Interview de M. Jean-Michel Lemétayer, président de la FNSEA, à France Info le 22 février 2008, sur la hausse des prix des produits alimentaires, le Salon de l'agriculture et la PAC.

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Média : France Info

Texte intégral


 
 
A. Soubiran.- A la veille de l'ouverture du Salon de l'agriculture à Paris, la "Question du jour" est posée ce matin à J.-M. Lemétayer, président de la FNSEA, principal syndicat agricole. Bonjour.
 
R.- Bonjour.
 
Q.- En janvier, pour le 4ème mois consécutif, les prix des produits alimentaires à base de céréales et de lait ont augmenté dans notre pays. J.-M. Lemétayer, les agriculteurs ont-ils une part de responsabilité dans cette hausse ?
 
R.- Ils n'ont pas une part de responsabilité. D'abord, ils apprécient que les prix aient pu augmenter, parce qu'on a connu tellement des prix bas et avec des conséquences sur leurs revenus, que connaître de meilleurs prix est une bonne chose pour eux.
 
Q.- Cela veut dire des revenus en hausse pour eux ?
 
R.- On prend notre responsabilité, évidemment, puisque la conséquence c'est que dans les produits transformés il y a une hausse évidemment des prix, mais en n'oubliant pas de préciser que dans une baguette de pain, ou dans un kilo de fromage, ou dans un yaourt ou dans un autre produit transformé, il n'y a pas forcément toute la répercussion, parce que la part de la matière première peut aller de quelques pourcents à 70 ou 80 %.
 
Q.- Tout de même, les prix du blé multipliés par deux en un an, c'est énorme.
 
R.- Oui, mais c'est la conséquence d'une situation mondiale. Et aussi en même temps la conséquence d'une politique agricole, parce qu'à partir du moment où sur le plan européen, en matière de politique agricole, on ne veut plus financer des stocks, les stocks pesant sans doute sur le plan budgétaire, eh bien, on est à la merci d'abord de ces réalités climatiques telles qu'on les a connues en 2007 dans certaines régions du monde, et donc réduisant l'offre. Et puis il se trouve que la croissance dans certaines autres régions du monde - et je pense à l'Asie en particulier - tire le marché, et à partir de ce moment-là, on a un autre équilibre sur ces marchés, notamment des céréales, avec, il faut le préciser tout de même, des conséquences directes dans la profession agricole, parce que si ça va bien pour les céréaliers, pour les éleveurs, c'est un peu plus compliqué.
 
Q.- Effectivement, cette situation mondiale est très favorable aux grands céréaliers, qui n'en avaient d'ailleurs peut-être pas besoin...
 
R.- Arrêtons de parler de "grands céréaliers" ou de petits.... Aux céréaliers.
 
Q.- En revanche, pour les producteurs de porc qui ont manifesté cette semaine encore à Rennes, la situation est beaucoup plus difficile parce qu'ils souffrent eux aussi de cette situation.
 
R.- Pas difficile. Elle est dramatique. Elle est dramatique parce que... on a l'habitude de connaître des cycles bas de prix - c'est le cas actuellement dans le porc - mais on n'avait jamais connu, parallèlement, une telle hausse des matières premières et du prix de l'aliment. Quand on sait que le coût de production d'un porc, c'est 65 % d'aliments du bétail, avec une telle hausse du prix de l'aliment, on vit une situation où l'endettement, semaine après semaine, devient insupportable pour es éleveurs, et c'est la raison pour laquelle ils se sont mobilisés. On s'est battu pour obtenir un certain nombre de mesures sur le plan européen, on a mis en place des aides à la trésorerie, à partir des propres fonds d'investissement professionnels, mais cela ne suffira pas si la crise doit durer encore plusieurs mois.
 
Q.- Revenons sur le Salon de l'agriculture qui ouvre demain. Ce sera le premier pour N. Sarkozy, après l'ère Chirac ; on sait le plaisir qu'avait J. Chirac à visiter le Salon de l'Agriculture. Qu'attendezvous de N. Sarkozy ? Les relations ne sont pas très bonnes depuis l'affaire des OGM.
 
R.- Non. On s'est expliqué. Les relations sont normales entre le Président et moi-même. La preuve c'est que je l'ai rencontré pendant trois quarts d'heure hier après-midi, et je lui ai demandé, puisque, contrairement au Président Chirac, il vient au Salon et il va s'exprimer au Salon. Donc, tenir un discours...
 
Q.- Il va rester moins longtemps mais il va tenir un discours ?
 
R.- Mais il va effectivement s'exprimer. On attend de sa part qu'il confirme son ambition agricole, non seulement pour la France mais pour l'Europe. La France va présider l'Europe dans quelques mois...
 
Q.- Alors, qu'attendez-vous précisément...
 
R.- La responsabilité première du chef de l'Etat, c'est justement cette responsabilité européenne et internationale. Il a un premier dossier extrêmement chaud, qui est celui de la négociation à l'OMC. J'ai demandé au Président de dire très clairement... de réafficher d'abord sa fermeté - il l'a toujours affichée mais - d'être prêt à mettre son veto si les négociations doivent avancer sur la base que nous connaissons actuellement, parce qu'on est sur une négociation absolument déséquilibrée en défaveur de notre agriculture.
 
Q.- Vous avez obtenu l'appui du chef de l'Etat ?
 
R.- Je pense qu'il... Attendons ses propos de samedi, de demain, puisque c'est déjà demain. Mais je pense qu'il réaffirmera sa fermeté concernant cette négociation. Et puis, je pense qu'il réaffirmera aussi son ambition agricole, parce qu'il est un tenant de la sécurité alimentaire, au sens souveraineté alimentaire de l'Europe. Et je pense qu'à partir de là, on peut envisager une politique agricole pour accompagner justement cette ambition.
 
Q.- Alors, concernant la PAC, également, est-ce que le chef de l'Etat vous paraît avoir des ambitions qui vont dans votre sens ?
 
R.- C'est la raison pour laquelle je parle d'abord d'ambition, parce qu'on parle déjà des échéances de 2013. Là, actuellement, on parle de bilan de santé de la PAC : c'est une réévaluation de la réforme de 2003, à Luxembourg.
 
Q.- La réforme de 2003 devait aller en principe jusqu'en 2013.
 
R.- Elle va jusqu'en 2013. Sur un plan budgétaire, elle va jusqu'en 2013. On va travailler à la manière peut-être... enfin, non seulement peut-être mais de rééquilibrer les aides, et répondre à un certain nombre de questions sur l'avenir des quotas laitiers, la suppression du gel des terres compte tenu des besoins, etc. Mais là où c'est important, et ça c'est du rôle du chef de l'Etat, c'est d'afficher la couleur, j'allais dire l'ambition, parce que si on a une vraie ambition agricole, si on est pour la souveraineté alimentaire, on n'a pas la même politique agricole que si on dit : "on va s'approvisionner sur le marché international", surtout si c'est moins cher. Et, à partir de là, donc se faire une politique d'accompagnement y compris budgétaire. Donc, voilà ce qu'on attend du chef de l'Etat. Je lui ai demandé que sous sa présidence, il entame cette réflexion au plus haut des chefs d'Etat et de Gouvernement. Il y a soixante ans qu'on n'a pas dit quel était le cap pour notre agriculture ; on a fait du replâtrage, on fait des réformes. Mais là, il est temps de dire, à un moment où le monde a besoin de son agriculture bien plus... il n'y a pas si longtemps, on disait : "Ouf, du moment qu'ils entretiennent le paysage, c'est bien". Là, on a besoin de nous...
 
Q.- Changement de cap ?
 
R.-... pour l'alimentation, et pourquoi pas pour le (inaud) alimentaire.
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 22 février  2008