Entretien de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, avec la Palestinian Broadcasting Corporation (PBC)le 16 février 2008 à Ramallah, sur la mise en oeuvre du processus de paix israélo-palestinien prévue par la Conférence d'Annapolis et le versement de l'aide financière internationale pour le financement de l'Etat palestinien.

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Circonstance : Voyage de Bernard Kouchner au Proche-Orient les 16 et 17 février 2008 : déplacement en Palestine le 16 à Ramallah

Texte intégral

Q - Aujourd'hui, vous avez appelé les pays donateurs qui se sont engagés lors de la Conférence de Paris à apporter de l'aide financière à l'Autorité palestinienne, à transformer les paroles en actes. Cela veut-il dire que la Conférence de Paris qui a été un succès pour vous et votre pays rencontre des difficultés ?
R - Cela veut dire que nous n'allons pas assez vite. Cela veut dire qu'il ne suffit pas d'avoir l'argent. Il faut une volonté commune pour que cet argent passe dans des projets qui puissent changer la vie quotidienne des palestiniens. C'était le but du plan que le Premier ministre, M. Salam Fayyad, a soumis à la Banque mondiale, que nous avons accepté et que nous devons mettre en application. C'est malheureusement cela qui tarde.

Q - A ce sujet vous avez également réaffirmé que l'établissement d'un Etat palestinien indépendant est une condition pour atteindre la paix et vous avez appelé au gel de la colonisation en Cisjordanie et au démantèlement des colonies sauvages, pensez-vous qu'il est encore possible d'arriver à un règlement final en 2008 ?
R - Je l'espère. Si cela ne tenait qu'aux représentants de la Conférence des donateurs - à Tony Blair, à la Commission européenne, à M. Jonas Stoere ou à la France -nous le ferions volontiers mais, malheureusement, cela ne tient pas qu'à nous.
Vous avez raison de parler de la colonisation. Nous avons insisté, et nous insisterons encore, auprès de nos amis israéliens pour que la colonisation soit bloquée, interdite, terminée. Il nous a été répondu, pour le moment, que les nouveaux permis devenaient illégaux ; c'est une victoire ! Il n'empêche qu'il y a encore des colonies qui se développent, mais le fait que le Premier ministre, M. Ehud Olmert, ait promis à M. Abu Mazen, à l'Autorité palestinienne, de geler, de rendre illégaux tous les nouveaux permis, est un petit progrès. Je pense qu'il faut le reconnaître. Mais cela ne suffit pas, il faut aller plus vite.

Q - Mais la réalité sur le terrain est qu'il y a de nouvelles colonies comme l'a annoncé le gouvernement israélien il y a deux jours, en particulier autour de la ville de Jérusalem, ce qui signifie qu'il n'y a pas d'engagement israélien.
R - Oui, je connais cet argument, qui semble juste, mais je pense qu'il s'agit des nouveaux permis qui sont bloqués. Ceux qui avaient été autorisés, d'après nos amis israéliens - et je crois que nos amis palestiniens ont reçu la même réponse - ne peuvent pas être complètement gelés parce qu'ils avaient été délivrés et que la loi israélienne ne permettrait pas de les bloquer.
Tout cela est quand même une affaire de volonté politique de part et d'autre. Est-ce qu'il y a une volonté de paix de part et d'autre ? Est-ce que je le crois encore ? Personnellement, je le crois encore même si je regrette que ce soit si lent. Après tout, ayons un peu d'espoir. Il y a six mois, il était impossible de penser tout cela. Et quand je parle des Palestiniens, je pense aux Palestiniens de Gaza comme à ceux de Cisjordanie.

Q - Aujourd'hui vous avez visité Bethléem, ainsi que la vieille ville de Jérusalem. Vous avez rencontré des personnalités et des hommes d'affaires palestiniens et vous avez appelé les touristes à revenir à Bethléem mais également dans le reste des Territoires palestiniens. Vous avez déclaré espérer revenir dans quelques mois dans un Etat palestinien indépendant et libre. Ces paroles donnent de l'espoir aux Palestiniens, sur quoi vous êtes-vous basé ?
R - Cela s'appelle l'espoir, cela s'appelle la paix, cela s'appelle la bonne volonté, cela s'appelle l'obstination. C'est surtout nécessaire de la part des Palestiniens et des Israéliens. Toutes les guerres se sont terminées par des paix, nous le savons très bien, nos amis palestiniens comme nos amis israéliens. Nous sommes les amis des deux camps et nous pouvons leur parler franchement.
Nous savons qu'il n'y a pas d'autre chemin et que cela finira, par nécessité établie, par la construction d'un Etat palestinien indépendant, viable, aidé dans ses structures, son administration, son développement par la communauté internationale.
Ce que nous ne savons pas, c'est encore combien de temps et combien de morts. Mais les Palestiniens et les Israéliens se rencontrent très souvent, vous le savez bien, et sont persuadés que cela va se passer comme cela. Alors pourquoi, grand dieu, attend-on encore ? On sait que c'est la solution. L'immense majorité d'Israël comme de la Palestine souhaite cela. Vous savez comment s'appelle la Conférence de Paris ? Conférence pour l'Etat palestinien. Pour la première fois, nous disions l'Etat palestinien, alors faisons-le !

Q - Monsieur le Ministre, pour nous Palestiniens il y a deux questions extrêmement importantes qu'il faut surmonter pour que le peuple palestinien puisse jouir d'un minimum de liberté de circulation et vivre dignement. Premièrement : cessez les agressions quotidiennes d'Israël en Cisjordanie et Gaza. Deuxièmement : le coup d'Etat du Hamas à Gaza. Quelle est l'opinion de la République française à ce sujet ?
R - Gaza, c'est un problème en soi, avec des conditions de vie épouvantables pour les habitants, avec des conditions de vie de plus en plus difficiles, de plus en plus précaires pour les besoins élémentaires : pour l'eau, bien sûr, pour la nourriture, pour les médicaments. Cela n'est pas supportable.
La position de la France est très claire : nous continuons d'aider la population de Gaza. Mais cela n'est pas suffisant, il faut une solution politique. Je pense que les contacts se poursuivent entre l'Autorité palestinienne et le Hamas. Ce n'est pas directement notre affaire. Nous pouvons seulement souhaiter que ces contacts soient productifs. Nous pouvons aider mais l'aide humanitaire ne suffit pas, il faut un règlement politique. C'est un problème politique auquel il faut un règlement politique.
Vous me direz que les Israéliens, qui reçoivent entre 10 et 50 roquettes tous les jours, sont fondés à dire : "cela ne sert à rien que nous ayons évacué Gaza" - car ils ont évacué Gaza, peut-être trop vite, peut-être sans négociation, mais ils ont évacué Gaza, ils ont tout détruit, y compris les synagogues.
Il y a une solution positive qui passe, peut-être, par une entente provisoire, un cessez-le-feu des deux côtés. Mais, en tous cas, je sais que le peuple palestinien n'est pas d'un côté, les habitants de Gaza et, de l'autre, les "bons" en Cisjordanie : c'est plus compliqué.
Mais le fondement, c'est clair, c'est l'espoir. Nous savons bien, encore une fois, qu'avec Gaza - puisque M. Abu Mazen parlait de référendum et le Premier ministre, Salam Fayyad, parlait de contact - c'est aux Palestiniens de s'entendre, on en est tous là.
Nous savons que la solution, c'est un Etat palestinien indépendant, il n'y en a pas d'autre. C'est la seule solution à la sécurité de nos amis israéliens. Désolé d'être si répétitif mais c'est comme cela. En dehors de cela, je ne vois rien, en dehors de cela, il n'y a plus d'espoir.
Regardez où nous en étions, il y a un an. Puis il y a eu le processus d'Annapolis. Nous, les Français, l'avons saisi au vol et nous avons fait la Conférence de Paris. Succès économique, certes, mais succès politique aussi. On a parlé beaucoup plus politique à la Conférence de Paris qu'on en avait parlé à Annapolis. Est-ce que c'est suffisant ? Non, ce n'est pas suffisant. Mais il faut que le plan du Premier ministre Salam Fayyad passe dans l'action, dans la transformation de la vie quotidienne. Il faut que les Palestiniens sachent que cela peut aller mieux pour eux et, donc, des projets sont déjà présentés aux Palestiniens. Ces projets seront également présentés aux Israéliens en leur disant : "faisons-le ensemble".

Q - Cela veut-il dire que le dossier économique devancera à long terme le dossier politique ?
R - Je pense souvent que les économistes sont plus intelligents que les hommes politiques. Vous savez, les industriels palestiniens rencontrent les industriels israéliens et ils se connaissent très bien. Donnez-leur la possibilité de trouver un règlement politique et ils vont le trouver.
Les hommes politiques sont, surtout en Israël mais en Palestine aussi, pris dans les affaires intérieures et ces affaires intérieures pèsent évidemment sur les décisions politiques. Pour régler un problème politique, surtout en démocratie, il faut avoir conscience que ce sont la société civile, les économistes, les industriels, les gens de la vie quotidienne, qui doivent s'exprimer. Ils doivent faire entendre leur voix, ils doivent dire "Khalas" (Finissons).

Q - Eloignons-nous quelque peu de la situation en Palestine et Israël, pour évoquer d'autres questions. Nous savons que l'Union européenne et la France entretiennent des contacts avec l'Iran, afin peut-être de servir d'intermédiaires pour éviter les frappes contre l'Iran sur le dossier nucléaire. Pensez-vous que la diplomatie aboutisse ?
R - Je crois que, actuellement, il n'y a pas de danger immédiat mais, évidemment, il faut éviter les confrontations. Il est évident qu'il y a des gens qui pensent qu'il y aurait une solution militaire. La France ne pense pas cela du tout, au contraire.
Nous avons proposé, depuis longtemps, aux Iraniens de dialoguer et nous avons eu beaucoup de contacts. Pour le moment, nous ne nous sommes pas assez entendus.
Vous le savez, un document signé par les cinq membres permanents du Conseil de sécurité, plus les Allemands - c'est-à-dire les Russes, les Chinois, les Américains, les Anglais, les Allemands et les Français - a été présenté au Conseil de sécurité des Nations unies. Il s'agira de la troisième résolution, je l'espère, si on arrive à se mettre d'accord. Les six sont déjà d'accord, ce qui est un signe d'unité et un signe politique très important.
Pendant ce temps-là, nous offrons toujours le dialogue et dans ce document, le dialogue est très clairement évoqué.
Je pense que rien ne se passera sans qu'on ne reconnaisse la place de l'Iran, la grande place de l'Iran, dans cet endroit du monde, le Moyen-Orient et, aussi, de l'autre côté de l'Iran, vers l'Asie, vers le Pakistan, vers l'Afghanistan, etc. C'est une énorme civilisation, une très ancienne civilisation que la civilisation iranienne, il faut lui donner sa place.
Le gouvernement iranien fait des déclarations que nous ne pouvons pas accepter, en particulier sur l'existence de l'Etat d'Israël. Nous ne pouvons pas accepter cela, nous ne l'accepterons jamais. Mais cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas dialoguer.

Q - Vous serez dans doute d'accord avec moi Monsieur le Ministre sur la nécessité d'un dialogue sur un autre dossier : les tambours de la guerre commencent à retentir sur le front israélo-libanais ; après les événements récents, si la guerre éclate cela menace toute la région, mais aussi la paix mondiale : la France pense-t-elle intervenir pour éviter une guerre ?
R - Vous me posez décidément les questions les plus difficiles.
Je ne sais pas quelle est la solution de la crise libanaise, sauf la bonne volonté affichée de toutes les communautés libanaises de s'entendre sur un candidat commun pour l'élection présidentielle qui est déjà retardée de mois en mois. Pour cela, il faut une preuve de bonne volonté et pour le moment, nous n'assistons qu'à des preuves de renforcement et peut-être même de danger de confrontation là encore.
Nous sommes désolés, nous avons essayé tout ce que nous avons pu. La Ligue arabe a essayé après la France, la "French initiative" et puis l'initiative de la Ligue arabe, et aussi les Saoudiens. Pour le moment, cela ne réussit pas. C'est très désolant pour nos amis libanais. Encore une fois, la France est l'amie de toutes les communautés libanaises, nous n'avons pas de préférence chez les chiites, chez les sunnites, chez les chrétiens. Tous doivent s'entendre s'ils veulent que le Liban survive.
Les dangers viennent de l'extérieur, mais si au moins, à l'intérieur, il y avait une entente minimum, ce serait bien. Or vous l'avez dit, il y a le Hesbollah qui se réarme, il y a les influences de la Syrie, de l'Iran, des pays occidentaux aussi bien sûr. Et tout cela n'est pas de nature à apporter la paix pour le moment.
Je ne suis pas très optimiste pour le Liban, à court terme, mais il y a un gouvernement qui a été chargé, officiellement et selon la constitution libanaise, de diriger le pays, c'est le gouvernement de M. Fouad Siniora. Il faut le soutenir et nous le soutenons, l'Union européenne et la France, en particulier.

Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 février 2008