Déclaration de Mme Roselyne Bachelot, ministre de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative, sur la lutte contre l'anorexie, à Paris le 9 avril 2008.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Signature de la charte contre l'anorexie et l'image du corps, Paris le 9 avril 2008

Texte intégral

Madame la Députée,
Messieurs les Professeurs,
Mesdames et messieurs les membres du groupe de travail,
Mesdames et messieurs,

Expression d'un nouveau « malaise dans la civilisation », l'anorexie place notre société face à ses contradictions : celles d'un système qui pousse à la fois à une approche déréglée des jouissances de la consommation, tout en portant au pinacle les valeurs de la performance et de la maîtrise de soi.
Aujourd'hui, ces valeurs trouvent leur incarnation, si l'on peut dire, dans la représentation de corps filiformes, diaphanes, transparents, exerçant sur les murs de nos villes, dans les pages de nos magazines, sur les écrans de nos ordinateurs, leur pouvoir de fascination délétère sur toute notre société.
Derrière le triomphe ambigu que ces images mettent en scène, derrière la victoire apparente remportée par l'être humain sur sa corporéité, se cache, en réalité, la défaite d'une culture plus que jamais obsédée par son corps, et plus que jamais soucieuse de le faire disparaître.
Tout se passe désormais comme si notre société confondait deux homonymes : éthique avec un h, et étique, sans h, l'adjectif qui désigne la maigreur mortifère des saintes et des anachorètes.
De fait, nous savons bien que les adolescents et les adolescentes en proie à cette maladie qu'est l'anorexie connaissent les mêmes transports, le même délire de toute-puissance dont les écrits des grands mystiques du passé nous ont laissé le témoignage.
Le paradoxe de l'anorexie réside précisément dans le rôle qu'elle fait jouer à la volonté. L'anorexie se donne les apparences d'une volonté pure, où la raison triomphe sur le corps, dans une indifférence parfaite aux contraintes que nous imposent les soins à lui donner, mais aussi au plaisir qu'ils nous procurent. La pulsion de vie est entièrement absorbée par la pulsion de mort.
De fait, l'anorexie figure parmi les plus mortelles des maladies du psychisme. Le taux de mortalité à 10 ans, est de 5%. Il avoisinerait les 20% à plus long terme, car la santé de celles et ceux qui en réchappent demeure irréversiblement fragilisée.
Aujourd'hui, la France compte 30 à 40 000 anorexiques, en majorité des jeunes filles et des jeunes femmes. Leurs parcours scolaire, universitaire ou professionnel, leur parcours de vie enfin, sont considérablement affectés. Les vies de leur famille et de leur entourage sont également suspendues à la maladie, car pour eux aussi, la nourriture et les conflits autour de l'alimentation se mettent à prendre le pas sur toute autre considération, tant les obsède le souci de voir leur fils, leur fille, leur frère ou leur soeur revenir à la vie.
Mon propos ici, vous le savez bien, n'est pas de tendre un doigt accusateur vers des responsables supposés, milieux de la mode, des médias, ou de la communication.
Il reste toutefois que, si les médecins sont en première ligne pour soigner celles et ceux chez qui la maladie s'est déclarée, nous disposons de certains leviers pour prévenir l'apparition des premiers symptômes, et agir sur les représentations susceptibles d'inciter jeunes gens et jeunes filles, à tomber dans la spirale de l'anorexie.
Je vous remercie d'avoir accepté de participer à ce groupe de travail, sous la direction remarquable des Professeurs Marcel Rufo et Jean-Pierre Poulain.
Professionnels de la santé, de la mode, des médias et de la communication, représentants des associations, vous venez d'horizons très divers, et cette diversité même a fait votre force.
Vous avez dû apprendre à vous parler, à vous écouter, à prendre en compte les remarques et les éclairages les uns des autres, à lever enfin certaines résistances, pour parvenir à l'élaboration de cette charte d'engagement volontaire, qui nous permet d'ouvrir ensemble la voie d'une approche globale de la prévention de l'anorexie.
Les causes de cette maladie sont protéiformes et mal connues, ses déclencheurs peuvent se révéler multiples. Seule la conjugaison d'actions plurielles, venues de plusieurs directions, nous permettra de proposer un plan cohérent et efficace de lutte contre l'anorexie.
En tant que ministre de la santé, responsable de l'action publique, je ne peux que louer la force de votre engagement, dans les fonctions qui sont les vôtres. Je vous prie de faire part de ma gratitude aux trois signataires de la charte, que leur agenda très chargé a empêchés d'être présents parmi nous aujourd'hui.
La charte « Anorexie-image du corps » établit dans un premier temps une distinction entre deux populations à risque. D'une part, les professionnels, qui vivent de l'image de leur corps : mannequins, danseurs, professionnels de la diététique ou de l'esthétique sont soumis à certaines contraintes dans l'exercice de leur métier. Nous devons les aider à les supporter, sans risque pour leur santé.
La deuxième catégorie de population est plus large : il s'agit de la jeunesse, dont la présence au sein du même département ministériel que la santé ne doit rien au hasard, cette jeunesse tiraillée entre le désir de se conformer aux canons esthétiques de notre temps, mais aussi de se distinguer, de s'opposer et de sortir du rang. Prenons garde à ce que ces deux volontés contradictoires, conformisme et anticonformisme, ne s'annulent dans la terrible solution que propose l'anorexie.
Nous devons, à cette fin, faire évoluer les comportements et les représentations. Ces dernières doivent pouvoir refléter la diversité des morphologies de notre société. A cet égard, le succès récent de certaines campagnes publicitaires, mettant en scène des beautés réelles et de tous âges, a prouvé aux publicitaires le potentiel d'une telle démarche.
Les annonceurs savent aujourd'hui qu'ils ont tout à gagner à mettre en avant de vraies femmes, plutôt que des chimères.
Si nous avons tous un rôle à jouer pour faire accepter la diversité corporelle dans notre société, pour faire en sorte que les différences soient mieux assumées, nous devons aussi prendre garde à ne pas stigmatiser les physiques hors normes, et les personnes qui souffriraient de surpoids. Il est d'autant plus nécessaire que nous adoptions sur ce point un comportement exemplaire que le prestige de la mode française, mais aussi de notre culture et de notre qualité de vie, rayonne à travers le monde et nous oblige à la responsabilité.
Pour autant, cette approche doit rester ancrée dans un certain réalisme.
Sans pragmatisme, point de progrès. Ainsi, nous savons bien qu'une majorité considérable de nos concitoyens ne sont pas satisfaits de leur poids. Plutôt que de s'interdire d'écouter cette demande, je me réjouis de voir que les représentants des organes de presse se sont engagés à assortir leurs articles proposant des régimes de conseils sanitaires avisés, appelant chacun et chacune à la mesure, et alertant les lecteurs contre les dérives possibles de ces volontés.
Sachons également faire la part entre des marronniers d'hebdomadaires féminins, proposant à leurs lectrices de perdre quelques kilos à l'approche des fêtes ou de l'été, et certains sites internet incitant explicitement à l'anorexie.
Les mouvements dits « pro-ana », qui propagent sur la toile leurs messages de mort doivent faire l'objet d'une vigilance particulière. Comme vous le savez, une proposition de loi a été déposée à l'assemblée nationale autour de cette question. Je remercie chaleureusement Madame la députée Valérie BOYER, qui a déposé ce texte, de sa présence parmi nous aujourd'hui.
Mesdames et messieurs, la charte que nous signons aujourd'hui ouvre la voie à une discrète révolution dans notre approche de la représentation du corps et de l'être humain. Elle témoigne de la responsabilité que nous partageons tous dans le choix de certains modèles culturels. Cette charte que vous venez de signer ouvre la voie à de nouveaux travaux.
Je sais pouvoir compter sur vous pour les mener, et je vous en remercie.
J'attends de ces travaux qu'ils débouchent sur des actions concrètes, que vous me proposerez chacun dans votre domaine.
La lutte contre l'anorexie, plus qu'un enjeu de santé publique, est désormais un enjeu de solidarité collective.
Je vous remercie.

Source http://www.sante-jeunesse-sports.gouv.fr, le 10 avril 2008