Déclaration de M. Jean-Marc Ayrault, président du groupe socialiste à l'Assemblée nationale, sur l'opposition du PS à la décision du Président de la République de renforcer la présence militaire française en Afghanistan, à Paris le 1er avril 2008.

Prononcé le 1er avril 2008

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Circonstance : Débat à l'Assemblée nationale sur l'envoi de renforts militaires français en Afghanistan, à Paris le 1er avril 2008

Texte intégral


Monsieur le Président,
Monsieur le Premier Ministre
Mesdames, Messieurs,
Le 26 avril 2007, entre les deux tours de l'élection présidentielle, le candidat Nicolas Sarkozy annonçait sur France 2 qu'il retirerait nos troupes d'Afghanistan s'il était élu. Il estimait alors, je le cite, que « la présence à long terme des troupes françaises à cet endroit du monde ne semble pas décisive. » Et il s'engageait à poursuivre la politique de rapatriement de nos forces armées entamée par Jacques Chirac.
Seul, sans information du Parlement et semble-t-il contre l'avis d'une partie de l'Etat major des Armées, le chef de l'Etat bouleverse la nature de l'engagement français en Afghanistan et le consensus national qui l'entourait.
Cet engagement reposait sur le droit de légitime défense collective reconnu par la charte des Nations Unies. Au lendemain des attentats du 11 septembre, il s'agissait d'empêcher un conflit de civilisations en abattant l'organisation terroriste qui avait organisé ces actes de barbarie et l'Etat qui s'en était rendu complice. Il était alors du devoir de la France d'être aux côtés de ses amis américains. Elle ne s'y est pas dérobée. Et elle a eu raison. Le gouvernement Taliban est tombé et si Al Qaïda n'a pas été détruit, sa capacité de nuisance a été affaiblie.
Mais force est de constater que la seconde partie de la mission, la stabilisation et le développement d'un pays pacifié, démocratisé et intégré à la communauté internationale, est loin d'être remplie. La pauvreté n'a pas reculé. L'aide économique ne répond pas à l'ambition affichée. Les islamistes regagnent du terrain. Malgré le soutien de la coalition aux efforts du président Karzaï, malgré l'émergence d'un embryon d'Etat et d'une armée nationale, l'Afghanistan demeure cette nation décomposée, pauvre et tribale dans laquelle, par le passé, toutes les forces militaires étrangères se sont enlisées, qu'elles soient anglaises ou russes.
Aujourd'hui la coalition se heurte aux mêmes difficultés parce qu'elle a commis les mêmes erreurs. Sûre de son bon droit, elle a privilégié l'éradication militaire des Talibans au détriment de la reconstruction économique, sociale et sanitaire du pays. Certaine de sa supériorité technologique, elle n'a jamais trouvé la réponse à une guérilla mobile et invisible où s'enchevêtrent combattants islamistes, seigneurs de la guerre et trafiquants de drogue. Pis, cette stratégie militaire a été dramatiquement affaiblie par la guerre de l'Amérique en Irak qui a détourné l'essentiel de ses forces militaires, redonné souffle aux terroristes islamistes et affaibli la légitimité de l'intervention en Afghanistan. Aucune de ces observations n'a fait l'objet du moindre débat dans notre pays. Le gouvernement a refusé la mission d'évaluation parlementaire que nous demandions au mois d'Octobre. Vous n'avez pas davantage consulté nos partenaires européens alors que tout invite à une position européenne concertée.
Qu'on ne nous fasse pas de faux procès. Il ne s'agit pas pour nous d'abandonner l'Afghanistan. Nous voulons vaincre les Talibans et Al Qaïda. Mais cette victoire ne pourra être acquise sans la redéfinition d'une stratégie d'ensemble où l'effort militaire et l'effort de développement s'accompagnent mutuellement.
Sans cette réorientation, le message présidentiel « nous ne pouvons, nous ne devons pas perdre la guerre » est aussi martial qu'inopérant. Qui peut croire qu'ajouter la guerre à la guerre va la faire cesser quand aucune leçon de l'échec actuel n'a été tirée. Nous refusons cet enlisement dans un conflit sans but et sans fin.
Nous nous opposons à la décision du Président Sarkozy parce qu'elle exposera inutilement la vie de nos soldats dans de vains combats tant que l'intervention alliée n'aura pas été repensée.
Nous nous opposons à cette décision parce qu'elle transformera les unités françaises en forces combattantes de première ligne alors même que la France l'a toujours refusé et l'a fait acter dans l'accord de 2003 avec ses alliés.
Nous nous opposons à cette décision parce qu'elle demande à la France de supporter en Afghanistan le fardeau américain de la guerre en Irak alors même qu'elle avait été la première à en dénoncer l'erreur et la nocivité.
Nous nous opposons à cette décision parce qu'elle a peu à voir avec l'Afghanistan et beaucoup avec l'obsession atlantiste du Président Sarkozy.
Vouloir améliorer la relation avec l'Amérique est une bonne chose s'il s'agit d'un partenariat entre égaux qui respecte les identités et l'indépendance de chacun. Mais ce qui est en train de s'écrire est bien différent. Du discours devant le Congrès américain au discours de Westminster, de l'engagement renforcé en Afghanistan à la négociation pour revenir dans le commandement intégré de l'OTAN est en train de s'opérer un « alignement stratégique global » dont nous récusons la pertinence et l'opportunité pour notre pays.
Il ne peut y avoir d'autonomie de décisions dans une OTAN qui continue de refuser tout directoire partagé, tout pilier européen de défense, toute volonté de contrôle politique et militaire extérieure aux Etats-Unis. Quelle que soit la bonne volonté du futur président aux Etats-Unis, la logique de puissance finit toujours par l'emporter au sein de l'OTAN.
Voilà pourquoi la rupture qu'est en train d'opérer le Président est inacceptable. Elle brise le consensus national sans aucun débat devant le pays.
Et c'est par là je veux conclure.
Tous les élus qui siègent ici dans cet hémicycle ont vécu le discours de Westminster comme une humiliation. Que le président de la République choisisse les députés britanniques pour annoncer un engagement militaire de notre pays alors même que nous sommes tenus dans l'ignorance est un affront sans précédent envers la représentation nationale.
Quelle démocratie peut accepter que le président engage nos forces dans une guerre sans que les représentants du peuple aient leur mot à dire. Quelle démocratie peut tolérer que le Président change la stratégie d'autonomie suivie depuis cinquante par la France vis-à-vis de l'OTAN sans en saisir le Parlement.
C'est ça la démocratie « exemplaire » de M. Sarkozy : un exécutif, des exécutants. On nous promet une grande réforme institutionnelle qui permettra notamment au Parlement de se prononcer lorsqu'une opération extérieure se prolongera au-delà de six mois. Alors pourquoi ne pas commencer dès maintenant. Pourquoi se contenter de cet ersatz de débat. J'ai proposé au gouvernement d'engager sa responsabilité devant le Parlement sur ce nouvel engagement militaire comme l'a fait François Mitterrand en 1991 lors de la guerre de Golfe. Vous l'avez refusé.
En conséquence, Monsieur le Premier Ministre, le groupe socialiste, radical et citoyen déposera une motion de censure en vertu de l'article 49/2 de la Constitution. La France doit continuer de préserver sa liberté de choix dans le monde.
Source http://www.deputessocialistes.fr, le 7 avril 2008