Entretien de M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, dans "Le Parisien" du 4 février 2008, sur le Traité de Lisbonne et la construction européenne.

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Média : Le Parisien

Texte intégral

Q - Pourquoi ne pas ratifier le Traité de Lisbonne par référendum ?
R - Pour quatre bonnes raisons. Premièrement, ce traité n'est pas le frère jumeau de la Constitution. C'est un texte qui modifie les traités existants, et la procédure normale est la ratification parlementaire. Deuxièmement, il contient des éléments répondant à ceux qui avaient voté non en 2005. La concurrence libre et non faussée n'est plus dans les objectifs de l'Union, elle devient un moyen et n'est plus une finalité ; un protocole sur les services publics renforce le caractère social du traité ; le texte prévoit un rôle plus important des Parlements nationaux. Troisième argument : 26 des 27 Etats membres vont procéder par ratification parlementaire. Seule l'Irlande tiendra un référendum, parce qu'elle y est obligée.
Q - Et votre dernier argument ?
R - Nicolas Sarkozy a été très clair et très courageux dans sa campagne, disant qu'il souhaitait la modification du Traité et que ce ne serait pas soumis à référendum. Donc, les Français ne sont pas pris par surprise.
Q - Jean-Pierre Chevènement affirme que l'escamotage de la concurrence ne signifie pas que l'inspiration libérale de l'Union européenne disparaît...
R - Le fait que ce ne soit plus un objectif change quand même les choses : lorsqu'on examine les politiques sociales, on ne devra pas les soumettre à un principe qui serait supérieur, celui de la concurrence. Ce traité est le plus démocratique et le plus social de tous ceux qui ont été adoptés depuis l'Acte unique européen, en 1986. En outre, dans ses objectifs a été ajoutée la protection des citoyens, notamment par rapport à la mondialisation.
Q - Vous comprenez les réserves de vos amis du parti socialiste vis-à-vis de ce texte ?
R - J'aurais préféré une attitude plus claire. Ce qui est difficile à comprendre, c'est l'abstention sur une révision constitutionnelle qui, quelle que soit la voie utilisée, référendaire ou parlementaire, est nécessaire. L'essentiel est qu'une très large majorité du PS soit en faveur du oui au traité. Une démarche différente l'aurait isolé du reste du mouvement social-démocrate européen.
Q - Vous avez parlé d'une Europe protectrice : comment cela se traduit-il concrètement ?
R - L'Europe doit protéger au sens large, c'est-à-dire assurer la sécurité des citoyens, garantir un espace de droit. Mais c'est aussi une protection par rapport à la mondialisation. Il faut protéger le plus possible les citoyens des délocalisations, faire en sorte que l'Europe conserve une base industrielle forte. Elle doit aussi être en mesure de défendre ses intérêts sur le plan économique, de la même façon que le font les Américains, les Chinois, les Indiens ou les Brésiliens. Il faut être décomplexé : l'Union européenne doit défendre ses intérêts.
Q - Les partenaires de la France, plutôt libéraux, partagent-ils cette vision ?
R - Cette vision n'a pas toujours été partagée, mais il y a des progrès. Les Allemands ont les mêmes valeurs économiques et sociales que nous. Avec les Anglo-Saxons c'est plus compliqué, ils sont traditionnellement plus libéraux. Mais face aux crises bancaires, à l'instabilité financière, il y a eu à Londres une réunion importante entre Brown, Merkel, Sarkozy, Prodi et Barroso, où l'on s'est mis d'accord pour qu'il y ait plus de transparence, pour lutter contre la spéculation.
Q - Comment choisir le futur président de l'Union ?
R - Le choix en termes de personne est prématuré, cela devra être fait à la fin de l'année. Pour les critères, ce doit être une personnalité suffisamment entraînante pour que l'Europe soit visible à l'extérieur, un homme doté d'un certain charisme et influent. Il doit aussi partager les solidarités, les valeurs de l'Europe, être au coeur des dispositifs de solidarité européenne.
Q - Ce pourrait être une femme ?
R - Ce serait une très belle image pour l'Europe. Il y a des femmes de grand talent en Europe.
Q - Nicolas Sarkozy, par ses méthodes assez personnelles, a parfois dérouté ses partenaires européens...
R - Le dynamisme du président de la République, son énergie, sa volonté, sont nécessaires à l'Europe. La France s'est trop longtemps tue pour ne pas se réjouir d'avoir quelqu'un qui pose des vrais débats. Tous nos partenaires sont fascinés par sa personnalité, ils veulent le rencontrer.
Q - Ils ne sont pas un peu agacés ?
R - Il y a toujours un mélange, mais ce qui revient le plus souvent dans mes rencontres, c'est la formule : "Vous avez un président énergétique." Ils ne sont pas habitués à ce rythme, mais ils sont très contents qu'il pose les vraies questions. L'essentiel, c'est que l'Europe ne ronronne pas.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 11 février 2008