Texte intégral
Q - Monsieur Jean-Pierre Jouyet, vous êtes chargé par le président de la République de préparer les six prochains mois de la Présidence française. Le premier juillet approche, vous avez un bouquet de drapeaux dans votre bureau, mais vous avez également autre chose au-dessus du Quai d'Orsay ?
R - Au-dessus du Quai d'Orsay, nous avons le drapeau européen qui flotte en permanence depuis le 13 juillet 2007.
Q - Pourquoi cela n'avait-il pas été fait avant ?
R - Parce que, sans doute, on avait peur des symboles. Comme le sait Hubert Védrine, le Quai d'Orsay est une administration assez nationale. Il a donc a fallu aussi les convaincre.
Q - Mais le drapeau de l'Europe va-t-il rester ou sera t-il retiré au bout des six mois ?
R - Non, il flottera en permanence sur le Quai d'Orsay.
Q - Pour les six mois de la Présidence française, il y aura vingt-sept pays de l'Europe. Douze pays de plus que lors de la dernière Présidence française. Est-ce que l'élargissement s'arrête ?
R - Non, l'élargissement ne s'arrête pas, il faut le savoir. Ce serait mentir aux Français que de leur dire que l'élargissement s'arrêtera. Il y a déjà des négociations qui vont avoir lieu avec la Croatie. Vous avez une situation dans les Balkans qui est préoccupante. Vous ne pouvez pas laisser un trou noir en Europe, dans les Balkans. Il y aura donc des perspectives européennes à donner à ces pays des Balkans et notamment à la Serbie.
Q - Sans compter les pays qui pourront être peut-être associés, nous en reparlerons tout à l'heure. Est-ce que cette Présidence sera un grand moment à la fois pour la France et pour l'Union européenne ? Comment cela va t-il être vécu ? Où en êtes-vous des préparatifs ?
R - Sur les préparatifs nous avons, je crois, une bonne organisation, confiée à un Secrétaire général de la Présidence, M. Blanchemaison. Nous avons un budget qui a été voté par le Parlement. Il est de 190 millions d'euros, ce qui correspond à peu près à ce qu'avait été le budget de la Présidence allemande et qui est supérieur au budget de 2000 car nous sommes vingt-sept et non plus quinze. Nous sommes dans la préparation des logos, des symboles et également des cadeaux. Car une présidence réussie, c'est aussi des cadeaux que vous faites à vos invités.
Q - Que ferez-vous comme cadeaux à Monique Cantot et à moi-même?
R - Vous le verrez. Nous essaierons de faire pour les médias une Présidence très interactive et que la communication soit au centre. C'est-à-dire que vous puissiez communiquer avec n'importe quel européen pendant la Présidence française, Jean-Pierre Elkabach.
Q - Vous avez parlé de symboles concrets et de logo, qu'est ce que cela veut dire pour l'Union européenne ?
R - Chaque Présidence a son identité visuelle et nous sommes en train de préparer ce qui sera la figuration de la Présidence française.
Q - Philippe Starck est prêt ?
R - Oui, Philippe Starck est prêt
Q - Qu'est ce qu'il a préparé ?
R - Ce qui a été préparé c'est un dessin qui se rapproche du bouquet de drapeaux que nous avons là.
Q - C'est une Présidence importante, puisque c'est la dernière avant l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne qui institue un président de l'Europe. Alors quelle image forte voulez-vous que la France laisse au terme de cette Présidence.
R - Nous souhaitons tout d'abord que le Traité soit correctement mis en oeuvre. C'est un Traité qui comporte de nombreuses avancées sur le plan de la procédure, des décisions et qui permet aux vingt sept de décider et d'agir. Il y a un mélange d'intergouvernemental, c'est à dire ce qui relève des compétences nationales, et d'aspects communautaires. Je crois que c'est un bon compromis après l'échec de la Constitution. La première chose est d'avoir un bon cadre pour décider.
La deuxième image que nous voulons laisser, c'est une Europe qui soit transformée sur le plan de son mode de développement. Il s'agit de toutes les questions qui ont trait à l'écologie et à l'énergie et qui seront nos priorités.
(...)
Q - Il y a des Etats européens qui redoutaient de la part de la France une position mégalo, arrogante, pas assez humble ?
R - C'est ce que j'ai lu, mais comme le dit Hubert Védrine, les réalités s'imposent. Une Présidence réussie est une Présidence où vous êtes un honnête courtier entre des intérêts qui sont différents, dans un cadre européen. Vous essayez de vous fixer des priorités claires. Il faut bien comprendre que nous allons le plus souvent d'abandonner des intérêts nationaux pour servir l'intérêt général européen.
Q - Qu'est ce que vous entendez par laisser de coté l'intérêt national au profit des directives européennes et de l'intérêt de l'Europe ?
R - Je vais vous donner un exemple. Nous sommes aujourd'hui en discussion avec la Commission sur le marché intérieur de l'énergie. Nous pensons qu'il faut certainement libéraliser mais nous ne voulons pas qu'il y ait un affaiblissement des producteurs et européens. Nous sommes plusieurs Etats à vouloir cela. Nous souhaitons que ce dossier soit réglé avant la Présidence. Car lorsque nous aurons la Présidence, nous aurons à trouver des compromis dans ce domaine.
Q - Vous avez prévu à Paris et en province, huit grands rendez-vous ?
R - Nous souhaitons que les citoyens soient pleinement associés à cette Présidence. A partir du mois de juin avec Bernard Kouchner et l'ensemble des représentants européens, tous ceux qui sont ici sont les bienvenus, nous aurons des débats autour de cette Présidence. Durant la Présidence française, qui est courte (il faut le rappeler à nos amis comme c'était le cas en 2000, nous avons une Présidence de cinq mois effectifs et non pas de six ; compte tenu du ralentissement du mois d'août, elle est toujours plus courte que celle du premier semestre), nous aurons beaucoup de chose à faire en six mois. Mais nous souhaitons associer les citoyens et il y aura en France, pour répondre concrètement à votre question, une manifestation européenne par jour, entre celles organisées par la société civile et les manifestations officielles. Sans oublier deux grands rendez-vous que sont les Conseils européens, un au mois d'octobre et un autre au mois de décembre, un rendez-vous important le 13 juillet entre l'Europe et la Méditerranée dans le cadre de l'Union pour la méditerranée.
Q - Nous disions tout à l'heure c'est la dernière avant l'application du Traité simplifié. Quand la France présidera t-elle de nouveau l'Union européenne ?
R - En 2022. D'autres seront là, Sandro Gozzi représentera l'Italie. Je le lui souhaite en 2022 mais moi je n'y serai pas.
Q - Avec les thèmes de cette Présidence, c'est à dire, sécuriser l'approvisionnement en énergie, agir contre le changement climatique ; la France a la capacité de donner à l'Europe une position de conscience des défis mondiaux. Même à les relever. C'est quelque chose de nouveau dans la stratégie européenne ?
R - Vous avez raison. Les trois priorités correspondent à des défis qui sont globaux. Le premier est l'environnement et faire en sorte que l'Europe soit exemplaire dans les grandes conférences internationales en cette matière. Qu'elle assure également son indépendance énergétique. C'est là où, avec la Commission, nous sommes en train de discuter. La seconde priorité, c'est tout ce qui à trait aux flux démographiques. En France les problèmes de l'immigration sont bien souvent posés en termes idéologiques. Je peux vous garantir que quelles que soient les sensibilités au niveau européen, chacun se rend compte que, compte tenu des différences démographiques entre l'Europe et un certain nombre de ses voisins, l'Asie centrale, l'Afrique, le Moyen-Orient mais aussi l'Am??rique du sud pour les Espagnols, vous devez avoir une approche commune en matière de délivrance de visas et de gestion de l'espace Schengen qui est une très belle aventure mais qui doit concilier liberté et sécurité.
(...)
Q - M. Sandro Gozzi dit immigration qualifiée, vous vous dites immigration choisie ?
R - Nous disons immigration qualifiée aussi. Il y a une immigration qui correspond, et c'est une chance pour l'Europe, à des besoins économiques et sociaux. Vous ne pouvez pas vivre sans immigration.
Q - C'est une chance pour l'Europe mais est-ce que c'est une chance pour les pays africains ?
R - C'est pour cela que vous devez ajouter une dimension qui est celle du développement. Il faut une approche commune entre l'Europe et les pays d'origine pour qu'il y ait, justement, une approche commune en matière de développement et d'accords de développement avec ces pays là.
(...)
Q - Tous les pays européens ne sont pas concernés au même titre par ce phénomène d'immigration. Ils sont cinq ou six à être fortement concernés. Donc la politique commune qui se dessine et qui donne beaucoup d'espoir, c'est en effet la définition légale et professionnelle. Mais où en est le projet qui avait été évoqué à plusieurs reprises de l'équivalent de la carte verte américaine. Une sorte de carte bleue européenne qui donnerait aux personnes accueillies en France pour travailler, la possibilité de rentrer quelques années dans leur pays, sans pour autant perdre leur droit au séjour dans le pays européen. Ce qui permettrait de résoudre le drainage des élites africaines ou des pays en voie de développement. Où en est ce projet ?
R - C'est un projet qui est à l'heure actuelle sur la table du Conseil. Il y a une proposition qui a été faite et, comme le disait M. Sandro Gozzi, c'est un des projets dont on devra discuter dans le cadre du paquet sur la politique de l'immigration. C'est un bon projet et réaliste, me semble-t-il. Je vous corrige sur un point, sur le fait qu'il n'y aurait que cinq ou six pays qui seront concernés. Ce qui m'a frappé depuis que j'occupe ces fonctions et ce qui a sans doute a changé depuis plusieurs années, c'est que la plupart des pays sont concernés par les problèmes de l'immigration. Les pays scandinaves qui ne l'étaient pas, aujourd'hui, sont les premiers à dire comment peut-on partager l'accueil des réfugiés irakiens ? Vous avez 50.000 réfugiés irakiens en suède...
Q - C'est le droit d'asile
R - Oui, nous devons également discuter de droit d'asile.
(...)
Q - (concernant l'achat d'Alitalia par le groupe Air France-KLM)
R - Première observation : dans le monde aérien, vous n'avez aujourd'hui que des compagnies qui sont globales. Nous pouvons être fiers de ce point de vue là en Europe. Ce sont les compagnies européennes qui résistent le mieux à la crise économique, même par rapport aux compagnies américaines dont la plupart sont en moins bonne santé que les nôtres. Deuxième observation : c'est un partenariat qui est proposé. C'est à nos amis italiens de dire s'ils le souhaitent ou pas. S'il y a une meilleure solution, qu'on nous le dise. Pour avoir vécu ce dossier depuis sept à huit ans, je n'en connais pas de plus complémentaires.
Q - C'est Air France-KLM-Alitalia.
R - Ce n'est pas Air France-Alitalia c'est Air France-KLM-Alitalia, il y a eu des représentants d'Alitalia au conseil d'administration d'Airfrance et ça depuis plusieurs années. Nous avons la possibilité de peser sur le plan économique mondial à un moment ou cela ne va pas.
Q - Des rendez-vous sont prévus pendant la Présidence française de l'Union européenne. L'Union pour la méditerranée, est-ce qu'elle va se faire ?
R - L'Union pour la méditerranée devrait se faire le 13 juillet et être installée effectivement le 13 juillet prochain à Paris. C'est une Union de projets concrets. C'est une union faite pour renforcer le dialogue entre l'Europe et la Méditerranée.
Q - Qui y participe ?
R - Il y a les vingt sept pays de l'Union européenne et vous avez douze pays du sud de la Méditerranée : le Maroc, la Tunisie, l'Algérie, la Libye, l'Egypte, la Jordanie qui n'est pas riverain mais qui nous est proche, l'Etat d'Israël et l'Autorité palestinienne.
Q - Shimon Pérès en avait parlé lors de sa visite avec M. Nicolas Sarkozy.
R - Et la Turquie aussi.
Q - L'Union de la Méditerranée, ça a fait un peu de bruit. Mme Merkel n'était pas d'accord et vous avez dit que le passage à l'Union pour la Méditerranée n'était pas seulement une différence sémantique ?
R - C'était l'Union méditerranéenne et l'Union européenne qui pouvaient donner le sentiment qu'il y avait deux unions qui allaient coexister ou rivaliser. En passant à l'Union pour la Méditerranée, c'est l'ensemble des Européens et la plupart des pays de la rive sud de la Méditerranée qui sont d'accord pour coopérer sur des défis communs à la Méditerranée. La Méditerranée est une frontière importante de l'Europe et nous avons là des réponses communes à apporter à des défis comme l'environnement, l'énergie et aussi l'immigration.
Q - Pourquoi pendant tant de temps, il a été difficile que les vingt-sept se mettent d'accord sur le Tibet ?
R - J'en sais beaucoup moins que d'autres sur la Chine et le Tibet. Il y a deux points qui me paraissent clairs. Le premier est qu'il doit y avoir une position commune à vingt-sept sur ce sujet là et ça devra être un des points évoqués lors du prochain conseil des ministres des Affaires étrangères. Il ne me paraît pas normal qu'il y ait effectivement des divergences de capitale à capitale et il faut que l'Europe, si elle veut être un acteur global, se fasse entendre sur ce sujet là.
Deuxième point, c'est la question plus fondamentale et nous avons le temps, d'ici les jeux olympiques, de voir comment la Chine va se comporter au regard de ce que sont les Droits de l'Homme et au regard de ce que sont les obligations internationales. Vous ne pouvez pas réclamer, pour votre rayonnement et notre insertion dans le monde, l'organisation des jeux olympiques qui est un événement planétaire tout à fait considérable et vous déroger à ce que sont vos obligations sur la scène internationale. Je pense que c'est ce type de discours qui doit être tenu par l'Union européenne à l'égard de la Chine.
Q - Mais la Chine considère qu'elle est chez elle au Tibet ?
R - Je ne pose pas la question de l'appartenance du Tibet à la Chine. Ce qui est posé, comme le souligne Hubert Védrine, ce sont les excès que l'on commet au nom de ceux ci et l'attitude plus générale de considération de ce que sont les Droits de l'Homme qui s'affirment comme une valeur de l'appartenance à une communauté internationale.
Q - Si la Chine accueille comme une fin de non recevoir les remarques des vingt-sept, de l'Amérique ou d'ailleurs, qu'est ce que l'on fait ?
Nous verrons. Il reste trois mois d'ici les Jeux Olympiques et il faut que nos amis chinois comprennent que nous avons encore le temps de la réflexion et de la prise de position à cet égard.
Q - Jusqu'à ne pas aller à la séance d'ouverture et de fermeture ?
R - A voir.
Q - Ce sera une démarche partielle et hypocrite mais ce sera déjà un geste.
R - Ce ne sera pas hypocrite du tout, c'est un geste et les gestes comptent dans la politique internationale
(...)
La principale avancée du traité de Lisbonne c'est aussi dans le domaine de la politique étrangère et dans le domaine de la politique de défense, nous avons trouvé un bon compromis la-dessus. Si sur ces sujets là, les citoyens ne notent pas de différence entre l'avant et l'après, nous aurons perdu. Vous devez faire à vingt-sept et le Dalaï-Lama ne doit pas visiter vingt-sept capitales. L'un de nos objectifs durant la Présidence française est ambitieux. C'est de faire en sorte qu'il y ait l'Europe de la sécurité et l'Europe de la défense et c'est une chose qui est importante. Car il n'est pas normal qu'un espace de 500 millions d'habitants qui veut peser économiquement dans le monde, ne se dote pas d'une politique de sécurité commune.
Q - Avec un armement commun sauf la dissuasion française ?
R - La dissuasion française, comme cela a été indiqué, peut être, aussi, au service des intérêts européens.
Q - Mais c'est la France qui en garde la maîtrise ?
Oui, c'est la France qui en garde la maîtrise, mais c'est à voir et à regarder dans le cadre d'une politique européenne.
Q - L'Europe de la défense va-t-elle concevoir une action européenne comme agent du monde d'aujourd'hui avec ce que cela suppose avec les possibilités de puissance, les possibilités d'être un acteur à part entière. Est-ce que cela va jusque là l'Europe de la défense ?
R - Cela va de la capacité de gestion de crise à la capacité de projection. Vous avez les évènements du Kosovo et pour la première fois il y a une force de stabilisation européenne de 1.800 hommes qui existe. Vous avez des présences européennes qui sont très fortes en Afghanistan. Vous avez des pays qui sont à la limite de leur force de projection en Afghanistan, c'est le cas de l'Allemagne, où il y a des débats à l'heure actuelle très importants.
Q - Dans l'application du traité de Lisbonne sur cette défense commune. On enverrait ensemble des soldats en Afghanistan ou est-ce qu'un pays peut décider, comme va le faire la France, d'envoyer ses renforts ?
R - Ce sera les deux. Je suis là tout à fait d'accord avec Hubert Védrine sur ce plan là. Il faut être pragmatique. Il ne faut pas avoir une vision trop idéologique de ce que doit être l'Europe de la défense. Il faut voir en fonction des capacités de chacun et il faudra renforcer les aspects opérationnels et il faudra travailler avec l'OTAN, ce qui se fait déjà.
(...)
Q - A partir du 1er juillet, six mois de Présidence française de l'Union européenne. Après l'Europe va continuer mais déjà qu'aimeriez vous voir progresser pendant ces six mois ? La France aura réussi si elle fait quoi ?
R - Premièrement si la France a mis en place de nouvelles institutions solides, dans le cadre d'une Europe élargie.
Si nous avons fait avancer l'Europe sur le plan de l'environnement sur les défis des migrations.
Troisièmement, si nous avons ouvert des chantiers importants. Le chantier de la défense est une question sérieuse et si la France ne le fait pas, personne ne le fera à sa place. Vous avez des pays qui ont des responsabilités particulières en Europe, c'est la France et le Royaume Uni. Si on ne le fait pas maintenant dans l'état actuel du monde, nous aurions échoué.
Nous n'allons peut-être pas tout réussir, tout faire en six mois, je suis d'accord, mais nous devons poser les bonnes questions et nous devons aussi être concrets. Nous devons faire en sorte qu'il y ait davantage de facilités, que chacun puisse disposer d'une carte de maladie pour se faire soigner dans un pays européen, c'est aussi un objectif concret. Nous devons faire en sorte que les étudiants en Europe, les apprentis, ceux qui travaillent puissent bénéficier d'un séjour de 6 mois dans tout autre pays européen. Cela ne se fera pas en un jour mais c'est comme cela que l'on bâtira une nouvelle génération européenne.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 16 avril 2008
R - Au-dessus du Quai d'Orsay, nous avons le drapeau européen qui flotte en permanence depuis le 13 juillet 2007.
Q - Pourquoi cela n'avait-il pas été fait avant ?
R - Parce que, sans doute, on avait peur des symboles. Comme le sait Hubert Védrine, le Quai d'Orsay est une administration assez nationale. Il a donc a fallu aussi les convaincre.
Q - Mais le drapeau de l'Europe va-t-il rester ou sera t-il retiré au bout des six mois ?
R - Non, il flottera en permanence sur le Quai d'Orsay.
Q - Pour les six mois de la Présidence française, il y aura vingt-sept pays de l'Europe. Douze pays de plus que lors de la dernière Présidence française. Est-ce que l'élargissement s'arrête ?
R - Non, l'élargissement ne s'arrête pas, il faut le savoir. Ce serait mentir aux Français que de leur dire que l'élargissement s'arrêtera. Il y a déjà des négociations qui vont avoir lieu avec la Croatie. Vous avez une situation dans les Balkans qui est préoccupante. Vous ne pouvez pas laisser un trou noir en Europe, dans les Balkans. Il y aura donc des perspectives européennes à donner à ces pays des Balkans et notamment à la Serbie.
Q - Sans compter les pays qui pourront être peut-être associés, nous en reparlerons tout à l'heure. Est-ce que cette Présidence sera un grand moment à la fois pour la France et pour l'Union européenne ? Comment cela va t-il être vécu ? Où en êtes-vous des préparatifs ?
R - Sur les préparatifs nous avons, je crois, une bonne organisation, confiée à un Secrétaire général de la Présidence, M. Blanchemaison. Nous avons un budget qui a été voté par le Parlement. Il est de 190 millions d'euros, ce qui correspond à peu près à ce qu'avait été le budget de la Présidence allemande et qui est supérieur au budget de 2000 car nous sommes vingt-sept et non plus quinze. Nous sommes dans la préparation des logos, des symboles et également des cadeaux. Car une présidence réussie, c'est aussi des cadeaux que vous faites à vos invités.
Q - Que ferez-vous comme cadeaux à Monique Cantot et à moi-même?
R - Vous le verrez. Nous essaierons de faire pour les médias une Présidence très interactive et que la communication soit au centre. C'est-à-dire que vous puissiez communiquer avec n'importe quel européen pendant la Présidence française, Jean-Pierre Elkabach.
Q - Vous avez parlé de symboles concrets et de logo, qu'est ce que cela veut dire pour l'Union européenne ?
R - Chaque Présidence a son identité visuelle et nous sommes en train de préparer ce qui sera la figuration de la Présidence française.
Q - Philippe Starck est prêt ?
R - Oui, Philippe Starck est prêt
Q - Qu'est ce qu'il a préparé ?
R - Ce qui a été préparé c'est un dessin qui se rapproche du bouquet de drapeaux que nous avons là.
Q - C'est une Présidence importante, puisque c'est la dernière avant l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne qui institue un président de l'Europe. Alors quelle image forte voulez-vous que la France laisse au terme de cette Présidence.
R - Nous souhaitons tout d'abord que le Traité soit correctement mis en oeuvre. C'est un Traité qui comporte de nombreuses avancées sur le plan de la procédure, des décisions et qui permet aux vingt sept de décider et d'agir. Il y a un mélange d'intergouvernemental, c'est à dire ce qui relève des compétences nationales, et d'aspects communautaires. Je crois que c'est un bon compromis après l'échec de la Constitution. La première chose est d'avoir un bon cadre pour décider.
La deuxième image que nous voulons laisser, c'est une Europe qui soit transformée sur le plan de son mode de développement. Il s'agit de toutes les questions qui ont trait à l'écologie et à l'énergie et qui seront nos priorités.
(...)
Q - Il y a des Etats européens qui redoutaient de la part de la France une position mégalo, arrogante, pas assez humble ?
R - C'est ce que j'ai lu, mais comme le dit Hubert Védrine, les réalités s'imposent. Une Présidence réussie est une Présidence où vous êtes un honnête courtier entre des intérêts qui sont différents, dans un cadre européen. Vous essayez de vous fixer des priorités claires. Il faut bien comprendre que nous allons le plus souvent d'abandonner des intérêts nationaux pour servir l'intérêt général européen.
Q - Qu'est ce que vous entendez par laisser de coté l'intérêt national au profit des directives européennes et de l'intérêt de l'Europe ?
R - Je vais vous donner un exemple. Nous sommes aujourd'hui en discussion avec la Commission sur le marché intérieur de l'énergie. Nous pensons qu'il faut certainement libéraliser mais nous ne voulons pas qu'il y ait un affaiblissement des producteurs et européens. Nous sommes plusieurs Etats à vouloir cela. Nous souhaitons que ce dossier soit réglé avant la Présidence. Car lorsque nous aurons la Présidence, nous aurons à trouver des compromis dans ce domaine.
Q - Vous avez prévu à Paris et en province, huit grands rendez-vous ?
R - Nous souhaitons que les citoyens soient pleinement associés à cette Présidence. A partir du mois de juin avec Bernard Kouchner et l'ensemble des représentants européens, tous ceux qui sont ici sont les bienvenus, nous aurons des débats autour de cette Présidence. Durant la Présidence française, qui est courte (il faut le rappeler à nos amis comme c'était le cas en 2000, nous avons une Présidence de cinq mois effectifs et non pas de six ; compte tenu du ralentissement du mois d'août, elle est toujours plus courte que celle du premier semestre), nous aurons beaucoup de chose à faire en six mois. Mais nous souhaitons associer les citoyens et il y aura en France, pour répondre concrètement à votre question, une manifestation européenne par jour, entre celles organisées par la société civile et les manifestations officielles. Sans oublier deux grands rendez-vous que sont les Conseils européens, un au mois d'octobre et un autre au mois de décembre, un rendez-vous important le 13 juillet entre l'Europe et la Méditerranée dans le cadre de l'Union pour la méditerranée.
Q - Nous disions tout à l'heure c'est la dernière avant l'application du Traité simplifié. Quand la France présidera t-elle de nouveau l'Union européenne ?
R - En 2022. D'autres seront là, Sandro Gozzi représentera l'Italie. Je le lui souhaite en 2022 mais moi je n'y serai pas.
Q - Avec les thèmes de cette Présidence, c'est à dire, sécuriser l'approvisionnement en énergie, agir contre le changement climatique ; la France a la capacité de donner à l'Europe une position de conscience des défis mondiaux. Même à les relever. C'est quelque chose de nouveau dans la stratégie européenne ?
R - Vous avez raison. Les trois priorités correspondent à des défis qui sont globaux. Le premier est l'environnement et faire en sorte que l'Europe soit exemplaire dans les grandes conférences internationales en cette matière. Qu'elle assure également son indépendance énergétique. C'est là où, avec la Commission, nous sommes en train de discuter. La seconde priorité, c'est tout ce qui à trait aux flux démographiques. En France les problèmes de l'immigration sont bien souvent posés en termes idéologiques. Je peux vous garantir que quelles que soient les sensibilités au niveau européen, chacun se rend compte que, compte tenu des différences démographiques entre l'Europe et un certain nombre de ses voisins, l'Asie centrale, l'Afrique, le Moyen-Orient mais aussi l'Am??rique du sud pour les Espagnols, vous devez avoir une approche commune en matière de délivrance de visas et de gestion de l'espace Schengen qui est une très belle aventure mais qui doit concilier liberté et sécurité.
(...)
Q - M. Sandro Gozzi dit immigration qualifiée, vous vous dites immigration choisie ?
R - Nous disons immigration qualifiée aussi. Il y a une immigration qui correspond, et c'est une chance pour l'Europe, à des besoins économiques et sociaux. Vous ne pouvez pas vivre sans immigration.
Q - C'est une chance pour l'Europe mais est-ce que c'est une chance pour les pays africains ?
R - C'est pour cela que vous devez ajouter une dimension qui est celle du développement. Il faut une approche commune entre l'Europe et les pays d'origine pour qu'il y ait, justement, une approche commune en matière de développement et d'accords de développement avec ces pays là.
(...)
Q - Tous les pays européens ne sont pas concernés au même titre par ce phénomène d'immigration. Ils sont cinq ou six à être fortement concernés. Donc la politique commune qui se dessine et qui donne beaucoup d'espoir, c'est en effet la définition légale et professionnelle. Mais où en est le projet qui avait été évoqué à plusieurs reprises de l'équivalent de la carte verte américaine. Une sorte de carte bleue européenne qui donnerait aux personnes accueillies en France pour travailler, la possibilité de rentrer quelques années dans leur pays, sans pour autant perdre leur droit au séjour dans le pays européen. Ce qui permettrait de résoudre le drainage des élites africaines ou des pays en voie de développement. Où en est ce projet ?
R - C'est un projet qui est à l'heure actuelle sur la table du Conseil. Il y a une proposition qui a été faite et, comme le disait M. Sandro Gozzi, c'est un des projets dont on devra discuter dans le cadre du paquet sur la politique de l'immigration. C'est un bon projet et réaliste, me semble-t-il. Je vous corrige sur un point, sur le fait qu'il n'y aurait que cinq ou six pays qui seront concernés. Ce qui m'a frappé depuis que j'occupe ces fonctions et ce qui a sans doute a changé depuis plusieurs années, c'est que la plupart des pays sont concernés par les problèmes de l'immigration. Les pays scandinaves qui ne l'étaient pas, aujourd'hui, sont les premiers à dire comment peut-on partager l'accueil des réfugiés irakiens ? Vous avez 50.000 réfugiés irakiens en suède...
Q - C'est le droit d'asile
R - Oui, nous devons également discuter de droit d'asile.
(...)
Q - (concernant l'achat d'Alitalia par le groupe Air France-KLM)
R - Première observation : dans le monde aérien, vous n'avez aujourd'hui que des compagnies qui sont globales. Nous pouvons être fiers de ce point de vue là en Europe. Ce sont les compagnies européennes qui résistent le mieux à la crise économique, même par rapport aux compagnies américaines dont la plupart sont en moins bonne santé que les nôtres. Deuxième observation : c'est un partenariat qui est proposé. C'est à nos amis italiens de dire s'ils le souhaitent ou pas. S'il y a une meilleure solution, qu'on nous le dise. Pour avoir vécu ce dossier depuis sept à huit ans, je n'en connais pas de plus complémentaires.
Q - C'est Air France-KLM-Alitalia.
R - Ce n'est pas Air France-Alitalia c'est Air France-KLM-Alitalia, il y a eu des représentants d'Alitalia au conseil d'administration d'Airfrance et ça depuis plusieurs années. Nous avons la possibilité de peser sur le plan économique mondial à un moment ou cela ne va pas.
Q - Des rendez-vous sont prévus pendant la Présidence française de l'Union européenne. L'Union pour la méditerranée, est-ce qu'elle va se faire ?
R - L'Union pour la méditerranée devrait se faire le 13 juillet et être installée effectivement le 13 juillet prochain à Paris. C'est une Union de projets concrets. C'est une union faite pour renforcer le dialogue entre l'Europe et la Méditerranée.
Q - Qui y participe ?
R - Il y a les vingt sept pays de l'Union européenne et vous avez douze pays du sud de la Méditerranée : le Maroc, la Tunisie, l'Algérie, la Libye, l'Egypte, la Jordanie qui n'est pas riverain mais qui nous est proche, l'Etat d'Israël et l'Autorité palestinienne.
Q - Shimon Pérès en avait parlé lors de sa visite avec M. Nicolas Sarkozy.
R - Et la Turquie aussi.
Q - L'Union de la Méditerranée, ça a fait un peu de bruit. Mme Merkel n'était pas d'accord et vous avez dit que le passage à l'Union pour la Méditerranée n'était pas seulement une différence sémantique ?
R - C'était l'Union méditerranéenne et l'Union européenne qui pouvaient donner le sentiment qu'il y avait deux unions qui allaient coexister ou rivaliser. En passant à l'Union pour la Méditerranée, c'est l'ensemble des Européens et la plupart des pays de la rive sud de la Méditerranée qui sont d'accord pour coopérer sur des défis communs à la Méditerranée. La Méditerranée est une frontière importante de l'Europe et nous avons là des réponses communes à apporter à des défis comme l'environnement, l'énergie et aussi l'immigration.
Q - Pourquoi pendant tant de temps, il a été difficile que les vingt-sept se mettent d'accord sur le Tibet ?
R - J'en sais beaucoup moins que d'autres sur la Chine et le Tibet. Il y a deux points qui me paraissent clairs. Le premier est qu'il doit y avoir une position commune à vingt-sept sur ce sujet là et ça devra être un des points évoqués lors du prochain conseil des ministres des Affaires étrangères. Il ne me paraît pas normal qu'il y ait effectivement des divergences de capitale à capitale et il faut que l'Europe, si elle veut être un acteur global, se fasse entendre sur ce sujet là.
Deuxième point, c'est la question plus fondamentale et nous avons le temps, d'ici les jeux olympiques, de voir comment la Chine va se comporter au regard de ce que sont les Droits de l'Homme et au regard de ce que sont les obligations internationales. Vous ne pouvez pas réclamer, pour votre rayonnement et notre insertion dans le monde, l'organisation des jeux olympiques qui est un événement planétaire tout à fait considérable et vous déroger à ce que sont vos obligations sur la scène internationale. Je pense que c'est ce type de discours qui doit être tenu par l'Union européenne à l'égard de la Chine.
Q - Mais la Chine considère qu'elle est chez elle au Tibet ?
R - Je ne pose pas la question de l'appartenance du Tibet à la Chine. Ce qui est posé, comme le souligne Hubert Védrine, ce sont les excès que l'on commet au nom de ceux ci et l'attitude plus générale de considération de ce que sont les Droits de l'Homme qui s'affirment comme une valeur de l'appartenance à une communauté internationale.
Q - Si la Chine accueille comme une fin de non recevoir les remarques des vingt-sept, de l'Amérique ou d'ailleurs, qu'est ce que l'on fait ?
Nous verrons. Il reste trois mois d'ici les Jeux Olympiques et il faut que nos amis chinois comprennent que nous avons encore le temps de la réflexion et de la prise de position à cet égard.
Q - Jusqu'à ne pas aller à la séance d'ouverture et de fermeture ?
R - A voir.
Q - Ce sera une démarche partielle et hypocrite mais ce sera déjà un geste.
R - Ce ne sera pas hypocrite du tout, c'est un geste et les gestes comptent dans la politique internationale
(...)
La principale avancée du traité de Lisbonne c'est aussi dans le domaine de la politique étrangère et dans le domaine de la politique de défense, nous avons trouvé un bon compromis la-dessus. Si sur ces sujets là, les citoyens ne notent pas de différence entre l'avant et l'après, nous aurons perdu. Vous devez faire à vingt-sept et le Dalaï-Lama ne doit pas visiter vingt-sept capitales. L'un de nos objectifs durant la Présidence française est ambitieux. C'est de faire en sorte qu'il y ait l'Europe de la sécurité et l'Europe de la défense et c'est une chose qui est importante. Car il n'est pas normal qu'un espace de 500 millions d'habitants qui veut peser économiquement dans le monde, ne se dote pas d'une politique de sécurité commune.
Q - Avec un armement commun sauf la dissuasion française ?
R - La dissuasion française, comme cela a été indiqué, peut être, aussi, au service des intérêts européens.
Q - Mais c'est la France qui en garde la maîtrise ?
Oui, c'est la France qui en garde la maîtrise, mais c'est à voir et à regarder dans le cadre d'une politique européenne.
Q - L'Europe de la défense va-t-elle concevoir une action européenne comme agent du monde d'aujourd'hui avec ce que cela suppose avec les possibilités de puissance, les possibilités d'être un acteur à part entière. Est-ce que cela va jusque là l'Europe de la défense ?
R - Cela va de la capacité de gestion de crise à la capacité de projection. Vous avez les évènements du Kosovo et pour la première fois il y a une force de stabilisation européenne de 1.800 hommes qui existe. Vous avez des présences européennes qui sont très fortes en Afghanistan. Vous avez des pays qui sont à la limite de leur force de projection en Afghanistan, c'est le cas de l'Allemagne, où il y a des débats à l'heure actuelle très importants.
Q - Dans l'application du traité de Lisbonne sur cette défense commune. On enverrait ensemble des soldats en Afghanistan ou est-ce qu'un pays peut décider, comme va le faire la France, d'envoyer ses renforts ?
R - Ce sera les deux. Je suis là tout à fait d'accord avec Hubert Védrine sur ce plan là. Il faut être pragmatique. Il ne faut pas avoir une vision trop idéologique de ce que doit être l'Europe de la défense. Il faut voir en fonction des capacités de chacun et il faudra renforcer les aspects opérationnels et il faudra travailler avec l'OTAN, ce qui se fait déjà.
(...)
Q - A partir du 1er juillet, six mois de Présidence française de l'Union européenne. Après l'Europe va continuer mais déjà qu'aimeriez vous voir progresser pendant ces six mois ? La France aura réussi si elle fait quoi ?
R - Premièrement si la France a mis en place de nouvelles institutions solides, dans le cadre d'une Europe élargie.
Si nous avons fait avancer l'Europe sur le plan de l'environnement sur les défis des migrations.
Troisièmement, si nous avons ouvert des chantiers importants. Le chantier de la défense est une question sérieuse et si la France ne le fait pas, personne ne le fera à sa place. Vous avez des pays qui ont des responsabilités particulières en Europe, c'est la France et le Royaume Uni. Si on ne le fait pas maintenant dans l'état actuel du monde, nous aurions échoué.
Nous n'allons peut-être pas tout réussir, tout faire en six mois, je suis d'accord, mais nous devons poser les bonnes questions et nous devons aussi être concrets. Nous devons faire en sorte qu'il y ait davantage de facilités, que chacun puisse disposer d'une carte de maladie pour se faire soigner dans un pays européen, c'est aussi un objectif concret. Nous devons faire en sorte que les étudiants en Europe, les apprentis, ceux qui travaillent puissent bénéficier d'un séjour de 6 mois dans tout autre pays européen. Cela ne se fera pas en un jour mais c'est comme cela que l'on bâtira une nouvelle génération européenne.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 16 avril 2008