Texte intégral
Le Quotidien de la Réunion : Pourquoi avoir choisi la Réunion et à Mayotte pour votre premier déplacement en tant que ministre ?
Yves Jégo : Le Ministre de l'Outre-Mer ne doit pas s'enfermer dans ses bureaux parisiens. Je suis un élu local, j'ai plutôt envie d'aller écouter, entendre et de ne pas avoir une vision administrative de la réalité des choses. Je souhaite être un ministre de proximité. Pourquoi la Réunion et Mayotte en premier ? Parce qu'il y a un certain nombre d'enjeux qui sont sur la table. Je pense aux grands projets structurants de la Réunion, je pense à « Réunion 2030 » qui me semble un axe fort de ce je voudrais développer et qui peut même être un exemple pour l'ensemble du pays en montrant ce qu'il faut faire en matière de développement durable. Ce sont des sujets hautement importants et producteurs de richesse car c'est une nouvelle économie qui se crée, une économie que mon collègue Jean-Louis Borloo a qualifié d' « écolonomie ».
La Réunion c'est aussi la plus peuplée de nos îles, il était normal que je m'y rende le plus tôt possible. Comme j'y ai, en plus, un peu de famille et beaucoup d'amis, cela ajoute à mon plaisir évident de commencer par là.
Le Quotidien de la Réunion : Allez-vous revoir les dispositions du projet de loi-programme très critiquées par les Réunionnais ?
Yves Jégo : J'ai entendu ces critiques. Certaines me semblent fondées et d'autres non. Je suis là aussi pour poursuivre et approfondir directement sur place ce marathon de concertation indispensable avant l'examen du texte par le conseil des ministres fin mai. L'architecture de ce texte est bonne. Cette loi est clairement une étape importante dans la stratégie de développement de l'outre-mer portée par le chef de l'Etat. Il s'agit d'accroître toutes les mesures visant au développement de l'activité et au progrès social, je pense ici au volet logement ou encore aux Zones franches globales d'activités. Dans le même temps ce texte se veut être une loi de vérité qui aura le courage de corriger les mesures qui n'ont pas produits les effets escomptés. Il y aura donc des plus et des moins, mais le Premier ministre s'est engagé à ce que le solde soit positif à hauteur de plus 100 millions d'euros. Je veillerai à ce que cet équilibre soit maintenu.
Le Quotidien de la Réunion : Ce chiffrage est fortement contesté. Certains parlent même d'une perte de 150 millions d'euros plutôt que d'un gain de 100 millions.
Yves Jégo : Je prends l'engagement que l'arbitrage du Premier ministre sur un plus de 100 millions d'euros sera tenu. Je prends l'engagement qu'il n'y aura pas de tour de passe-passe. Les chiffres sont sur la table pour trancher la bataille d'experts sur le chiffrage. Je serai le garant d'une transparence totale et du respect de l'engagement du gouvernement pour que cette loi aboutisse à plus d'investissements. Mais il faut accepter aussi de regarder avec courage ce qui n'a pas fonctionné.
Le Quotidien de la Réunion : Ce sera du donnant-donnant ?
Yves Jégo : Il faut que cela soit du gagnant-gagnant. J'appelle au consensus. Je suis prêt à passer tout le temps nécessaire à ce marathon de concertation pour qu'on débouche sur une loi consensuelle. Je vais d'ailleurs prolonger mon voyage à la Réunion d'une journée supplémentaire pour pouvoir dimanche travailler avec les socioprofessionnels sur cette loi. On m'avait bâti un projet de déplacement ministériel classique où j'avais le sentiment de survoler les choses. Je veux prendre le temps d'aller au fond de tous les sujets. Dès vendredi dernier, j'ai d'ailleurs rencontré à Paris les organisations socioprofessionnelles et nous avons entamé un dialogue afin de lever les malentendus et de trouver des points d'améliorations partout où cela était possible. Je verrai très vite tous les élus et tous ceux qui souhaitent sincèrement améliorer ce dispositif. Certes, dans le contexte budgétaire et économique du pays, tout ne sera pas possible tout de suite et pour tout le monde. Nous devons dégager des priorités et éviter le saupoudrage qui n'a jamais rien réglé. Toutefois cette loi d'étape est une occasion importante pour l'Outre-Mer, elle est porteuse de nombreux progrès et de moyens conséquents. Aussi je forme le voeu que la bonne volonté du gouvernement qui souhaite améliorer encore son dispositif, permettra de dégager des consensus et d'éviter que l'opposition ne prenne en otage ce texte pour des enjeux uniquement partisans. Le sujet mérite mieux ! Il y aura le temps du débat politique à l'assemblée nationale. J'aspire qu'avec l'opposition on puisse aboutir à des formes d'adhésions pour que cette loi soit une loi de progrès.
Le Quotidien de la Réunion : Y aura-t-il un chapitre consacré à la continuité territoriale ?
Yves Jégo : Patrick Karam m'a fait le point sur ce dossier au lendemain de mon arrivée rue Oudinot. Un certain nombre de dispositions ont déjà été prises pour lever les contraintes de service public qui pesaient sur les compagnies et susciter plus de concurrence et donc une baisse de tarifs. J'ai entendu parler de cette baisse des tarifs depuis si longtemps que j'ai envie d'être le ministre qui la réalise. Cela fait partie de mes priorités. Il y aura un chapitre « continuité territoriale » dans la future loi.
Le Quotidien de la Réunion : Votre profil est loin d'être celui de Christian Estrosi. A-t-il pesé sur votre entrée au gouvernement ?
Yves Jégo : Avec Michèle Alliot-Marie, j'aurai à coeur de poursuivre le travail engagé par mon prédécesseur même si chaque Ministre à sa sensibilité propre. J'ai accepté cette charge à la demande du Président de la République et du Premier Ministre. Fort de leur confiance, j'ai à coeur de mener à bien un projet ambitieux en faveur de l'Outre-Mer. Je suis un proche et de longue date du Chef de l'Etat. Il a sans doute voulu démontrer en me confiant cette mission la proximité qu'il souhaitait garder avec les ultras marins.
Le Quotidien de la Réunion : Vous vous en êtes pris violemment à la presse récemment, accusée de vouloir "abattre" Nicolas Sarkozy. N'est-ce pas un peu fort ?
Yves Jégo : Il est incontestable que l'on a assisté, pendant quelques semaines, à une véritable tentative assez inédite de lynchage du Chef de l'Etat. Ce n'est pas la presse qui est globalement en accusation mais tous ceux qui ont cherché dans la vie privée du Président un moyen de revanche sur l'élection de mai dernier. Je crois que les français ont commencé à comprendre la manoeuvre.
Le Quotidien de la Réunion : Un journaliste vous demandait en janvier si votre zèle à soutenir le Président de la République visait à avoir un poste au gouvernement.
Yves Jégo : Ce serait si simple n'est ce pas ? Voila dix ans que je travaille avec Nicolas Sarkozy. J'étais là dans les bons comme dans les mauvais moments. Aujourd'hui je ne considère pas cette nomination comme un hochet mais comme un geste majeur de confiance à mon égard. En réussissant la révolution économique et sociale qu'attendent les ultramarins je veux être à la hauteur de cette confiance présidentielle.
Le Quotidien de la Réunion : Vous venez d'être réélu pour la troisième fois maire d'une commune de 20.000 habitants qui compte 32 nationalités, 73 % de logements sociaux et qui a voté à 53% pour Ségolène Royal. Quelle est la recette pour faire élire un sarkozyste dans une commune de gauche ?
Yves Jégo : C'est vrai que les habitants de Montereau qui avaient voté pour la candidate socialiste à 53% m'ont accordé dès le premier tour des élections municipales prés de 70% de leurs suffrages. Je pense qu'ils ont voulu ainsi saluer mon travail et l'énergie que j'ai déployée pour changer leur cadre de vie. Mais je crois qu'ils ont aussi plébiscité ma volonté d'ouvrir la gestion municipale bien au-delà de ma famille politique. Si j'ai une recette c'est donc celle du travail sans relâche et de l'ouverture aux autres. Je compte bien m'en inspirer dans mes nouvelles fonctions.
Le Quotidien de la Réunion : Vous êtes favorable à l'entrée de la Turquie dans l'Europe, vous avez signé avec Ségolène Royal et Bertrand Delanoë une pétition pour la libération des homosexuels au Maroc. Vous avez critiqué un élu UMP qui défendait le système colonial. Etes-vous le "poil à gratter" de la majorité ?
Yves Jégo : L'UMP est le premier parti de France. Le débat y est possible et même souhaité. J'ai quelques convictions que j'aspire à faire partager. Pour moi la politique n'est pas la caporalisation mais tout au contraire la confrontation des idées avec le souci de rechercher en permanence les points d'équilibre. C'est cette liberté qui nous différencie aujourd'hui des partis de gauche où l'on voit bien, comme au parti socialiste, que tout débat est impossible.
Le Quotidien de la Réunion : N'est-il pas exagéré de qualifier de "stalinien" l'appel de Marianne signé par de nombreuses personnalités dont Ségolène Royal et Dominique de Villepin ?
Yves Jégo : Comment qualifier ceux qui font un tapage de tous les diables pour faire semblant de défendre des valeurs républicaines qui ne sont menacées par personne ? Ce soit disant appel n'était qu'une manipulation destinée à mettre en cause le Chef de l'Etat sans pour autant le nommer.
Le Quotidien de la Réunion : On vous a reproché une plainte contre un bloggeur qui soutenait le candidat socialiste aux municipales dans votre commune.
Yves Jégo : Un militant socialiste par ailleurs enseignant dans ma commune a mis en cause sur son blog ma probité et mon parcours professionnel. Je suis bloggeur moi aussi et respectueux de la liberté d'expression sur la toile. J'accepte évidemment toutes les critiques et les attaques d'ordre politique. Seuls les électeurs tranchent ce genre de débat. Mais je tiens à défendre mon honneur lorsqu'il est mis en cause. J'ai d'ailleurs demandé au tribunal une simple condamnation symbolique. Les hommes politiques ne sont pas au-dessus des lois mais ils ne sont pas non plus au-dessous. Etre élu est un honneur qui implique bien des sacrifices personnels, mais j'estime que ma famille et moi avons droit aussi au même respect que chaque citoyen.
Le Quotidien de la Réunion : Vous êtes l'auteur de deux romans historiques et un essai sur le général de Gaulle. Faut-il écrire pour être un homme politique reconnu ?
Yves Jégo : J'ai en effet coécrit deux romans historiques qui ont connu un succès honorable. Je crois que très peu d'élus commettent ainsi des romans. Il est plus classique d'écrire des essais. L'écriture est pour moi une forme d'évasion. Quant au livre sur le Général de Gaulle, il est le simple témoignage d'un admirateur pour un grand Homme qui a marqué tout le 20ème siècle.
Le Quotidien de la Réunion : On a laissé entendre que vous pourriez reporter votre visite à la Réunion en raison des remous que traverse l'UMP localement.
Yves Jégo : Je ne vois aucune raison particulière de reporter ce déplacement, bien au contraire. Le contexte que vous évoquez rend d'autant plus nécessaire de couper court aux mauvaises rumeurs et d'aller à la rencontre de tout le monde. Quand le ministre est à Paris, on lui prête les pires arrière-pensées.
Le Quotidien de la Réunion : Nassimah Dindar a-t-elle eu tort d'ouvrir aussi largement à la gauche sa majorité ?
Yves Jégo : Je n'ai pas de commentaires à faire. En tant que ministre je prends acte de la décision des conseillers généraux de la Réunion qui se sont exprimés librement. J'ai vu que Nassimah Dindar avait lancé un appel et qu'elle souhaitait rassembler sa famille politique. Cette démarche me semble sage et courageuse.
Quand je l'ai eu au téléphone ainsi que Jean-Louis Lagourgue, j'ai dit à tous les deux la même chose : il faut éviter les crises institutionnelles, il faut réconcilier le plus possible les familles politiques et essayer d'asseoir l'action du Conseil Général sur des majorités les plus larges possible. Je leur ai dit aussi que je travaillerai avec le président élu ou la présidente élue. Ils étaient d'ailleurs tous les deux très heureux que ministre s'engage à respecter le choix des conseillers généraux.
Le Quotidien de la Réunion : L'UMP vit actuellement un psychodrame, des élus ont menacé de démissionner.
Yves Jégo : Je plaide pour l'apaisement. Il faut que les institutions aient une majorité pouvant fonctionner de la meilleure manière. Le souhait exprimé par la présidente sortante réélue - qui est de rassembler et de sortir des querelles de famille - me semble la voie de la sagesse. En tant que ministre, je ne me mêle pas de l'organisation politique des choses même si étant membre de l'UMP je garde un lien avec mon parti politique. Mon message est clair : ce qui est décidé par les élus de la Réunion est bien décidé, ce n'est pas à moi à donner des orientations ou un sentiment. J'ai pour vocation de travailler avec tout le monde. Ce que je sais, par contre, c'est que, compte tenu des enjeux, compte tenu des projets qui sont aujourd'hui en gestation et vont, je l'espère aboutir rapidement, il y a un intérêt à ce que le ministre puisse travailler avec des institutions stables et que l'énergie ne soit pas investie dans des querelles mais dans des actions positives. Je veux travailler sur le fond des dossiers, faire avancer les grands sujets qui préoccupent les Réunionnais. Je n'ai pas du tout l'intention de me laisser entraîner dans des querelles anciennes et très complexes.
Le Quotidien de la Réunion : Que vous inspire la lourde défaite de la droite aux municipales et cantonales de la Réunion ?
Yves Jégo : Ces élections, tout le démontre, se sont d'abord jouées sur des critères locaux. Toutefois nous ne sommes pas sourds au message d'impatience adressé par les électeurs à cette occasion. Je suis là aussi pour vérifier l'application concrète des mesures votés depuis 10 mois et pour lutter contre une forme de caricature de l'action du gouvernement auxquels certains se sont livrés, comme pour prolonger au-delà du raisonnable la bataille de l'élection présidentielle. Les électeurs ont tranché concernant la politique nationale en mai et juin derniers. Nous avons pris des engagements devant les français et je veux témoigner ici de notre volonté de tenir au cours de ce quinquennat toutes nos promesses.
Le Quotidien de la Réunion : Que pensez-vous des résultats de la Réunion ?
Yves Jégo : J'ai vu ce qui s'est passé. Il y a des circonstances locales qui sont à l'origine de certains résultats. Je n'ai pas vocation à m'exprimer sur des réalités, commune par commune. Il faut sans doute que s'ouvre une nouvelle ère dans la vie politique de la Réunion. Mon souhait c'est que ma famille politique se rassemble et qu'elle montre aux Réunionnais un visage ouvert, qui sache défendre ce que nous faisons à l'échelon national .
Le Quotidien de la Réunion : Vous mettez l'accent sur les conditions locales mais des candidats font aussi porter le chapeau au gouvernement.
Yves Jégo : C'est tellement facile de chercher des boucs émissaires ! La réalité des choses est plus subtile : 70% des Français, selon les sondages, ont choisi en fonction des circonstances locales. Mais il y a eu un climat national, une impatience. Tout ceci a été entendu et pris en compte. Je prends l'engagement que ce qui a été promis à l'outre-mer sera tenu.
Le Quotidien de la Réunion : Des candidats ont oublié parfois le sigle UMP sur leurs affiches.
Yves Jégo : Je suis un élu local depuis 15 ans, je n'ai jamais mis d'étiquette UMP ni sur mes tracts, ni sur mes affiches, y compris aux élections législatives. Pour des élections locales, il est normal que des élus qui veulent rassembler autour d'eux jouent l'ambiance locale. C'est vrai pour l'UMP mais aussi pour le PS et tous les grands partis.
Le Quotidien de la Réunion : Rencontrez-vous les élus et dirigeants de l'UMP au cours de votre voyage ?
Yves Jégo : Je viens dans un esprit de rencontre et d'ouverture. Tous ceux qui voudront me rencontrer seront les bienvenus. On m'a dit qu'il y a un certain nombre d'élus qui ne seront pas forcement là, mon voyage ayant été annoncé il y a très peu de temps. Mais comme ministre de la République, je suis déterminé à rencontrer tout le monde.
Entretien réalisé par I. Issa
source http://www.outre-mer.gouv.fr, le 26 mars 2008