Texte intégral
C. Barbier.- Descente de police, ce matin, à l'aube, à Villiers-Le-Bel et dans les environs, pour arrêter les auteurs des tirs contre les policiers en novembre dernier. Est-ce que ce n'est pas une démonstration de force excessive, médiatisée, comme par hasard, à quelques semaines des municipales ?
R.- C'est surtout pour montrer que rien ne doit rester impuni. Ce qui s'est passé à Villiers-le-Bel voilà quelques semaines est d'une extrême gravité. Et qu'il n'est pas question d'oublier quoi que ce soit, il faut continuer l'enquête, il faut déployer les moyens suffisants, des moyens importants, pour retrouver justement tous les auteurs. Il n'y a pas de zones de non droit dans notre République. Plus aucune zone de non droit.
Q.- Négociation décisive aujourd'hui sur le salaire des fonctionnaires. Le Gouvernement doit-il, va-t-il aller au-delà des 0,5 % de point d'indice déjà promis, c'est-à-dire, selon les syndicats, 7 euros par mois seulement en bas de la pyramide salariale ?
R.- Oui, ça montre surtout que le dialogue existe, et que le dialogue justement qu'on disait quasiment impossible pour discuter salaires dans la fonction publique est aujourd'hui en train de se renforcer. La preuve, c'est qu'il y a réunion après réunion, des sujets très concrets sur la table. E. Woerth, A. Santini sont dans cette logique. Je me souviens, il y a quelques mois, on disait justement que le dialogue social pouvait exister dans le domaine privé et pas dans la fonction publique. C'est la preuve du contraire. Et maintenant, sur les différents sujets, pour trouver les bons réglages, pour trouver les bonnes solutions, je fais confiance et à E. Woerth et à A. Santini pour, avec les syndicats, voir ce qu'il est possible de faire. Mais il y a une direction : l pouvoir d'achat, la garantie du pouvoir d'achat, notre intérêt, comme celui des Français pour le pouvoir d'achat, ça concerne tous les salariés.
Q.- Dialogue social dans le privé, tendu le plus souvent : Michelin à Toul, Mittal à Gandrange, Miko à Saint-Dizier, Ford à Bordeaux ; L'Oréal, Carrefour, AGF... Les conflits se multiplient dans le privé. La plupart du temps, presque à chaque fois, sur des entreprises qui font des bénéfices, parfois de très gros bénéfices. Alors, que peut faire l'Etat, que pouvez-vous faire, vous, ministre du Travail, à part compter les points ?
R.- Attendez, vous ne demandez pas aux Français de se déplacer deux dimanches de suite pour des présidentielles, deux dimanches de suite, pour des législatives, et de leur dire : nous ne pouvons rien pour vous. Ça n'est pas pour ça que nous avons été élus, et je réfute vraiment le fatalisme en politique. Il faut chercher des solutions. Montrer à ces salariés qu'ils ne sont pas seuls. Que, là où il est possible d'investir à nouveau dans leur activité industrielle, il faut trouver les moyens pour le faire. Mais il y a aussi la nécessité pour eux de bien leur montrer que, si leurs emplois peuvent à un moment donné être en difficulté, eux, les salariés, les personnes, ne doivent plus être abandonnés. Voilà pourquoi à chaque fois, il faut chercher des solutions, il faut les accompagner, et il faut pouvoir opérer la reconversion d'un secteur quand vraiment dans l'activité il n'y a plus les débouchés d'hier. Mais une chose est certaine, nous devons aujourd'hui trouver des nouvelles solutions. Et vous parlez de "dialogue social", le dialogue social se renforce dans notre pays. Il y a bien sûr des points d'inquiétude, à différents endroits. Mais vous savez, l'an dernier, on créé 300.000 emplois nouveaux dans notre pays...
Q.- Mais on en détruit dans l'industrie ! Ne faut-il pas tourner le dos à l'industrie, effectivement ?
R.- Certainement pas, certainement pas ! Une France sans industrie, ça serait une France qui serait conduite à sa perte. N'allons pas croire que ce sont uniquement les services qui offriront un avenir pour nos enfants. Il faut au contraire avoir une industrie forte, il faut trouver les secteurs d'avenir qui sont porteurs, et ne pas hésiter aussi à regarder la vérité et la réalité de face. Certains secteurs doivent aujourd'hui pouvoir évoluer. Cela veut dire qu'il faut pouvoir former, mieux accompagner les salariés. C'est notamment le sujet de la formation professionnelle, sujet sur lequel est C. Lagarde. On a un monde qui change, chacun en est conscient. La seule chose, vous ne devez pas laisser seuls les salariés dans ces cas-là, et vous devez aussi les respecter. Prendre en compte aussi les inquiétudes qui peuvent les leurs, et y répondre.
Q.- Le plan Michelin vous satisfait-il ? Reclassement, indemnités, accompagnement, cela va dans le sens de votre politique ?
R.- Sur le sujet, j'ai vu qu'il y avait la possibilité de proposer à chacun un emploi. J'aurai l'occasion de rencontrer moi, aujourd'hui, à la demande du député-maire et d'organisations syndicales, les organisations syndicales de Miko, à Saint-Dizier. C'est toujours la même logique de chercher les meilleures solutions possibles et de montrer que personne n'est indifférent mais que, surtout, nous cherchons à être efficaces pour ne pas les laisser seuls. Mais n'oublions pas quand même, les 300.000 créations d'emplois, l'an dernier, on en parle très peu. C'est une réalité, c'est ce qui a permis l'an dernier de baisser le taux de chômage à un niveau historique, 7,9 %, et nous allons continuer à baisser ce taux de chômage, même si, en même temps, j'ai pour objectif, avec C. Lagarde, de réduire le travail précaire.
Q.- Alors, justement, N. Sarkozy parlera "emploi" jeudi, quelque part en France. Savez-vous où, dans quelle ville, que dira-t-il, que doit-il annoncer à part se féliciter de ces chiffres ?
R.- Sur le sujet, je ne veux pas faire mystérieux, je ne sais pas où aura lieu ce déplacement de jeudi. Mais vous savez, un déplacement n'est pas seulement l'occasion d'annonces, c'est de montrer que notre mobilisation est permanente, et que sur le front de l'emploi, aujourd'hui, 200.000 chômeurs de moins en 2007, ce sont 200.000 familles dans lesquelles quelqu'un a retrouvé un remploi, et puis surtout, il y en a plus sur une fiche de paye qu'il n'y en a sur des allocations Assedic. Ce sont donc aussi des Français qui vivent mieux. C'est une réalité.
Q.- Alors, justement, vous préparez une loi, vous, pour alourdir les charges patronales dans les entreprises qui n'auraient pas négocié un plan salarial dans les deux dernières années. Alors, vous jouez contre l'emploi ?
R.- Curieuse façon de présenter les choses.
Q.- Supprimer des allégements, c'est alourdir...
R.- C'est que, l'Etat intervient pour baisser le coût du travail dans nombre d'entreprises. Si on baisse le coût du travail, nous demandons à ces entreprises-là de jouer le jeu des salaires. Voilà, c'est la logique. Vous remarquerez quand même que c'est une logique qui s'impose à tous, et c'est aussi une logique qui était réclamée par beaucoup d'acteurs, notamment, des syndicats, depuis des années et des années. Maintenant, c'est concret, et nous allons déposer un texte de loi au printemps. Mais remarquez quand même que si l'Etat aide les entreprises, au moins qu'elles jouent le jeu des salaires, c'est la moindre des choses.
Q.- Riposte à droite contre les attaques subies par N. Sarkozy et notamment contre "l'appel républicain" du journal Marianne, signé, entre autres, par D. de Villepin, S. Royal et F. Bayrou. Cette bronca des sarkozystes est-elle vraiment justifiée ?
R.- L'appel en question dans Marianne, ça n'est pas une opération républicaine, c'est une opération politicienne mue certainement par un désir de revanche personnelle de la part de certains des signataires. Cela a un côté profondément ridicule.
Q.- Vous trouvez que la presse est coupable d'acharnement ces temps-ci ?
R.- Pas toute la presse, mais tous les coups ne sont pas permis en politique. Et je crois qu'il y a une opération "rideau de fumée" de la part d'un certain nombre d'opposants qui n'ont jamais accepté en définitive le verdict du suffrage universel. L'élection de N. Sarkozy, une élection claire, nette, un souci des Français également, de tourner la page d'une pratique politique qui nous a confinés, droite et gauche confondues, à l'immobilisme. Je crois qu'au moment où nous nous sommes dans le mouvement, il y en a certains qui ne comprennent pas que les Français souhaitent aussi le mouvement, et qu'ils souhaitent développer un peu un rideau de fumée pour détourner de l'enjeu. L'enjeu, c'est que la France aujourd'hui est en train de se transformer, c'est ce qu'ont demandé les Français. Ils nous ont demandé que dans cinq ans la Maison France soit transformée, qu'elle soit moderne, qu'elle soit solidaire. On est aujourd'hui à neuf mois. En neuf mois, vous ne pouvez pas avoir les résultats de cinq ans. Et je crois que certains n'acceptent toujours pas que la France se transforme.
Q.- Dans l'affaire de l'enseignement de la Shoah en CM2, est-ce que le mouvement n'a pas été finalement brutalité, est-ce que la méthode du Président n'a pas été beaucoup trop rapide ? La preuve, il est obligé de reculer un petit peu et d'aménager sa proposition ?
R.- Non, je crois que ça montre bien aujourd'hui qu'il faut regarder l'essentiel. L'essentiel c'est que nous avons aujourd'hui une diminution des actes antisémites, chacun doit s'en féliciter, mais c'est justement le moment où il faut accélérer pour construire de nouveaux remparts contre l'antisémitisme, et faire en sorte que chez les jeunes, qui sont tout à fait capables de s'approprier justement la démarche que propose le président de la République, comme l'a dit hier E. Mignon, la directrice de cabinet de N. Sarkozy, "est-ce que c'est individuel, est-ce que c'est au niveau d'une classe ?". Nous sommes attentifs à ce qui se dit, nous sommes à l'écoute, et je crois qu'il est important de bien expliquer qu'en la matière, ce n'est pas un crime comme les autres l'antisémitisme ou ce qui s'est passé pendant la Shoah, ce n'est pas un crime de guerre, ce n'est pas un crime de droit commun, c'est un crime contre l'humanité, et qu'on est donc amenés à avoir des réponses vraiment particulières. Mais je crois qu'à chaque fois qu'il y a des idées nouvelles dans notre société, il faut faire attention à ce qu'il n'y ait pas cette chape de plomb qui soit sur les idées nouvelles, et qui fait qu'en définitive, depuis des années et des années en France, on a du mal à penser autrement, on a du mal à agir autrement. Et je crois que l'idée du président de la République va dans le sens d'une meilleure construction du rempart contre l'antisémitisme.
Q.- Comment jugez-vous alors la réaction vive et hostile de S. Veil, que X. Darcos, ministre de l'Education veut néanmoins associer à la réflexion ?
R.- Parce que, là aussi, il y a une idée, une idée nouvelle, une idée forte, il faut aussi l'expliquer, il faut la pédagogie. Mais je suis toujours étonné dès qu'il y a une idée nouvelle dans notre pays, d'avoir aussitôt des voix qui s'élèvent pour dire qu'il ne faut rien bouger, qu'il ne faut rien toucher ! Vous ne croyez pas qu'on a besoin d'aller plus loin en matière de lutte contre l'antisémitisme ? Moi je pense que oui.
Q.- Alors, ne faut-il pas, ne fallait-il pas, avant, un débat à l'Assemblée nationale sur ce sujet ?
R.- Il faut bien, avant le débat à l'Assemblée nationale, que quelqu'un émette l'idée, que quelqu'un fasse vivre cette idée. Qui mieux que le président de la République peut le faire ? Et je trouve qu'en plus...J'étais présent au dîner du CRIF, et il y avait, là, différentes confessions qui étaient aussi présentes. Et je peux vous dire que la façon dont ça a été ressenti, l'a été de façon très positive.
Q.- Sur le terrain des municipales, entre les listes dissidentes d'un côté, les listes UMP qui retirent l'étiquette UMP par peur, de l'autre, est-ce qu'il n'y a pas...
R.- "Les listes dissidentes", à gauche, parce que, j'ai regardé de près, il y a beaucoup plus de dissidences à gauche qu'il n'y en a à l'UMP, mais on ne parle que de celles de l'UMP, c'est bizarre quand même !
Q.- Est-ce qu'au sein de l'UMP il n'y a pas un peu une frénésie suicidaire, comme disait P. Lellouche, il n'y a pas un vent de panique ?
R.- Non, je crois que, là aussi, il faut garder son sang-froid. Des élections intermédiaires pour un Gouvernement en place, ça n'est jamais la chose la plus facile au monde. Une chose est certaine, si notre électorat est mobilisé, les élections et les résultats seront équilibrés. Et je note sur le terrain, j'étais ce week-end et vendredi dernier, notamment dans la région Rhône-Alpes, il y a aujourd'hui davantage de mobilisation qu'il y a quelques semaines. On voit bien que pour beaucoup de ceux qui ont souhaité le changement l'an dernier, ils se disent aujourd'hui qu'il faut conforter cette marche en avant de notre pays.
Q.- Conforter cette marche en avant, changer dans le changement, ça veut dire un profond remaniement après les municipales ?
R.- Non, je ne suis pas dans la politique fiction, je suis acteur des réformes, je ne suis pas commentateur des petites phrases de différentes...
Q.- Vous ne sentez pas cette nécessité au-delà des petites phrases pour les réformes, de reformater le périmètre des ministères ?
R.- Non, je crois que ce qui est surtout important, c'est de bien montrer aux Français que nous avons compris leur message. Ils sont impatients, ils sont exigeants, ils ont raison. Ils ont voté justement pour qu'on puisse prendre en compte leurs exigences. La seule chose c'est que nous ministres, nous devons faire des textes plus courts encore, des textes plus simples encore, aller plus vite encore dans les résultats et surtout expliquer ce que nous faisons, mieux encore.
Q.- Vous êtes considéré comme "premier ministrable", comment le vivez-vous ?
R.- Je vous ai dit que je n'avais pas de goût pou la science fiction, ni pour la politique fiction.
Q.- C'est un statut, vous êtes "premier ministrable" ?
R.- Non, non, ce n'est pas un statut. Le statut et la fonction aujourd'hui qui sont les miens, c'est ministre du Travail. Et j'ai du goût...
Q.- C'est pour cela que Sarkozy vous emmène à Bordeaux, pour parler de la sécurité ? Il y a un peu plus que le ministre du Travail.
R.-... j'ai du goût, j'étais aussi à Gandrange, j'étais aussi dans différentes entreprises, comme je suis, régulièrement. J'ai du goût pour les réformes difficiles, paraît-il, difficiles. J'ai du goût pour justement remettre la société, la société qui est la nôtre en mouvement. Regardez cette année, la réforme des retraites, la réforme de la dépendance, la mise en place d'un risque dépendance, la mise en place du droit opposable à la garde d'enfants, sur tous ces sujets, on a besoin de transformer la France. Eh bien, le ministère du Travail c'est vraiment un beau ministère.
Q.- Vous avez quand même évoqué votre avenir avec N. Sarkozy ?
R.- Non.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 18 février 2008