Texte intégral
J.-J. Bourdin.- Un mot sur l'actualité internationale pour commencer. Est-ce que vous avez vu la déclaration du numéro deux de l'ambassade de Chine en France, qui nous dit à propos du Tibet, en faisant allusion au Tibet, "est-ce que la France laisserait les Nations unies enquêter sur ce qui s'est passé à Villiers-le-Bel ?"
R.- Non...
Q.- Vous n'avez pas entendu cela. C'est fort quand même non ?
R.- Oui, c'est assez fort. C'est très, très fort même. D'abord, je ne connais pas grand-chose, si ce n'est que j'ai beaucoup travaillé dans des pays pauvres et j'ai plutôt tendance à être du côté des faibles. Je me demandais, s'il n'y avait pas les Jeux Olympiques, je pense que l'on parlerait beaucoup moins du Tibet. Donc il y a déjà un effet favorable à ce que les Jeux Olympiques forcent tout le monde à se poser des questions. Est-ce qu'il y a une pression qui remonte ? Je pense que dans cette petite phrase, je pense que les droits de l'homme peuvent progresser quand même.
Q.- Est-ce qu'il faut recevoir officiellement le Dalaï Lama, quand il viendra en France au mois d'août ? Le recevoir officiellement ? Est-ce que le président de la République doit le recevoir, le ministre des Affaires étrangères ?
R.- Je crois qu'il s ont dit les uns et les autres qu'ils étaient prêts à le recevoir. Dans les subtilités du protocole, j'avoue que je ne connais pas les subtilités du protocole. Je connais les subtilités de langage en revanche, et j'ai été extrêmement choqué par le débat dans le débat. C'est-à-dire que l'un des députés, je crois qu'il s'appelle L. Luca...
Q.- L. Luca, oui, il est député UMP des Alpes-Maritimes.
R.- ... qui a traité ou sous-entendu que Kouchner pouvait être un collabo.
Q.- Oui, il l'a dit, il l'a dit.
R.- Je trouve que ce sont des mots qu'il faut retirer. On peut discuter des droits de l'homme. On peut dire qu'il y en a qui n'ont pas assez la pêche, qui ne prennent pas... On peut critiquer là-dessus, mais traiter de collabo, c'est ignoble.
Q.- Parlons de ce qui vous intéresse au premier plan, c'est-à-dire la lutte contre les inégalités, contre la pauvreté. Vous êtes haut commissaire aux Solidarités. La solidarité, on en a besoin plus que jamais dans ce pays, dans des temps difficiles. Est-ce que vous avez peur pour votre RSA, le Revenu social d'activité ?
R.- J'ai toujours eu peur. D'abord, j'ai peur pour les travailleurs pauvres, j'ai peur pour les Rmistes, j'ai peur pour tous ceux que l'on passe par perte et profit depuis des années. Vous dites "il faut plus de solidarité..."
Q.- Le RSA, c'est le Revenu de solidarité active, mais bon, pour moi, c'est pareil...
R.- Oui, mais justement, vous dites plus de solidarité. Moi, j'ai une petite nuance, je dis "de la solidarité un peu différente". J'ai beaucoup réfléchi à ce qui s'est passé ces dernières décennies. Il y a une période où on a réussi à réduire la pauvreté. C'était la période des années cinquante, soixante, soixante-dix, on a réussi à réduire la pauvreté chez les personnes les plus âgées en redistribuant. Aujourd'hui, on a besoin de solidarité qui est différente. On a besoin de solidarité vers les travailleurs pauvres, vers les actifs, vers les jeunes, vers ceux qui sont en capacité de travailler. Donc, effectivement, il ne faut remettre le même système...
Q.- Donc le RSA, rappelez nous ce que c'est ; 34 départements aujourd'hui sont concernés.
R.- Le RSA, c'est un système qu'on a inventé avec les syndicats, avec le patronat, avec les collectivités locales, avec les associations, en se disant qu'il faut répondre à ces nouvelles formes de pauvreté qu'on voit aujourd'hui. Vous connaissez des travailleurs pauvres ? Oui. Savez-vous combien il y a de travailleurs pauvres en plus au cours des dernières années ? Non. Le nombre de travailleurs pauvres a augmenté de 25 % entre 2003 et 2005.
Q.- Le travailleur pauvre, c'est celui qui travaille mais qui ne gagne pas suffisamment pour vivre décemment.
R.- Voilà. C'est ceux qu'on entend, un peu timidement, mais cela peut être...
Q.- ... qui vivent dans leur voiture, qui n'arrivent pas à se loger, etc.
R.- ... Qui ont besoin du crédit à la consommation pour boucler les fins de mois. Ils peuvent être à temps partiel dans un supermarché, ils peuvent être dans une société de surveillance, ils peuvent faire le ménage ici dans un ministère, dans une entreprise, etc. Ils ont nombreux. Mais leur nombre a augmenté, mais là, c'est un cri d'alarme qu'il faut avoir. C'est pour cela que je suis inquiet si on continue sur cette tendance là. Ça, c'est entre 2003 et 2005 : plus 25 % de travailleurs pauvres. Le RSA, c'est une réponse, c'est une arme anti-pauvreté au travail. C'est assez simple.
Q.- Rappelez-nous comment cela fonctionne. C'est très simple : je n'avais pas de travail, j'étais au RMI par exemple, je retrouve du travail, et évidemment, si je retrouve du travail, je perds certaines aides sociales.
R.- Et avec le RSA, vous ne les perdez plus, vous êtes sûr, chaque fois que vous retravaillez, de gagner plus.
Q.- De gagner plus en retravaillant.
R.- Mais quand on a réfléchi à ce système il y a trois ans, on s'est dit qu'il fallait faire attention, il ne faut pas que le Rmiste qui va reprendre du travail et qui va gagner plus, vienne doubler celle ou celui qui n'est pas passé par le RMI, qui travaillerait depuis ses 18 ans et qui aurait juste un temps partiel. Et du coup, à ceux-là, il faut leur donner aussi. Il faut que chacun gagne plus et qu'ils gagnent ensemble autant. C'est pour cela qu'il faut mettre des sous là-dedans. Et c'est pour ça que cela fait peur à ceux qui sont assis sur leurs sous ou bien...
Q.- Qui est assis sur les sous ?
R.- Ceux qui ne connaissent pas ces réalités. C'est-à-dire ceux...
Q.- Mais c'est qui "ceux qui ne connaissent pas ces réalités" ?
R.- Mais il y a beaucoup de gens qui sont assis... Ce n'est pas pour rien qu'on doit se battre comme des beaux diables dans ces affaires-là et ce n'est pas pour rien que cela traîne depuis des années. Ce qu'on me dit en général, c'est que "le RSA, c'est formidable", "vos combats géniaux", "votre persuasion est forte, mais peut être un peu plus tard"... Et cela, depuis des années je l'entends. "Il y a d'autres priorités, ou etc., etc.". Et là, je ne veux pas qu'on passe à côté. On dit qu'il y a un train de réformes, je ne veux pas que le wagon des pauvres soit décroché du train. Je fais de la prévention et je considère que ce wagon-là, c'est toujours le wagon qu'on a mis sur le mauvais aiguillage. Il faut le remettre dans le train principal.
Q.- Trente-quatre départements expérimentent à partir du 1er janvier prochain, ça doit être généralisé à tous les départements français.
R.- C'est ce que le président de la République m'a demandé de faire.
Est-ce que vous avez peur de manquer, de ne pas avoir l'argent pour généraliser le RSA ?
R.- J'ai toujours eu peur et ma peur ne date pas d'aujourd'hui. J'ai écrit un bouquin avec une allocataire du RMI, des mois de dialogue où je lui dis : « attention », elle me dit que c'est formidable le RSA...
Q.- Qui finance le RSA ?
R.- Aujourd'hui, dans les expérimentations, c'est moitié-moitié entre les départements et l'Etat.
Q.- Vous allez être victime d'une rivalité aujourd'hui ? Il y a le pouvoir central à droite et le pouvoir local à gauche.
R.- Je m'en fiche d'être une victime. Ce que je ne veux pas, c'est que ce soit les Rmistes, les travailleurs pauvres, les parents isolés, les chômeurs de longue durée qui soient les victimes de ces combats collatéraux et politiciens. Donc c'est pour ça que, ce qu'on a proposé, ce sont des trucs clairs. Nous, on a posé des questions, on a mis les questions sur la table. En fait, ça avance bien notre affaire, je suis inquiet mais ça avance bien. Donc, on a dit qu'il y a un certain nombre de gens qui sont aujourd'hui sous la responsabilité des départements et les départements doivent pouvoir continuer à le financer. Les travailleurs pauvres, les parents isolés, c'est l'Etat qui en a la responsabilité et s'il propose le RSA, il doit aussi le financer.
Q.- Si jamais le RSA n'est pas appliqué, vous partirez ?
R.- Personne ne doute des conséquences de cela.
Q.- Ça veut dire que oui, vous partirez ?
R.- Autant je mets pression depuis des mois et des mois, comme j'ai mis pression pendant la campagne présidentielle, mais je ne fais aucun chantage.
Q.- Ce n'est pas faire du chantage, c'est le fait de dire les choses...
R.- Mais justement, je ne fais pas de chantage. Je suis à la fois inquiet et confiant. C'est-à-dire que je crois au poids de la parole. Pourquoi est-ce qu'on m'a demandé de venir ? C'est pour faire ça. Qu'est-ce qu'on m'a écrit dans ma lettre de mission ? On m'a dit de...
Q.- ... Qu'est-ce que vous dites aux politiques ce matin ?
R.- Je leur dis ce que je leur dis matin, midi et soir. Je leur dis que ça avance, que c'est plus que jamais nécessaire, on ne peut pas avoir de schizophrénie, plaindre les travailleurs pauvres et ne pas répondre à leurs problèmes. On ne peut pas dire de travailler plus et gagner plus en faisant en sorte qu'il y en ait certains qui gagnent moins en reprenant du travail. On a un système qui est en train de marcher département après département, on ne l'a jamais autant préparé, et donc, je dis simplement qu'on est prêt et qu'on ne peut pas, qu'on doit pas le passer par perte et profit.
Q.- Si on ne vous écoute pas, vous partez ?
R.- Si on m'écoute, ce sera formidable.
Q.- Et si on ne vous écoute pas ?
R.- Je suis là pour qu'on m'écoute. Et d'ailleurs, jusqu'à présent, on m'a écouté. Mais je sais qu'aux moments les plus difficiles, je tire les leçons de toutes les années qui ont fait que, au dernier moment...
Q.- Mais vous êtes déçu ? Je sens que vous êtes un peu déçu...
R.- Pas du tout !
Q.- Vous êtes optimiste, je vous sens combatif...
R.- Optimiste, ce n'est pas le mot. Je ne suis jamais optimiste là-dessus.
Q.- Je sens qu'il y a un fond d'inquiétude chez vous.
R.- Bien sûr. Ça n'empêche pas, je peux être confiant et inquiet. J'ai confiance dans ce système. J'ai confiance dans les paroles qui m'ont été données. J'ai d'abord confiance dans les gens et je pense que les gens et les allocataires du RMI et les travailleurs pauvres, si on leur donne un peu leur chance, ce sont des gens qui vont faire des (inaud.). Et je fais le lien entre tout. Parce que, par exemple, il y a une question de sous, on va dire, les déficits, etc.
Q.- On n'a pas d'argent, les caisses sont vides.
R.- Il y a des caisses qui ne sont pas vides.
Q.- Lesquelles ?
R.- Eh bien, il y a des caisses qui ne sont pas vides. On ne peut pas non plus occulter, regarder avec un oeil et se fermer l'autre. On parle, d'un coté, des profits de certaines entreprises et, de l'autre des travailleurs pauvres.
Q.- Vous pensez aux entreprises du CAC 40 ? Oui. Alors, qu'est-ce que vous pouvez faire sur ces profits ? Rien. Cet argent est redistribué aux actionnaires, c'est normal.
R.- Je ne suis pas arrivé en me disant : "j'ai quelque chose qui coûte cher pour les travailleurs pauvres mais j'ai aucune solution pour le financer". Donc, je suis arrivé avec deux copies : la copie "pourquoi le RSA peut fonctionner ?", et la copie d'à côté : "comment on peut le financer ?". Je me suis dit qu'il faut répartir l'effort qu'on doit faire en faveur des travailleurs pauvres, entre l'ensemble des acteurs, y compris les supers profits.
Q.- Que doit-on faire de cet argent des supers profits ? Qu'est-ce qu'on doit faire ? On va les taxer ces supers profits ?
R.- Il y a une toute petite partie, quand on regarde ce dont on a besoin pour sortir 1 million de personnes de la pauvreté la première année, on a besoin de 2 à 3 milliards d'euros. On peut se dire qu'il y a peut-être quelques centaines de millions d'euros à prendre quand les entreprises rachètent leurs propres actions en payant moins d'impôts quand elles le font. On peut peut-être leur demander un petit effort. Quand les produits financiers sont un peu moins taxés que les produits du travail, on peut peut-être faire un petit effort. Ces sont des petits efforts, et en plus, symboliquement, ça montre qu'on lutte contre la pauvreté en rendant solidaires ceux qui se portent bien et se porteront pas moins bien. Parce que le message que je veux faire passer, c'est que ces supers profits vont fondre d'une manière très simple si on ne fait rien. C'est-à-dire que si on ne fait pas retravailler les gens qui sont en difficulté, ça disparaîtra. Donc il vaut mieux l'investir dans la lutte contre la pauvreté que de le voir s'évader.
Q.- Est-ce qu'il faut renoncer au paquet fiscal ?
R.- Non, mais il faut le compléter. Moi j'ai toujours dit il faut mettre le paquet social et il faut mettre le paquet fiscal. Il ne faut pas d'un coté submerger les gens d'impôts. Je le dis très simplement, pour moi ça colle : bouclier social, bouclier fiscal.
Q.- Oui, mais le bouclier social, il n'est pas là pour l'instant.
R.- On est en train de le faire, c'est pour ça que je suis là. Il n'y a pas d'ambiguïté, ma lettre est claire, les échéances sont claires, le boulot est clair, on a avancé, on est à mi-chemin et il y a des moments où il faut donner des sacrés coups de collier.
Q.- Là, vous donnez un coup de collier, un avertissement.
R.- Pas un avertissement, un coup de collier.
Q.- Vous sentez qu'il faut pousser ?
R.- Oui, il faut pousser. Je ne vais pas rester les bras ballants en allant vous revoir dans trois mois en disant : "désolé, j'ai été timide, je suis passé à coté"...
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 27 mars 2008
R.- Non...
Q.- Vous n'avez pas entendu cela. C'est fort quand même non ?
R.- Oui, c'est assez fort. C'est très, très fort même. D'abord, je ne connais pas grand-chose, si ce n'est que j'ai beaucoup travaillé dans des pays pauvres et j'ai plutôt tendance à être du côté des faibles. Je me demandais, s'il n'y avait pas les Jeux Olympiques, je pense que l'on parlerait beaucoup moins du Tibet. Donc il y a déjà un effet favorable à ce que les Jeux Olympiques forcent tout le monde à se poser des questions. Est-ce qu'il y a une pression qui remonte ? Je pense que dans cette petite phrase, je pense que les droits de l'homme peuvent progresser quand même.
Q.- Est-ce qu'il faut recevoir officiellement le Dalaï Lama, quand il viendra en France au mois d'août ? Le recevoir officiellement ? Est-ce que le président de la République doit le recevoir, le ministre des Affaires étrangères ?
R.- Je crois qu'il s ont dit les uns et les autres qu'ils étaient prêts à le recevoir. Dans les subtilités du protocole, j'avoue que je ne connais pas les subtilités du protocole. Je connais les subtilités de langage en revanche, et j'ai été extrêmement choqué par le débat dans le débat. C'est-à-dire que l'un des députés, je crois qu'il s'appelle L. Luca...
Q.- L. Luca, oui, il est député UMP des Alpes-Maritimes.
R.- ... qui a traité ou sous-entendu que Kouchner pouvait être un collabo.
Q.- Oui, il l'a dit, il l'a dit.
R.- Je trouve que ce sont des mots qu'il faut retirer. On peut discuter des droits de l'homme. On peut dire qu'il y en a qui n'ont pas assez la pêche, qui ne prennent pas... On peut critiquer là-dessus, mais traiter de collabo, c'est ignoble.
Q.- Parlons de ce qui vous intéresse au premier plan, c'est-à-dire la lutte contre les inégalités, contre la pauvreté. Vous êtes haut commissaire aux Solidarités. La solidarité, on en a besoin plus que jamais dans ce pays, dans des temps difficiles. Est-ce que vous avez peur pour votre RSA, le Revenu social d'activité ?
R.- J'ai toujours eu peur. D'abord, j'ai peur pour les travailleurs pauvres, j'ai peur pour les Rmistes, j'ai peur pour tous ceux que l'on passe par perte et profit depuis des années. Vous dites "il faut plus de solidarité..."
Q.- Le RSA, c'est le Revenu de solidarité active, mais bon, pour moi, c'est pareil...
R.- Oui, mais justement, vous dites plus de solidarité. Moi, j'ai une petite nuance, je dis "de la solidarité un peu différente". J'ai beaucoup réfléchi à ce qui s'est passé ces dernières décennies. Il y a une période où on a réussi à réduire la pauvreté. C'était la période des années cinquante, soixante, soixante-dix, on a réussi à réduire la pauvreté chez les personnes les plus âgées en redistribuant. Aujourd'hui, on a besoin de solidarité qui est différente. On a besoin de solidarité vers les travailleurs pauvres, vers les actifs, vers les jeunes, vers ceux qui sont en capacité de travailler. Donc, effectivement, il ne faut remettre le même système...
Q.- Donc le RSA, rappelez nous ce que c'est ; 34 départements aujourd'hui sont concernés.
R.- Le RSA, c'est un système qu'on a inventé avec les syndicats, avec le patronat, avec les collectivités locales, avec les associations, en se disant qu'il faut répondre à ces nouvelles formes de pauvreté qu'on voit aujourd'hui. Vous connaissez des travailleurs pauvres ? Oui. Savez-vous combien il y a de travailleurs pauvres en plus au cours des dernières années ? Non. Le nombre de travailleurs pauvres a augmenté de 25 % entre 2003 et 2005.
Q.- Le travailleur pauvre, c'est celui qui travaille mais qui ne gagne pas suffisamment pour vivre décemment.
R.- Voilà. C'est ceux qu'on entend, un peu timidement, mais cela peut être...
Q.- ... qui vivent dans leur voiture, qui n'arrivent pas à se loger, etc.
R.- ... Qui ont besoin du crédit à la consommation pour boucler les fins de mois. Ils peuvent être à temps partiel dans un supermarché, ils peuvent être dans une société de surveillance, ils peuvent faire le ménage ici dans un ministère, dans une entreprise, etc. Ils ont nombreux. Mais leur nombre a augmenté, mais là, c'est un cri d'alarme qu'il faut avoir. C'est pour cela que je suis inquiet si on continue sur cette tendance là. Ça, c'est entre 2003 et 2005 : plus 25 % de travailleurs pauvres. Le RSA, c'est une réponse, c'est une arme anti-pauvreté au travail. C'est assez simple.
Q.- Rappelez-nous comment cela fonctionne. C'est très simple : je n'avais pas de travail, j'étais au RMI par exemple, je retrouve du travail, et évidemment, si je retrouve du travail, je perds certaines aides sociales.
R.- Et avec le RSA, vous ne les perdez plus, vous êtes sûr, chaque fois que vous retravaillez, de gagner plus.
Q.- De gagner plus en retravaillant.
R.- Mais quand on a réfléchi à ce système il y a trois ans, on s'est dit qu'il fallait faire attention, il ne faut pas que le Rmiste qui va reprendre du travail et qui va gagner plus, vienne doubler celle ou celui qui n'est pas passé par le RMI, qui travaillerait depuis ses 18 ans et qui aurait juste un temps partiel. Et du coup, à ceux-là, il faut leur donner aussi. Il faut que chacun gagne plus et qu'ils gagnent ensemble autant. C'est pour cela qu'il faut mettre des sous là-dedans. Et c'est pour ça que cela fait peur à ceux qui sont assis sur leurs sous ou bien...
Q.- Qui est assis sur les sous ?
R.- Ceux qui ne connaissent pas ces réalités. C'est-à-dire ceux...
Q.- Mais c'est qui "ceux qui ne connaissent pas ces réalités" ?
R.- Mais il y a beaucoup de gens qui sont assis... Ce n'est pas pour rien qu'on doit se battre comme des beaux diables dans ces affaires-là et ce n'est pas pour rien que cela traîne depuis des années. Ce qu'on me dit en général, c'est que "le RSA, c'est formidable", "vos combats géniaux", "votre persuasion est forte, mais peut être un peu plus tard"... Et cela, depuis des années je l'entends. "Il y a d'autres priorités, ou etc., etc.". Et là, je ne veux pas qu'on passe à côté. On dit qu'il y a un train de réformes, je ne veux pas que le wagon des pauvres soit décroché du train. Je fais de la prévention et je considère que ce wagon-là, c'est toujours le wagon qu'on a mis sur le mauvais aiguillage. Il faut le remettre dans le train principal.
Q.- Trente-quatre départements expérimentent à partir du 1er janvier prochain, ça doit être généralisé à tous les départements français.
R.- C'est ce que le président de la République m'a demandé de faire.
Est-ce que vous avez peur de manquer, de ne pas avoir l'argent pour généraliser le RSA ?
R.- J'ai toujours eu peur et ma peur ne date pas d'aujourd'hui. J'ai écrit un bouquin avec une allocataire du RMI, des mois de dialogue où je lui dis : « attention », elle me dit que c'est formidable le RSA...
Q.- Qui finance le RSA ?
R.- Aujourd'hui, dans les expérimentations, c'est moitié-moitié entre les départements et l'Etat.
Q.- Vous allez être victime d'une rivalité aujourd'hui ? Il y a le pouvoir central à droite et le pouvoir local à gauche.
R.- Je m'en fiche d'être une victime. Ce que je ne veux pas, c'est que ce soit les Rmistes, les travailleurs pauvres, les parents isolés, les chômeurs de longue durée qui soient les victimes de ces combats collatéraux et politiciens. Donc c'est pour ça que, ce qu'on a proposé, ce sont des trucs clairs. Nous, on a posé des questions, on a mis les questions sur la table. En fait, ça avance bien notre affaire, je suis inquiet mais ça avance bien. Donc, on a dit qu'il y a un certain nombre de gens qui sont aujourd'hui sous la responsabilité des départements et les départements doivent pouvoir continuer à le financer. Les travailleurs pauvres, les parents isolés, c'est l'Etat qui en a la responsabilité et s'il propose le RSA, il doit aussi le financer.
Q.- Si jamais le RSA n'est pas appliqué, vous partirez ?
R.- Personne ne doute des conséquences de cela.
Q.- Ça veut dire que oui, vous partirez ?
R.- Autant je mets pression depuis des mois et des mois, comme j'ai mis pression pendant la campagne présidentielle, mais je ne fais aucun chantage.
Q.- Ce n'est pas faire du chantage, c'est le fait de dire les choses...
R.- Mais justement, je ne fais pas de chantage. Je suis à la fois inquiet et confiant. C'est-à-dire que je crois au poids de la parole. Pourquoi est-ce qu'on m'a demandé de venir ? C'est pour faire ça. Qu'est-ce qu'on m'a écrit dans ma lettre de mission ? On m'a dit de...
Q.- ... Qu'est-ce que vous dites aux politiques ce matin ?
R.- Je leur dis ce que je leur dis matin, midi et soir. Je leur dis que ça avance, que c'est plus que jamais nécessaire, on ne peut pas avoir de schizophrénie, plaindre les travailleurs pauvres et ne pas répondre à leurs problèmes. On ne peut pas dire de travailler plus et gagner plus en faisant en sorte qu'il y en ait certains qui gagnent moins en reprenant du travail. On a un système qui est en train de marcher département après département, on ne l'a jamais autant préparé, et donc, je dis simplement qu'on est prêt et qu'on ne peut pas, qu'on doit pas le passer par perte et profit.
Q.- Si on ne vous écoute pas, vous partez ?
R.- Si on m'écoute, ce sera formidable.
Q.- Et si on ne vous écoute pas ?
R.- Je suis là pour qu'on m'écoute. Et d'ailleurs, jusqu'à présent, on m'a écouté. Mais je sais qu'aux moments les plus difficiles, je tire les leçons de toutes les années qui ont fait que, au dernier moment...
Q.- Mais vous êtes déçu ? Je sens que vous êtes un peu déçu...
R.- Pas du tout !
Q.- Vous êtes optimiste, je vous sens combatif...
R.- Optimiste, ce n'est pas le mot. Je ne suis jamais optimiste là-dessus.
Q.- Je sens qu'il y a un fond d'inquiétude chez vous.
R.- Bien sûr. Ça n'empêche pas, je peux être confiant et inquiet. J'ai confiance dans ce système. J'ai confiance dans les paroles qui m'ont été données. J'ai d'abord confiance dans les gens et je pense que les gens et les allocataires du RMI et les travailleurs pauvres, si on leur donne un peu leur chance, ce sont des gens qui vont faire des (inaud.). Et je fais le lien entre tout. Parce que, par exemple, il y a une question de sous, on va dire, les déficits, etc.
Q.- On n'a pas d'argent, les caisses sont vides.
R.- Il y a des caisses qui ne sont pas vides.
Q.- Lesquelles ?
R.- Eh bien, il y a des caisses qui ne sont pas vides. On ne peut pas non plus occulter, regarder avec un oeil et se fermer l'autre. On parle, d'un coté, des profits de certaines entreprises et, de l'autre des travailleurs pauvres.
Q.- Vous pensez aux entreprises du CAC 40 ? Oui. Alors, qu'est-ce que vous pouvez faire sur ces profits ? Rien. Cet argent est redistribué aux actionnaires, c'est normal.
R.- Je ne suis pas arrivé en me disant : "j'ai quelque chose qui coûte cher pour les travailleurs pauvres mais j'ai aucune solution pour le financer". Donc, je suis arrivé avec deux copies : la copie "pourquoi le RSA peut fonctionner ?", et la copie d'à côté : "comment on peut le financer ?". Je me suis dit qu'il faut répartir l'effort qu'on doit faire en faveur des travailleurs pauvres, entre l'ensemble des acteurs, y compris les supers profits.
Q.- Que doit-on faire de cet argent des supers profits ? Qu'est-ce qu'on doit faire ? On va les taxer ces supers profits ?
R.- Il y a une toute petite partie, quand on regarde ce dont on a besoin pour sortir 1 million de personnes de la pauvreté la première année, on a besoin de 2 à 3 milliards d'euros. On peut se dire qu'il y a peut-être quelques centaines de millions d'euros à prendre quand les entreprises rachètent leurs propres actions en payant moins d'impôts quand elles le font. On peut peut-être leur demander un petit effort. Quand les produits financiers sont un peu moins taxés que les produits du travail, on peut peut-être faire un petit effort. Ces sont des petits efforts, et en plus, symboliquement, ça montre qu'on lutte contre la pauvreté en rendant solidaires ceux qui se portent bien et se porteront pas moins bien. Parce que le message que je veux faire passer, c'est que ces supers profits vont fondre d'une manière très simple si on ne fait rien. C'est-à-dire que si on ne fait pas retravailler les gens qui sont en difficulté, ça disparaîtra. Donc il vaut mieux l'investir dans la lutte contre la pauvreté que de le voir s'évader.
Q.- Est-ce qu'il faut renoncer au paquet fiscal ?
R.- Non, mais il faut le compléter. Moi j'ai toujours dit il faut mettre le paquet social et il faut mettre le paquet fiscal. Il ne faut pas d'un coté submerger les gens d'impôts. Je le dis très simplement, pour moi ça colle : bouclier social, bouclier fiscal.
Q.- Oui, mais le bouclier social, il n'est pas là pour l'instant.
R.- On est en train de le faire, c'est pour ça que je suis là. Il n'y a pas d'ambiguïté, ma lettre est claire, les échéances sont claires, le boulot est clair, on a avancé, on est à mi-chemin et il y a des moments où il faut donner des sacrés coups de collier.
Q.- Là, vous donnez un coup de collier, un avertissement.
R.- Pas un avertissement, un coup de collier.
Q.- Vous sentez qu'il faut pousser ?
R.- Oui, il faut pousser. Je ne vais pas rester les bras ballants en allant vous revoir dans trois mois en disant : "désolé, j'ai été timide, je suis passé à coté"...
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 27 mars 2008