Texte intégral
Monsieur le président, Michel Camdessus,
Madame la directrice,
Messieurs les présidents,
Mesdames, Messieurs,
Monsieur le Premier ministre, Michel Rocard,
A double titre, ce colloque ne pouvait pas mieux tomber :
- d'une part, peu après une période de tensions entre le monde des experts et celui des politiques, il célèbre les 30 ans du CEPII, précisément un des hauts lieux de l'expertise économique ;
- d'autre part, à l'approche de la présidence française de l'Union, à l'heure où le Parlement français vient de voter la loi autorisant la ratification du Traité de Lisbonne, ce colloque a choisi de traiter un thème aussi important que "L'Europe et le monde", laissant à chacun la possibilité de comprendre le sujet comme "l'Europe face au monde" ou "l'Europe dans le monde".
Rôle de l'expertise économique ; rôle de l'Europe dans le monde : quelques mots sur chacun de ces deux sujets en ouverture de ce colloque.
1. L'expertise économique tout d'abord.
Il faut d'emblée souligner l'importance de l'expertise économique, même, ou plutôt surtout, en ces temps de débats parfois tendus entre la "République des experts" et la "République de ceux qui ne se résignent pas à être des imbéciles".
Certes, le rôle des experts ne consiste pas à prétendre apporter des solutions miracles, des recettes infaillibles, qu'il faudrait appliquer aveuglément, sans se donner le temps du débat. L'expertise économique ne peut être assénée comme une vérité révélée. Au contraire, il me semble que les réformes importantes demandent une phase de discussions, non seulement au sein du pouvoir politique - qu'il s'agisse de l'Exécutif et du Parlement - mais aussi avec les partenaires sociaux, les parties prenantes et la société civile.
Nous touchons là un point majeur, un point central, de la conduite des réformes structurelles. Pour les mettre en oeuvre dans de bonnes conditions, il faut prendre le temps de les examiner avec les parties prenantes, il faut jouer la carte de la concertation et du dialogue social - quitte à ce que le pouvoir politique assume ensuite seul, s'il le doit, la décision, notamment lorsque les divergences des différents acteurs ne peuvent être surmontées. Le mûrissement des esprits à la nécessité des réformes structurelles constitue certainement, sur le long terme, une méthode nécessaire pour faire évoluer un pays. La réforme a des contraintes exigeantes de pédagogie.
Pour autant, rappeler l'importance du débat démocratique et de la décision politique ne signifie pas minorer le rôle de l'expertise. Quelles que soient les circonstances, le débat gagne à être éclairé, même lorsque ce que disent les experts ne fait pas plaisir aux politiques. La conduite des affaires de la Cité a besoin que les experts détectent et analysent les tendances de fond de l'économie nationale et internationale, évolutions qui constitueront, selon les cas, des menaces, des défis ou des opportunités.
Que sur le court terme, telle ou telle équipe au pouvoir puisse parfois être gênée par la parole des experts, qu'importe ! Sur le long terme, le pouvoir politique a tout à gagner à une expertise indépendante, diverse et plurale. Voilà pourquoi, à la fin des années 70 et jusqu'au début des années 80, divers centres d'études et de recherches ont été créés, parfois sous l'impulsion de l'Etat, parfois sans.
C'est en 1978 que le GEPI (groupe d'études prospectives des échanges internationaux) est devenu le CEPII (centre d'études prospectives et d'informations internationales).
C'est aussi à cette époque que sont nés, par exemple, l'OFCE (institut français des conjonctures économiques), Ipecode (créé à partir de l'ancien Rexeco, il deviendra Rexecode, puis, plus récemment, COE-Rexecode), et l'IRES (institut de recherches économiques et sociales). Ces organismes sont venus s'ajouter à l'INSEE, à la Direction de la prévision et au BIPE.
Se confronter à une pluralité d'analyses : voilà pour le pouvoir politique un des intérêts de l'existence de plusieurs centres d'experts de qualité, au nombre desquels le CEPII. Ce n'est pas là leur seule utilité. Ces organismes, notamment par leur politique de publications, contribuent à faire progresser la culture économique dans l'opinion - et aussi parfois, il faut le reconnaître, dans les rangs des dirigeants.
En matière de publication et de pédagogie, je crois qu'il faut conseiller à tous ici la lecture de la dernière "Lettre du CEPII", datée de janvier. Elle fait la chronique, pour trois thèmes majeurs (le commerce international, les taux de change, l'intégration européenne), des "Lettres du CEPII" parues depuis 30 ans. Ce qui frappe en lisant cette chronique, cette Lettre des Lettres, c'est la pertinence jamais démentie des questions abordées au fil du temps, dont les titres sur trente ans sont comme le reflet de l'histoire économique de notre temps.
L'expertise ne saurait susciter la dévotion, mais elle mérite au moins le respect. Elle ne livre sans doute pas une vérité révélée aux politiques, mais elle ne doit pas hésiter à constituer pour eux une force de rappel des faits et de l'analyse. Bon anniversaire donc au CEPII, et merci pour sa contribution aux débats économiques.
2. L'Europe et le monde, ensuite
Souvent, la manière de débattre de l'action de l'Europe dans la mondialisation se réduit à un conflit entre une vision de l'Europe "forteresse" ou une vision de l'Europe "cheval de Troie de la mondialisation". Ce débat est important ; il renvoie notamment à la question de l'ouverture, plus ou moins équilibrée, des grandes zones du monde au commerce international. Sans doute aborderez-vous ce sujet au cours de la journée. Pour autant, ce débat n'épuise pas la manière de penser les rapports entre l'Europe et le monde.
Difficile de dire quelques mots sur chacun des thèmes traités aujourd'hui. Je voudrais aborder trois modalités :
- l'Europe et la norme ;
- l'Europe et l'expérimentation ;
- l'Europe et le dogme.
L'Europe et la norme, d'abord
L'Europe produit de la norme. L'Europe s'impose même des normes plus contraignantes que ses compétiteurs dans un certain nombre de domaines. Par exemple, elle se fixe des objectifs draconiens en matière d'émission de gaz à effet de serre ou en matière de part des énergies renouvelables dans le bouquet énergétique. En première analyse, il est tentant de dire que, pour ce qui est de sa compétitivité, l'Europe se tire une "balle dans le pied".
Et pourtant, n'est-elle pas en train de fixer des normes que les autres pays devront reprendre à leur compte à plus ou moins longue échéance ? Ne contribue-t-elle pas à faire évoluer les préférences collectives à l'échelle de la planète ?
Prenons un seul exemple concret. La réglementation dite "Reach", en matière d'enregistrement des substances chimiques dangereuses pour la santé humaine, a eu une naissance difficile. Elle constitue certes une contrainte pour l'industrie chimique européenne, mais elle se répercute aussi sur l'ensemble de nos fournisseurs. Elle aboutit donc à incorporer davantage les préoccupations de santé humaine dans le commerce international et dans la production mondiale. Qu'on s'en réjouisse ou qu'on s'en plaigne, la norme européenne diffuse.
Pour résumer cette partie, un des rôles de l'Europe n'est-il pas de donner l'exemple ? Du fait de sa taille, les normes qu'elle se fixe n'ont-elles pas vocation à devenir des référentiels à l'échelle de la planète ? Si cet effet est avéré - et peut-être en débattrez-vous aujourd'hui -, l'Europe exerce bien un impact majeur sur le monde.
L'Europe et l'expérimentation, ensuite
L'Europe est souvent présentée comme un vieux continent incapable de s'adapter aux évolutions de son environnement, condamné à se faire balayer par le raz-de-marée de la mondialisation, inapte de se réformer. Or l'Europe constitue, au contraire, un terrain d'expérimentation de la réforme. Des pays ont su adapter leur économie à la mondialisation. Par exemple, l'Europe du Nord a tracé la voie de la flexisécurité. En Europe du Sud, l'Italie a su mettre en oeuvre une importante réforme de l'Etat que nous pourrions examiner de plus près.
Sans qu'il soit nécessaire de parler de modèles, ces exemples constituent autant d'expériences dont il faut savoir tirer les leçons pour mieux s'adapter à la mondialisation. Cet échange de bonnes pratiques et cet apprentissage mutuel constituent un des objets de la "stratégie de Lisbonne", stratégie qui sera réactualisée en 2008. Elle a beau essuyer parfois quelques critiques, elle a au moins pour vertu de permettre aux Etats membres de regarder ce que font leurs voisins, et comment ils le font. En cela, l'Europe nous aide à nous adapter collectivement au monde.
L'Europe et le dogme, enfin.
On l'a vu, l'Europe agit sur et dans le monde, que ce soit en l'influençant par ses normes ou en se réformant elle même. En revanche, l'Europe semble, parfois, moins active du côté de la doctrine. On a parfois l'impression qu'elle hésite à envisager ses intérêts avec pragmatisme, qu'elle se sent prisonnière de certains dogmes, voire qu'elle est la seule zone économique du monde à croire à la pureté des théories économiques.
Dans son allocution dimanche 10 février dernier, le président de la République a d'ailleurs insisté sur le rôle du débat démocratique en Europe. Je le cite : "Il faut pouvoir parler de tout comme dans n'importe quelle démocratie : de la monnaie qui n'est pas un tabou, de la politique commerciale, de la politique industrielle, de la réciprocité en matière de concurrence ou des dérives du capitalisme financier".
Quelques exemples de l'approche parfois un peu dogmatique que, selon moi, l'Europe adopte.
* La politique de change. C'est le Conseil des ministres qui a, théoriquement, d'après l'article 109 du TCE (Traité instituant la Communauté européenne), le pouvoir de fixer les "orientations générales de change". Or, non seulement la possibilité de définir ces orientations est limitée par le texte du traité et par la résolution dite "de Luxembourg", mais aussi des gens vous expliquent en Europe que les autorités publiques, de toute façon, ne peuvent rien faire pour orienter le cours de leurs devises. C'est d'ailleurs, disent-ils, la doctrine des Etats-Unis... qui, pourtant, n'hésitent pas à piloter le dollar sur le marché des changes quand ils le jugent indispensable. Pour prendre un exemple un peu ancien, entre 1993 et 1995, les Etats-Unis ont sciemment orchestré, par des déclarations répétées, une baisse du dollar contre le yen.
* La politique commerciale. On a pu croire un moment, au vu de la Communication de la Commission du 12 décembre 2006, que certains allaient proposer à l'Union de renoncer unilatéralement à ses instruments de défense commerciale, par exemple à l'anti-dumping. Et ce au nom d'une vision très large de l'intérêt communautaire. Le libre échange, serait, dans l'absolu, tellement bénéfique que les armes conçues pour se protéger d'une concurrence faussée seraient a priori nocives. On peut douter que les Etats-Unis aient une approche aussi pure des réalités économiques !
Europe productrice de normes pour l'ensemble du monde, Europe champ d'expérience de la réforme, Europe peut-être un peu victime du dogme... voilà des questions que je me pose et auxquelles le colloque apportera sans doute des réponses.
Monsieur le président,
Madame la directrice,
Messieurs, Mesdames,
Bon travail et bon anniversaire au CEPII !Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 15 février 2008
Madame la directrice,
Messieurs les présidents,
Mesdames, Messieurs,
Monsieur le Premier ministre, Michel Rocard,
A double titre, ce colloque ne pouvait pas mieux tomber :
- d'une part, peu après une période de tensions entre le monde des experts et celui des politiques, il célèbre les 30 ans du CEPII, précisément un des hauts lieux de l'expertise économique ;
- d'autre part, à l'approche de la présidence française de l'Union, à l'heure où le Parlement français vient de voter la loi autorisant la ratification du Traité de Lisbonne, ce colloque a choisi de traiter un thème aussi important que "L'Europe et le monde", laissant à chacun la possibilité de comprendre le sujet comme "l'Europe face au monde" ou "l'Europe dans le monde".
Rôle de l'expertise économique ; rôle de l'Europe dans le monde : quelques mots sur chacun de ces deux sujets en ouverture de ce colloque.
1. L'expertise économique tout d'abord.
Il faut d'emblée souligner l'importance de l'expertise économique, même, ou plutôt surtout, en ces temps de débats parfois tendus entre la "République des experts" et la "République de ceux qui ne se résignent pas à être des imbéciles".
Certes, le rôle des experts ne consiste pas à prétendre apporter des solutions miracles, des recettes infaillibles, qu'il faudrait appliquer aveuglément, sans se donner le temps du débat. L'expertise économique ne peut être assénée comme une vérité révélée. Au contraire, il me semble que les réformes importantes demandent une phase de discussions, non seulement au sein du pouvoir politique - qu'il s'agisse de l'Exécutif et du Parlement - mais aussi avec les partenaires sociaux, les parties prenantes et la société civile.
Nous touchons là un point majeur, un point central, de la conduite des réformes structurelles. Pour les mettre en oeuvre dans de bonnes conditions, il faut prendre le temps de les examiner avec les parties prenantes, il faut jouer la carte de la concertation et du dialogue social - quitte à ce que le pouvoir politique assume ensuite seul, s'il le doit, la décision, notamment lorsque les divergences des différents acteurs ne peuvent être surmontées. Le mûrissement des esprits à la nécessité des réformes structurelles constitue certainement, sur le long terme, une méthode nécessaire pour faire évoluer un pays. La réforme a des contraintes exigeantes de pédagogie.
Pour autant, rappeler l'importance du débat démocratique et de la décision politique ne signifie pas minorer le rôle de l'expertise. Quelles que soient les circonstances, le débat gagne à être éclairé, même lorsque ce que disent les experts ne fait pas plaisir aux politiques. La conduite des affaires de la Cité a besoin que les experts détectent et analysent les tendances de fond de l'économie nationale et internationale, évolutions qui constitueront, selon les cas, des menaces, des défis ou des opportunités.
Que sur le court terme, telle ou telle équipe au pouvoir puisse parfois être gênée par la parole des experts, qu'importe ! Sur le long terme, le pouvoir politique a tout à gagner à une expertise indépendante, diverse et plurale. Voilà pourquoi, à la fin des années 70 et jusqu'au début des années 80, divers centres d'études et de recherches ont été créés, parfois sous l'impulsion de l'Etat, parfois sans.
C'est en 1978 que le GEPI (groupe d'études prospectives des échanges internationaux) est devenu le CEPII (centre d'études prospectives et d'informations internationales).
C'est aussi à cette époque que sont nés, par exemple, l'OFCE (institut français des conjonctures économiques), Ipecode (créé à partir de l'ancien Rexeco, il deviendra Rexecode, puis, plus récemment, COE-Rexecode), et l'IRES (institut de recherches économiques et sociales). Ces organismes sont venus s'ajouter à l'INSEE, à la Direction de la prévision et au BIPE.
Se confronter à une pluralité d'analyses : voilà pour le pouvoir politique un des intérêts de l'existence de plusieurs centres d'experts de qualité, au nombre desquels le CEPII. Ce n'est pas là leur seule utilité. Ces organismes, notamment par leur politique de publications, contribuent à faire progresser la culture économique dans l'opinion - et aussi parfois, il faut le reconnaître, dans les rangs des dirigeants.
En matière de publication et de pédagogie, je crois qu'il faut conseiller à tous ici la lecture de la dernière "Lettre du CEPII", datée de janvier. Elle fait la chronique, pour trois thèmes majeurs (le commerce international, les taux de change, l'intégration européenne), des "Lettres du CEPII" parues depuis 30 ans. Ce qui frappe en lisant cette chronique, cette Lettre des Lettres, c'est la pertinence jamais démentie des questions abordées au fil du temps, dont les titres sur trente ans sont comme le reflet de l'histoire économique de notre temps.
L'expertise ne saurait susciter la dévotion, mais elle mérite au moins le respect. Elle ne livre sans doute pas une vérité révélée aux politiques, mais elle ne doit pas hésiter à constituer pour eux une force de rappel des faits et de l'analyse. Bon anniversaire donc au CEPII, et merci pour sa contribution aux débats économiques.
2. L'Europe et le monde, ensuite
Souvent, la manière de débattre de l'action de l'Europe dans la mondialisation se réduit à un conflit entre une vision de l'Europe "forteresse" ou une vision de l'Europe "cheval de Troie de la mondialisation". Ce débat est important ; il renvoie notamment à la question de l'ouverture, plus ou moins équilibrée, des grandes zones du monde au commerce international. Sans doute aborderez-vous ce sujet au cours de la journée. Pour autant, ce débat n'épuise pas la manière de penser les rapports entre l'Europe et le monde.
Difficile de dire quelques mots sur chacun des thèmes traités aujourd'hui. Je voudrais aborder trois modalités :
- l'Europe et la norme ;
- l'Europe et l'expérimentation ;
- l'Europe et le dogme.
L'Europe et la norme, d'abord
L'Europe produit de la norme. L'Europe s'impose même des normes plus contraignantes que ses compétiteurs dans un certain nombre de domaines. Par exemple, elle se fixe des objectifs draconiens en matière d'émission de gaz à effet de serre ou en matière de part des énergies renouvelables dans le bouquet énergétique. En première analyse, il est tentant de dire que, pour ce qui est de sa compétitivité, l'Europe se tire une "balle dans le pied".
Et pourtant, n'est-elle pas en train de fixer des normes que les autres pays devront reprendre à leur compte à plus ou moins longue échéance ? Ne contribue-t-elle pas à faire évoluer les préférences collectives à l'échelle de la planète ?
Prenons un seul exemple concret. La réglementation dite "Reach", en matière d'enregistrement des substances chimiques dangereuses pour la santé humaine, a eu une naissance difficile. Elle constitue certes une contrainte pour l'industrie chimique européenne, mais elle se répercute aussi sur l'ensemble de nos fournisseurs. Elle aboutit donc à incorporer davantage les préoccupations de santé humaine dans le commerce international et dans la production mondiale. Qu'on s'en réjouisse ou qu'on s'en plaigne, la norme européenne diffuse.
Pour résumer cette partie, un des rôles de l'Europe n'est-il pas de donner l'exemple ? Du fait de sa taille, les normes qu'elle se fixe n'ont-elles pas vocation à devenir des référentiels à l'échelle de la planète ? Si cet effet est avéré - et peut-être en débattrez-vous aujourd'hui -, l'Europe exerce bien un impact majeur sur le monde.
L'Europe et l'expérimentation, ensuite
L'Europe est souvent présentée comme un vieux continent incapable de s'adapter aux évolutions de son environnement, condamné à se faire balayer par le raz-de-marée de la mondialisation, inapte de se réformer. Or l'Europe constitue, au contraire, un terrain d'expérimentation de la réforme. Des pays ont su adapter leur économie à la mondialisation. Par exemple, l'Europe du Nord a tracé la voie de la flexisécurité. En Europe du Sud, l'Italie a su mettre en oeuvre une importante réforme de l'Etat que nous pourrions examiner de plus près.
Sans qu'il soit nécessaire de parler de modèles, ces exemples constituent autant d'expériences dont il faut savoir tirer les leçons pour mieux s'adapter à la mondialisation. Cet échange de bonnes pratiques et cet apprentissage mutuel constituent un des objets de la "stratégie de Lisbonne", stratégie qui sera réactualisée en 2008. Elle a beau essuyer parfois quelques critiques, elle a au moins pour vertu de permettre aux Etats membres de regarder ce que font leurs voisins, et comment ils le font. En cela, l'Europe nous aide à nous adapter collectivement au monde.
L'Europe et le dogme, enfin.
On l'a vu, l'Europe agit sur et dans le monde, que ce soit en l'influençant par ses normes ou en se réformant elle même. En revanche, l'Europe semble, parfois, moins active du côté de la doctrine. On a parfois l'impression qu'elle hésite à envisager ses intérêts avec pragmatisme, qu'elle se sent prisonnière de certains dogmes, voire qu'elle est la seule zone économique du monde à croire à la pureté des théories économiques.
Dans son allocution dimanche 10 février dernier, le président de la République a d'ailleurs insisté sur le rôle du débat démocratique en Europe. Je le cite : "Il faut pouvoir parler de tout comme dans n'importe quelle démocratie : de la monnaie qui n'est pas un tabou, de la politique commerciale, de la politique industrielle, de la réciprocité en matière de concurrence ou des dérives du capitalisme financier".
Quelques exemples de l'approche parfois un peu dogmatique que, selon moi, l'Europe adopte.
* La politique de change. C'est le Conseil des ministres qui a, théoriquement, d'après l'article 109 du TCE (Traité instituant la Communauté européenne), le pouvoir de fixer les "orientations générales de change". Or, non seulement la possibilité de définir ces orientations est limitée par le texte du traité et par la résolution dite "de Luxembourg", mais aussi des gens vous expliquent en Europe que les autorités publiques, de toute façon, ne peuvent rien faire pour orienter le cours de leurs devises. C'est d'ailleurs, disent-ils, la doctrine des Etats-Unis... qui, pourtant, n'hésitent pas à piloter le dollar sur le marché des changes quand ils le jugent indispensable. Pour prendre un exemple un peu ancien, entre 1993 et 1995, les Etats-Unis ont sciemment orchestré, par des déclarations répétées, une baisse du dollar contre le yen.
* La politique commerciale. On a pu croire un moment, au vu de la Communication de la Commission du 12 décembre 2006, que certains allaient proposer à l'Union de renoncer unilatéralement à ses instruments de défense commerciale, par exemple à l'anti-dumping. Et ce au nom d'une vision très large de l'intérêt communautaire. Le libre échange, serait, dans l'absolu, tellement bénéfique que les armes conçues pour se protéger d'une concurrence faussée seraient a priori nocives. On peut douter que les Etats-Unis aient une approche aussi pure des réalités économiques !
Europe productrice de normes pour l'ensemble du monde, Europe champ d'expérience de la réforme, Europe peut-être un peu victime du dogme... voilà des questions que je me pose et auxquelles le colloque apportera sans doute des réponses.
Monsieur le président,
Madame la directrice,
Messieurs, Mesdames,
Bon travail et bon anniversaire au CEPII !Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 15 février 2008