Texte intégral
J.-J. Bourdin.- Est-ce que le Président de la République doit se ressaisir ? Je vous pose cette question, doit-il se ressaisir ?
R.- Je ne comprends pas votre question.
Q.- Mais si, doit-il se ressaisir ? Est-ce qu'il manque de sang-froid ?
R.- Est-ce qu'il doit continuer à saisir tous les problèmes à bras-le-corps comme il le fait ? Bien sûr que oui, bien sûr que oui.
Q.- Est-ce qu'il manque de sang-froid ?
R.- Je crois justement qu'il a tout le sang-froid nécessaire pour faire face aux crises que l'on peut traverser. On revient quelques mois en arrière ?
Q.- Non, je voudrais quand même, avant que vous ne dirigiez cette interview...
R.-...Vous m'avez posé la question.
Q.- C'est moi qui pose les questions, alors je vous pose une question simple...
R.- Vous m'avez posé une question, je vais y répondre très simplement...
Q.- ...Est-ce qu'il faut répondre aux provocations ? Je fais allusion à ce qui s'est passé samedi au Salon de l'agriculture. Devait-il répondre aux provocations ? Est-ce le rôle d'un président de la République de répondre aux provocations ?
R.- J'en ai marre de ce système qui est complètement insensé où on ne retient que cinq secondes de cette visite au Salon de l'agriculture. Il prononce un discours qui est fondateur pour l'agriculture, il ne se moque vraiment pas des agriculteurs, il les respecte, il leur parle de ce qu'il va faire pendant la présidence française de l'Europe, il parle de la refondation de la PAC, c'est-à-dire l'avenir de l'agriculture. Et qu'est-ce qu'on retient ? Cinq secondes ! Et ces cinq secondes, je voudrais aussi qu'on en parle : on n'a pas le droit, dans ce pays, d'humilier le président de la République. Que ce monsieur refuse de lui serrer la main, c'est vexant, mais les propos...
Q.- C'est son choix !
R.- C'est son choix. Mais les propos qu'il a tenus, là ça n'est pas vexant, c'est blessant. Et il n'y a que dans ce pays où quand quelqu'un, justement, humilie le président de la République, on ne prend pas ça en considération. Et en plus, je vous le dis, de prendre en permanence par le petit bout de lorgnette de ce sujet, deux heures au Salon de l'agriculture et cinq secondes qui sont retenues, ce système marche sur la tête ! Vous avez parlé de sang-froid...
Q.-... Alors, X. Bertrand...
R.- Non, J.-J. Bourdin...
Q.- Allez-y !
R.- Revenons quelques mois en arrière, les régimes spéciaux, la réforme des régimes spéciaux : le Président de la République n'a pas montré tout le sang-froid nécessaire pour justement que l'on puisse à la fois dialoguer et montrer qu'on était déterminés et aller au bout de cette réforme ? Sur la scène internationale, il ne fallait pas du sang-froid pour remettre en route l'Europe comme il a su le faire, alors que cela faisait des mois et des mois que c'était complètement enlisé à cause du "non" français ? Merci de le reconnaître !
Q.- Je voudrais revenir en quelques mots, simplement pour rétablir une vérité quand même, c'est qu'on a parlé du discours de N. Sarkozy...
R.- Très, très peu.
Q.- Pardon, on en a parlé ! On a parlé de l'inscription au patrimoine de l'Unesco de la cuisine française, on en a même beaucoup parlé. Et en ce qui concerne cette altercation, c'est arrivé dimanche sur le site du Parisien et c'est vrai que depuis dimanche on en parle. On en parle pourquoi ? Eh bien, parce que la morale et la politesse ont été mises à l'honneur cette semaine, par le Président de la République lui-même et son ministre de l'Education nationale dans le cadre de l'école primaire, de l'enseignement qu'il faudra donner à l'école primaire. Peut-être est-ce pour ça que ça a pris tant d'ampleur, non ?
R.- C'est surtout parce que le président de la République ne joue pas un rôle, le président de la République ne fait pas semblant, il ne se laisse pas insulter. C'est vrai que ce n'est pas comme les présidents...
Q.- C'est-à-dire que F. Mitterrand, C. de Gaulle ou J. Chirac se laissaient insulter ?
R.- Est-ce qu'ils allaient au contact comme le fait N. Sarkozy ? Vous savez bien que la réponse est non.
Q.- Ah, J. Chirac, si, partout !
R.- Vous savez bien qu'on est dans un autre style de présidence avec, aujourd'hui, une volonté des Français que le Président soit en première ligne, qu'il soit totalement engagé.
Q.- C'est B. Laporte qui disait la semaine dernière, "il ne faut pas répondre aux provocations", c'est lui-même qui disait cela en parlant de ce qui s'était passé dans les tribunes du stade de Metz.
R.- Et est-ce qu'il faut laisser, aujourd'hui, le chef de l'Etat se faire insulter par une attitude profondément blessante comme ça été le cas ?
Q.- C'est la question que nous posons ce matin sur RMC, les réponses sont très équilibrées.
R.- Mais je vous remercie aussi de poser cette question aujourd'hui parce que pendant plus de 24 heures, on a eu un déferlement où, franchement, il fallait être très attentif pour se souvenir que le président de la République avait parlé de l'avenir de l'agriculture ou de l'inscription en patrimoine mondial...
Q.- C'est une victime le président de la République aujourd'hui ?
R.- Je crois qu'aujourd'hui un certain nombre d'acteurs, notamment politiques, et je pense aux socialistes, ont décidé de cibler le Président...
Q.- Ou à D. de Villepin...
R.-...Ont décidé de cibler le président de la République. Pourquoi ? Pour faire oublier que les premiers résultats de notre action sont aujourd'hui en train d'arriver et comme ça les dérange de voir que le programme de changement, qui a été voulu par les Français l'an dernier, est en train de se dérouler, eh bien on cherche à faire diversion. C'est la stratégie de l'écran de fumée. On en a eu un autre exemple avec la décision du Conseil constitutionnel et la volonté du président de la République.
Q.- Voilà, j'allais vous poser la question, est-ce que le président de la République peut remettre en cause une décision du Conseil constitutionnel ?
R.- Mais jamais il n'a été question de ça ! Qu'est-ce que c'est que ce procès...
Q.-... Non, mais je vous pose simplement la question, on ne va pas dire "procès" ou "pas procès", moi je vous pose une question précise : pourquoi faire appel au premier président de la cour de cassation ?
R.- Pour chercher des solutions, pour éviter que ce texte attendu par les Français, voulu par les Français, celui présenté par R. Dati, ne s'applique complètement qu'en 2023. Parce que regardons les choses...
Q.- C'est-à-dire remettre en cause la décision du Conseil constitutionnel.
R.- Ce n'est pas cela. Le président de la République, il est à la fois le gardien des institutions, c'est vrai, il est aussi le gardien des intérêts des victimes. Il est enfin temps qu'on parle un peu plus des victimes dans ce pays !
Q.- Savez-vous - et j'avais A. Levade, qui était professeur de droit constitutionnel, en direct il y a quelques minutes - savez-vous que le premier président de la cour de cassation n'est pas du tout dans sa compétence ?
R.- Mais là, ce n'est pas la cour de cassation qui est saisie, c'est le premier président es qualité, c'est-à-dire l'homme indépendant par nature et par construction, qui est saisi. Pourquoi ? Pour trouver des solutions. Il est, vous le savez, d'une rigueur totale, donc il ne faut certainement pas lui demander de chercher à contourner qui que ce soit ou quoi que ce soit, ce n'est d'ailleurs pas dans les intentions de qui que ce soit. Mais rendez-vous compte qu'au moment où le Président de la République prend acte de la décision du Conseil constitutionnel et qu'il cherche justement des solutions pour ce que texte attendu ne s'applique pas en 2023, mais s'applique maintenant...
Q.- Et donc qu'on passe au-dessus des décisions du Conseil constitutionnel.
R.- Mais je viens de vous expliquer exactement le contraire ! C'est que vous avez une décision, qu'est-ce que vous dites aux Français ? Nous ne voulons plus qu'il y ait des monstres qui soient remis en liberté, qui ont violé, qui ont torturé, ou qui ont tué, parce que la société a aussi besoin de se protéger et les victimes ont besoin d'être protégées. Et là, excusez-moi, je ne réagis pas seulement en tant que ministre, mais aussi en tant que père, moi, franchement, je sais qu'il y a les droits, les droits effectivement des personnes qui ont été condamnées, qui ont purgé leur peine, mais aussi il y a les droits des victimes ! Et vous ne pouvez pas reprocher au président de la République, sur un dossier comme celui-ci, de chercher des solutions pour éviter justement qu'un monstre soit remis en liberté.
Q.- C'est-à-dire qu'il y a une loi qui est votée, le Conseil constitutionnel recale une partie de la loi, le président de la République dit, "ah non, je ne veux pas savoir, moi cette loi je veux qu'elle soit appliquée"...
R.- Non, soyons précis....
Q.- Si j'ai bien compris - je vous pose une question précise -, le Président de la République veut que cette loi soit appliquée immédiatement dans son ensemble ? Oui ou non ?
R.- Pour pouvoir protéger les victimes.
Q.- Donc, on est bien d'accord.
R.- Pour pouvoir protéger les victimes.
Q.- Oui ou non, est-ce que le président de la République veut que cette loi soit appliquée immédiatement à tous les criminels considérés comme dangereux ?
R.- Vous voulez que je vous dise ?
Q.- Oui ou non ?
R.- J'ai même le sentiment qu'il y a 64 millions de Français qui le souhaitent également.
Q.- Mais je vous pose la question !
R.- Mais je viens de vous répondre.
Q.- Non, vous ne me répondez pas.
R.- Si !
Q.- Vous ne me répondez pas, vous dites, "j'ai le sentiment que les Français..."
R.- Je n'ai pas le sentiment, j'en suis certain.
Q.- Je vous demande est-ce que le président de la République veut, oui ou non, que cette loi soit appliquée immédiatement ?
R.- Et pour le faire, qu'est-ce qu'il fait ? Il demande...
Q.- Vous ne me répondez pas !
R.- Si ! On ne cherche, ni à contourner vos questions
Q.- Est-ce qu'il veut que cette loi soit appliquée immédiatement ?
R.- Il ne cherche ni à contourner le Conseil constitutionnel, ni moi à contourner vos questions. Je pense avoir été clair. Oui, nous souhaitons que ça puisse s'appliquer avant 2023. Maintenant, pour cela, qu'est-ce que l'on fait ? Bien sûr qu'il y a cette décision du Conseil constitutionnel, nous sommes dans un Etat de droit, chacun en a conscience, il est le gardien des institutions, mais reconnaissez que vous n'allez pas dire non plus aux Français, "écoutez, nous avons essayé, la réponse est "non", tant pis pour vous, et nous espérons qu'il n'y aura pas de monstre remis en liberté.
Q.- La réponse est en partie non...
R.- C'est-à-dire ?
Q.- C'est-à-dire qu'il y a une partie de la loi qui a été censurée par le Conseil constitutionnel.
R.- Mais, attendez, ce qu'il faut bien valider aussi c'est que cela montre bien que cette loi était à la fois attendue et importante, elle est validée en grande partie, mais la seule chose, c'est que nous ne voulons pas que cela puisse attendre quinze ans avant de s'appliquer. Bien sûr, qu'il y a la question de ceux qui pourraient être condamnés maintenant, mais ceux qui pourraient être remis en liberté... Mais, là aussi, c'est une question de bon sens...
Q.- Pardon, ceux qui pourraient être condamnés maintenant, pardon, sortiront avec un bracelet électronique.
R.- Oui, mais c'est ce que je viens de vous dire mais le problème, ce sont ceux qui ont été déjà condamnés. Vous savez que c'est un sujet... Là aussi, il a été bien souvent émotionnel ce sujet. Ce que l'on veut, c'est poser à plat un nouveau dispositif juridique, une nouvelle loi, pour éviter que des drames ne se reproduisent. Voilà la conviction du président de la République.
Q.- Mais vous avez une nouvelle loi, le Conseil constitutionnel a censuré une partie de cette loi, vous vous dites "nous voulons que cette loi soit appliquée immédiatement, quel que soit l'avis du Conseil constitutionnel". C'est ce que je comprends, c'est ce que tout le monde comprend.
R.- Ce que nous voulons prendre en compte également, c'est le fait que si quelqu'un ne veut pas se soigner à la sortie de prison, qu'est-ce qu'on fait ? On le laisse comme ça en liberté ? Je vous pose la question.
Q.- Je ne vais pas me prononcer, ce n'est pas mon rôle, moi, sur le fond de la loi.
R.- On a tous un avis sur cette question, vous le savez.
Q.- Ce n'est pas mon rôle, c'est le vôtre, je ne suis ni ministre, ni chef de l'Etat et je ne le serai jamais. Donc chacun son rôle.
R.- Mais on est tous citoyens, et on sait bien aussi que sur ces questions-là, ce que souhaite le Président c'est qu'on trouve des solutions. Le Conseil constitutionnel rend sa décision, soit. Maintenant, nous cherchons avec quelqu'un qui est qualifié pour ça, les solutions pour quand même permettre de protéger les victimes, de protéger la société. Qui est-ce qui peut nous le reprocher ? Uniquement ceux qui cherchent à ériger un rideau de fumée et de laisser croire qu'il y aurait aujourd'hui une remise en cause de la loi. C'est totalement faux !
Q.- Oui, j'ai même entendu que "les opposants à la loi se rangent du côté des assassins", j'ai même entendu cela dans la bouche d'un député UMP, du porte-parole de l'UMP. Vous êtes d'accord, les opposants à la loi se rangent du côté des assassins ?
R.- Chacun ses propos, mais moi je ne veux pas de ce rideau de fumée aujourd'hui qui cherche à laisser dire que le Président voudrait contourner la décision du Conseil constitutionnel, c'est archi faux ! Mais par contre, on ne peut pas reprocher au Président de chercher à faire bouger les choses dans un sens souhaité par les Français. Et puis, en plus, ce texte, pendant la campagne présidentielle, on en a parlé, les Français l'ont largement voulu, et on est largement au-delà des débats droite-gauche. Vous n'allez quand même pas reprocher à un homme qui est en charge de la France et de l'intérêt des Français de chercher des solutions ? Et pourtant, c'est ce que j'ai cru voir pendant le weekend.
Source : Premier ministre, Servie d'Information du Gouvernement, le 25 février 2008