Interview de M. Hervé Morin, ministre de la défense, à RMC le 28 février 2008, notamment sur les relations franco-tchadiennes et sur les restructurations au sein de l'armée.

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Texte intégral

J.-J. Bourdin.- I. Betancourt, c'est une question que se pose beaucoup d'auditeurs de RMC : Pourquoi est-ce qu'on n'organise pas une opération militaire internationale pour libérer I. Betancourt ?
 
R.- C'est impossible. C'est tout simplement impossible. Ce sont des zones reculées dans lesquelles il est impossible d'aller. En plus de ça, est-ce que ça réglerait la question de la libération saine et sauve des otages, c'est une autre question qu'il faudrait se poser. Et puis, vous êtes dans un Etat souverain.
 
Q.- Donc on est dépendant, en partie d'H. Chavez, si je comprends bien ?
 
R.- Voilà. Il faut arriver par la discussion, par la pression internationale à faire en sorte qu'I. Betancourt soit libérée. Mais toute autre initiative ou idée...
 
Q.- Il y a des forces spéciales françaises qui sont dans la région ?
 
R.- Non, absolument pas. Nous sommes en Guyane, bien entendu, ce n'est pas très loin à l'échelle du continent. Mais au-delà des 2.500 ou 3.000 hommes que nous avons en Guyane, dont des forces spéciales, puisqu'en plus, il y a des opérations extrêmement importantes qui son menées à l'heure actuelle notamment contre l'orpaillage, c'est-à-dire le fait d'extraire de façon clandestine l'or des fleuves guyanais, nous avons des hommes là, c'est tout.
 
Q.- Vous étiez avec le président de la République au Tchad. Le Président Deby a admis qu'il fallait créer une mission internationale pour savoir ce que sont devenu les leaders de l'opposition. Quand sera-t-elle créée, avec qui et avez-vous des précisions à nous donner ?
 
R.- Le président de la République a obtenu beaucoup de choses. La première, c'est en effet une commission d'enquête internationale qui permet de faire le clair sur les évènements qui se sont passés pendant la crise tchadienne et notamment le moment où N'Djamena était dans le chaos. C'est la première chose. La seconde : il a obtenu la libération d'un des opposants politiques, Lol, qui est à nouveau rentré chez lui, que B. Kouchner va rencontrer aujourd'hui. Pour les deux autres opposants politiques dont nous n'avons pas de nouvelles, même si pour l'un d'entre eux on a des informations très contradictoires, le président de la République a, d'une part, souhaité que bien entendu, on mette tout en oeuvre pour essayer de les retrouver, et par ailleurs, on a donc cette commission d'enquête internationale qui permettrait de savoir ce qui s'est passé. Ca, c'est la deuxième chose. La troisième chose que le président de la République va mettre en oeuvre dans les jours qui viennent, c'est l'idée d'une médiation internationale avec notamment le Congo et la Libye, puisque le Congo et la Libye avaient été chargés de cela par l'Union africaine. On y ajoutera peut-être le président Wade - le président du Sénégal - puisqu'il avait pris une initiative, dans laquelle l'Union européenne a donné son accord. L. Michel, le commissaire européen était avec nous. Et enfin, A. Diouf, l'ancien président sénégalais qui est une grande figure de l'Afrique, aussi participera.
 
Q.- On n'a jamais su où se trouvaient ces opposants ?
 
R.- Non, sinon on vous le dirait.
 
Q.- Vous êtes catégorique là ? On n'a jamais su ?
 
R.- Il faut savoir qu'on a été dans une situation où nous avons eu un travail colossal qui a été de maintenir et de contrôler l'aéroport pour assurer l'évacuation de nos ressortissants. Et d'autre part, un autre travail colossal, qui a été fait...
 
Q.- On a aussi donné des informations au président Deby sur les mouvements de troupes rebelles.
 
R.- ... Et aussi de faire en sorte que les 2.000 ressortissants français et étrangers qui se situaient à N'Djamena puissent être exfiltrés et puissent éventuellement retrouver leur pays d'origine en toute sécurité. Et là, les soldats français, permettez-moi de vous le dire, ont fait un boulot exceptionnel au péril de leur vie. Ils l'ont fait avec professionnalisme, avec sang froid. Sur l'affaire tchadienne, on croit que la France a géré cette affaire parfaitement, et d'ailleurs, quand vous en discutez - j'étais la semaine dernière avec mes collègues ministres de la Défense de l'Union européenne -, tous disent que la France a géré cette affaire avec un doigté exceptionnel. C'est-à-dire que nous avons appliqué nos accords de coopération militaire, nous avons soutenu, dans le cadre de cet accord, le régime légitime du Tchad. Permettez-moi de vous indiquer que ce régime légitime du Tchad...
 
Q.-...Est dictatorial.
 
R.- ... Ce n'est pas la France qui le dit, c'est aussi l'Union africaine et c'est aussi les Nations unies. Et enfin, dernière chose que j'avais oubliée sur ce que le président de la République a obtenu dans le cadre des discussions avec le président Deby hier, c'est aussi la mise en oeuvre d'un processus politique qui avait commencé en août 2007, et qui va être repris. C'est un processus qui doit permettre à la majorité et à l'opposition de se retrouver autour d'une table pour que le processus démocratique puisse reprendre son cours. Donc le bilan est largement positif.
 
Q.- Est-ce que le président de la République a demandé la grâce des membres ou des sympathisants de "l'Arche de Zoé" ?
 
R.- Le président de la République n'était pas venu pour cela.
 
Q.- Mais est-ce qu'il en a parlé à I. Deby ?
 
R.- Il a évoqué ce sujet dans les cinq dernières minutes de l'entretien.
 
Q.- Il a donc demandé la grâce ?
 
R.- Non, il a évoqué le sujet.
 
Q.- Il n'a pas demandé la grâce ?
 
R.- Il a évoqué ce sujet, je ne vous en dirais pas plus. Il a évoqué ce sujet en rappelant au président Deby la demande de la France, d'une part. Vous me connaissez et permettez-moi de garder pour moi le contenu de leur conversation.
 
Q.- L'armée française : allez-vous fermer des casernes ?
 
R.- Non. Cela ne se résuma pas à fermer des casernes.
 
Q.- Ma question est précise, là, H. Morin !
 
R.- Oui, mais je vais y répondre autrement, en vous expliquant que nous sommes sur un très gros travail par le Livre blanc sur la défense qui est l'analyse des risques, l'analyse des menace, l'analyse de nos intérêts, les moyens militaires que nous devons mettre en face de tout cela. Nous avons par ailleurs un travail qui cherche à faire en sorte que nous puissions dégager des marge de manoeuvre pour financer la totalité des équipements qui sont en cours de renouvellement dans l'armée française, nos bateaux, nos sous-marins, nos avions, nos blindés ou une partie des blindés. Donc nous avons un énorme effort d'équipement à réaliser qui a commencé sous la précédente mandature et qui doit être poursuivi durant cette mandature et enfin, nous avons une réorganisation du ministère pour faire en sorte qu'on soit plus interarmisés (sic), qu'on mutualise les moyens, qu'on supprime les doublons, les duplications, bref qu'on ait un système plus dense. On a un immense chantier de réorganisation dont le symbole sera, notamment, d'avoir un Pentagone à la française, tout près de chez vous, à Balard, où seront réunis tous les grands chefs militaires, autour du ministre, pour faire en sorte que nous travaillions plus ensemble.
 
Q.- Bien, est-ce que vous allez fermer des casernes - je vous repose ma question.
 
R.- Dans le cadre de ce Livre blanc, bien entendu, la menace n'est pas la même aujourd'hui.
 
Q.- Certaines casernes seront fermées, il y aura des regroupements régionaux ?
 
R.- Oui, il y aura des regroupements régionaux, oui, dès lors qu'on mutualise, on essayera de faire en sorte qu'un certain nombre de services soient communs à tous les régiments.
 
Q.- Donc certaines casernes seront fermées ? Disons-le franchement !
 
R.- Mais laissez-moi vous expliquer un certain nombre de chose. Dès lors qu'on estime que la menace change,la Défense doit s'adapter en permanence, se moderniser en permanence pour conserver ce pourquoi elle est faite, c'est-à-dire assurer la sécurité et la souveraineté du pays et la défense de ses intérêts. Dès lors, quand vous estimez par exemple que, aujourd'hui, dans le monde du XXIème siècle, il faut connaître, il faut pouvoir anticiper pour pouvoir nous défendre ensuite, analyser par exemple l'état de la prolifération nucléaire et donc faire des efforts en termes de satellites.
 
Q.- C'est-à-dire que vous allez lancer plus de satellites espions ?
 
R.- En même temps, on a la chute du Mur de Berlin et qu'il n'y a plus de Pacte de Varsovie, vous voyez bien qu'a priori, on a plutôt besoin de moins de blindés.
 
Q.- Et de moins d'armée de Terre... ?
 
R.- Et peut-être de moins d'artillerie et qu'on a besoin de plus de forces spéciales, etc.
 
Q.- Mais ça, on le comprends très, très bien mais...
 
Je veux expliquer les choses...
 
Q.- Oui, mais j'ai compris H. Morin. Donc, vous allez regrouper des casernes, nous sommes d'accord.
 
R.- On va essayer de densifier des garnisons, des régiments d'une part, faire en sorte que les soutiens et l'administration générale de ces régiments soient communs pour qu'on puisse faire des économies d'échelle, pour dégager les marches de manoeuvre dont nos armées ont besoin pour une bonne disponibilité du matériel.
 
Q.- Donc vous allez regrouper des casernes, effectivement, pour rendre l'armée plus efficace, plus mobilisable.
 
R.- ... Et pour l'adapter aux menaces de demain. On a connu dans l'histoire du pays un certain nombre de fois où nous n'avons pas fait les adaptations dont la Défense avait besoin. Je vous rappelle qu'il y a un homme qui s'appelle le général de Gaulle qui a écrit un livre qui s'appelle "Fil de l'épée", qui disait "on est en train de se tromper avec la ligne Maginot", et on a vu les conséquences. Donc, pour un ministre de la Défense, il y a une priorité et pour le chef des Armées, qui est le Président de la République aussi, c'est de faire en sorte qu'en permanence notre système défense soit adapté aux menaces et aux risques.
 
Q.- Alors, les militaires qui vont devoir quitter leur caserne, qui vont être mutés, seront-ils indemnisés ?
 
R.- Les militaires, entre le moment venu, quand les décisions seront prises après les analyses du Livre blanc, il y aura au moins 2 ans, 3 ans ou 4 ans entre le moment de la décision du regroupement de telle ou telle unité et sa mise en oeuvre. Donc ils seront indemnisés ? Non, il n'y aura pas d'indemnisation. En revanche, nous avons engagé, puisque vous parlez de pouvoir d'achat...
 
Q.- Je sais qu'à Agen, la caserne restera, ça vous l'avez déjà promis.
 
R.- Non, je ne l'ai pas promis.
 
Q.- Vous faites comme avec R. Dati, vous avez des amis à droite ou à gauche, pour la carte judiciaire.
 
R.- Non, ce n'est pas ça le sujet.
 
Q.- A Agen, c'est votre copain, hop, on garde la caserne !
 
R.- Absolument pas.
 
Q.- Il est Nouveau centre quand même le maire d'Agen...
 
R.- Oui, d'accord... Mais je suis allé la semaine dernière, j'ai déjà par exemple indiqué aux élus de Nancy, pour vous donner une idée, que la base aérienne de Nancy ne fermerait pas. Pourquoi ? Parce que c'est une des bases stratégiques de l'armée de l'air. Donc il n'y a pas besoin de faire des grands plans sur la comète...
 
Q.- Le régiment d'Agen est stratégique ?
 
R.- Le régiment d'Agen est un des très bons régiments de l'armée de terre sur lequel nous avons fait des équipements et des investissements considérables et donc, pour l'armée de terre, cela fait partie des piliers de ce qu'on appelle les SIC, c'est-à-dire les systèmes d'information et de communication.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement le 28 février 2008