Interview de M. Bernard Laporte, secrétaire d'Etat aux sports, à la jeunesse et à la vie associative, à LCI le 8 avril 2008, sur le passage de la flamme olympique à Paris, l'éventualité d'un boycott des jeux olympiques de Pékin et la violence dans les stades de football.

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Média : La Chaîne Info

Texte intégral

 
 
C. Barbier Fiasco donc pour la flamme olympique à Paris. Hier soir, vous disiez : "la fête est triste". Ce matin, êtes-vous en colère ?
 R.- Non, pas en colère, mais déçu certainement, parce qu'on a bafoué tout simplement le symbole, donc la flamme, le symbole de l'olympisme, et l'olympisme, c'est quoi les JO ? C'est le seul événement mondial qui rassemble 205 pays, ce sont des valeurs de paix, de solidarité, et que, effectivement, en s'attaquant à la flamme, on s'attaque tout simplement aux droits de l'homme. J'ai préféré les manifestants du Trocadéro, qui se sont exprimés en disant que la Chine doit évoluer, et on a le droit, bien sûr, de s'exprimer, plutôt que les gens qui veulent que ça évolue et qui eux, paradoxalement, agissent violemment.
 Q.- Alors, justement, quand vous avez déclaré "les défenseurs des droits de l'homme ne respectent pas les autres quand ils s'en prennent à la flamme, J. Dray vous demande de corriger ces propos, vous le faites ce matin ?
 R.- Si J. Dray a besoin de moi pour sa campagne au Parti socialiste, il faut qu'il me téléphone. Mais je viens de me ré-exprimer en vous disant que j'ai préféré l'attitude... parce que, encore une fois, il n'y a pas les bons et les méchants, tout le monde demande à la Chine d'évoluer en termes des droits de l'homme, ça, c'est unanime, il n'y en a pas un qui vous dit le contraire - "non, il faut continuer, c'est bien" -, c'est unanime. Maintenant, je préfère ceux qui s'expriment dans la paix, qui font passer des messages parce qu'ils sont contre, qui agissent, ils sont connus, et ils disent "non, la Chine doit évoluer", plutôt que ceux qui attaquent la flamme elle-même.
 Q.- Le CIO va se réunir pour décider d'ajustements sur le parcours actuel de la flamme à travers le monde, et peut-être l'abandon - après les Jeux de Pékin -, pour les prochains Jeux, ceux de Londres en 2012 - l'abandon d'un tel parcours planétaire ; vous leur conseillez d'abandonner ça ?
 R.- Je ne leur conseille rien du tout, ce sont eux les organisateurs. Mais je suis triste de cela parce que c'était un symbole de recevoir la flamme, je l'ai moi-même portée il y a quatre ans, c'est d'abord un honneur, et puis, c'est le sport, comme je vous le disais, c'est les valeurs et les vertus de l'olympisme, donc c'est une véritable fierté. Ce devrait être une fête, or, si ce n'est plus une fête et qu'effectivement, on se sert à chaque fois de cet événement pour revendiquer politiquement, alors je comprends qu'ils s'interrogent et qu'ils aient envie d'arrêter le parcours de cette flamme, mais c'est vraiment dommage.
 Q.- Avez-vous trouvé la police française "incompétente" hier, comme l'ont dit certains officiels chinois ?
 R.- Non, pas du tout. Vous savez, ce n'est pas facile de sécuriser 28  kilomètres.
 Q.- On aurait dû changer de parcours ?
 R.- Vous savez, après, on peut toujours dire "on aurait dû, on aurait dû", mais sincèrement, d'abord, elle est arrivée à bon port - permettez-moi l'expression -, ça, c'est déjà une chose, parce que quand j'ai vu le départ, je me demandais comment ça allait finir. Mais encore une fois, ce n'est pas simple de sécuriser un aussi long parcours ; la police française a fait ce qu'elle avait à faire. Mais n'oublions pas que c'est le Bocog, donc l'organisation chinoise, qui avait la... comment diraisje ?...
 Q.- Responsabilité...
 R.- La mainmise sur l'organisation, ce n'était pas du tout ou le ministère des Sports ou le CNOSF français, c'était le Bocog, qui est donc le comité d'organisation des Jeux de Pékin.
 Q.- On a vu, autour du porteur de la flamme, notamment autour de D. Douillet, ce service d'ordre chinois en survêtement, ils n'ont pas été très habiles ?
 R.- Oui, par moment, ils ont été un petit peu, je ne dirais pas arrogants, mais c'est vrai qu'on ne comprenait pas toujours leur décision. Et David, on le voit à la télévision, puisque moi j'étais à la télé quand je regardais l'image, j'étais devant ma télévision, il ne comprend pas - il y a un moment d'incompréhension -, pourquoi il a éteint la flamme alors que ça semblait bien se passer à ce moment-là
 Q.- On a vu aussi des CRS français arracher les drapeaux tibétains dans la foule, les cacher ; choquant, non ?
 R.- Non, mais il ne faut pas non plus exagérer. Je crois que la police a fait son travail, comme elle devait le faire, et moi, je tiens plutôt à les féliciter, mais ce n'est pas simple, encore une fois. Et quand ils ont arraché des drapeaux tibétains, c'était des gens qui revendiquaient plus que la normale, permettez-moi l'expression, qui étaient prêts certainement à s'immiscer dans le cortège, et à attaquer tout simplement la flamme olympique, comme on l'a vu.
 Q.- On a vu aussi des députés manifester, de droite et de gauche. Un député UMP, L. Luca, président du groupe d'études sur le Tibet, vous reproche de ne pas avoir bien organisé les choses ; N. Mamère traite J. Rogge, le président du CIO, "de paillasson". Que leur dites-vous aux politiques ?
 R.- D'abord, j'ai trouvé leur manifestation très honnête, ils ont revendiqué, ils étaient tous ensemble, et c'est bien de voir des politiques de tous bords, comme vous le disiez, mais eux, ils ont tout simplement manifesté, ils se sont rassemblés, et la libre expression permet tout simplement de dire : "non, nous ne sommes pas d'accord, nous faisons passer un message, mais nous ne sommes pas là pour attaquer la flamme olympique". Ça correspond à l'attitude des gens qui étaient au Trocadéro, encore une fois, qui revendiquaient dans le plus grand des calmes. Et c'est aussi bien, parce que ce n'est pas la violence qu'on a vue hier - tous ces gens qui s'attaquaient à la flamme - qui va faire avancer les choses.
 Q.- 400.000 euros, dit-on, pour le coût de ce dispositif ; c'est vrai ?
 R.- Je ne sais pas, sincèrement, c'est une question à laquelle je ne peux répondre.
 Q.- Souhaitez-vous, comme certains le réclament, que le président de la République présente les excuses de la France au CIO pour ce ratage ?
 R.- Le président de la République, c'est le seul qui s'est exprimé il y a une dizaine de jours de cela, en mettant une option quant à sa participation à la cérémonie d'ouverture. Il a surtout, lui - il n'a pas gesticulé -, il a surtout agi, il a demandé de réinstaurer le dialogue entre le Dalaï Lama et le gouvernement chinois. Il n'y a que lui qui l'a demandé. Donc, encore une fois, il a agi, il n'a pas gesticulé mais il a agi.
 Q.- L'opinion française semble résolue du côté des Tibétains ; est-ce qu'il ne faut pas écouter ces gens et, d'ores et déjà, décidé qu'on boycotte la cérémonie d'ouverture, pas d'officiels français ?
 R.- Mais si cela faisait avancer les choses de boycotter, croyez-moi, tout le monde serait unanime, et tout le monde dirait qu'il faut boycotter la cérémonie, mais qu'est-ce que ça fera de plus ? Parce que je vois qu'on se sert des Jeux olympiques, et c'est bien de faire passer des messages. Encore une fois, on est dans un pays de liberté d'expression, il faut faire passer des messages, mais moi le premier, je suis pour que les droits de l'homme évoluent en Chine, on est tous unanimes sur cette question. Mais encore une fois, on se sert d'une plate-forme médiatique, que sont les JO effectivement, pour - excusez-moi - beaucoup en faire, mais qui le 1er novembre continuera à exprimer ses regrets, à dire "il faut que ça change, etc." ? On passera à autre chose. Donc c'est l'affaire de l'ONU, ce n'est pas une affaire sportive, encore une fois. Si c'était le CIO et les sportifs qui arrivaient à régler tous les problèmes dans le monde entier, alors je crois sincèrement qu'il faudrait tout changer, et dire au CIO "vous gouvernez le monde entier", et aux sportifs "vous allez gouverner le monde entier".
 
Q.- Pendant les Jeux Olympiques, sur place, à Pékin, est-ce que vous souhaitez qu'on laisse aux athlètes une liberté d'expression, pour pouvoir, là aussi, dire leur mot sur le changement en matière de droits de l'homme ?
 R.- Mais chaque athlète a le droit de s'exprimer. Je crois qu'il faut faire la part des choses. Quand on n'est pas dans l'enceinte sportive, dans une enceinte sportive, on est d'abord là pour faire du sport, pour gagner des médailles, pour assouvir sa passion. Si - parce que je sais ce que c'est le sport de haut niveau - ceux qui s'engagent beaucoup aujourd'hui, et qui ont des convictions - comme on le disait tout à l'heure, comme tout le monde -, qui s'engagent et qui disent, "il faut que ça évolue, on veut porter un badge", ça, c'est très, très bien. Sincèrement, qu'un sportif montre au monde entier qu'il n'est pas qu'un sportif, qu'un sauteur, qu'un sprinteur, et qu'il est aussi un citoyen comme les autres et qu'il a le droit de s'exprimer, c'est bien.
 Q.- Le badge, c'est bien pour ça ?
 R.- Mais après, on est là pour faire du sport, un sportif fait du sport. Si jamais ils ne réussissent pas, je sais ce qu'on va leur dire. D'abord, ils ne se rendent pas compte que les Jeux Olympiques, on en fait un, deux, quand on en fait trois, c'est...
 Q.- Une belle carrière...
 R.- C'est une très, très belle carrière. Et que si ça se passe mal, on leur dira, "mais vous avez tout confondu, vous avez voulu faire de la politique, vous ne vous êtes pas assez entraînés, vous avez tout mélangé". Donc je veux les protéger aussi, mais bien sûr qu'ils ont le droit, comme je leur disais l'autre fois, ils ont le droit de s'exprimer avant, après. Mais quand ils sont dans l'enceinte sportive, ils sont là pour faire du sport, et puis, aussi, pour faire respecter les millions, voire le milliard de Chinois qui sont contents, eux, d'avoir les Jeux Olympiques, qui sont là pour voir un événement sportif.
 Q.- Dans l'affaire de la banderole anti-chtimi du Stade de France, trois supporters seulement ont été mis en examen à l'heure où nous parlons. Est-ce que l'enquête piétine ?
 R.- Je ne pense pas que l'enquête piétine, sincèrement, d'autres répondraient mieux que moi à cette question. Mais sur ce que je sais, ça évolue bien. Et toujours est-il qu'il y a une volonté de tout le monde d'éradiquer ce fléau. Et ça, c'est quand même bien...
 Q.- Eventuellement par la dissolution, s'il le faut, des Boulogne Boys ?
 R.- Ça fait partie, effectivement, d'une des solutions.
 Q.- Les arbitres de football se sont tournés vers vous et vous demandent une protection contre les attaques verbales et physiques qu'ils subissent. Qu'allez-vous faire ?
 R.- Nous avons déjà lancé les états généraux de l'arbitrage il y a un mois de cela ; les conclusions seront données le 29 mai. Mais bien sûr que je vais les protéger les arbitres. L'arbitre, c'est un acteur du jeu, c'est un acteur du sport, donc il faut le protéger, mais il faut aussi qu'il prenne ses responsabilités quand il doit les prendre. C'est pour ça que nous avons lancé les états généraux, parce que, effectivement, on sent qu'il y a une certaine cacophonie, permettez-moi, des joueurs qui s'expriment, etc. Et là aussi, je demande le plus grand des respects : ce n'est pas aux joueurs de critiquer les arbitres, ce n'est pas aux présidents de critiquer les arbitres, parce que la réussite du football ou la réussite du sport en général, c'est la réussite de tous.
 Q.- Protégez-les en autorisant l'arbitrage vidéo dans le foot, comme ça, les erreurs, on les verra, on les corrigera.
 R.- Ce n'est pas à moi, c'est aux instances du football de prendre cette décision...
 Q.- Vous êtes pour ?
 R.- Moi, je suis pour...
 Q.- Vous l'avez vécu dans le rugby...
 R.- Oui. Moi, je suis pour la vidéo sur la ligne de but, c'est-à-dire une vidéo qui valide ou qui ne valide pas le but. Moi, je suis favorable à cela, je sais que M. Platini est contre. Il préfère, lui, deux arbitres derrière qui disent s'il y a but ou il n'y a pas but ; c'est une évolution, c'est une solution aussi plausible. Mais effectivement, il faut que le football évolue en matière d'arbitrage. Il faut aider l'arbitre du centre, et qu'il se sente moins seul, comme c'est le cas au rugby, où, effectivement, il n'a plus cette pression de dire s'il y a essai ou pas essai ; eh bien, il demande à la vidéo, et la vidéo lui répond.
 Q.- Quarts de finale de la Ligue des champions ce soir ; aucun club français depuis les 8èmes de finale. Vous avez demandé à E. Besson de réfléchir à la compétitivité des clubs français. Quel est votre but, vous voulez plus d'argent pour les clubs ?
 R.- Ce n'est pas que je veux spécialement plus d'argent, je veux, comme vous le disiez, une meilleure compétitivité, donc ça passera automatiquement par plus d'argent, par plus de moyens. Mais ce ne sont pas les pouvoirs publics qui vont financer les clubs professionnels. Donc comment faire ? La première des choses, c'est d'avoir des stades qui rapportent, qui soient des lieux de vie et des lieux de recettes autres que lors du match. Ça, c'est la première des choses. On est encore, nous, ancrés sur le stade, et le stade municipal souvent, ça ne suffit plus ça quand on voit ce qui se passe en Angleterre, en Espagne, en Allemagne, où ce sont des véritables centres de vie, avec des cinémas, des centres commerciaux et autres, qui font qu'il y a des recettes supplémentaires qui grossissent leur budget, et qui leur permettent tout simplement de recruter les meilleurs et d'avoir les meilleures équipes.
 Q.- Une opération antidopage en Pro D2 de rugby a débusqué plusieurs tricheurs ; allez-vous sévir contre votre ancien sport ?
 R.- Bien sûr qu'il faut sévir ! Là, encore une fois, je n'ai pas l'autorité, ce n'est pas moi qui vais sévir mais les instances en charge de ce dossier vont sévir, et il faut sévir. Mais je suis rassuré, parce que vous savez, dans le rugby, il y a beaucoup de contrôles, c'est un sport qui est très suivi, avec un suivi longitudinal en permanence, contrôle de la ligue, contrôle de la fédération, donc je ne suis pas inquiet. Et s'il y a des joueurs qui ont triché, parce que vous savez, on me disait, "non, le rugby, c'est propre", et moi, je dis toujours "dès que l'argent arrive, il faut être vigilant".
Q.- Vous souhaitez l'Euro 2016 pour la France, c'est le grand événement footballistique sportif que vous prévoyez. Qu'êtes-vous prêt à mettre dans la balance pour qu'on l'ait cet Euro ?
 R.- Il nous faut d'abord - il y a une charte, là aussi, qui est imposée par l'UEFA -, la première des choses - et c'est pour ça que nous avons lancé la commission "grands stades" -, c'est qu'il nous faut des stades là aussi compétitifs, capables de recevoir des évènements tels que l'Euro 2016. Alors, quand on fait le bilan, on s'aperçoit qu'on a trois stades susceptibles de recevoir, donc il faut évoluer, quand l'Allemagne en a quinze, quand l'Angleterre en a douze. Donc il faut effectivement d'abord avoir des stades à jour, permettez-moi l'expression, aux normes, pour recevoir ce genre d'évènement. 
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 8 avril 2008