Déclaration de Mme Roselyne Bachelot, ministre de la santé, de la jeunesse et des sports, sur la politique de la santé, la santé publique et l'accès aux soins, Paris le 14 février 2008.

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Circonstance : Réunion plénière de la Conférence nationale de la santé à Paris le 14 février 2008

Texte intégral

L'année qui s'ouvre sera, pour nous tous, une année de dialogue et de réformes.
Oui, l'heure est au changement.
Mais, pour advenir, le changement devra procéder d'une volonté partagée.
Les réformes qui aboutissent sont les réformes attendues qui impliquent un large consensus.
C'est pourquoi, sur toutes les questions qu'il faudra traiter, j'ouvrirai la concertation.
Je crois, en effet, que les esprits sont prêts, plus que jamais, pour non pas simplement accepter, subir, mais assumer un certain nombre de réformes nécessaires.
Ainsi, sur la question du pilotage territorialisé de l'offre de soins, organisée dans un cadre national, question naguère très controversée, il est possible aujourd'hui de prendre les décisions qui emportent un large consensus.
Voilà ce qui ressort clairement des différentes missions que nous avons engagées. Voilà un bel exemple d'avancée constructive, favorisée par l'ouverture au débat.
De même, le décloisonnement entre la ville, l'hôpital et le secteur médico-social est désormais attendu.
Des idées qui pouvaient sembler originales il y a encore dix ans, aujourd'hui peuvent trouver dans les faits les moyens de s'incarner.
A cet égard, le travail accompli dans le cadre de vos différents collèges contribue, sans conteste, à faire progresser la réflexion sur ces questions d'intérêt général.
Je voudrais ainsi souligner l'apport, la « plus-value » précieuse que constitue, en ce sens, la diversité des approches. Votre instance, parce qu'elle favorise le croisement des expériences, est une expression vivante de cette démocratie sanitaire qui bénéficie à tous et dont il convient de promouvoir l'essor.
Le progrès, en effet, ne s'accomplit jamais de manière providentielle. Je crois plutôt aux vertus de l'argumentation, aux vertus de la dialectique qui permet de former son jugement. Aussi, je puis vous assurer que je reviendrai vers vous à chaque étape des grandes réformes à venir, pour me nourrir de vos avis, comme je l'ai déjà fait, d'ailleurs, en vous transmettant le rapport Ritter sur les ARS.
La réforme que je veux, pour notre système de santé, n'est pas une énième réforme, de l'extérieur imposée, préfabriquée.
Elle se nourrit de l'échange. Elle se déploiera dans un esprit de dialogue.
Nous savons tous, en effet, que les réformes subies ne sont pas de bonnes réformes.
Le changement ne se décrète pas. Aucune réforme efficace ne descend du ciel, toute armée et casquée.
Nous devons, d'ailleurs, bien mesurer les efforts accomplis par les professionnels de santé depuis tant d'années. Aussi, ce n'est pas malgré eux, et encore moins contre eux, mais c'est avec eux que je conduirai les changements qui s'imposent.
Notre projet ne prétend pas être révolutionnaire, mais pragmatique et responsable.
Il nous revient, en effet, de garantir la pérennité de cette maison commune aux assises solidaires qui nous a été léguée en partage. Notre système de santé est notre patrimoine commun. Pour que ce patrimoine puisse traverser le temps, nous devons aujourd'hui en consolider les fondements. C'est dans cet esprit prospectif que j'ai voulu un PLFSS 2008 équilibré. C'est dans la même optique que j'aborde cette année de réforme.
La ministre de la qualité des soins que je veux être prendra chacune de ses décisions en regardant loin devant, avec pour seul souci d'assurer au long cours l'amélioration qualitative de notre système de soins.
L'ensemble de nos réformes procéderont d'une seule et même démarche de santé publique. C'est bien la finalité qualitative de notre politique qui déterminera le sens de notre action.
La seule question qui se pose à nous est, en effet, de savoir comment assurer de manière équitable à tous nos concitoyens une meilleure qualité de vie, comment leur permettre d'accéder à des soins de qualité.
Nul n'ignore ici les difficultés que connaît aujourd'hui notre système de soins.
Ces difficultés, entendons-nous bien, ne sont pas passagères et superficielles. Elles sont les symptômes d'un dysfonctionnement douloureusement éprouvé par tous, par les patients, tout comme par les professionnels de santé.
A l'hôpital, la désespérance est palpable.
En dépit des dépenses bien supérieures à celles qui y sont consacrées dans les autres pays de l'OCDE, les personnels hospitaliers sont sous pression. Les différentes rencontres, les différentes visites que j'ai pu faire m'ont toujours laissé cette impression étrange d'un extraordinaire dévouement mêlé de lassitude, le sentiment d'une grande fatigue. Insuffisance de bras ? Problème d'organisation ? La question se pose. De même, notre tissu hospitalier est un des plus denses. Et pourtant, les usagers se plaignent de ne pas toujours disposer à proximité des structures hospitalières nécessaires.
Devons-nous rester sourds à ces demandes ?
S'agissant du nombre de médecins à proximité, les données chiffrées révèlent, là encore, de réels problèmes et d'éloquents paradoxes.
En dépit de la forte densité de médecins dans notre pays, une des plus élevées de l'OCDE, densité par habitant jamais encore atteinte en France, des zones entières du territoire souffrent d'une cruelle carence de médecins.
Dans les campagnes et dans les banlieues les moins favorisées, la désertification médicale avance. Les disparités territoriales se creusent. Doit-on considérer comme une fatalité le développement de ces inégalités ? Comment résoudre ces problèmes de répartition ?
Considéré sous l'angle financier, l'accès aux soins est paradoxalement plus coûteux qu'il n'y paraît.
En dépit, de dispositifs très protecteurs (CHU, AME), en dépit d'un taux de prise en charge publique parmi les plus élevés au monde (80%), il faut encore payer 200 euros de sa poche pour accoucher.
Les dépassements tarifaires sont nombreux. Certains médecins refusent de prodiguer leurs soins aux bénéficiaires de la CMU. Comment subir plus longtemps de telles contradictions ? Combien de temps faudra-t-il encore attendre pour se donner enfin la liberté d'agir ?
J'ai manqué d'évoquer, pour ne pas assombrir encore le tableau, et pour ne pas vous donner le sentiment de m'engager dans la voie d'une rhétorique usée jusqu'à la corde, le fameux « gouffre de la sécu ». Loin de moi l'intention d'agiter des spectres, ou de manier le noir comme Soulage, pour mieux masquer la vanité de l'action publique. Mais enfin, les chiffres sont là, insistants, tenaces : depuis près de vingt ans, l'équilibre des comptes n'est pas assuré. Cela fait une génération de déficit. Faudra-t-il une génération pour en sortir ?
Les objectifs de dépense fixés par le Parlement n'ont été respectés qu'une seule fois au cours des dix dernières années. D'un point de vue strictement financier, ce n'est pas sérieux.
Les chiffres impressionnent. Le constat est amer.
Pourtant, si j'invoque ainsi les faits, ce n'est pas pour mettre en exergue l'emprise d'une sorte d'engrenage qui nous contraindrait à subir la loi de notre destin.
Si j'ai voulu rappeler les contraintes que nous subissons, c'est précisément pour les distinguer des impératifs qui sont les nôtres.
Le politique ne saurait plier le genou devant la tyrannie des faits.
Seuls, à mon sens, des objectifs clairement énoncés et approuvés permettront d'engager les efforts nécessaires au retournement de la situation.
Que voulons-nous ? Sur quoi s'entendre et s'accorder ? Quelles sont ces exigences partagées qui doivent fonder notre politique et qui donnent sens à la réforme ?
L'accès aux soins pour tous me paraît être au nombre des principes à défendre. Il en va de l'efficacité même de notre système de santé, comme en atteste l'ensemble des études comparatives dont nous disposons.
Je serai donc, en ce sens, soyez-en assurés, la ministre défenseure de l'égalité et de l'équité d'accès aux soins.
De même, les progrès du droit des malades constituent à mes yeux un mouvement irréversible. Ainsi, le patient ne saurait être dépossédé des données médicales qui le concernent.
Votre commission des droits des usagers du système de santé, installée en octobre 2007, doit rédiger le rapport annuel sur cette question. J'accorderai, bien entendu, la plus grande attention au rapport qui me sera remis à la fin de l'année, rapport d'autant plus intéressant qu'il sera construit à partir des conférences régionales de santé. Sur ce sujet, il est clair, en effet, que nos préoccupations se rejoignent. Plus généralement, c'est bien la qualité des soins prodigués, intégrant des impératifs éthiques, qui constitue l'exigence absolue de ma politique.
Ainsi, la recherche de l'efficience n'est pas une fin en soi. En ce sens, la démarche de santé publique qui préside à nos réformes implique un usage circonspect de la notion d'efficience, trop souvent assimilée à la notion économique de performance.
C'est bien, en effet, la finalité qualitative de réformes, intégrant la nécessité de l'efficience, qui justifie leur mise en oeuvre.
Cela, je veux le répéter sans cesse parce que je tiens à l'expliquer clairement.
Nous devons mieux gérer pour pouvoir soigner mieux. Soigner mieux, de surcroît, implique aussi d'éviter les incohérences et préjudiciables au patient.
Seule une bonne gestion rend possible l'amélioration qualitative du soin. Et réciproquement, l'amélioration qualitative du soin participe de cette bonne gestion. Tel est le cercle vertueux qu'il nous revient de promouvoir.
Tel est le sens d'une politique qui ne saurait se réduire strictement à la rationalisation des moyens.
L'assimilation trop rapide de l'efficience à la performance a, d'ailleurs, le défaut de passer pour une traduction sacrificielle de la notion encore plus abstraite d'efficacité.
Les progrès de l'efficience, tels que je les conçois, doivent avoir, au contraire, les effets les plus sensibles, les plus concrets, les plus directement perceptibles par les usagers.

Quels sont, en effet, les gains qualitatifs, que nous pouvons escompter de la rénovation de notre système de soins ?
Une répartition plus harmonieuse de l'offre de soins sur tout le territoire.
Une permanence des soins mieux assurée.
Des urgences moins saturées par endroits.
A l'hôpital, des plateaux techniques plus performants et mieux sécurisés.
Dans les villes et dans les campagnes, des médecins à proximité, des pharmacies. Mais aussi, une meilleure coordination entre la ville, l'hôpital et le médico-social.
Si le terme d'efficience n'appartient pas nécessairement au vocabulaire de nos concitoyens, tous saisissent parfaitement les effets de ses lacunes au quotidien.
S'il est toujours possible de réduire le déficit des comptes à l'état d'abstraction pour s'autoriser à ne rien faire, en revanche, la dégradation qualitative du système est plus immédiatement intolérable, éthiquement insoutenable.
La qualité, je voudrais le souligner ici avec force, cela ne se monnaye pas. Cette seule perspective est insupportable.
La qualité, ce n'est pas qu'une abstraction. Elle est aussi, et surtout, l'effet de la pratique quotidienne, la conséquence de nos manières d'être vis-à-vis des malades.
Les pouvoirs publics, par les réglementations qu'ils instituent, mais aussi les praticiens, à travers l'ensemble de leurs actes, sont coresponsables de cette qualité.
Ainsi, le débat doit-il être ouvert sans tabou.
S'agissant des professionnels de santé, jusqu'où devons-nous entrer dans une logique de responsabilisation ? La discussion portant sur les assurances-responsabilités des praticiens soulève, à cet égard, de vraies questions. En quel sens la « prise de risque » doit-elle être considérée comme un élément indissociable de la pratique médicale ? Jusqu'où peut aller la réglementation visant à couvrir ce risque ? Toutes ces questions relèvent, à mes yeux, d'un débat essentiel portant sur notre philosophie de la responsabilité.
S'agissant de la responsabilité des pouvoirs publics, il paraît urgent de bien définir l'usage qu'il convient de faire du principe de précaution dans la détermination de nos choix de santé publique. C'est bien, ici encore, notre rapport au risque qui est en jeu, et qu'il convient d'élucider.
Ainsi, à mes yeux, le problème essentiel, dès lors que nous prétendons fonder notre politique de santé publique sur les deux grands principes que sont le principe de responsabilité et le principe de solidarité, c'est d'évaluer et de définir clairement le statut que nous voulons accorder au risque dans notre société.
Le sujet crucial de toute politique de santé est bien de définir les conditions permettant d'assurer la pérennité d'un système solidaire.
Les Français ont bien conscience que la solidarité n'est pas de toute éternité établie, par la seule grâce de l'incantation. Ils pressentent qu'il va falloir se battre pour la préserver, lui donner corps à nouveau.
Là encore, le contenu réel de la notion de solidarité dépend étroitement de la manière dont nous évaluons l'extension de la responsabilité individuelle dans une société du risque.
Tout l'enjeu, désormais, est de protéger sans déresponsabiliser et de parvenir à responsabiliser sans exposer aux risques les plus fragiles, les plus vulnérables.
Tel est, je pense, le juste équilibre à trouver pour mener une politique qui donne à nos enfants la chance de vivre dans une société de confiance où un système de soins de qualité soit assuré à tous les âges de la vie, quels qu'en soient les aléas.
C'est dans cet esprit que je compte notamment instituer une politique de prévention innovante qui offre à chaque citoyen les moyens d'opérer des choix réfléchis, éclairés et autonomes en matière de santé.
Surtout, il conviendra de nous défaire de l'habitude, contractée depuis longtemps, d'engager des politiques de santé à spectre large. Il apparaît, en effet, très clairement qu'en matière de prévention, nos actions ne sauraient être efficaces qu'à la condition de bien cibler les publics auxquels elles s'adressent. Ainsi, par exemple, ce qui vaut pour les personnes en situation de précarité ne vaut pas pour d'autres.
De manière plus générale, qu'il s'agisse de la prescription, du remboursement ou des soins prodigués, nous devrons sans doute, à l'instar de la thérapie génique qui permet de dispenser la bonne molécule au bon endroit, au bon moment, à la bonne personne, nous habituer dans l'avenir à prendre des mesures plus ciblées, mieux adaptées, moins abstraites. La politique de prévention, bien sûr, doit, pour porter tous ses fruits, s'inscrire dans la durée. Ayons donc l'audace de prendre des décisions dont nous savons que les effets ne pourront se faire sentir qu'à long terme !
Les travaux que vous comptez mener en 2008 pour mieux mobiliser les acteurs de la prévention et pour déterminer les actions clés qui permettront de passer de la prévention de la maladie à la promotion de la santé, m'apparaissent, en ce sens, bienvenus.
Si j'ai souhaité ici vous exposer ma vision des choses, c'est parce qu'une politique de santé, pour pouvoir modifier au long cours un système aussi complexe que le nôtre, doit s'adosser fermement à quelques grands principes d'action.
Défense de la qualité des soins, principes de responsabilité, impératif de solidarité, telles sont les exigences qui président à ma politique de santé.
Le débat désormais porte donc aussi bien sur le contenu de ces notions que sur les modalités de la réforme que j'exposerai très brièvement pour nous laisser le loisir d'échanger.
Cette réforme, comme vous le savez, est préparée par plusieurs missions ou instances de réflexion auxquelles les partenaires sociaux ont été étroitement associés. Deux grands chantiers sont aujourd'hui ouverts.

Le premier vise à moderniser l'hôpital. La réflexion, confiée en octobre dernier à Gérard LARCHER, doit aboutir au mois d'avril. La concertation que nous allons mener ensuite devra nous permettre de construire le projet de loi de modernisation de l'organisation de la santé, qui sera présenté à l'été, pour son volet hospitalier :

  • il est urgent de désengorger l'hôpital. En amont, en renforçant le premier recours ; en aval, en développant les soins de suite et de réadaptation et le long séjour ;
  • il faut rénover la gouvernance à l'hôpital, en vue d'installer à sa tête un véritable « patron » ;
  • il faudra aussi moderniser les statuts hospitaliers pour offrir plus de souplesse de gestion et garantir les missions de service public ;
  • la réforme des ARS permettra une déconcentration et une rénovation de la gestion hospitalière. Elle permettra aussi une meilleure articulation entre hôpital et ville et hôpital et médico-social ;
  • surtout, nous devrons rénover la gestion des métiers hospitaliers, notamment à travers la réforme du LMD, pour en renforcer l'attractivité.

Le deuxième grand chantier vise à rénover profondément l'organisation des soins de ville.
Il apparaît en particulier urgent de revaloriser et de promouvoir la médecine de premier recours dans notre pays. Sachez que je partage avec vous cette préoccupation !
Nous avons lancé d'importantes concertations avec les états généraux de l'organisation de la santé. La première phase a été un vrai succès, comme j'ai pu le constater, à l'occasion de la première synthèse : pour la première fois, tous les acteurs se sont retrouvés et ont parlé.
Il reviendra aux partenaires conventionnels, d'explorer notamment des pistes audacieuses en termes d'incitation et de régulation pour l'installation des médecins dans des zones où l'offre de soins est déficitaire.
Le projet de loi de modernisation de l'organisation de la santé constituera le point d'orgue de ce travail, mené tout du long dans la concertation.
Je mesure bien, croyez-moi, les efforts accomplis par les professionnels de santé depuis tant d'années. Je connais les fatigues de leur métier. Jamais, je n'agis sans avoir clairement en tête les exigences spécifiques de la pratique libérale et celles, bien entendu, qu'implique le service public de santé.
Aussi, je veux conforter et prolonger les changements qui seront de nature à favoriser un meilleur exercice de ces métiers, qui permettront de valoriser, comme il se doit, les professions de santé, dans l'intérêt du patient que je veux placer au coeur du système.
Ces réformes sont les nôtres. Elles engagent notre avenir commun.
Plus nous débattrons de leur contenu, plus elles auront de chance de porter tous leurs fruits.
Je crois, en effet, que, pour advenir, les changements utiles doivent procéder d'une volonté partagée.
A nous, désormais, de savoir dialoguer et d'oser agir.
Aussi, je suis particulièrement heureuse de saisir ici l'occasion de pouvoir répondre à vos questions et d'échanger avec vous, de manière constructive.
Je vous remercie.

Source http://www.sante-jeunesse-sports.gouv.fr, le 18 février 2008