Interview de Mme Valérie Pécresse, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, à RTL le 1er février 2008, sur l'idée de permettre aux étudiants d'évaluer les enseignements qui leur sont donnés.

Prononcé le 1er février 2008

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral


 
 
J.-M. Aphatie.- Bonjour, V. Pécresse. A. Duhamel en a parlé : un professeur gifle un élève, et 24 heures de garde à vue ! Cette affaire vous inspire quel commentaire, V. Pécresse ?
 
R.- D'abord, il n'est évidemment pas acceptable qu'un enseignant gifle un élève, quel que soit le comportement de l'élève. Ca ne fait pas partie de la panoplie des sanctions qu'il a pour lutter contre la violence au collège, même si cette violence est forte ou s'il y a une tension forte.
 
Q.- Mais 24 heures de garde à vue pour chaque professeur qui gifle un élève !
 
R.- Alors, évidemment, il faut que les réponses de l'institution soient proportionnées mais là, en l'occurence, il ne s'agit pas de l'institution scolaire. Il s'agit des parents de l'élève qui ont porté plainte contre lui ; et là, il s'agit d'une procédure judiciaire sur laquelle un ministre ne peut évidemment pas se prononcer. Mais c'est vrai que dans ces questions de violence à l'école, que ce soit des violences d'élèves vis-à-vis de professeurs, de parents vis-à-vis de professeurs ou de professeurs vis-à-vis d'élèves, il faut évidemment toujours chercher à pacifier les choses et à établir vraiment la responsabilité et les éventuelles circonstances atténuantes.
 
Q.- Comment évaluer le travail des professeurs du Secondaire et de l'Enseignement Supérieur ? C'est un thème sur lequel plusieurs personnalités se sont exprimées. J. Attali dans son rapport, dit : il faut que les élèves notent les professeurs. Michel Rocard, hier, a aussi évoqué ce thème. Il appartenait à la commission Pochard qui réfléchit à la condition des enseignants. Ca a fait tellement de vagues qu'il en a démissionné. Le pauvre ! Et vous, il y a quelques jours, V. Pécresse, vous avez dit aussi qu'il serait normal que les étudiants puissent évaluer le travail de leurs professeurs. Comment ?
 
R.- Alors, je crois qu'il faut d'abord très clairement distinguer la situation des professeurs du Secondaire et la situation des professeurs du Supérieur. Ce ne sont pas du tout les mêmes...
 
Q.- Alors, parlons de ceux du Supérieur, puisque c'est votre responsabilité, V. Pécresse.
 
R.- Alors, parlons des Supérieurs qui sont de ma responsabilité. Les professeurs du Supérieur, il y a un principe constitutionnel qui leur garantit l'indépendance parce que les professeurs du Supérieur doivent pouvoir dire ce qu'ils souhaitent et le contenu de leur cours ne fait l'objet d'aucune évaluation, d'aucun droit de regard. En revanche, ce qui est évident, c'est que je crois que l'Enseignement supérieur étant un service public, dont l'un des services publics les plus importants, il doit comme tous les services publics pouvoir être évalué par ses usagers dans son mode de fonctionnement.
 
Q.- Et donc, on remettrait un questionnaire aux étudiants ?
 
R.- Alors, moi je crois qu'il serait tout à fait souhaitable - et d'ailleurs un certain nombre d'universités le font déjà - qu'il y ait à l'issue de chaque enseignement des questionnaires donnés aux étudiants qui leur permettent d'évaluer si l'enseignement correspond à leur parcours de formation, s'ils l'ont apprécié, si ça leur a été utile, s'il y avait suffisamment de supports écrits ou de supports Internet pour leur permettre de suivre les cours, si le cours était suffisamment ou pas tourné à l'international, s'il y avait assez d'exercices pratiques, si l'équilibre entre théorie et pratique était respecté, enfin toute une série et toute une batterie de questions.
 
Q.- Et si l'évaluation est mauvaise alors, qu'est-ce qu'on fait ? On se sépare du professeur ?
 
R.- Alors si l'évaluation est mauvaise, ça rentre dans une évaluation plus large qui va être celle du diplôme et qui permettra de faire évoluer les contenus d'enseignement des diplômes parce que nous mettons en place, là encore, une autre procédure d'évaluation, indépendante cette fois, qui sera une évaluation de chaque diplôme par une agence indépendante qui dira : tel diplôme de licence, tel diplôme de Master est de bonne qualité ou n'est pas de bonne qualité.
 
Q.- Mais si deux ou trois années durant, les étudiants disent : tel professeur vraiment... piètre enseignant ! Qu'est-ce qu'on fait ?
 
R.- Eh bien, à ce moment-là, il y a toute une équipe pédagogique qui travaille sur ce diplôme, qui peut en modifier le contenu, qui peut donner aussi des recommandations à l'enseignant.
 
Q.- Ca ne peut pas entraîner des sanctions ? Ou on peut se séparer de l'enseignant sur la base de ces mauvaises évaluations, si elles sont successives ?
 
R.- Non. Mais en revanche, vous savez qu'il y a des notations pour les enseignants, des évaluations qui sont des évaluations administratives qui, elles, conditionnent la poursuite de leur carrière.
 
Q.- Ce n'est pas un principe soixante-huitard de contestations de l'Autorité, ça, V. Pécresse, que les étudiants notent les professeurs ? C'est pas une pensée de 68, ça un peu ?
 
R.- Il ne s'agit pas pour les étudiants de noter les professeurs. Il s'agit pour les étudiants d'évaluer l'enseignement qui leur est donné. Je crois que c'est absolument indispensable, de la même façon qu'il est indispensable que nous connaissions tous les débouchés de chaque diplôme, les taux de succès à chaque diplôme et le taux de poursuite d'études des élèves. Nous avons besoin d'instruments de pilotage pour permettre d'avoir une formation de meilleure qualité dans notre pays.
 
Q.- H. Guaino, le conseiller du président de la République, était l'invité du "Grand Jury", dimanche, et on lui a soumis cette idée. Alors, les étudiants qui évaluent les professeurs. Ecoutez-le. [Son, extrait du "Grand Jury"] : "Je trouve l'idée de faire juger les professeurs par les élèves parfaitement démagogique !" "Parfaitement démagogique". C'est H. Guaino qui dit ça.
 
R.- Alors, simplement M. Aphatie, vous avec coupé la question et la question, c'était : Faut-il faire noter les professeurs par les élèves ? Et H. Guaino a dit : "Noter les professeurs par les élèves c'est totalement démagogique", alors qu'en réalité, la question ne se pose pas. C'est l'évaluation des enseignements.
 
Q.- Donc, H. Guaino et vous êtes d'accord ?
 
R.- Sur la même ligne, et nous en avons parlé ensemble.
 
Q.- P. Moscovici, député socialiste, a dit hier une phrase que beaucoup de gens dans le monde politique semble partager : "J'en ai ras-lebol d'entendre H. Guaino". Vous n'en avez pas le ras-le-bol, vous, d'entendre un conseiller du président de la République ? C'est légitime qu'il parle ?
 
R.- Moi, je crois qu'on a besoin d'agitateurs d'idées en politique. Je crois que rien ne serait plus dangereux pour le Gouvernement que de s'engluer dans le quotidien, de ne jamais relever la tête et de ne jamais mettre les choses en perspective. Je pense que le rôle d'Attali, le rôle de la commission Pochard, le rôle d'H. Guaino, c'est de temps en temps, de remettre en perspective notre action et de nous dire : voilà... Voilà ce qui se passe dans le monde, voilà comment les choses évoluent. Mais à côté du temps des experts, il y a le temps du politique. Et ce n'est pas du tout le même temps. Le temps du politique c'est le temps de la concertation, de la confrontation réelle, de l'écoute et aussi du compromis puis, de la décision. Donc, je crois qu'il y a deux temps : il y a le temps de l'expert, le temps du politique. Il faut les deux.
 
Q.- Les mots sont importants : les experts, les politiques. Mais là, je vous parlais du conseiller ?
 
R.- Mais qui est un expert.
 
Q.- Ah ! C'est vous qui venez de le décider !
 
R.- Ah non, il est là, il est là à titre d'expert. Il est auprès du président de la République à titre d'expert.
 
Q.- Le climat n'est pas bon, V. Pécresse, on le remarque aux sondages. C. Goasguen, député UMP de Paris, a dit hier : "Il est possible que les élections municipales virent au cauchemar pour la majorité".
 
R.- Je crois que les élections municipales, il ne faut pas se tromper. Les élections municipales auront une résonnance nationale. On en fera une lecture nationale mais vraiment, et avec le recul de mes dix années de politique, je peux vous dire que les élections municipales sont des élections essentiellement locales. Elles se font sur la personnalité d'un maire, elles se font sur le bilan d'une équipe, le projet d'une équipe, la cohésion d'une équipe. Et on le voit bien d'ailleurs, la plupart des candidats UMP ont des équipes d'ouverture avec des candidats socialistes, et les candidats socialistes font l'inverse.
 
Q.- Vous, vous n'êtes pas candidate, V. Pécresse. Mais vous notez que - les sondages le disent - il y a une baisse importante de popularité pour le président de la République. Comment vous l'expliquez ?
 
R.- Je ne suis pas candidate, vous le savez, parce qu'à titre personnel, je pense qu'il n'est pas possible pour moi de cumuler mes responsabilités ministérielles avec un mandat qui est celui de maire d'une grande ville qui malheureusement, est le plus beau des mandats et dont je me prive pour exercer mes fonctions de ministre.
 
Q.- Transmettez ça à X. Darcos qui, lui, pense pouvoir concilier Education nationale et Périgueux. Mais ma question, c'est...
 
R.- Il n'est pas dans la même situation que moi.
 
Q.- Non, il a un ministère beaucoup plus grand que vous !
 
R.- Si vous le dites !
 
Q.- Je le dis. V. Pécresse, juste pourquoi est-ce que le président de la République connaît, d'après vous, cette baisse de popularité ?
 
R.- Je crois qu'on peut acheter la tranquillité, la popularité à court terme, en ne faisant rien. C'est facile, c'est facile mais c'est sacrifier l'avenir des générations futures.
 
Q.- C'est parce qu'il agit trop qu'il est impopulaire ?
 
R.- C'est parce que nous faisons des réformes, qu'aucun de nos prédécesseurs n'ont jamais réussi à lancer, je pense aux régimes spéciaux, je pense au service minimum, je pense à la réforme des universités.
 
Q.- Donc, trop de réformes...
 
R.- Et il faut continuer. Il faut accélérer, c'est la réponse à la baisse dans les sondages, qu'elle soit temporaire seulement !
 
Q.- V. Pécresse, qui ne veut pas cumuler - c'est quand même important parce que tous ses collègues ne sont pas du même avis - était l'invitée de RTL ce matin. Bonne journée.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 1er février 2008