Déclaration de Mme Roselyne Bachelot, ministre de la santé, de la jeunesse et des sports, sur les relations entre le médecin et le malade, le diagnostic médical et le plan Cancer, Paris le 14 février 2008.

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Circonstance : Clôture du colloque "Ethique et cancer" à Paris le 14 février 2008

Texte intégral

L'éthique, dès l'origine, se définit elle-même par l'effectivité des remèdes qu'elle peut apporter à nos tourments et à nos souffrances. Hippocrate prétendait ainsi « mettre davantage de médecine dans la philosophie, et de philosophie dans la médecine ».
Cet impératif clairement énoncé pourrait constituer d'ailleurs, au risque de vous surprendre, la profession de foi de la ministre de la qualité des soins que je veux être.
Si l'optimisation des moyens dont nous disposons a un sens, c'est bien, en effet, en vue du patient auquel nous devons garantir une prise en charge, non seulement plus efficace, mais aussi plus humaine.
Comment faire pour bien faire ? Telle est bien la question que chacun, à la place qu'il occupe, se pose : médecins, personnels soignants, proches et aidants, mais aussi, tous ceux à qui revient la lourde charge d'administrer notre système de soins, sans oublier, bien entendu, les décideurs publics.
Pour ma part, c'est bien la finalité qualitative de notre politique qui détermine tous mes choix. La politique de santé ne saurait, en effet, sans perdre son âme, se réduire à la seule gestion des choses. Cette politique se définit donc d'abord et essentiellement par sa portée éthique.
La seule question qui se pose à moi est de savoir comment donner à chacun la possibilité d'être bien soigné. Mener une telle politique, c'est bien poursuivre un projet de société dont les responsables politiques doivent être porteurs, et dont vous devez être les artisans privilégiés.
Le questionnement éthique, comme en atteste le sujet de votre colloque, traverse de part en part la pratique médicale. C'est d'abord, en effet, les malades, tout autant que la maladie, qui préoccupent les médecins.
C'est au malade que le geste soignant s'adresse. C'est le malade et ses proches qui recueillent votre parole, qui interprètent vos regards.
La médecine, bien sûr, est tributaire des progrès de la recherche. Ces avancées supposent le développement d'un corpus scientifique sans cesse en évolution.
Mais c'est au plus près de la personne, saisie dans sa radicale singularité, que l'art médical s'exerce et continuera de s'exercer, quel que soit le perfectionnement des techniques.
La sophistication des équipements dont nous disposons n'abolit pas, loin s'en faut, l'humanité dont les équipes, au quotidien, doivent faire preuve.
Tous ceux qui ont la charge de traiter les patients atteints d'un cancer, comprendront immédiatement le sens de ces propos liminaires. Ils savent aussi que le respect du malade, de son intimité, de sa singularité s'expriment le plus souvent dans des attitudes dont l'invisibilité rend difficile l'évaluation.
Aussi, je voudrais rendre, pour commencer, l'hommage qu'il mérite à ce « travail discret » qui incarne, à lui seul, le propre du geste soignant, admirable entrelacs d'humanité et de compétence qui soutient tout l'édifice des soins.

Les 4 ateliers que vous avez ouverts rejoignent quelques unes de mes préoccupations majeures.
L'annonce du diagnostic constitue, d'emblée, un problème éthique dont la résolution complexe a légitimement suscité votre réflexion.
Je voudrais, à ce sujet, vous dire que je veillerai scrupuleusement à l'effectivité concrète des mesures prises pour les patients, leurs proches et les soignants. Ainsi, la généralisation des consultations d'annonce, prévue dans le plan Cancer, reste, à mes yeux, encore beaucoup trop théorique. Faute de moyens, parfois matériels, et surtout humains, en termes d'effectifs et de formation, seuls 40 à 80% des patients et de leurs proches en bénéficient.
La promulgation d'une mesure ne suffit pas. Elle ne saurait nous dédouaner de son insuffisante application.
Dans cet esprit, l'effectivité des mesures déjà prises constituerait un réel progrès. Pour l'avenir, je m'engage à ce que les décisions que je prendrai soient concrètement opérationnelles. Il en va de notre crédibilité. Il en va, surtout de l'intérêt des patients.
Les essais thérapeutiques en cancérologie, comme vous l'avez rappelé, sont une condition du progrès espéré par les patients. Cependant, bien des questions se posent.
Je ne saurais ici omettre de rappeler notre attachement à la notion de consentement éclairé.
Par ailleurs, il paraît inutile de rappeler ici que le ministère de la santé a la charge de veiller à la sécurité des personnes qui se prêtent à la recherche.
La production et l'amélioration permanente des textes qui encadrent la recherche sur la personne humaine et le contrôle de la bonne application de ces textes, effectué par mes services, ont pour fonction essentielle de garantir la protection des personnes dont la santé et le bien-être ne sauraient, en aucun cas, être compromis ou mis en péril au nom de l'intérêt collectif.
Cependant, il nous revient également d'assurer l'égal accès à l'innovation technique et thérapeutique, quel que soit le lieu de prise en charge.
Cette égalité d'accès, constitue pour moi, outre la qualité et la sécurité des soins qu'il convient de garantir, une autre de mes exigences fondamentales.
Dans le même esprit, il me paraît essentiel aujourd'hui de corréler davantage les notions d'inégalité et de vulnérabilité. Comme chacun sait, comme en atteste de nombreuses études sociologiques, le cancer fragilise. La maladie, surexpose ainsi chacun davantage aux risques de l'existence.
Dès lors, les personnes en situation de précarité, devront plus particulièrement faire l'objet de dispositifs adaptés. La pauvreté, touche aujourd'hui en France un peu plus d'un ménage sur dix. On estime à 100 000 le nombre de sans-abri.
Il est, je crois, urgent de prendre conscience que, s'agissant de ces populations, nos politiques de santé publique et nos programmes de prévention ne sont pas opérants.
Je veillerai, dans cet esprit, à engager dans l'avenir des mesures mieux ciblées et moins abstraites. Par votre pratique, au quotidien, vous le savez bien : ce qui vaut pour les personnes en situation de précarité ne vaut pas nécessairement pour d'autres.
Notre devoir, c'est d'abord et avant tout de mieux tenir compte, dans les politiques que nous menons, des particularités de chacun. En ce sens, il conviendra de nous défaire de l'habitude d'engager des politiques à spectre large. Nos actions ne sauraient être efficaces, en effet, qu'à la condition de toucher la bonne personne, au bon endroit, au bon moment.
Cette même exigence doit bien entendu prévaloir à la mise en oeuvre de nos différentes campagnes d'information.
Comme vous l'avez justement souligné, le message n'est pas le même, suivant qu'on s'adresse à la société toute entière ou aux seuls patients et à leurs proches. Ainsi, il convient d'éviter, à mon sens, de mener des campagnes qui, sous couvert de viser tout le monde ne s'adresse finalement à personne.
La communication sur le cancer, pour répondre à vos interrogations, ne saurait, bien évidemment, obéir aux mêmes critères qu'une communication ordinaire. Cela est vrai, d'ailleurs, pour la plupart des campagnes de santé publique.
La politique de santé, en effet, est une politique de la vie.
Or, s'agissant de ce qui touche intimement à la vie, la qualité est plus importante que la quantité.
La vie, faut-il le rappeler, n'est pas une marchandise.
La santé n'est pas un marché.
La qualité ne se monnaye pas.
La qualité, ce n'est pas qu'une abstraction. Elle est, pour vous, l'effet sensible de votre pratique quotidienne, la conséquence de vos manières d'être vis-à-vis des malades.
Les pouvoirs publics, par les décisions qu'ils prennent, par les réglementations qu'ils instituent, mais aussi les praticiens, à travers l'ensemble de leurs actes, sont coresponsables de cette qualité.
Parce que je partage avec vous, là où je me trouve aujourd'hui, le même souci éthique, vous pouvez être assurés que je ne mènerai pas une politique de santé sans âme et sans épiderme.
C'est même au plus près des attentes et des besoins du patient, échappant à l'emprise de l'abstraction gestionnaire ou technocratique, que je veux, à chaque fois qu'il me faudra décider, me situer.
« Un siècle de barbarie s'annonce, et la science sera à son service », cette prophétie que Nietzsche énonçait, alors même que l'esprit scientiste commençait à s'installer en Europe, gageons qu'elle ne puisse jamais s'appliquer à notre siècle !
Il faudra, pour cela, faire preuve de vigilance. Il faudra, à n'en pas douter, inscrire encore davantage, la réflexion éthique au coeur de nos politiques de santé.
Sur ce point, vous pouvez compter sur moi.
Par ma présence ici, je tenais à manifester mon implication. Je remercie la ligue et ses comités pour le travail remarquable accompli en ce domaine.
Il n'y avait pas de lieu plus propice que cette réunion organisée par un ami pour rappeler aux patients, à leurs proches et aux associations qui les accompagnent, les principes de mon engagement, la finalité éthique de mon action.
Je suis heureuse de l'avoir fait, ici, ce soir, avec vous.
Je vous remercie tous.

Source http://www.sante-jeunesse-sports.gouv.fr, le 18 février 2008