Texte intégral
En tant que ministre de la santé et des solidarités, j'ai eu à suivre de juin 2005 à mars 2007 le projet du Dossier Médical Personnel (DMP). Alors que votre commission à travers la présente mission d'information se penche sur les moyens de relancer ce projet, j'ai souhaité m'exprimer sur ce dossier. J'avais ainsi proposé dès le 23 octobre dernier au Président de la Commission des Affaires sociales que je sois auditionné et c'est pourquoi je suis devant vous aujourd'hui. Je vous en remercie. Le Dossier Médical Personnel s'inscrit dans une double exigence. D'une part, l'exigence des patients de devenir des acteurs à part entière de leur prise en charge, informés et responsables. D'autre part, l'exigence de modernisation de notre système de santé confronté à de nouveaux défis : soigner mieux et dépenser mieux. La réforme de l'assurance maladie du 13 août 2004 qui visait à maîtriser les dépenses de santé en améliorant la qualité du système de soins a donc logiquement lancé le projet de dossier médical personnel. Elle partait d'une idée simple : en utilisant pleinement les nouvelles technologies, nous pouvons améliorer un certain nombre des faiblesses de notre système de soins. Et notamment :
- améliorer la coordination entre les professionnels de santé ;
- assurer la prise en compte et la diffusion des référentiels de bonne pratique clinique ;
- améliorer l'observance thérapeutique tout en développant les compétences des patients, notamment les malades chroniques ;
- éviter la redondance des actes et la iatrogénie (1 examen médical sur 6 est fait en double) ;
- finalement, abaisser les cloisonnements du système : ville/hôpital médico-social/sanitaire.
Pour moi, le DMP était et reste avant tout un outil médical au service de l'amélioration de la qualité des soins. Le DMP est l'un des éléments d'un système de santé moderne dans lequel les patients sont responsables et la communication entre les différents professionnels est effective. Avec l'évaluation des pratiques professionnelles, le rôle du médecin traitant et le parcours de soin ou encore la rénovation de l'organisation territoriale des soins, le DMP est l'une des pierres de la modernisation du système de soins que nous avons voulu porter au service de la santé des Français.
En juin 2005 au moment de ma prise de fonction, conformément à la loi, aux informations qui étaient en notre possession et à ma conviction de la nécessité du DMP, nous nous sommes mis dans la perspective de commencer sa généralisation à la mi-2007. Il s'agissait autant de respecter la date prévue par la loi (1er juillet 2007) que d'utiliser ce chantier comme levier afin de marquer une modification des comportements.
À mon arrivée, le groupement d'intérêt public chargé de la mise en oeuvre du projet était constitué, associant l'Etat (DHOS, DGS, DSS, MISS), la CNAMTS et la Caisse des Dépôts et Consignations. Le Conseil d'administration du GIP ne comprenait pas alors de représentants de professionnels et de patients. J'ai donc procédé en décembre 2005 à un ajustement des statuts pour que le CA compte un représentant des professionnels de santé et un représentant des patients.
J'ai souhaité que la concertation la plus large s'engage immédiatement sur ce chantier qui implique des enjeux lourds pour la société : modification du comportement des professionnels de santé, décloisonnement entre mondes hospitalier et libéral, confidentialité des données de santé, secret médical, responsabilité des médecins... J'ai estimé que la concertation entre acteurs autour d'un aussi vaste sujet, déterminante pour sa réussite, devait s'institutionnaliser au sein du GIP lui-même. C'est le rôle que j'ai souhaité affecter au conseil d'orientation du GIP. Lieu d'échanges, de rapprochement des points de vue, outil de concertation autour des orientations stratégiques du projet, il n'a jamais été conçu, à mes yeux, comme simple chambre d'enregistrement des décisions prises par le CA.
Dans ce dossier il a fallu avancer en tenant compte de certaines réalités. Il n'y avait, en 2005, au ministère de la santé, aucune direction pleinement en charge du sujet (chaque direction disposant de compétences sectorielles) si ce n'est la mission pour l'informatisation des systèmes de santé (MISS), celle-ci n'ayant pas de compétences réelles et les moyens budgétaires du ministère ne permettant pas de la rendre immédiatement opérationnelle. Dans ce contexte, et après avoir modifié la gouvernance du GIP, j'ai pris deux décisions.
1. A court terme, il fallait assurer une tutelle efficace sur le GIP, c'est donc mon cabinet qui l'a dans un premier temps assumée. Pour autant, ni la CNAMTS, ni la CDC, membres du GIP aux côtés de l'Etat, ni les directions d'administration centrale n'ont été écartées, puisque mon cabinet a tenu des réunions régulières, tous les mois au minimum, et notamment avant chaque conseil du GIP, avec les dirigeants de ce dernier et ces partenaires.
2. La solution d'une tutelle directement exercée par le cabinet n'étant pas convenable à long terme ; j'ai donc sollicité l'IGAS en mars 2006 afin qu'elle examine les modalités de mise en place d'un pilotage d'ensemble par les services. Ce rapport m'a été remis en août, et j'ai immédiatement missionné la secrétaire générale des ministères sociaux dès sa nomination en octobre 2006 afin de travailler sur le rapport de l'IGAS et, de façon plus opérationnelle et immédiate, d'assurer la tutelle du GIP DMP en lien avec la MISS.
Le calendrier tel que fixé par la loi du 13 août 2004 pour une généralisation au 1er juillet 2007 était certes tendu mais crédible. Les systèmes d'information de santé ne partaient pas en France de zéro et le DMP n'était pas le seul organisme à se consacrer à leur développement.
* Notre système disposait d'une sérieuse avance en matière d'informatisation médicale avec la dématérialisation des feuilles de soins effectuées à partir des systèmes des professionnels libéraux. Cette avance, t, pouvait être mise à profit dans la mesure où elle reposait sur un savoir faire réel en matière de sécurisation des échanges incontournables pour la mise en oeuvre d'un tel projet ;
* Les travaux de la Haute Autorité de Santé (HAS) en matière de référentiels sur la composition des dossiers médicaux de spécialité en vue de déploiement de l'évaluation des pratiques professionnelles (EPP) devaient pouvoir guider le GIP sur une cible opérationnelle cohérente avec les enjeux du DMP ;
* La CNAMTS menait son propre chantier du web-médecin et du relevé de remboursement ;
* Le GIP-CPS (Groupement d'Intérêt Public - Carte de Professionnel de Santé) existe depuis 1993 ;
* J'avais consolidé le GMSIH (Groupement d'Intérêt Public pour la modernisation le système d'information hospitalier) et intégré un volet système d'information au plan Hôpital 2012 ;
* Le web-pharmacien (dossier pharmaceutique, DP) et le web-médecin se développaient en parallèle du DMP. Le DP que j'ai particulièrement soutenu a montré qu'un outil qui facilite l'exercice professionnel peut être rapidement adopté. Si la situation d'informatisation des médecins libéraux (90% environ sont équipés informatiquement mais seuls 40% utilisent un logiciel pour saisir des informations médicales) et des hôpitaux (moins de 40% équipés pour les données médicales) restait très hétérogène, les données structurées de délivrance médicamenteuse issues des pharmacies d'officine me sont apparues très vite comme une opportunité rendant possible une alimentation rapide du DMP. Le DP a eu tellement de succès dès la phase d'expérimentation qu'en octobre 2007 l'ordre des médecins a demandé à ce que les praticiens puissent y avoir accès.
À son arrivée à la direction du GIP en mai 2006, Jacques Sauret a recommandé le choix d'un schéma avec un hébergeur de référence et des hébergeurs secondaires. Par rapport au projet initial qui comportait dans un premier temps plusieurs hébergeurs régionaux qui seraient dans un second temps en concurrence au niveau national, on gagnait en rapidité et en cohérence. En effet, l'hébergeur de référence était destiné à réaliser des fonctions d'archivage de second niveau des DMP, de continuité du service public en cas de défaillance d'un hébergeur agréé (puisque l'hébergeur de référence conservait tous les DMP en sauvegarde), mais, surtout, à élaborer les spécifications minimales pour que les logiciels communiquent avec les serveurs DMP qui seraient ensuite applicables à tous les hébergeurs. La concurrence était préservée par la régulation du tarif de l'hébergeur de référence comme il se pratique dans d'autres secteurs régulés (télécom ou énergie par exemple)
Jusqu'en octobre 2006, il ne m'a été fait état d'aucun retard possible dans la mise en place au 1er juillet 2007. Je n'ai été destinataire d'aucune note indiquant que le calendrier ne pourrait être tenu. Au contraire, les données dont je disposais permettaient d'envisager un respect des délais :
- le décret relatif à l'architecture du DMP allait être finalisé avant décembre ;
- le décret fixant le NIR comme identifiant pour le DMP était soumis à la CNIL ;
- le dialogue compétitif pour le recrutement d'un hébergeur de référence allait être lancé et permettait la désignation de l'opérateur en début 2007.
J'ai alors constaté 3 difficultés qui allaient entraîner des retards :
- le cahier des charges préparé par le GIP pour le dialogue compétitif a reçu un avis défavorable de la commission centrale des marchés des organismes de sécurité sociale (CCMOSS), confirmant ainsi les erreurs que mon cabinet avait relevées et signalées au GIP ;
- la CNIL n'ayant pas rejeté d'emblée l'utilisation du NIR (numéro d'inscription au répertoire national d'identification des personnes) comme identifiant de santé, elle a constitué un groupe de travail qui n'allait rendre sa décision qu'en février 2007 ;
- la concertation que j'avais évidemment souhaitée sur le projet de décret global relatif au DMP a mis en évidence une situation de blocage entre l'avis des professionnels de santé et celui des patients quant à la capacité pour ceux-ci, à masquer certaines données du DMP (la question du masquage). J'ai donc décidé, sur un sujet aussi sensible, de confier une mission à Pierre-Louis Fagniez qui a dû concerter jusqu'en février 2007 pour dégager une solution de compromis.
C'est la conjonction de ces trois difficultés qui ont à partir de fin 2006 fait prendre du retard au projet. Dans ces conditions, j'ai annoncé le 13 novembre 2006 lors de la présentation du PLFSS 2007 au Sénat que « les premiers DMP seront ouverts en juillet 2007 », repoussant la généralisation à 2008. Sur un sujet aussi structurant pour le système de santé comme notre pays n'en a pas connu depuis 15 ans et qui demande un investissement de 1 milliard d'euros sur 5 ans et 2 milliards pour la modernisation des systèmes d'information de santé, je préférais prendre toutes les précautions sur le plan juridique. Il vaut mieux se donner quelques semaines de plus plutôt que de partir sur des bases qui ne soient pas totalement satisfaisantes. Cependant conformément à ce que j'avais indiqué au Sénat je voulais qu'une étape soit franchie au 1er juillet 2007 marquant le démarrage irréversible du DMP.
J'assume le fait que constatant ces difficultés je n'ai pas voulu de passage en force. Ainsi, alors que le GIP voulait publier un nouvel appel d'offres dès novembre 2006, je lui ai demandé de faire mener 3 audits :
- un audit juridique qui a mis en évidence de nombreuses failles à corriger ;
- un second audit auprès des autres organismes concernés (GIP-CPS, GIE Sésame-Vitale, CNAMTS et Caisses des dépôts).
- un troisième audit, technique et fonctionnel celui-là, en termes d'usage et de spécifications industrielles. En effet, il m'a toujours semblé que pour que le DMP devienne une réalité dans la vie des patients et l'exercice des professionnels, il fallait qu'ils aient à leur disposition des outils de qualité et faciles à l'usage. Le dialogue avec les industriels est à ce titre une nécessité.
Dans ce contexte, j'ai fait en sorte de développer les expérimentations afin que l'on puisse tester le DMP grandeur nature.
* Les expérimentations de 2006 ont impliqué plus de 2 500 professionnels, 100 établissements de soins et permis l'ouverture de 38 000 DMP dans 17 régions. Elles ont permis notamment de tester la sécurité du système. Je me suis par exemple rendu à Amiens où j'ai pu constater la bonne prise en main de l'outil aussi bien en cabinet de ville que dans un CHU. Ces expérimentations avaient commencé tardivement en raison de la longueur des procédures d'obtention de financement du fonds d'amélioration de la qualité des soins FAQSV. Or les contrats d'expérimentations s'achevaient au 31 décembre 2006. Le GIP a donc y dû mettre fin ;
* J'ai donc demandé que des appels à projets régionaux soient lancés ;
* les expérimentations ont fait ressortir un avis très positif des patients à 84% et une valeur ajoutée pour 64% des praticiens.
La nouvelle phase de réflexion sur le DMP souhaitée par le gouvernement est opportune en ce qu'elle permettra d'approfondir la concertation avec tous les acteurs et, singulièrement, avec les industriels. La généralisation du DMP ne pourra se faire sans une véritable « médicalisation » du projet centrée sur les usages et les services rendus tant aux professionnels qu'aux usagers.Source http://www.travail-solidarite.gouv.fr, le 31 janvier 2008