Déclaration de Mme Rama Yade, secrétaire d'Etat aux affaires étrangères et aux droits de l'homme, sur la lutte en faveur du respect des droits de l'homme dans le monde, à Genève le 3 mars 2008.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Conseil des droits de l'homme, à Genève (Suisse) le 3 mars 2008

Texte intégral

Monsieur le Président
Monsieur le Secrétaire général,
Madame le Haut Commissaire,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs,
Ce qui nous réunit tous ici, c'est un principe supérieur, un intérêt supérieur qui transcende toutes nos différences, celui de l'Homme, quelle que soit son origine, quelle que soit son appartenance nationale.
Oui, les Hommes naissent libres et égaux en droits. Cette affirmation que la France a portée en 1789 est toujours une idée neuve. Un jour de cette année là, mon pays a proclamé ce principe révolutionnaire : "liberté, égalité, fraternité". Révolutionnaire, car c'est au nom de ce principe que chaque jour, dans tous pays, des hommes et des femmes se battent pour leur liberté. C'est un motif de fierté pour mon pays, mais aussi une responsabilité.
C'est au nom de cette conviction profonde et inébranlable, c'est au nom de cette constance que je m'adresse à vous. Avec une solennité particulière aussi, puisqu'aujourd'hui, en cette année 2008, près de 60 ans se sont écoulés depuis la proclamation au palais de Chaillot de la déclaration universelle des Droits de l'Homme, le 10 décembre 1948. La France porte une responsabilité particulière : la déclaration a été signée à Paris, sa rédaction doit beaucoup à un Français, René Cassin, qui a oeuvré aux côtés d'Eleanor Roosevelt à l'élaboration de cette charte de l'humanité. A la veille de la présidence française de l'Union européenne, la France sera à nouveau en première ligne. Notre voeu, c'est que tous ensemble, nous célébrions et portions cet événement. Il ne s'agit pas pour quiconque d'asséner des positions au nom d'une prétendue supériorité morale. La France ne prétend pas donner des leçons au monde. Mais cela ne doit pas nous interdire de rappeler nos convictions profondes en matière de Droits de l'Homme.
C'est donc avec émotion et gravité que je m'adresse aujourd'hui au Conseil des Droits de l'Homme, coeur battant des Nations unies. Le monde entier a les yeux braqués sur nous aujourd'hui. L'attente est forte. Les exigences élevées. Notre responsabilité, immense, grandiose. Nous devons être à la hauteur de ces enjeux. A l'heure où le peuple birman sort de l'ombre pour réclamer ses droits. A l'heure où le Darfour reste une priorité. A l'heure où le Proche-Orient se crispe. Ce sont des vies humaines qui sont en jeu. C'est la crédibilité de nos principes et de leur universalité qui est à l'épreuve. Du Conseil des Droits de l'Homme, les sociétés civiles attendent la justice, l'équilibre, la défense de l'honneur de l'humanité. Le Conseil des Droits de l'Homme n'est pas une instance de plus. Le Conseil des Droits de l'Homme n'est pas un instrument de la bonne conscience. Le monde en attend le meilleur.
Il y a trois ans, Kofi Annan avait lancé l'idée. Il donnait une impulsion décisive, nécessaire en nous invitant à "attacher à la cause des Droits de l'Homme la même importance qu'à celles de la sécurité et du développement". Le Conseil des Droits de l'Homme est né de cette aspiration. Les chefs d'Etat et de gouvernement réunis en Sommet mondial en septembre 2005 décidaient de le créer avec la "volonté de renforcer les mécanismes de l'Organisation des Nations Unies dans le domaine des Droits de l'Homme". Ils "renouvelaient leur engagement à défendre et promouvoir activement les Droits de l'Homme, l'état de droit et la démocratie". Ils martelaient que "l'universalité de ces droits et libertés ne saurait être mise en question". Ces engagements sont notre feuille de route commune, notre repère, l'essentiel, là où il faut toujours revenir. A cet égard, je souhaite remercier vivement Louise Arbour de nous orienter, avec sa belle constance, sur cette route.
Trois après le message de Kofi Annan, où en est le Conseil des Droits de l'Homme ? Avons-nous été à la hauteur ?
Nous devons nous poser cette question, car nous n'avons pas le droit de décevoir. Nous ne pouvons rester impassibles face aux violations des Droits de l'Homme. Nous le devons à nos peuples, aux défenseurs des Droits de l'Homme, souvent anonymes, qui luttent, avec abnégation et parfois au péril de leur vie ; nous le devons aux victimes de violations, qui souffrent, parfois dans un silence assourdissant, sous la chape de plomb des répressions et des violations.
L'heure du bilan peut-elle sonner maintenant ? Assurément non, car le Conseil des Droits de l'Homme n'a que deux ans d'existence : il est tout jeune, et donc perfectible.
Nous l'avons d'ores et déjà doté des outils nécessaires pour jouer pleinement son rôle de protection et de promotion des Droits de l'Homme partout dans le monde.
Les sessions spéciales sur le Darfour et la Birmanie ont démontré la capacité de réaction du Conseil face à des crises. Elles font écho au courage des bonzes, des milliers d'anonymes qui sont descendus dans les rues birmanes braver la dictature des généraux birmans. Mais encore faut-il qu'elles soient suivies d'effets concrets. Cela passe par une coopération pleine et entière des gouvernements birman et soudanais avec les mécanismes spéciaux et la mise en oeuvre de leurs recommandations. Celles du rapporteur spécial sur la Birmanie qui appelle notamment à la libération des prisonniers politiques. Celles du groupe d'experts pour le Darfour, en particulier sur l'accès humanitaire et la lutte contre l'impunité.
Nous n'en avons pas fini avec ces exigences-là que l'actualité nous rattrape. Les derniers développements en Israël et dans les Territoires palestiniens suscitent une très grande émotion et demandent toute l'attention de la communauté internationale. Il n'est pas acceptable que des Israéliens meurent sous les roquettes du Hamas. Mais il n'est pas acceptable non plus que des dizaines de civils palestiniens soient les victimes des incursions militaires israéliennes. La population civile à Gaza ne peut continuer à être punie collectivement. Face à la violence, nous devons éviter l'escalade. Le CDH ne peut ignorer cette situation. Il doit la traiter de façon équilibrée, juste, en ayant le souci de tous et la volonté de progresser. Le rôle du Conseil des Droits de l'Homme est d'en appeler à l'apaisement et au dialogue pour la paix.
Notre mobilisation à l'occasion d'une crise ne doit pas non plus être sans lendemain. C'est à l'honneur de ce Conseil de s'intéresser sur le long terme à l'évolution des situations les plus préoccupantes. C'est à son honneur de le faire sur la base de rapports et de recommandations d'experts indépendants. Ceux-ci sont nos yeux et nos oreilles. Ils nous aident à comprendre et agir. Pour les victimes et les défenseurs des Droits de l'Homme, ils représentent l'espoir d'être enfin entendus, enfin compris. Ils sont absolument vitaux.
Tout en évitant une bureaucratisation excessive de nos instances, nous devons renforcer ces rapporteurs, experts et groupe de travail que nous avons créés. La France est particulièrement attachée, dans le cadre de cette session, au renouvellement des mandats sur la Birmanie, la Corée du Nord et la République démocratique du Congo, ainsi que des mandats relatifs aux défenseurs des Droits de l'Homme, à la liberté d'expression, à la torture, aux disparitions forcées et aux violences contre les femmes. Nous ferons d'ailleurs de la lutte contre les violences faites aux femmes une des priorités de notre présidence de l'Union européenne. Je tiens à réaffirmer aussi l'engagement de la France en faveur de la lutte contre l'extrême pauvreté, atteinte profonde à la dignité humaine. Autre atteinte intolérable : l'odieuse pratique des disparitions forcées qui ne peut plus être tolérée, nulle part dans le monde. La France appelle à l'entrée en vigueur rapide de la convention qui vise à les prévenir. Elle fait naturellement tous les efforts pour ratifier au plus vite cette convention, qu'elle a initiée et qui a été signée à Paris il y a maintenant un an.
Un autre défi qui attend ce Conseil est la mise en oeuvre de l'examen périodique universel. Cet examen de tous les Etats, sans exception, par leurs pairs, est un mécanisme sans précédent, nous devons en faire le meilleur usage. Il doit permettre, avec l'Etat concerné, d'identifier en toute transparence les lacunes et d'accomplir des progrès, là où ils sont nécessaires. Car aucun Etat ne peut se prévaloir d'une situation parfaite des Droits de l'Homme. La France, qui a souhaité s'y soumettre rapidement, a entrepris une large consultation de tous les acteurs concernés, notamment de la société civile, pour se préparer à l'échéance importante que constitue son examen prochain.
Le même souci d'universalité de notre démarche doit nous inspirer pour le suivi de la conférence de Durban. C'est de toutes les formes de racisme qu'il doit être question, tant il est vrai qu'aucune de nos sociétés n'est exempte de ce fléau. Ce n'est pas en nous dressant les uns contre les autres, en privilégiant une approche partielle et partiale, que nous lutterons efficacement contre ce mal. Nous devons nous concentrer dans le cadre de l'Assemblée générale et au siège des Nations unies, sur la mise en oeuvre des engagements pris.
Les dérives et les outrances qui ont entouré la conférence de Durban ne doivent pas se répéter. La France ne restera engagée dans ce processus que si la réunion de suivi ne s'écarte pas des objectifs qui lui ont été assignés et n'utilise pas la noble cause de la lutte contre le racisme pour tenter de remettre en cause des libertés essentielles.
Le Conseil des Droits de l'Homme ne doit en effet jamais oublier que son socle, c'est la déclaration universelle des Droits de l'Homme.
Cette déclaration, c'est notre texte fondateur.
Il est de notre responsabilité à tous ici, de notre devoir commun, de faire en sorte que l'être humain soit respecté dans tous les droits contenus dans cette déclaration.
Nous venons tous ici de pays différents, de cultures et de traditions diverses. Chacun de nos pays a des intérêts qui lui sont propres. Nous pouvons avoir des vues particulières qui peuvent être convergentes, divergentes ou même antagonistes. Mais ici, nous devons tous avoir des principes communs. Confucius l'a dit il y a 2500 ans : "sans principes communs, ce n'est pas la peine de discuter".
Si l'Homme est un être de nature, c'est aussi un être de culture. Et la culture, ce n'est pas que la tradition. La culture, c'est un processus, c'est un combat qui permet à l'Homme de s'améliorer, de conserver de la tradition ce qui est bon pour lui et de réformer ce qui est néfaste.
Ma conviction, la conviction de la France, c'est qu'il y a des valeurs humaines qui sont essentielles.
L'égalité des droits entre les hommes et les femmes en est une.
Ce n'est pas un héritage de la nature : c'est un héritage culturel récent, issu de combats courageux menés par des femmes et des hommes qui ont lutté pour leur liberté et leur dignité d'êtres humains. Il s'agit là d'un progrès humain fondamental. Nous ne reviendrons jamais en arrière, et nous devons au contraire oeuvrer pour que ce progrès soit partagé par toutes et tous.
La liberté de pensée et d'expression est une autre valeur essentielle : comme l'a écrit le philosophe Blaise Pascal : "Toute la dignité de l'Homme repose dans la pensée" Cette liberté de penser et de s'exprimer est aussi une conquête culturelle de l'Homme.
Hélas, elle peut être une des cibles des régimes autoritaires. Elle ne saurait être déniée. Il en va de même pour son corollaire, la liberté d'information. Il ne saurait y avoir de véritable démocratie sans médias, ni journalistes libres et indépendants. Comme l'écrit Jacques Prévert, "quand la vérité n'est pas libre, la liberté n'est pas vraie".
Des milliers d'hommes et de femmes se sont battus avec courage, et même héroïsme, pour nous léguer ce progrès humain. Nous ne les trahirons pas : là non plus, nous ne reviendrons jamais en arrière.
La liberté de conscience, de croire ou de ne pas croire est encore une valeur essentielle. C'est pour nous, là encore, un progrès humain sur lequel nous ne transigerons pas.
Ces principes, ces valeurs, sont devenus des droits, énoncés par la déclaration universelle de 1948. Cette déclaration, c'est elle qui fonde la légitimité de ce Conseil.
C'est ce qui doit nous unir, au-delà de nos appartenances nationales, au-delà de nos croyances et de nos cultures. C'est cet idéal commun que mon pays souhaite faire vivre au Conseil des Droits de l'Homme. Il doit devenir le lieu où les victimes d'injustices et d'exactions savent qu'elles pourront être entendues, reconnues et soutenues. C'est dans cet esprit que la France souhaite être réélue au Conseil des Droits de l'Homme en mai prochain.
Je vous remercie.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 mars 2008