Déclaration de M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, sur la politique étrangère commune à la veille du Sommet du G8 de Hokkaida-Toyako, à Tokyo le 29 février 2008.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Déplacement au Japon, du 28 février au 1er mars 2008

Texte intégral

Mesdames et Messieurs,
Chers Amis,
C'est un honneur et une joie particulières pour moi de m'adresser à vous aujourd'hui en compagnie de mon collègue et ami Günter Gloser.
Cette visite que nous effectuons au Japon est en effet très particulière, et ce pour plusieurs raisons :
- tout d'abord, parce que le Japon assure en cette année 2008 la Présidence du G8.
La Présidence du G8 est toujours un défi - elle l'est non seulement parce que le Japon prend la suite de l'Allemagne, dont la Présidence du G8 a été aussi remarquable que sa Présidence de l'Union européenne - mais surtout parce qu'il appartiendra au Japon de mener les efforts des principales puissances économiques pour répondre aux maux de la planète : le risque de récession résultant de la crise des prêts hypothécaires, la lutte contre le réchauffement climatique, l'aide au développement des pays les plus pauvres sont les défis que le Japon a décidé d'affronter durant cette année.
- Ensuite, parce que nous avons décidé de venir ensemble, Allemands et Français, pour parler avec nos partenaires japonais - ou, plus exactement, j'ai accepté la proposition de Günter de l'accompagner dans ce voyage. Il s'agit à ma connaissance du premier exemple d'un déplacement commun de ministres allemand et français en charge des Affaires européennes, en dehors du continent européen.
Notre venue à Tokyo reflète avant tout les liens d'amitié qui unissent la France et l'Allemagne avec le Japon et l'existence de valeurs communes entre l'Europe et le Japon.
Mais au-delà, le choix du Japon comme destination de notre premier déplacement commun répond à notre volonté de renforcer notre coopération au moment où le Japon prend le relais de l'Allemagne à la tête du G8, mission qu'il conduira au second semestre 2008 alors que la France assurera la Présidence de l'Union européenne.
Le Japon, l'Allemagne et la France sont donc plus que jamais des partenaires en cette année qui sera marquée par d'importantes échéances : élections aux Etats-Unis et en Russie, Jeux olympiques en Chine.
Pour ces raisons, l'Union européenne et le Japon seront amenés cette année à coopérer étroitement.
Je souhaiterais donc vous présenter les derniers progrès enregistrés par l'Union européenne, notamment son rôle croissant sur la scène internationale, et préciser dans quelle mesure l'Europe pourra être un partenaire majeur du Japon durant sa Présidence du G8.
I - L'Union européenne, un acteur global aux côtés de la Présidence du G8
L'Union européenne qui sera aux côtés du Japon durant cette Présidence du G8 est une Union qui a retrouvé confiance en elle-même et est prête à jouer son rôle sur la scène mondiale.
1. L'Union disposera d'un traité pour agir
Il y a un an à peine l'Union européenne était encore dans le doute, après le rejet par la France et les Pays-Bas du projet de Constitution européenne. Elle se posait de nombreuses questions : après les succès comme l'euro et la réunification du continent, quel était le sens du projet européen ? Que devions-nous construire ensemble ? L'Union européenne est-elle le bon niveau pour prendre part à la mondialisation ?
C'est la Présidence allemande qui a sorti l'Union européenne de cette période d'incertitude en lançant les travaux qui ont conduit à la signature, en décembre 2007, du Traité de Lisbonne.
L'idée d'un "traité simplifié", qui abandonne les attributs constitutionnels du précédent texte, tout en permettant à l'Union européenne de fonctionner et de lancer de nouvelles politiques, avait été défendue par Nicolas Sarkozy, alors candidat à la présidence de la République. La Présidence allemande a su trouver les compromis qui ont permis aux Etats membres de trouver un accord. A chaque étape, l'entente entre la France et l'Allemagne a joué un rôle essentiel.
Ce traité, que la France est le cinquième Etat à ratifier, et dont nous espérons qu'il entrera en vigueur dès 2009, constitue un signe tangible du "retour de l'UE" :
- il permet à une Union européenne désormais composée de 27 Etats membres de fonctionner, en mettant fin à un débat qui a longtemps opposé l'élargissement de l'Union européenne à son approfondissement.
Or l'élargissement, un temps redouté, est un succès. L'adhésion de 12 nouveaux Etats membres depuis 2004 n'a nullement conduit à la paralysie annoncée de l'Union : le nouveau Traité est ainsi le premier traité adopté à 27.
Les nouveaux Etats membres apportent certes leurs priorités (et parfois leurs problèmes). Mais au final, c'est une chance car cela conduit l'Union européenne à davantage s'investir sur des sujets nouveaux ou à réévaluer certaines de ses approches, par exemple envers la Russie.
- Au-delà, le traité permet à l'Union d'envisager de nouveaux élargissements aux pays issus de l'ex-Yougoslavie pour autant qu'ils accomplissent les efforts nécessaires pour adhérer.
2. Des innovations pour renforcer la politique étrangère de l'Union européenne
Les innovations du traité sont particulièrement significatives dans le domaine de la politique étrangère et de sécurité :
- Le Conseil européen disposera d'un président stable, une personnalité politique de premier plan qui sera le visage et le "numéro de téléphone" de l'Europe que cherchait Henry Kissinger ;
- le nouveau Haut représentant pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité, qui portera également le titre de vice-président de la Commission, assurera davantage de cohérence dans la conduite des relations extérieures de l'Union ;
- à l'extérieur, l'Union disposera d'un service diplomatique commun qui associera fonctionnaires issus des institutions européennes et de tous les Etats membres ;
- enfin, poursuivant un mouvement engagé il y a dix ans à l'initiative de la France, le traité permet d'avancer dans le domaine de la Politique européenne de sécurité et de défense.
3. Une Union disposant de multiples moyens
Au-delà de ces avancées institutionnelles, la force de l'Union européenne réside avant tout dans son caractère polyvalent qui repose sur le fait que les politiques communes, de plus en plus nombreuses, comportent toutes un volet externe qui contribue à l'influence de l'Union européenne dans le monde.
- Il convient ainsi de souligner l'institutionnalisation de l'eurogroupe qui permettra à l'Union européenne de tirer un avantage politique du succès de l'euro notamment dans le nécessaire dialogue qui doit s'engager avec nos partenaires sur les questions monétaires, je pense notamment à la Chine.
De même, la politique commerciale où l'Union européenne parle d'une seule voix face aux grands ensembles commerciaux :
- l'énergie et la lutte contre le changement climatique, enjeu fondamental dans lequel l'Union européenne veut jouer un rôle exemplaire pour mieux peser sur l'élaboration des normes internationales,
- de même que l'immigration, la recherche et le développement contribuent également au rôle de l'Union européenne.
L'Union européenne est la seule organisation internationale à avoir atteint un tel niveau d'intégration entre ses Etats membres et à pouvoir mobiliser autant d'instruments à la fois. L'enjeu pour elle est d'en tirer bénéfice pour pouvoir peser de toute son influence sur les affaires du monde.
L'Union européenne est incontestablement un modèle d'intégration régionale, repris par l'ensemble des continents, avec naturellement des degrés d'avancement très inégaux.
Mais l'Union européenne demeure une référence :
- Union européenne est par nature une "puissance délibérante" fondée sur la démocratie, le respect de valeurs fondamentales et le rôle primordial du droit, ce qui contribue à lui donner un poids important dans un monde que nous voulons fondé sur le multilatéralisme ;
- le mode de fonctionnement de l'Union européenne lui donne une légitimité : une position européenne est une position agréée à 27 et soumise à de fortes contraintes juridiques. Cela peut susciter l'intérêt de partenaires tiers : par exemple, la Chine peut être plus sensible aux positions européennes, plus équilibrées, qu'à des positions plus unilatérales (environnement, commerce, lutte contre la contrefaçon).
4. L'Union européenne relancée : un atout pour la Présidence japonaise du G8
On le voit, les moyens d'influence et d'action de l'Union européenne sont très proches de ceux du Japon : sa force se fonde avant tout dans son poids économique, sa place dans les échanges internationaux, le rôle de sa monnaie.
L'Union européenne, comme le Japon, a cherché les moyens d'être un "géant économique" sans rester un "nain politique" en se trouvant confrontée aux mêmes questions : quels sont les critères de la puissance ? Quelle place donner aux moyens militaires ? Comment assurer la stabilité de notre environnement régional ? Comment garantir la sécurité de nos approvisionnements énergétiques ?
Le Sommet du G8 à Hokkaido-Tokayo, le 7 juillet, coïncidera avec le lancement de la Présidence française de l'Union européenne, ouvrant une période de contacts denses entre l'Union européenne et l'Asie.
Notre Présidence sera en effet ponctuée par quatre sommets entre l'Union européenne et l'Asie : la France co-présidera ainsi avec la Chine l'ASEM qui se tiendra à Pékin. En marge de cet événement qui réunira pour la première fois 54 pays, se tiendra à Séoul le Sommet UE/Corée du Sud. Et la France accueillera par la suite les Sommets UE/Chine et UE/Inde.
S'agissant du Sommet UE/Japon, comme vous le savez, il sera organisé par la Présidence slovène de l'Union européenne. Mais les relations entre l'Union européenne et le Japon se poursuivront sous la Présidence française : la France souhaite organiser, à la demande des Japonais, sous Présidence française de l'Union européenne, un séminaire en format ouvert, réunissant entreprises et chercheurs, sur les technologies dans la lutte contre le changement climatique.
Mais notre plus grand potentiel de coopération réside dans la convergence de nos programmes respectifs à la Présidence du G8 et de l'Union européenne.
II - UE/G8 : des priorités partagées
A la Présidence de l'Union européenne comme à la Présidence du G8 nos priorités se rejoignent pour répondre aux défis communs en matière de lutte contre le changement climatique, la prévention d'une récession de l'économie mondiale et la promotion du développement.
1. La Lutte contre le changement climatique
Le Japon, l'Allemagne et la France ont chacun fait de la lutte contre le changement climatique une de leurs priorités tant au G8 qu'en tant que Présidence de l'Union européenne.
La Présidence française de l'Union européenne pour sa part s'inscrira dans la continuité de la Présidence allemande qui avait, la première, fait de la lutte contre le changement climatique une de ses priorités et donné à l'Union européenne des objectifs ambitieux en matière de réduction des émissions et de développement des énergies renouvelables.
La politique de l'Union européenne repose sur trois objectifs fondamentaux : la lutte contre le changement climatique, la sécurité d'approvisionnement énergétique et la compétitivité de l'industrie énergétique européenne.
Les mesures phares de ce plan d'action sont notamment les objectifs dit "3x20" :
- un objectif contraignant de réduction de 20% des émissions de gaz à effet de serre de l'Union européenne d'ici 2020 ;
- un objectif contraignant de 20% d'énergies renouvelables dans la consommation énergétique primaire totale de l'Union européenne d'ici 2020 (incluant un objectif contraignant de 10% de biocarburants dans la consommation totale des carburants destinés au transport, dans chaque Etat membre, d'ici 2020) ;
- un objectif de réduction de 20% de la consommation énergétique de l'Union européenne par rapport aux prévisions pour l'année 2020.
L'Union européenne mettra également en place des mesures visant à améliorer le fonctionnement de son marché intérieur de l'énergie, à renforcer la sécurité d'approvisionnement, à mener une politique énergétique internationale et à renforcer la recherche dans le domaine des technologies énergétiques.
La Présidence s'efforcera à son tour de placer l'Europe à la tête de la lutte contre le changement climatique :
- nous oeuvrerons à la mise en place d'un système ambitieux de réduction des gaz à effets de serre dans les négociations post-Kyoto,
- avant même la Présidence française, l'énergie et le climat seront au coeur du prochain Conseil des ministres franco-allemand, dans trois mois à Paris. Le choix de ce thème montre la détermination de nos dirigeants à mener une concertation sur ces sujets sensibles, avant la Présidence française de l'Union européenne.
2. Maîtriser l'activité des fonds souverains
L'Union européenne et le Japon doivent également agir de concert au niveau international (au sein du FMI et de l'OCDE) pour clarifier les conditions dans lesquelles les fonds souverains sont amenés à investir sur nos marchés et dans nos entreprises.
La France, pour sa part, est désireuse d'accueillir les fonds souverains qui viennent investir dans notre pays en toute transparence.
En revanche, il convient de se prémunir contre les risques d'investissements aux buts extra-financiers.
Le but du code de conduite que nous proposons est bien d'assurer un équilibre coopératif sain entre partenaires économiques et de lutter ainsi contre tout risque protectionniste.
Il conviendra dans les prochains mois de bien articuler les démarches de la Commission avec celles en cours au sein du FMI et de l'OCDE. Sur ce thème, l'Europe et le Japon font à nouveau preuve de leur sens des responsabilités et de leur capacité d'influence en matière d'élaboration de normes internationales. C'est une très bonne chose.
3. Exporter la paix
Le Sommet de Hokkaido-Toyako se tiendra alors que la moitié du temps se sera écoulée dans la réalisation des Objectifs du millénaire.
La précédente Présidence japonaise du G8 avait été la première à inviter des représentants africains au Sommet, plaçant ainsi la question du développement au centre de l'agenda du G8.
L'Union européenne pour sa part mène depuis sa fondation une politique active de développement qui associe accès des produits du sud au marché européen et aide au développement.
Nos pays partagent un attachement fort au multilatéralisme et à la solidarité de la communauté internationale. C'est dans cet esprit que la France et l'Allemagne, tout comme le Japon, se sont investies activement depuis les années 1990 dans les opérations de maintien de la paix des Nations unies.
Nos trois pays ont oeuvré à la reconstruction du Cambodge en appuyant l'autorité de transition des Nations unies dans ce pays.
Ils ont également participé, chacun selon des modalités différentes, aux efforts internationaux pour stabiliser les Balkans.
Aujourd'hui encore, en Afghanistan, nos trois pays sont chacun à leur manière directement engagés avec l'ensemble de la communauté internationale dans la lutte contre le terrorisme et pour la reconstruction durable du pays, afin d'offrir au peuple afghan les chances de goûter enfin, dans la paix et la sécurité, à un avenir démocratique et prospère.
Mais nous devons aller plus loin.
Nos trois pays doivent oeuvrer ensemble à la réforme du Conseil de sécurité des Nations unies afin d'améliorer son efficacité et sa légitimité dans la résolution des crises de demain. Une telle réforme passe par un élargissement du nombre de sièges permanents et non-permanents.
Comme l'a indiqué le président de la République, nous soutenons l'accession à un siège de membre permanent de l'Allemagne, du Brésil, de l'Inde et du Japon, ainsi qu'une plus juste représentation de l'Afrique au Conseil de sécurité.
Nos trois pays partagent la conviction que la sécurité ne s'entend pas seulement dans son acceptation militaire mais couvre l'ensemble des préoccupations susceptibles d'affecter nos concitoyens : sécurité face aux catastrophes, sécurité alimentaire et sanitaire, respects des Droits de l'Homme.
L'Europe et le Japon partagent les mêmes valeurs et montrent que celles-ci ne doivent pas rester confinées à un continent ou à un groupe de pays mais profiter à tous. Il nous appartient donc d'oeuvrer ensemble à la diffusion de ces valeurs, d'exercer nos responsabilités pour assurer la stabilité du système financier international, de montrer le chemin dans la lutte contre le changement climatique.
Notre rôle au sein du G8 et de l'Union européenne nous offre une opportunité unique pour renforcer notre coopération dans ces domaines.
Je vous remercie et reste à votre disposition pour répondre à vos questions.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 mars 2008