Texte intégral
ENTRETIEN DU MINISTRE DES AFFAIRES ETRANGERES, M. HUBERT VEDRINE, AVEC LA TELEVISION ESPAGNOLE "TVE" (Paris le 3 mars 1999)
Q - On a beaucoup parlé de succès ou déchec de la réunion de Rambouillet. Quel est votre avis ?
R - Mon avis, cest que nous avons réussi à Rambouillet, en rassemblant les efforts des six pays du Groupe de contact, mais qui agissaient au nom de la communauté internationale de façon plus vaste, notamment des quinze pays dEurope, donc du monde entier en quelque sorte à enclencher un processus dans des problèmes aussi compliqués que les problèmes des Balkans, quon peut en complexité comparer au Proche-Orient. On ne peut jamais parler complètement de succès ou parler déchec, cest toujours entre les deux. La grande différence, cest que avant cette réunion, avant ce forcing que nous avons fait, il ny avait pas de processus de solution, aucune solution en vue, uniquement la violence, le désespoir, la répression, la provocation.
Après, il y a un processus, il y a la solution dautonomie substantielle intérimaire pour trois ans qui a été élaborée par le Groupe de contact et il y a des exigences très fortes que nous avons posées par rapport aux deux parties. Elles nont pas été entièrement satisfaites, mais nous avons quand même réussi à les faire travailler par lintermédiaire des négociateurs sur ce texte. Tout le monde voit aujourdhui que cette solution est la seule possible pour éviter un affrontement majeur.
Avant, il ny avait pas de processus, maintenant, il y a un processus de solution, à condition quil y ait un minimum de bonne volonté. Cest un processus très fragile, très menacé, mais il existe. Voilà la grande différence.
Q - Certains médias ont critiqué, blâmé le rôle des Etats-Unis en raison de leur partialité.
R - Il y a un éventail de sensibilités et danalyses dans les différents pays qui composent le Groupe de contact dont je rappelle que ce sont les Etats-Unis, la Russie, la France, la Grande-Bretagne, lAllemagne, lItalie, et si lon prend les pays de la région, les autres pays dEurope, on peut trouver des nuances, mais ce sont simplement des nuances. Tous ces pays sont daccord sur le fait que le statu quo est intolérable et quil faut trouver durgence une solution politique permettant la coexistence des Serbes, des Albanais et des minorités non albanaises du Kossovo.
Par ailleurs et en même temps, tous ces pays pensent que lon ne peut pas se tenir à leurs revendications dindépendance qui déstabiliserait lensemble de la région, qui créerait un phénomène de contagion sur les deux ou trois pays à côté et qui contredirait complètement les efforts que nous tentons par ailleurs en Bosnie. Même sil y a des nuances ente les uns et les autres, il y a un accord sur lessentiel.
Dans la négociation de Rambouillet, nous avons travaillé de façon très coordonnée - je parle des six ministres des Affaires étrangères du Groupe de contact - et nous avons fait en sorte dutiliser les meilleures compétences des uns et des autres, selon les moments. Ce qui fait, quà certains moments, ce sont plutôt les Russes ou plutôt les Américains, tout le temps Robin Cook et moi-même - puisque nous étions coprésidents -, ou alors les Allemands ou les Italiens. Nous avons utilisé toutes les compétences et toutes les relations, tous les contacts possibles. Je réponds donc que cest une vision partielle : il faut plutôt voir la complémentarité de ces six grandes diplomaties qui ont travaillé ensemble.
Q - Le communiqué final du Comité de surveillance permanent du Groupe de contact sur les actes de provocation, sur les meurtres au Kossovo, les mouvements de troupes. Va-t-il y avoir une réponse de la communauté internationale ?
R - La meilleure réponse de la communauté internationale, cest son acharnement à chercher une solution. Nous ne voulons pas les laisser seuls face à face, donc nous continuons à être présents. Nous sommes dailleurs déjà présents au titre de la Mission de vérification de lOSCE qui est là depuis lautomne dernier avec des contingents de différents pays et il y a une vigilance internationale, il y a les médias.
Lorsque nous avions conclu à Rambouillet, nous avons vu que nous avions obtenu certains résultats sur le principe, mais quils méritaient une négociation complémentaire. Nous avons donc enclenché un processus, mais il faut le poursuivre. Les Albanais du Kossovo ont demandé un délai dune quinzaine de jours pour consulter la base, parce quil y avait un désaccord très fort à la fin entre la délégation des Albanais du Kossovo qui était à Rambouillet et qui était elle-même assez divisée, et dautre part la base qui était encore plus radicale. Ce sont eux qui ont demandé ce délai, nous lavons accepté.
Dautre part, du côté des Serbes, ils voulaient aussi pouvoir travailler ensemble à Belgrade. Après cette pression très forte qui avait été maintenue pendant plus de quinze jours, il nous a semblé normal daccepter et de reporter la suite des discussions, notamment pour la mise en oeuvre à partir du 15 mars.
Entre les deux, il y a une période qui est difficile, dangereuse même. Nous sommes dans cette période et il est vrai que nous avons observé des violations graves des engagements pris de part et dautre, non seulement à Rambouillet, mais même avant, des engagements pris depuis octobre. Ces derniers jours par exemple, nous avons vu à la fois des concentrations armées de larmée yougoslave qui dépassent les plafonds qui avaient été acceptés à lautomne, mais aussi des actions de force qui ont été tentées - je ne sais pas sil faut dire par lUCK, parce que lon ne sait jamais très bien et on ne sait pas comment cela est organisé, ce sont peut-être des éléments isolés - : dans un cas, un policier serbe a été tué et un autre blessé, dans un autre cas, ce sont deux civils serbes qui ont été kidnappés, dont lun a été tué. Et il y a dun autre côté cette menace des troupes et des entraves mises à la circulation des éléments de la Force de vérification. On voit bien que ce Kossovo est une « poudrière », avec une tension extrême. Cest aussi pour cela que lon sen occupe, que lon a fait tellement defforts depuis maintenant plusieurs mois et notamment depuis plusieurs semaines et que nous en avons fait - pas toujours les six pays, mais soutenus par à peu près tous les autres - une très grande priorité pour notre action diplomatique.
La meilleure réponse à ceux qui refusent le processus de paix, à ceux qui créent des incidents ou qui recherchent des incidents, est que nous restons mobilisés et que nous nallons pas les laisser casser cette espérance qui est la seule qui existe. Nous voulons continuer à travailler. De nombreux contacts ont eu lieu tous ces jours-ci et à Pristina et à Belgrade. Au sein du Groupe de contact, nous travaillons ensemble sur le programme de la réunion qui doit commencer le 15 mars, et nous allons maintenir cette pression très forte. Cest très difficile, mais nous le savons depuis avant même la réunion.
Q - La formation du gouvernement intérimaire, la substitution du chef politique des Kossovars, la visite de la délégation albanaise à Washington, tout cela va t-il favoriser laccord final ?
R - Ce sont des éléments plutôt positifs. Cela montre quil y a des changements qui sannoncent du côté des Albanais du Kossovo, quils vont peut-être se mettre daccord sur une acceptation du plan, celle quils nont pas pu donner à Rambouillet. Je voudrais des éléments positifs dans tous ces signes et jattends la concrétisation de lautre côté puisque nos demandes restent très précises. Nous demandons à la Yougoslavie daccepter le statut dautonomie pour le Kossovo, même si les discussions sur tel ou tel point particulier sont acceptables - elles ont lieu dailleurs - mais il faut quils acceptent que cette autonomie soit garantie par une présence militaire internationale dont je redis ici que ce nest absolument pas une force doccupation, au contraire.
Cest une garantie pour tout le monde dans ce Kossovo : aussi bien la majorité albanaise que la minorité non-albanaise, dont les Serbes ; cest une garantie pour le maintien des frontières internationales de la Yougoslavie. Donc nous pensons que cest une exigence logique, mais cest une exigence raisonnable qui devrait finir par être acceptée.
Dun autre côté, nous demandons aux Albanais du Kossovo, à qui nous apportons cette solution politique et cette sécurité, par notre plan, daccepter de reconnaître la souveraineté et lintégrité de la République fédérale de Yougoslavie et daccepter, dans le cadre du plan, de déposer les armes et que les soldats de lUCK acceptent dêtre désarmés et de se transformer, pour tous ceux qui laccepteront, en un parti politique. Ce sont des décisions difficiles, de part et dautre, très difficiles. Je sais quils nont pas osé franchir ce cap à la fin de Rambouillet. Ils ont donné un accord général sur la solution politique, mais sur les engagements précis que je viens de rappeler, il y a eu un blocage. Cest là-dessus que nous sommes en train dinsister, parce que cela forme un tout, et on ne peut pas découper cette solution en petits morceaux. Cela ne marche que sil y a tout cela. La communauté internationale est engagée, et on ne veut pas les laisser seuls ; on veut les accompagner. Après, sils saisissent cette chance historique dans la construction dun Kossovo différent, dans une Yougoslavie différente...
Q - On peut penser au déploiement des troupes sous commandement du Conseil de sécurité ou cela doit être toujours sous le commandement de lOTAN ?
R - Ce que nous avons élaboré, non pas complètement au sein du Groupe de contact, parce que naturellement les Russes ne sont pas engagés par ce volet concernant lOTAN, mais entre les cinq pays membres de lOTAN, cest une présence militaire dans le cadre de lOTAN. Il faut savoir que cela correspond à une demande des Albanais du Kossovo . Cela représente pour eux la sécurité. Cest dans ce cadre que la France, la Grande-Bretagne, lAllemagne, lItalie et dautres pays en Europe sont tout à fait prêts à participer en fournissant des contingents. Cela est un élément de la solution. Mais nous pensons quil est très important de compléter le premier dispositif OTAN, dans lequel il y aurait des Européens et des Américains, par un dispositif à trouver dans lequel des Russes pourraient être présents. Cest là ou lon pourrait penser à un encadrement par le Conseil de sécurité ou à une action dans le cadre de lOSCE ou trouver un arrangement ad hoc - il existe un accord de partenariat entre lOTAN et la Russie. Il faut être imaginatif sur ce plan pour compléter la première disposition, et non pas pour la remplacer. Il faut essayer de combiner tout ces éléments.
Q -Et toujours sous le commandement de lOTAN ?
R -On verra. Cest un peu comme dans le cadre de la Bosnie. Dabord on veut constituer le dispositif central, qui est un commandement OTAN un peu adapté, un peu particulier. A chaque fois, il y a des montages qui tiennent compte des réalités locales, comme cétait le cas en Bosnie, et aujourdhui en Macédoine. Donc il y a une situation de ce type, mais il peut y avoir aussi un commandement particulier pour le dispositif qui viendrait compléter celui dans lequel les Russes viendraient sinsérer. Je ne peux pas être plus précis, parce que les négociations ne sont pas abouties sur ce point. Ce sont des sujets dont nous sommes en train de parler . Ce qui est clair, cest lobjectif politique : essayer de rassembler le plus grand nombre de pays possible, y compris précisément des pays qui ne sont pas dans lOTAN, à cette présence militaire internationale, pour augmenter sa crédibilité par rapport aux deux parties et pour la rendre encore plus acceptable, notamment du point de vue de la Yougoslavie. Nous sommes en train dy travailler en ce moment et mon homologue britannique, M. Cook, sera à Moscou dans les deux jours qui viennent pour traiter de ces questions avec notre homologue russe, avec qui je viens de parler tout à lheure au téléphone.
Q - Finalement, dans douze jours on recommence. Y aura-t-il des signatures à Evreux, Paris ou ailleurs ?
R - Cest lobjectif ! Sil y a signature, cest quil y a eu réussite. Donc, il ne faut pas être concentré sur un aspect formaliste. Signature ou pas, nous voulons les mettre daccord pour accepter cette solution qui est la seule possible, en dehors des tragédies. Cest cela lobjectif.
Q -On ne discutera pas de volets à côté ? Cest-à-dire quon dit que lon peut signer un accord politique, mais laisser pour le lendemain, une discussion plus profonde sur les aspects militaires, on peut faire cela ?
R - Rien nest arrêté sur ce plan dans le détail. Vous minterrogez sur des détails de rebondissements de la fin de la négociation, mais nous nen sommes pas là. Pour le moment, il sagit, après la pause qui a été demandée par les deux parties, notamment par les Albanais, de reprendre la discussion et de lamener à son but. Après, comment on va faire ? On verra ! On emploiera la méthode la plus efficace. Lessentiel est datteindre lobjectif et lessentiel cest quau bout du compte on ait un accord, de part et dautre, sur lensemble des aspects de la solution proposée par le Groupe de contact et que lon puisse passer à la mise en oeuvre et que lon puisse sortir le Kossovo de ce cycle de tragédies. Cest cela lessentiel. Le détail technique et tactique de la négociation finale, il faut le laisser aux négociateurs.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 8 mars 1999)
Q - On a beaucoup parlé de succès ou déchec de la réunion de Rambouillet. Quel est votre avis ?
R - Mon avis, cest que nous avons réussi à Rambouillet, en rassemblant les efforts des six pays du Groupe de contact, mais qui agissaient au nom de la communauté internationale de façon plus vaste, notamment des quinze pays dEurope, donc du monde entier en quelque sorte à enclencher un processus dans des problèmes aussi compliqués que les problèmes des Balkans, quon peut en complexité comparer au Proche-Orient. On ne peut jamais parler complètement de succès ou parler déchec, cest toujours entre les deux. La grande différence, cest que avant cette réunion, avant ce forcing que nous avons fait, il ny avait pas de processus de solution, aucune solution en vue, uniquement la violence, le désespoir, la répression, la provocation.
Après, il y a un processus, il y a la solution dautonomie substantielle intérimaire pour trois ans qui a été élaborée par le Groupe de contact et il y a des exigences très fortes que nous avons posées par rapport aux deux parties. Elles nont pas été entièrement satisfaites, mais nous avons quand même réussi à les faire travailler par lintermédiaire des négociateurs sur ce texte. Tout le monde voit aujourdhui que cette solution est la seule possible pour éviter un affrontement majeur.
Avant, il ny avait pas de processus, maintenant, il y a un processus de solution, à condition quil y ait un minimum de bonne volonté. Cest un processus très fragile, très menacé, mais il existe. Voilà la grande différence.
Q - Certains médias ont critiqué, blâmé le rôle des Etats-Unis en raison de leur partialité.
R - Il y a un éventail de sensibilités et danalyses dans les différents pays qui composent le Groupe de contact dont je rappelle que ce sont les Etats-Unis, la Russie, la France, la Grande-Bretagne, lAllemagne, lItalie, et si lon prend les pays de la région, les autres pays dEurope, on peut trouver des nuances, mais ce sont simplement des nuances. Tous ces pays sont daccord sur le fait que le statu quo est intolérable et quil faut trouver durgence une solution politique permettant la coexistence des Serbes, des Albanais et des minorités non albanaises du Kossovo.
Par ailleurs et en même temps, tous ces pays pensent que lon ne peut pas se tenir à leurs revendications dindépendance qui déstabiliserait lensemble de la région, qui créerait un phénomène de contagion sur les deux ou trois pays à côté et qui contredirait complètement les efforts que nous tentons par ailleurs en Bosnie. Même sil y a des nuances ente les uns et les autres, il y a un accord sur lessentiel.
Dans la négociation de Rambouillet, nous avons travaillé de façon très coordonnée - je parle des six ministres des Affaires étrangères du Groupe de contact - et nous avons fait en sorte dutiliser les meilleures compétences des uns et des autres, selon les moments. Ce qui fait, quà certains moments, ce sont plutôt les Russes ou plutôt les Américains, tout le temps Robin Cook et moi-même - puisque nous étions coprésidents -, ou alors les Allemands ou les Italiens. Nous avons utilisé toutes les compétences et toutes les relations, tous les contacts possibles. Je réponds donc que cest une vision partielle : il faut plutôt voir la complémentarité de ces six grandes diplomaties qui ont travaillé ensemble.
Q - Le communiqué final du Comité de surveillance permanent du Groupe de contact sur les actes de provocation, sur les meurtres au Kossovo, les mouvements de troupes. Va-t-il y avoir une réponse de la communauté internationale ?
R - La meilleure réponse de la communauté internationale, cest son acharnement à chercher une solution. Nous ne voulons pas les laisser seuls face à face, donc nous continuons à être présents. Nous sommes dailleurs déjà présents au titre de la Mission de vérification de lOSCE qui est là depuis lautomne dernier avec des contingents de différents pays et il y a une vigilance internationale, il y a les médias.
Lorsque nous avions conclu à Rambouillet, nous avons vu que nous avions obtenu certains résultats sur le principe, mais quils méritaient une négociation complémentaire. Nous avons donc enclenché un processus, mais il faut le poursuivre. Les Albanais du Kossovo ont demandé un délai dune quinzaine de jours pour consulter la base, parce quil y avait un désaccord très fort à la fin entre la délégation des Albanais du Kossovo qui était à Rambouillet et qui était elle-même assez divisée, et dautre part la base qui était encore plus radicale. Ce sont eux qui ont demandé ce délai, nous lavons accepté.
Dautre part, du côté des Serbes, ils voulaient aussi pouvoir travailler ensemble à Belgrade. Après cette pression très forte qui avait été maintenue pendant plus de quinze jours, il nous a semblé normal daccepter et de reporter la suite des discussions, notamment pour la mise en oeuvre à partir du 15 mars.
Entre les deux, il y a une période qui est difficile, dangereuse même. Nous sommes dans cette période et il est vrai que nous avons observé des violations graves des engagements pris de part et dautre, non seulement à Rambouillet, mais même avant, des engagements pris depuis octobre. Ces derniers jours par exemple, nous avons vu à la fois des concentrations armées de larmée yougoslave qui dépassent les plafonds qui avaient été acceptés à lautomne, mais aussi des actions de force qui ont été tentées - je ne sais pas sil faut dire par lUCK, parce que lon ne sait jamais très bien et on ne sait pas comment cela est organisé, ce sont peut-être des éléments isolés - : dans un cas, un policier serbe a été tué et un autre blessé, dans un autre cas, ce sont deux civils serbes qui ont été kidnappés, dont lun a été tué. Et il y a dun autre côté cette menace des troupes et des entraves mises à la circulation des éléments de la Force de vérification. On voit bien que ce Kossovo est une « poudrière », avec une tension extrême. Cest aussi pour cela que lon sen occupe, que lon a fait tellement defforts depuis maintenant plusieurs mois et notamment depuis plusieurs semaines et que nous en avons fait - pas toujours les six pays, mais soutenus par à peu près tous les autres - une très grande priorité pour notre action diplomatique.
La meilleure réponse à ceux qui refusent le processus de paix, à ceux qui créent des incidents ou qui recherchent des incidents, est que nous restons mobilisés et que nous nallons pas les laisser casser cette espérance qui est la seule qui existe. Nous voulons continuer à travailler. De nombreux contacts ont eu lieu tous ces jours-ci et à Pristina et à Belgrade. Au sein du Groupe de contact, nous travaillons ensemble sur le programme de la réunion qui doit commencer le 15 mars, et nous allons maintenir cette pression très forte. Cest très difficile, mais nous le savons depuis avant même la réunion.
Q - La formation du gouvernement intérimaire, la substitution du chef politique des Kossovars, la visite de la délégation albanaise à Washington, tout cela va t-il favoriser laccord final ?
R - Ce sont des éléments plutôt positifs. Cela montre quil y a des changements qui sannoncent du côté des Albanais du Kossovo, quils vont peut-être se mettre daccord sur une acceptation du plan, celle quils nont pas pu donner à Rambouillet. Je voudrais des éléments positifs dans tous ces signes et jattends la concrétisation de lautre côté puisque nos demandes restent très précises. Nous demandons à la Yougoslavie daccepter le statut dautonomie pour le Kossovo, même si les discussions sur tel ou tel point particulier sont acceptables - elles ont lieu dailleurs - mais il faut quils acceptent que cette autonomie soit garantie par une présence militaire internationale dont je redis ici que ce nest absolument pas une force doccupation, au contraire.
Cest une garantie pour tout le monde dans ce Kossovo : aussi bien la majorité albanaise que la minorité non-albanaise, dont les Serbes ; cest une garantie pour le maintien des frontières internationales de la Yougoslavie. Donc nous pensons que cest une exigence logique, mais cest une exigence raisonnable qui devrait finir par être acceptée.
Dun autre côté, nous demandons aux Albanais du Kossovo, à qui nous apportons cette solution politique et cette sécurité, par notre plan, daccepter de reconnaître la souveraineté et lintégrité de la République fédérale de Yougoslavie et daccepter, dans le cadre du plan, de déposer les armes et que les soldats de lUCK acceptent dêtre désarmés et de se transformer, pour tous ceux qui laccepteront, en un parti politique. Ce sont des décisions difficiles, de part et dautre, très difficiles. Je sais quils nont pas osé franchir ce cap à la fin de Rambouillet. Ils ont donné un accord général sur la solution politique, mais sur les engagements précis que je viens de rappeler, il y a eu un blocage. Cest là-dessus que nous sommes en train dinsister, parce que cela forme un tout, et on ne peut pas découper cette solution en petits morceaux. Cela ne marche que sil y a tout cela. La communauté internationale est engagée, et on ne veut pas les laisser seuls ; on veut les accompagner. Après, sils saisissent cette chance historique dans la construction dun Kossovo différent, dans une Yougoslavie différente...
Q - On peut penser au déploiement des troupes sous commandement du Conseil de sécurité ou cela doit être toujours sous le commandement de lOTAN ?
R - Ce que nous avons élaboré, non pas complètement au sein du Groupe de contact, parce que naturellement les Russes ne sont pas engagés par ce volet concernant lOTAN, mais entre les cinq pays membres de lOTAN, cest une présence militaire dans le cadre de lOTAN. Il faut savoir que cela correspond à une demande des Albanais du Kossovo . Cela représente pour eux la sécurité. Cest dans ce cadre que la France, la Grande-Bretagne, lAllemagne, lItalie et dautres pays en Europe sont tout à fait prêts à participer en fournissant des contingents. Cela est un élément de la solution. Mais nous pensons quil est très important de compléter le premier dispositif OTAN, dans lequel il y aurait des Européens et des Américains, par un dispositif à trouver dans lequel des Russes pourraient être présents. Cest là ou lon pourrait penser à un encadrement par le Conseil de sécurité ou à une action dans le cadre de lOSCE ou trouver un arrangement ad hoc - il existe un accord de partenariat entre lOTAN et la Russie. Il faut être imaginatif sur ce plan pour compléter la première disposition, et non pas pour la remplacer. Il faut essayer de combiner tout ces éléments.
Q -Et toujours sous le commandement de lOTAN ?
R -On verra. Cest un peu comme dans le cadre de la Bosnie. Dabord on veut constituer le dispositif central, qui est un commandement OTAN un peu adapté, un peu particulier. A chaque fois, il y a des montages qui tiennent compte des réalités locales, comme cétait le cas en Bosnie, et aujourdhui en Macédoine. Donc il y a une situation de ce type, mais il peut y avoir aussi un commandement particulier pour le dispositif qui viendrait compléter celui dans lequel les Russes viendraient sinsérer. Je ne peux pas être plus précis, parce que les négociations ne sont pas abouties sur ce point. Ce sont des sujets dont nous sommes en train de parler . Ce qui est clair, cest lobjectif politique : essayer de rassembler le plus grand nombre de pays possible, y compris précisément des pays qui ne sont pas dans lOTAN, à cette présence militaire internationale, pour augmenter sa crédibilité par rapport aux deux parties et pour la rendre encore plus acceptable, notamment du point de vue de la Yougoslavie. Nous sommes en train dy travailler en ce moment et mon homologue britannique, M. Cook, sera à Moscou dans les deux jours qui viennent pour traiter de ces questions avec notre homologue russe, avec qui je viens de parler tout à lheure au téléphone.
Q - Finalement, dans douze jours on recommence. Y aura-t-il des signatures à Evreux, Paris ou ailleurs ?
R - Cest lobjectif ! Sil y a signature, cest quil y a eu réussite. Donc, il ne faut pas être concentré sur un aspect formaliste. Signature ou pas, nous voulons les mettre daccord pour accepter cette solution qui est la seule possible, en dehors des tragédies. Cest cela lobjectif.
Q -On ne discutera pas de volets à côté ? Cest-à-dire quon dit que lon peut signer un accord politique, mais laisser pour le lendemain, une discussion plus profonde sur les aspects militaires, on peut faire cela ?
R - Rien nest arrêté sur ce plan dans le détail. Vous minterrogez sur des détails de rebondissements de la fin de la négociation, mais nous nen sommes pas là. Pour le moment, il sagit, après la pause qui a été demandée par les deux parties, notamment par les Albanais, de reprendre la discussion et de lamener à son but. Après, comment on va faire ? On verra ! On emploiera la méthode la plus efficace. Lessentiel est datteindre lobjectif et lessentiel cest quau bout du compte on ait un accord, de part et dautre, sur lensemble des aspects de la solution proposée par le Groupe de contact et que lon puisse passer à la mise en oeuvre et que lon puisse sortir le Kossovo de ce cycle de tragédies. Cest cela lessentiel. Le détail technique et tactique de la négociation finale, il faut le laisser aux négociateurs.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 8 mars 1999)