Interview de Mme Rama Yade, secrétaire d'Etat aux affaires étrangères et aux droits de l'homme, à RFI le 31 mars 2008, notamment sur l'état de santé de Mme Ingrid Betancourt, otage des FARC en Colombie, et sur la situation des droits de l'homme au Tibet.

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Média : Radio France Internationale

Texte intégral

F. Rivière.- Bonjour R. Yade. On a appris hier, quasiment au moment où il repartait, qu'un avion médicalisé était prépositionné en Guyane, dans la perspective d'une éventuelle libération de l'otage franco-colombienne I. Betancourt. L'Elysée a ensuite expliqué qu'un autre appareil, basé celui-là en métropole, se tenait prêt à décoller à tous moments si les événements le justifiaient. Qu'est-ce qui s'est passé exactement ce week-end ? Est-ce qu'on a eu des raisons de croire qu'I. Betancourt allait être libérée de manière tout à fait imminente ?
 
R.- On a toujours l'espoir. Vous savez que nous sommes très préoccupés, extrêmement préoccupés, par la santé d'I. Betancourt, que les derniers témoignages qu'on a eu de sa santé n'étaient pas très positifs. J'ai reçu personnellement le sénateur Perez qui avait été un otage qui avait été emprisonné avec elle et qui était le dernier à la voir le 4 février dernier.
 
Q.- Qui était très proche d'elle.
 
R.- Qui est très proche d'elle, qui nous a fait part de son inquiétude. Et donc, ce qui nous donne toujours le sentiment qu'il y a urgence à la relâcher, que c'est une obligation humanitaire, voire une course contre la mort. Et c'est pour cela que le président Uribe a fait ce geste, en signant un décret qui permet la libération de membres des FARC détenus dans les prisons colombiennes, si la guérilla relâche madame Betancourt. Et donc cette idée a été complétée par la proposition française qui se dit disponible à accueillir sur son sol ces personnes libérées, et donc la balle était dans le camp, est toujours dans le camp des FARC ; dès lors qu' ils acceptaient la proposition du président Uribe, il faut se tenir prêt.
 
Q.- Alors vous évoquiez l'état de santé d'I. Betancourt, c'est vrai que les autorités colombiennes ont fait des déclarations tout à fait alarmantes, ces derniers jours. Est-ce que vous avez obtenu des informations précises ? On parle d'une rechute de son hépatite B, est-ce qu'aujourd'hui les autorités françaises ont des informations précises sur l'état de santé d'I. Betancourt ?
 
R.- On a les informations que vous connaissez, que connaît le comité de soutien d'I. Betancourt, mais en tout cas elles convergent toutes, ces informations, vers un même point, c'est que sa situation sanitaire est vraiment précaire.
 
Q.- Alors le vice président de la fédération internationale de soutien à I. Betancourt, O. Roubi disait hier, ""on ne comprend pas bien ce qui se passe autour de cet avion, aucune information concrète ne laisse espérer une libération imminente", tandis que le Premier ministre, F. Fillon, disait pour sa part hier soir, à peu près au même moment donc, "on sent que progressivement toutes les conditions sont remplies pour cette libération". Alors c'est vrai qu'on a un peu de mal à s'y retrouver, est-ce qu'aujourd'hui il y a réellement un espoir plus grand que jamais de voir I. Betancourt libérée, on pourrait dire dans les prochains jours ?
 
R.- Notre espoir réside dans le fait notamment que le président Uribe a fait des propositions concrètes en signant notamment ce décret, le 27 mars qui propose cet échange. Donc c'est un pas qui est important et que nous considérons comme tel. Maintenant, pour le reste, vous comprenez que je ne puisse pas vous en dire plus que cela. La situation d'I. Betancourt justifie que nous nous en tenions là pour l'instant, mais en tout cas nous restons complètement en alerte considérant que l'urgence humanitaire est telle que notre seul objectif, notre priorité, c'est vraiment la libération d'I. Betancourt.
 
Q.- Mais il y a actuellement une accélération du processus, une accélération d'éventuelles négociations ?
 
R.- C'est ce que je vous ai dit, il y a une proposition qui a été faite par le président Uribe qui nous semble positive, cette démarche de faire des propositions, et donc maintenant la balle est dans le camp des FARC.
 
Q.- Le Premier ministre disait hier soir que la France était prête à accueillir des militants des FARC pour accélérer la libération d'I. Betancourt. Qu'est-ce que cela veut dire concrètement ? De quoi s'agira t-il ? Combien de militants des FARC, dans quelles conditions et quel serait le sort qui leur serait réservé ?
 
R.- Alors, le président colombien a plusieurs fois souligné que les guérilleros qui sortiraient de prison devaient s'engager à ne pas rejoindre les rangs des FARC. Donc, s'ils ne sont pas en prison et s'ils ne repartent pas auprès des FARC, il faut bien qu'ils soient quelque part, et c'est dans ce cadre qu'a été mentionné l'idée de faire accueillir ces personnes par des pays qui sont proches. On a cité naturellement la France qui a dit sa disponibilité à le faire et donc c'est dans ce cadre là que nous avons proposé que, si jamais ces FARC étaient libérés parce qu'I. Betancourt l'était de son côté, eh bien ils puissent être accueillis quelque part et notamment en France.
 
Q.- Et alors accueillis, cela veut dire quoi exactement ? On en fait quoi, on les met où ?
 
R.- Ecoutez, je ne peux pas répondre à cette question, vous le verrez bien au fur et à mesure que tout cela se fait. En tout cas, si ça se faisait, cela voudra dire qu'I. Betancourt est libre et donc ce sera cela je pense l'événement, donc pour l'instant je crois qu'on en est au stade de la proposition, on verra ce qu'il s'ensuit. Je ne veux pas parler de choses dans les détails alors que le principe même n'existe pas encore.
 
Q.- L'ancien parlementaire colombien dont vous parliez tout à l'heure, E. Perez, libéré par les FARC le 27 février dernier, expliquait hier dans un entretien à un magazine qu'I. Betancourt s'est inquiétée de cette campagne internationale en sa faveur, car elle lui a donné une grande valeur aux yeux des FARC, et elle a également provoqué beaucoup de jalousies de la part des autres détenus, des autres otages, est-ce qu'effectivement ce n'est pas en partie une erreur d'avoir à ce point personnalisé sur le nom d'I. Betancourt le sort, le dossier des otages ?
 
R.- Ecoutez, on a toujours pris la précaution lorsqu'on parlait des otages, d'associer à I. Betancourt les autres otages politiques. On ne voit pas ce qu'on aurait pu faire d'autres que de parler d'I. Betancourt et de l'aider à sortir de là où elle est. Si on ne s'était pas préoccupé de son sort, qu'aurait-on dit ? Qu'on l'abandonnait. Si son nom est connu, c'est parce que c'est aussi une sénatrice connue, engagée politiquement ; donc ça facilite peut-être la notoriété, et par ailleurs parce qu'elle est dans une situation sanitaire grave et enfin parce qu'elle est française aussi et que sa famille vit en France. Donc je crois que pour les autres otages, notamment ceux qui ont été libérés, la situation doit être un peu pareille en terme de notoriété par rapport au pays d'où ils viennent. Mais il n'y a pas là... enfin notre volonté est bien sûr celle de la faire libérer et rien d'autres.
 
Q.- R. Yade, la flamme olympique est arrivée cette nuit à Pékin, où la sécurité avait été renforcée pour éviter toute manifestation. Vous avez dit il y a quelques jours que vous pourriez boycotter, vous, la cérémonie d'ouverture des Jo pour dénoncer la répression des manifestations au Tibet. En fonction de quoi allez-vous décider d'y assister ou non ?
 
R.- D'abord il faut être invité à en être, ce n'est pas évident. Ensuite...
 
Q.- La solution pour que vous ne boycottiez pas, ce serait de ne pas vous y inviter évidemment.
 
R.- Donc il faut y être invité, donc je n'ai pas la prétention de penser que j'y serais nécessairement et puis, il faut que ce soit justifié. Je ne vois pas pourquoi la secrétaire aux Droits de l'homme doit être à une manifestation sportive ; normalement non, sauf peut-être le secrétaire d'Etat aux sports, mais bon. Par ailleurs si je suis invitée, je vous dis c'est dans quatre mois, il faudra voir la situation. Je veux dire si la situation...
 
Q.- Mais si les événements par exemple des événements des derniers jours étaient, et des dernières semaines étaient confirmés, si les chiffres donnés par les Tibétains en exil 140 morts, étaient confirmés, à ce moment là est-ce que les autorités françaises devraient prendre cette décision ?
 
R.- Ecoutez, si dans quatre mois la situation est la même, rien n'a varié et qu'on ne sent aucun effort de la part des autorités de Pékin, je vous dis c'est très difficile pour moi en tant que secrétaire d'Etat aux Droits de l'homme d'être dans une manifestation sportive en étant indifférente à ce qui se passe à côté, ce n'est pas possible.
 
Q.- Mais, en tant que secrétaire d'Etat aux Droits de l'homme, est-ce que vous pourriez souffler à l'oreille du président N. Sarkozy de ne pas aller à la cérémonie d'ouverture ?
 
R.- Il prendra sa décision le moment venu, mais il faut savoir que ce moment là, ce moment venu là, il sera président de l'Union européenne et donc la France ne s'appartiendra plus vraiment et elle devra parler au nom des 27, donc c'est pour cela qu'il a très clairement dit, qu'il consultera ses voisins, ses partenaires européens avant de prendre une décision, parce que ce sera au nom des 27 que cette décision devra être prise.
 
Q.- R. Yade, un mot de notre correspondant au Niger, M. Kaka qui est détenu depuis 193 jours. Est-ce que le gouvernement est toujours mobilisé, est-ce que vous avez des contacts avec les autorités nigériennes pour essayer de favoriser sa libération ?
 
R.- Bien sûr, le quai d'Orsay est mobilisé sur le cas de monsieur Kaka. Nous sommes en contact régulier et constant avec les autorités nigériennes pour plaider sa cause au nom de la liberté d'expression qui nous est chère à nous, pays des droits de l'homme et particulièrement à moi.
 
Q.- Est-ce que le dossier évolue ?
 
R.- Nous y travaillons en tout cas, ce n'est pas simple mais nous y travaillons, avec autant de constances et de déterminations qu'il le faut en comptant sur la coopération active des autorités nigériennes.
 
Q.- Merci R. Yade.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 31 mars 2008