Texte intégral
Je suis très heureux d'ouvrir aujourd'hui ce symposium, organisé conjointement par l'Academy of Medical Sciences du Royaume Uni, l'Académie des Sciences de l'Institut de France et l'Académie nationale de Médecine - avec le soutien du ministère de la Recherche et du GIS "Infections à prions".
Cette coopération suivie entre les deux Académies est due, en particulier, aux excellents rapports personnels qu'entretiennent les Professeurs Nicole LeDouarin, Secrétaire perpétuelle de l'Académie des Sciences de notre pays, et Peter Lachmann, de l'Académie britannique. Je les remercie donc d'avoir pris l'initiative de ce colloque sur les encéphalopathies spongiformes transmissibles, qui sera suivi de deux autres rencontres conjointement organisées : la prochaine, en octobre 2001, sera consacrée au vieillissement ; la suivante traitera, en mars 2002, des questions soulevées par les techniques de clonage cellulaire et l'usage thérapeutique des cellules souches à des fins thérapeutiques.
Je rappelle d'ailleurs que, dans ce domaine, Peter Lachmann a joué un rôle moteur au Royaume Uni en développant les arguments scientifiques qui ont conduit le Parlement britannique à adopter les récents amendements à la Loi sur l'embryon et la fertilité.
L'actualité du premier sujet choisi est évidente : voici plus de dix ans que nous essayons de venir à bout de l'épidémie d'encéphalopathie spongiforme bovine, la fameuse "crise de la vache folle" - dont les répercussions, tant dans le domaine des modes alimentaires que pour l'économie agricole, sont sans précédent. Cette épizootie est apparue au Royaume Uni dès le début des années 80 et, malgré les mesures de contrôle et d'interdiction prises, nous n'avons pas encore réussi à éradiquer la maladie. C'est pourquoi le Gouvernement français a arrêté un plan de grande envergure à l'automne 2000.
Par ailleurs, chez l'homme, le nouveau variant de maladie de Creutzfeldt-Jakob - dont, en février 2001, 94 cas étaient répertoriés au Royaume Uni, et deux cas avérés en France - reste en grande partie une énigme. L'absence de tests pour déceler précocement l'infection, les conditions très difficiles d'inactivation de l'agent infectieux, la longue durée d'incubation, l'absence actuelle de traitement et la gravité de la maladie font de cette affection une priorité de santé publique.
Nos deux pays se sont dotés l'un comme l'autre d'un comité interministériel d'experts sur les ESST, le Royaume Uni en 1988 avec le Spongiform Encephalopathy Advisory Commitee (SEAC), la France en 1996 avec le Comité Dormont. Ces comités ont tenu deux réunions conjointes, les 6 février 1997 à Paris et 22 septembre 1998 à Londres, qui avaient pour but d'échanger nos informations et de recenser les avancées scientifiques réalisées dans ce domaine. Il existe donc -et je m'en félicite- une dynamique scientifique commune entre le Royaume Uni et la France.
Le colloque d'aujourd'hui élargit cette collaboration : il manifeste notre volonté d'unir nos efforts institutionnels pour mobiliser des équipes de jeunes chercheurs sur ces problèmes qui concernent aujourd'hui toute l'Europe, et faire émerger de nouveaux projets. Permettez-moi de vous exposer les mesures que nous avons prises récemment, du côté français, pour renforcer le potentiel de recherche sur les ESST.
Le dispositif français
Le colloque d'aujourd'hui est la première manifestation scientifique soutenue par le GIS "Infections à prions" que j'ai créé fin 2000 et installé officiellement le 24 janvier 2001. Cette initiative constitue l'un des deux volets de l'action engagée, à ma demande, par le Gouvernement français au mois de novembre :
*Le triplement des moyens publics consacrés à la recherche sur les ESST et les prions : ceux-ci passent de 70 MF en 2000 à 210 MF en 2001. Ces crédits permettront de poursuivre les objectifs suivants : renforcer les laboratoires de recherche sur les tests ; construire et aménager des animaleries et des banques de tissus infectés ; construire et aménager des laboratoires pour les recherches thérapeutiques sur l'homme ; recruter du personnel supplémentaire dans les organismes de recherche (120 chercheurs, ingénieurs et techniciens, dont 100 dès cette année).
*La création de ce Groupement d'Intérêt Scientifique, qui rassemble les ministères de la recherche et de l'agriculture et le ministère délégué à la santé, l'ensemble des établissements de recherche concernés - CNRS, CEA, INRA, INSERM - ainsi que l'Institut Pasteur, les trois agences concernées : l'Agence Française de Sécurité Sanitaire et Alimentaire (AFSSA), l'Agence française de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé (AFSSAPS), et l'Institut de Veille Sanitaire (InVS).
Le Conseil scientifique du GIS, qui comprend un cinquième de membres étrangers, est présidé depuis le 6 mars 2001 par le Dr Dominique Dormont. Ce Conseil scientifique est chargé de coordonner et d'harmoniser les recherches menées par chacun des partenaires et visant à progresser dans la connaissance, la prévention et le traitement des maladies à prions ; de décider de la répartition des moyens spécifiques alloués par l'Etat et de leur utilisation optimale, en liaison avec les moyens propres affectés à la recherche sur les infections à prions par les partenaires ; de susciter de nouveaux programmes de recherche et d'inciter de nouvelles équipes à s'impliquer dans la recherche sur les Agents Transmissibles Non Conventionnels et les maladies qu'ils provoquent ; d'assurer l'animation et le suivi des travaux entre les partenaires et des tiers ; d'assurer le lien avec le programme de recherche de l'Union Européenne, des Etats membres et des pays tiers.
Ce GIS " Infections à prions " est maintenant opérationnel. Il a lancé un premier appel d'offre concernant les animaleries protégées, auquel ont répondu plus d'une vingtaine de projets à travers toute la France. Et je peux répondre dès aujourd'hui à ceux qui, jugeant notre plan trop ambitieux, pensaient que nous n'arriverions pas à mobiliser notre communauté scientifique : nous avons envisagé une enveloppe de 75 MF pour ces animaleries protégées, et les projets reçus s'élèvent globalement à environ 250 MF. La sélection sera donc rigoureuse, et seuls les meilleurs projets seront financés.
La mise en commun des recherches
La finalité de cette rencontre entre les meilleurs spécialistes des deux communautés scientifiques est d'éviter les redondances de recherche et d'organiser les travaux à venir. La répartition en six thèmes, établie par les organisateurs, permet de couvrir l'ensemble des questions que posent les travaux sur les infections à prions et sur l'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB).
*Structure et biologie de la protéine prion : l'agent infectieux responsable de l'épidémie d'ESB et de la maladie humaine est une forme anormale d'une protéine ubiquitaire, la protéine prion. La protéine anormale semble transformer par contact la protéine saine en protéine pathogène. Des études de structure tridimensionnelle par résonance magnétique nucléaire permettent une approche comparative plus précise de la nature des protéines prions humaines et animales : elles fourniront des informations sur les mécanismes permettant le franchissement de la barrière d'espèces et la virulence du processus infectieux.
*Pathogénie et physiopathologie : la transmission habituelle de la maladie provient le plus souvent de l'ingestion de nourriture infectée. La toxicité cérébrale est liée à la présence, dans le cerveau, de la protéine prion dont la mise en contact avec la protéine pathologique produit des lésions chez l'homme et chez l'animal. C'est la compréhension de la voie d'accès au système nerveux qui peut permettre d'intervenir tôt après la contamination. L'étude des cellules dentritiques folliculaires, qui jouent un rôle prépondérant, pourrait avoir un impact thérapeuthique.
*Aspects génétiques : il a été démontré que tous les cas de nouvelle forme de maladie de Creutzfeldt-Jakob sont homozygotes pour la méthionine 129, alors qu'ils représentent 40 % de la population. Aucun cas n'a été décelé chez les hétérozygotes. Il y aurait donc une interaction entre la " souche " de prion et le génotype.
*Maladie de Creutzfeldt-Jakob : la nouvelle forme que revêt cette maladie est le premier exemple de transmission d'une maladie à prion de l'animal à l'homme. Mais la forme classique de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, tout aussi terrible, reste également à comprendre et à traiter. Les travaux en cours permettront d'établir un dépistage précoce et de traiter les deux formes de la maladie.
*Modèles expérimentaux : vos travaux ne progresseront qu'avec le développement de nouveaux modèles animaux et l'étude in vivo de la maladie selon les principes de la biologie intégrative, nouvelle frontière de l'après-séquençage. Des modèles de levure sont utiles ; mais il semble que l'utilisation, désormais possible, de souris trangéniques dites "rapides" devrait permettre de nouvelles avancées, ainsi que le fait d'étudier des lésions humaines sur des modèles de primates comme le lémurien microcèbe.
*Evaluation des risques de sécurité : notre objectif est bien sûr l'éradication de l'ESB. Mais beaucoup de questions restent en suspens : compte tenu des limites actuelles des tests de dépistage, de très lourdes mesures de précaution sont prises : sont-elles nécessaires et sont-elles efficaces ? Les gélatines utilisées pour la fabrication des médicaments présentent des risques : ces risques doivent être évalués en fonction des techniques utilisées pendant leur production. Plusieurs pays ont pris des mesures de précaution vis-à-vis du don du sang, fondées sur l'origine géographique et l'histoire personnelle des donneurs: que faut-il en penser ?
La dimension européenne
Maintenant que les différents pays de l'Union Européenne ont mis en place le dépistage systématique sur les animaux abattus, il est clair que le problème de l'ESB touche toute l'Europe, qui doit harmoniser les mesures préventives et mettre en synergie les différents programmes de recherche.
*Les mesures de surveillance
Le Conseil de l'Europe a adopté, le 7 mars 2001, une recommandation en faveur d'une série de mesures préventives pour éviter que la forme nouvelle de la maladie de Creutzfeldt-Jakob se dissémine dans la population par transfusion sanguine : au cas où ce risque existerait -ce qui reste toutefois à démontrer- les 43 Etats membres sont invités à mettre en place un système centralisé de surveillance de la maladie, ainsi qu'un système de traçabilité des dons du sang afin de procéder, s'il y a lieu, à un retrait des produits.
*Les programmes de recherche conjoints franco-britanniques, avec en particulier les programmes BIOMED et FAIR. Du côté français, plus d'une vingtaine d'équipes sont impliquées : l'INRA est engagée dans six programmes FAIR avec les équipes britanniques : ils portent sur le typage des souris transgéniques, l'analyse des tissus atteints chez les bovins, la barrière d'espèces avec les modèles souris et mouton, la tremblante.
Le CEA est également engagé dans plusieurs programmes coopératifs. Un récent article de Nature, cosigné par le CEA et une équipe britannique, résulte de cette collaboration : il démontre la sensibilité du test développé au CEA : comparable au test biologique d'infection de la souris, qui nécessitait deux à trois mois d'attente, celui-ci ne met que quatre heures à produire ses résultats.
*Enfin, il existe maintenant un groupe scientifique d'experts européens, installé à ma demande à la suite du Conseil des ministres de la Recherche du 16 novembre 2000, dont j'exerçais alors la Présidence. Cinq experts français en font partie. Ces experts se sont réunis pour la première fois le 15 décembre, et ont établi un bilan des recherches pays par pays. Sur la base de ce rapport, qui lui a été présenté le 15 février, la Commission proposera pour le 15 mai des propositions d'actions nouvelles et concrètes.
Il vous reste maintenant à engager vos travaux, que le Premier Ministre viendra saluer demain, et le ministre délégué à la Santé clôturer après-demain : un enchaînement logique, en somme, qui part de la recherche pour aller vers la possibilité de diagnostiquer et de soigner.
C'est dire l'importance que le Gouvernement français attache à la réflexion que vous allez mener, et que vous allez mener en toute solidarité.
Je souhaite que la coopération entre nos deux pays soit exemplaire et incarne le front commun que nous devons établir contre une épidémie qui nous concerne tous.
C'est en unissant les compétences de nos scientifiques, en orientant de nouvelles équipes internationales vers des recherches partagées que nous parviendrons à bâtir, dans ce domaine comme dans d'autres, une Europe au service de ses concitoyens, de leur santé et de leur sécurité alimentaire.
C'est dire l'importance stratégique de vos travaux pour faire progresser la connaissance scientifique et la mettre au service de chacun.
(source http://www.recherche.gouv.fr, le 15 mars 2001)
Cette coopération suivie entre les deux Académies est due, en particulier, aux excellents rapports personnels qu'entretiennent les Professeurs Nicole LeDouarin, Secrétaire perpétuelle de l'Académie des Sciences de notre pays, et Peter Lachmann, de l'Académie britannique. Je les remercie donc d'avoir pris l'initiative de ce colloque sur les encéphalopathies spongiformes transmissibles, qui sera suivi de deux autres rencontres conjointement organisées : la prochaine, en octobre 2001, sera consacrée au vieillissement ; la suivante traitera, en mars 2002, des questions soulevées par les techniques de clonage cellulaire et l'usage thérapeutique des cellules souches à des fins thérapeutiques.
Je rappelle d'ailleurs que, dans ce domaine, Peter Lachmann a joué un rôle moteur au Royaume Uni en développant les arguments scientifiques qui ont conduit le Parlement britannique à adopter les récents amendements à la Loi sur l'embryon et la fertilité.
L'actualité du premier sujet choisi est évidente : voici plus de dix ans que nous essayons de venir à bout de l'épidémie d'encéphalopathie spongiforme bovine, la fameuse "crise de la vache folle" - dont les répercussions, tant dans le domaine des modes alimentaires que pour l'économie agricole, sont sans précédent. Cette épizootie est apparue au Royaume Uni dès le début des années 80 et, malgré les mesures de contrôle et d'interdiction prises, nous n'avons pas encore réussi à éradiquer la maladie. C'est pourquoi le Gouvernement français a arrêté un plan de grande envergure à l'automne 2000.
Par ailleurs, chez l'homme, le nouveau variant de maladie de Creutzfeldt-Jakob - dont, en février 2001, 94 cas étaient répertoriés au Royaume Uni, et deux cas avérés en France - reste en grande partie une énigme. L'absence de tests pour déceler précocement l'infection, les conditions très difficiles d'inactivation de l'agent infectieux, la longue durée d'incubation, l'absence actuelle de traitement et la gravité de la maladie font de cette affection une priorité de santé publique.
Nos deux pays se sont dotés l'un comme l'autre d'un comité interministériel d'experts sur les ESST, le Royaume Uni en 1988 avec le Spongiform Encephalopathy Advisory Commitee (SEAC), la France en 1996 avec le Comité Dormont. Ces comités ont tenu deux réunions conjointes, les 6 février 1997 à Paris et 22 septembre 1998 à Londres, qui avaient pour but d'échanger nos informations et de recenser les avancées scientifiques réalisées dans ce domaine. Il existe donc -et je m'en félicite- une dynamique scientifique commune entre le Royaume Uni et la France.
Le colloque d'aujourd'hui élargit cette collaboration : il manifeste notre volonté d'unir nos efforts institutionnels pour mobiliser des équipes de jeunes chercheurs sur ces problèmes qui concernent aujourd'hui toute l'Europe, et faire émerger de nouveaux projets. Permettez-moi de vous exposer les mesures que nous avons prises récemment, du côté français, pour renforcer le potentiel de recherche sur les ESST.
Le dispositif français
Le colloque d'aujourd'hui est la première manifestation scientifique soutenue par le GIS "Infections à prions" que j'ai créé fin 2000 et installé officiellement le 24 janvier 2001. Cette initiative constitue l'un des deux volets de l'action engagée, à ma demande, par le Gouvernement français au mois de novembre :
*Le triplement des moyens publics consacrés à la recherche sur les ESST et les prions : ceux-ci passent de 70 MF en 2000 à 210 MF en 2001. Ces crédits permettront de poursuivre les objectifs suivants : renforcer les laboratoires de recherche sur les tests ; construire et aménager des animaleries et des banques de tissus infectés ; construire et aménager des laboratoires pour les recherches thérapeutiques sur l'homme ; recruter du personnel supplémentaire dans les organismes de recherche (120 chercheurs, ingénieurs et techniciens, dont 100 dès cette année).
*La création de ce Groupement d'Intérêt Scientifique, qui rassemble les ministères de la recherche et de l'agriculture et le ministère délégué à la santé, l'ensemble des établissements de recherche concernés - CNRS, CEA, INRA, INSERM - ainsi que l'Institut Pasteur, les trois agences concernées : l'Agence Française de Sécurité Sanitaire et Alimentaire (AFSSA), l'Agence française de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé (AFSSAPS), et l'Institut de Veille Sanitaire (InVS).
Le Conseil scientifique du GIS, qui comprend un cinquième de membres étrangers, est présidé depuis le 6 mars 2001 par le Dr Dominique Dormont. Ce Conseil scientifique est chargé de coordonner et d'harmoniser les recherches menées par chacun des partenaires et visant à progresser dans la connaissance, la prévention et le traitement des maladies à prions ; de décider de la répartition des moyens spécifiques alloués par l'Etat et de leur utilisation optimale, en liaison avec les moyens propres affectés à la recherche sur les infections à prions par les partenaires ; de susciter de nouveaux programmes de recherche et d'inciter de nouvelles équipes à s'impliquer dans la recherche sur les Agents Transmissibles Non Conventionnels et les maladies qu'ils provoquent ; d'assurer l'animation et le suivi des travaux entre les partenaires et des tiers ; d'assurer le lien avec le programme de recherche de l'Union Européenne, des Etats membres et des pays tiers.
Ce GIS " Infections à prions " est maintenant opérationnel. Il a lancé un premier appel d'offre concernant les animaleries protégées, auquel ont répondu plus d'une vingtaine de projets à travers toute la France. Et je peux répondre dès aujourd'hui à ceux qui, jugeant notre plan trop ambitieux, pensaient que nous n'arriverions pas à mobiliser notre communauté scientifique : nous avons envisagé une enveloppe de 75 MF pour ces animaleries protégées, et les projets reçus s'élèvent globalement à environ 250 MF. La sélection sera donc rigoureuse, et seuls les meilleurs projets seront financés.
La mise en commun des recherches
La finalité de cette rencontre entre les meilleurs spécialistes des deux communautés scientifiques est d'éviter les redondances de recherche et d'organiser les travaux à venir. La répartition en six thèmes, établie par les organisateurs, permet de couvrir l'ensemble des questions que posent les travaux sur les infections à prions et sur l'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB).
*Structure et biologie de la protéine prion : l'agent infectieux responsable de l'épidémie d'ESB et de la maladie humaine est une forme anormale d'une protéine ubiquitaire, la protéine prion. La protéine anormale semble transformer par contact la protéine saine en protéine pathogène. Des études de structure tridimensionnelle par résonance magnétique nucléaire permettent une approche comparative plus précise de la nature des protéines prions humaines et animales : elles fourniront des informations sur les mécanismes permettant le franchissement de la barrière d'espèces et la virulence du processus infectieux.
*Pathogénie et physiopathologie : la transmission habituelle de la maladie provient le plus souvent de l'ingestion de nourriture infectée. La toxicité cérébrale est liée à la présence, dans le cerveau, de la protéine prion dont la mise en contact avec la protéine pathologique produit des lésions chez l'homme et chez l'animal. C'est la compréhension de la voie d'accès au système nerveux qui peut permettre d'intervenir tôt après la contamination. L'étude des cellules dentritiques folliculaires, qui jouent un rôle prépondérant, pourrait avoir un impact thérapeuthique.
*Aspects génétiques : il a été démontré que tous les cas de nouvelle forme de maladie de Creutzfeldt-Jakob sont homozygotes pour la méthionine 129, alors qu'ils représentent 40 % de la population. Aucun cas n'a été décelé chez les hétérozygotes. Il y aurait donc une interaction entre la " souche " de prion et le génotype.
*Maladie de Creutzfeldt-Jakob : la nouvelle forme que revêt cette maladie est le premier exemple de transmission d'une maladie à prion de l'animal à l'homme. Mais la forme classique de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, tout aussi terrible, reste également à comprendre et à traiter. Les travaux en cours permettront d'établir un dépistage précoce et de traiter les deux formes de la maladie.
*Modèles expérimentaux : vos travaux ne progresseront qu'avec le développement de nouveaux modèles animaux et l'étude in vivo de la maladie selon les principes de la biologie intégrative, nouvelle frontière de l'après-séquençage. Des modèles de levure sont utiles ; mais il semble que l'utilisation, désormais possible, de souris trangéniques dites "rapides" devrait permettre de nouvelles avancées, ainsi que le fait d'étudier des lésions humaines sur des modèles de primates comme le lémurien microcèbe.
*Evaluation des risques de sécurité : notre objectif est bien sûr l'éradication de l'ESB. Mais beaucoup de questions restent en suspens : compte tenu des limites actuelles des tests de dépistage, de très lourdes mesures de précaution sont prises : sont-elles nécessaires et sont-elles efficaces ? Les gélatines utilisées pour la fabrication des médicaments présentent des risques : ces risques doivent être évalués en fonction des techniques utilisées pendant leur production. Plusieurs pays ont pris des mesures de précaution vis-à-vis du don du sang, fondées sur l'origine géographique et l'histoire personnelle des donneurs: que faut-il en penser ?
La dimension européenne
Maintenant que les différents pays de l'Union Européenne ont mis en place le dépistage systématique sur les animaux abattus, il est clair que le problème de l'ESB touche toute l'Europe, qui doit harmoniser les mesures préventives et mettre en synergie les différents programmes de recherche.
*Les mesures de surveillance
Le Conseil de l'Europe a adopté, le 7 mars 2001, une recommandation en faveur d'une série de mesures préventives pour éviter que la forme nouvelle de la maladie de Creutzfeldt-Jakob se dissémine dans la population par transfusion sanguine : au cas où ce risque existerait -ce qui reste toutefois à démontrer- les 43 Etats membres sont invités à mettre en place un système centralisé de surveillance de la maladie, ainsi qu'un système de traçabilité des dons du sang afin de procéder, s'il y a lieu, à un retrait des produits.
*Les programmes de recherche conjoints franco-britanniques, avec en particulier les programmes BIOMED et FAIR. Du côté français, plus d'une vingtaine d'équipes sont impliquées : l'INRA est engagée dans six programmes FAIR avec les équipes britanniques : ils portent sur le typage des souris transgéniques, l'analyse des tissus atteints chez les bovins, la barrière d'espèces avec les modèles souris et mouton, la tremblante.
Le CEA est également engagé dans plusieurs programmes coopératifs. Un récent article de Nature, cosigné par le CEA et une équipe britannique, résulte de cette collaboration : il démontre la sensibilité du test développé au CEA : comparable au test biologique d'infection de la souris, qui nécessitait deux à trois mois d'attente, celui-ci ne met que quatre heures à produire ses résultats.
*Enfin, il existe maintenant un groupe scientifique d'experts européens, installé à ma demande à la suite du Conseil des ministres de la Recherche du 16 novembre 2000, dont j'exerçais alors la Présidence. Cinq experts français en font partie. Ces experts se sont réunis pour la première fois le 15 décembre, et ont établi un bilan des recherches pays par pays. Sur la base de ce rapport, qui lui a été présenté le 15 février, la Commission proposera pour le 15 mai des propositions d'actions nouvelles et concrètes.
Il vous reste maintenant à engager vos travaux, que le Premier Ministre viendra saluer demain, et le ministre délégué à la Santé clôturer après-demain : un enchaînement logique, en somme, qui part de la recherche pour aller vers la possibilité de diagnostiquer et de soigner.
C'est dire l'importance que le Gouvernement français attache à la réflexion que vous allez mener, et que vous allez mener en toute solidarité.
Je souhaite que la coopération entre nos deux pays soit exemplaire et incarne le front commun que nous devons établir contre une épidémie qui nous concerne tous.
C'est en unissant les compétences de nos scientifiques, en orientant de nouvelles équipes internationales vers des recherches partagées que nous parviendrons à bâtir, dans ce domaine comme dans d'autres, une Europe au service de ses concitoyens, de leur santé et de leur sécurité alimentaire.
C'est dire l'importance stratégique de vos travaux pour faire progresser la connaissance scientifique et la mettre au service de chacun.
(source http://www.recherche.gouv.fr, le 15 mars 2001)