vous le constatez, la France et l'Allemagne travaillent déjà étroitement sur chacune des priorités de la prochaine Présidence française.
L'Allemagne et la France ont plus que jamais besoin d'unir leurs forces, pour relever les défis d'aujourd'hui et de demain et pour faire entendre la voix de l'Europe dans le monde. La qualité de notre dialogue passe par une confiance partagée, par une connaissance des dépendances communes et par un respect authentique des qualités et des particularités de chacun.
A cet effet, les actions que nous entreprenons en faveur de notre jeunesse sont très importantes. Il est essentiel que celle-ci soit non pas la spectatrice d'une relation qui pourrait lui paraître évidente ou démodée, mais l'actrice de celle-ci et mieux encore même la créatrice d'un nouveau type de dialogue. Le développement inlassable des échanges entre jeunes demeure le fondement d'une nouvelle génération et le plus sûr garant de la poursuite de notre aventure commune.
La connaissance de l'autre, de sa culture et de sa langue, est au coeur même de l'identité européenne. Elle contribue fortement à l'enrichissement de chacun, améliore grandement sa capacité d'adaptation et de préservation de ses qualités propres. De même que vous avez su en Allemagne, et plus particulièrement en Bavière, si admirablement combiner identité régionale et identité nationale, loin de s'opposer, identité européenne et identité nationale, s'enrichissent à leur tour lorsque le dialogue et les échanges sont intenses et profonds.
J'ai été heureux de partager avec vous ces premières orientations sur la Présidence française de l'Union européenne et ce, quelques jours avant de les présenter à Berlin devant la réunion des Europastaatssekretäre à laquelle son président, mon ami Günter Gloser, m'a fait le grand honneur de me convier. Cela constituera une première et montre à quel point nous travaillons en étroite relation avec l'Allemagne dans la préparation de notre future présidence de l'Union européenne.
Je vous remercie.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 11 février 2008