Interview de M. François Chérèque, secrétaire général de la CFDT, à RTL le 19 février 2008, sur les négociations sur la hausse des salaires des fonctionnaires, la négociation salariale et le pouvoir d'achat.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral


 
 
J.-M. Aphatie.- E. Woerth, ministre du Budget, a proposé hier aux syndicats de fonctionnaires 0,8 % d'augmentation dans l'année 2008. Et vous avez jusqu'à mercredi soir pour répondre. Votre premier sentiment ?
 
R.- Il ne peut y avoir que de la déception entre l'inflation prévue pour 2008, 1,6 %, et la proposition de 0,8, on est très loin. Donc on va regarder les mesures de garanties en particulier, pour entendre et répondre à l'auditeur qu'on vient d'avoir sur les catégories C. On va regarder tout ça pour décider. Mais inévitablement, il y a une grosse déception.
 
Q.- Et donc, la probabilité d'une réponse négative est forte ?
 
R.- C'est les fonctionnaires CFDT qui vont décider. Mais on voit bien qu'on est très loin des objectifs qu'on s'est donnés. Maintenant, on va voir s'il y a d'autres perspectives de négociation sur les évolutions de carrière. Donc, c'est en fonction de l'ensemble. Mais je le répète : quand je fais des comparaisons des négociations qui se passent dans beaucoup d'entreprises du privé où, pour la première fois, depuis longtemps, toutes ces entreprises font des accords salariaux au-dessous de 2 ou 3 %, on voit bien que là, on est en train de décrocher d'une façon importante.
 
Q.- Il y a peut-être une explication : A. Santini, secrétaire d'Etat à la Fonction publique, disait hier matin : "il n'y a plus d'argent dans les caisses et les syndicats le savent".
 
R.- Eh bien s'il n'y a plus d'argent, eh bien on dit aux fonctionnaires qu'on fait une politique de rigueur. Maintenant, il faut arrêter les discours contradictoires ! On n'a pas de politique de rigueur, il n'y a plus d'argent. On trouve de l'argent pour augmenter les basses pensions, on ne dit pas comment on les finance. Donc je crois qu'au bout d'un moment, le discours politique doit être cohérent. S'il n'y a plus d'argent...
 
Q.- Il ne l'est pas aujourd'hui ?
 
R.- Non, il n'est pas cohérent parce qu'on est face à des contradictions totales. Le président de la République nous réunit et nous dit : "voilà, on fait un cadeau aux basses pensions". Il fallait faire un effort pour les basses pensions mais il ne nous dit pas comment on finance. Et derrière, on a les ministres qui sont en train de serrer les boulons, en disant qu'il n'y a plus d'argent. S'il n'y a plus d'argent, on assume et on dit qu'on fait une politique de rigueur et on l'explique aux Français.
 
Q.- "S'il n'y a plus d'argent", dites-vous, mais on sait qu'il n'y a plus d'argent dans les caisses de l'Etat ; trente ans de déficit, 40 milliards de déficit par an. Il n'y a plus d'argent !
 
R.- Mais attendez, il faut rentrer dans ce vrai débat. Actuellement, on est dans une réflexion au niveau de la politique de l'Etat où on est en train de décider des dépenses avant de décider du fonctionnement de la fonction publique. Donc là, on a un vrai problème. Cette année, on va avoir dans la fonction publique le problème de la révision des politiques publiques. Donc, qu'est-ce qu'on fait pour la fonction publique dans les années qui viennent, le problème de la retraite, les problèmes des salaires ? Il y a une inquiètude énorme de la part des fonctionnaires. Donc je crois qu'il faut se remettre, je pense, les choses à l'endroit, de dire qu'est-ce qu'on veut faire avec notre fonction publique, très clairement. Qu'on le discute avec le pays, qu'on le discute avec les fonctionnaires et ensuite, qu'on décide des dépenses et comment on veut régler ce problème du déficit. La CFDT est favorable à réfléchir aux problèmes du déficit. Mais au bout d'un moment, il faut qu'on sache ce que l'on veut et qu'on arrête les doubles discours.
 
Q.- Davantage de cohérence, pas de double discours. Vous avez déjeuné le 8 février avec N. Sarkozy, vous lui avez dit ce que vous dites, ce matin, au micro RTL ?
 
R.- Mais oui, ce que je viens de vous dire, je l'ai exactement dit d'une façon très claire.
 
Q.- "Arrêtez le double langage", c'est ce que vous avez dit à N. Sarkozy ?
 
R.- Non, je ne lui ai pas dit "arrêtez le double langage". Je lui ai dit, au bout d'un moment il faut qu'on ait un langage de vérité et qu'on ne fasse pas croire, d'une part, qu'on va faire dix réformes en même temps, il faut qu'on sache ce que l'on veut en termes de politique, en termes de sens, en termes d'orientation. Or, aujourd'hui, on est face à des confusions parce qu'on a des doubles discours sur beaucoup de sujets.
 
Q.- Vous lui avez dit ça. Il vous a répondu quoi ?
 
R.- Je lui ai dit, quand je l'ai rencontré officiellement avec mes autres collègues syndicaux...
 
Q.- Non, vous avez déjeuné avec lui, c'était le 8 février ; vous lui avez dit, qu'est-ce qu'il vous a répondu ?
 
R.- Son discours, c'est de dire qu'il faut tout faire en même temps. Son discours c'est qu'il faut tout faire en même temps et je lui ai dit que ce n'était pas possible de tout faire en même temps. Inévitablement, dans l'année qui vient, tous les Français auront au moins une ou deux raisons d'être mécontents avec ce que veut faire le Gouvernement. Si on ne fait pas une pédagogie sur des objectifs clairs et qu'on n'arrête pas, je dirais, le mélange des genres, inévitablement, on va face à des conflits importants. Et je viens de le dire dans la fonction publique : les fonctionnaires sont anxieux parce qu'ils sont anxieux sur leur emploi. On est en train de parler de plans sociaux dans certains secteurs. Ils sont anxieux sur leurs salaires, on le voit bien, on n'a même pas la garantie du pouvoir d'achat ; ils sont anxieux sur l'avenir de la fonction publique et ils sont anxieux pour leur retraite. Donc on voit bien qu'on a des sujets de tensions qui risquent de ressortir au printemps.
 
Q.- Si vous deviez noter le Gouvernement la note ne serait pas élevée...
 
R.- En termes de dialogue social, en dessous de 10, c'est évident. D'ailleurs, je pense qu'une des premières réformes qu'il faudrait faire dans la fonction publique c'est une réforme du dialogue social : vous parlez de cette négociation, on sait très bien que si l'on signe, ou qu'on ne signe pas, les 0,8 % seront appliqués. Donc déjà, il faudrait revoir le système du dialogue social. Dans le secteur privé, il faut un accord pour qu'il y ait un engagement ; dans la fonction publique, ce sont des décisions unilatérales de l'Etat, on le sait depuis longtemps.
 
Q.- La Une des Echos, hier : "Le Gouvernement face à une vague de fermetures d'usines". Quand on est un syndicaliste, qu'est-ce qu'on attend du gouvernement dans cette situation-là ?
 
R.- On attend du Gouvernement - comment dirais-je ? - qu'il combatte sur les erreurs qui sont faites dans notre pays depuis maintenant une dizaine d'années : un manque d'investissement dans la recherche, un manque d'investissement dans les nouveaux produits, un manque d'investissement dans la formation.
 
Q.- Mais ça, c'est les entreprises ou le Gouvernement qui en est responsable ?
 
R.- Mais le Gouvernement a une responsabilité nationale sur l'investissement recherche-formation. Après, les entreprises ont leur propre responsabilité sur ces sujets-là aussi. Mais en France, on le sait, on a un retard global dans les politiques publiques en lien avec les politiques privées sur ces sujets-là, ce qui fait que l'économie française a un retard. J'entendais ce matin, sur RTL, la comparaison avec les Allemands ; les Allemands ont pu anticiper d'une façon importante, ce qui fait que la balance commerciale allemande est largement excédentaire et que celle de la France est largement déficitaire.
 
Q.- Qu'est-ce qui l'emporte, chez vous, ce matin : l'inquiètude ou la colère ?
 
R.- Des inquiètudes quand je vois le problème de l'emploi et de l'industrie dans notre pays. C'est-à-dire qu'on est de nouveau face à une vague de licenciements qui montrent les déficits structurels de notre pays. Et il me semble que ce gouvernement-là, comme le précédent, comme les précédents, n'ont pas suffisamment investi. Et si le Gouvernement français, ce nouveau gouvernement, quand il est arrivé, avait utilisé ses 15 milliards d'euros qu'il a mis dans des allégements fiscaux, s'il les avait mis dans la recherche et dans la formation, je pense qu'on aurait gagné une année.
 
Q.- L'hebdomadaire Marianne publie cette semaine "un appel à la vigilance républicaine", et plusieurs personnalités politiques l'ont déjà signé. Si on vous proposait de le signer, vous le signeriez ou pas ?
 
R.- Non. Parce que je pense que c'est un outil qui n'est pas un outil syndical. Je n'ai pas à participer à une campagne politique.
 
Q.- Vous êtes citoyen, vous représentez quelque chose...
 
R.- Je suis un citoyen, j'ai des choses à dire sur certains aspects, des reproches. Mais pour un syndicaliste, signer cette pétition de caractère politique, ce n'est pas mon rôle. Par contre, j'ai signé, la CFDT s'est engagée dans une petition avec le mouvement associatif pour défendre la laïcité parce qu'il me semble que les propos du président de la République sur la laïcité étaient ambigus ; c'est notre rôle. Mais sur une démarche politique, d'ailleurs, je vous ferais remarquer qu'aucun syndicaliste n'a signé cette pétition.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 19 février 2008