Texte intégral
Q - Bernard Kouchner bonjour, merci d'être avec nous, dans ce tout petit studio de Davos. Je le disais, c'est un peu le retour de la France en force, ici, à Davos. Est-ce bien que la France fasse entendre sa voix ?
R - C'est un retour, certes en force, mais aussi, je l'espère, en subtilité et en intelligence.
Dans cette crise, il faut certes faire entendre la voix de la France, mais aussi de l'Europe. Je parle de la crise financière, boursière et économique qui se dessine. Il y a déjà très longtemps que nous réclamons un peu plus de transparence dans le système.
Q - La moralisation du capitalisme financier ?
R - Pas seulement la moralisation. Cette crise qui intervient - "subprimes" américains : on ne sait même pas qui emprunte, qui garantit, ni quelle banque, ni quelle assurance -, cela ne peut pas durer.
Je crois qu'il était vraiment très nécessaire que la France - parce que c'est Nicolas Sarkozy qui le premier l'a demandé - se manifeste, puis l'Europe. Il y aura, dans quelques jours, une réunion à Londres, autour de M. Gordon Brown, avec Mme Angela Merkel et Nicolas Sarkozy. Je pense qu'il faut absolument prendre des mesures pour y voir plus clair.
Q - Angela Merkel était venue l'an dernier à Davos pour présenter les grandes options de son programme de la Présidence allemande de l'Union européenne. Certains se demandaient pourquoi Nicolas Sarkozy n'est pas venu également, à Davos, pour annoncer son programme pour la Présidence française. On sait que c'est très important pour lui.
R - C'est important pour tout le monde. C'est important pour la France. Je vous signale que le Premier ministre va en parler et que votre serviteur peut aussi en parler. Nicolas Sarkozy est, hélas pour Davos et heureusement pour nous, parti pour une visite d'Etat en Inde. C'est, par ailleurs, la célébration de la Fête nationale là-bas et il était évidemment difficile de déplacer cette date. Mais, bien sûr, Nicolas Sarkozy prend sa part, surtout dans la détermination de la politique française.
Q - Certes, on parle beaucoup d'économie et de business, on parle aussi beaucoup d'international, j'imagine que c'est l'une des raisons pour lesquelles vous êtes ici. L'aspect géopolitique prend toujours un peu le dessus. Tous les grands chefs d'Etat sont ici. Nous avons écouté Condoleezza Rice discuter avec M. Musharraf en lui disant qu'il fallait des élections libres au Pakistan. Tout à l'heure, vous étiez avec M. Karzaï, le président de l'Afghanistan. Est-ce cela qui est important aujourd'hui, le fait de parvenir à réunir toutes ces personnalités autour d'une table ?
R - Oui, bien sûr. Mais il n'empêche que prenant la présidence de l'Union européenne à partir du mois de juillet - pour le moment, c'est la Présidence slovène qui se déroule d'ailleurs très bien -, la France a quelques lignes de force que nous aurions pu exposer, que nous exposerons sur l'énergie, sur le développement durable et sur la défense européenne.
Nous avons beaucoup de choses à faire mais pour répondre précisément à votre question, Mme Rice a raison, les élections au Pakistan, le 18 février, sont essentielles pour le monde. Il faut qu'elles soient transparentes et, d'ailleurs, le président Musharraf répond qu'il travaillera avec le Premier ministre élu : c'est bien.
L'assassinat de Benazir Bhutto est quand même quelque chose qui a choqué l'ensemble du monde. Cette femme, cette belle femme courageuse, qui l'a assassinée ? Tout cela est très important et il faut donc que l'enquête se déroule dans de bonnes conditions. Nous sommes très attentifs à cela.
Pour autant, réglera-t-on les problèmes géopolitiques à Davos ? Non. Mais que l'on puisse en parler, que l'on puisse, par exemple, parler de ce que nous venons de dire, lors de tables rondes, sur le risque de l'investissement ou que, bien sûr, le terrorisme et le terrorisme islamique ne sont pas seulement nés de la pauvreté, mais que la pauvreté y participe.
Alors, luttons ensemble - les industriels, les économistes, les politiques - contre ce fossé qui s'élargit dans le monde entre les plus pauvres et les plus riches. C'est insupportable de connaître le salaire et la richesse de certains lorsqu'on n'a pas un dollar par jour pour manger.
Q - Et ici, beaucoup sont très riches en effet.
R - Oui, mais il y en a aussi beaucoup qui observent et qui, au début de la journée, ne savent pas s'ils dîneront le soir : ils sont près d'un milliard sur la Terre.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 30 janvier 2008