Déclaration de M. Luc Guyau, président de la FNSEA, sur les négociations de l'OMC relatives aux produits agricoles et sur la réforme de la PAC, Paris le 28 janvier 1999.

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Circonstance : Journée commune APCA FNSEA sur l'OCM (Organisation Mondiale du Commerce) à Paris le 28 janvier 1999

Texte intégral

Monsieur le Ministre,
Madame la Députée,
Monsieur le Conseiller du Ministre,
Mesdames et messieurs,
Chers amis,
Je voudrais d'abord remercier tous les participants pour leur contribution à cette journée de réflexion sur les négociations de l'OMC. Sur un sujet difficile mais déterminant, nos débats d'aujourd'hui nous ont permis de mieux situer l'agriculture dans le contexte de l'OMC, comme de mesurer les enjeux pour l'Union Européenne, du prochain round de négociation.
Il était important de tenir ce débat dès maintenant, en pleine discussion sur l'Agenda 2000. La PAC réformée sera en effet la base de la prochaine négociation à l'OMC ouverte à la fin de cette année. D'autre part et le conflit euro-américain sur la banane le montre bien, si les grandes manuvres n'ont pas encore commencé, les tentatives d'intimidation et de déstabilisation n'ont pas attendu la fin de l'année ! Alors, à nous d'y résister ! Les rétorsions unilatérales des Américains sont contraires aux procédures prévues par l'OMC.
La libéralisation des échanges agricoles ne doit pas conduire les Européens à s'aligner sur les normes de consommation américaines, ni à accepter une "pax americana", qu'il s'agisse de banane, d'hormones ou d'OGM !
Ne soyons pas non plus les naïfs du commerce international ! Faut-il vraiment démanteler nos soutiens, abandonner la préférence communautaire, aller vers la baisse systématique des prix, alors que les Etats-Unis viennent pour leur part de voter 6 Milliards de dollars d'aides à leur agriculture ? Alors que les candidats des prochaines élections présidentielles américaines veulent pérenniser ces aides, construire des organisations de marché ? N'ayons pas en Europe, une guerre de retard sur les Etats-Unis !
Je rappelle que l'Union Européenne est importatrice nette en produits agricoles. Notre déficit agro-alimentaire avec les USA a atteint 3,3 milliards d'écus en 1996. Notre marché intérieur n'est donc pas si fermé que cela se dit !
Evitons les procès en sorcellerie. La préférence communautaire n'est ni le mur de l'atlantique, ni une ligne Maginot. Mais le choix des consommateurs européens pour des produits sains, de qualité, fabriqués en tenant compte d'un certain nombre d'exigences sociales et environnementales, doit être pleinement pris en considération.
C'est pourquoi la discussion arrêtée à Marrakech sur les normes sanitaires et environnementales, devra reprendre sur ces thèmes. A quoi rimerait l'ouverture des frontières si nous devons subir des distorsions de concurrence qui rejailliraient sur l'agriculture ?
Ce choix des consommateurs et des citoyens pour un certain type d'agriculture et d'alimentation en Europe justifie largement la protection de notre marché intérieur. Nous avons la chance de posséder le premier marché au monde, avec plus de 300 millions de consommateurs solvables. Ce marché si envié, sachons le protéger !
A nous de préserver dans la négociation de l'OMC nos instruments d'intervention et de régulation des marchés. Qu'il s'agisse de soutien interne, d'aide à l'exportation ou d'accès au marché, nous n'avons pas de complexe à faire face aux Américains. Je ne suis pas sûr que leurs aides soient si vertes que cela !
Dans la négociation préserver la préférence communautaire et l'accès à notre marché sera essentiel. Car les prix de seuils conditionneront nos prix intérieurs. Et ce n'est pas sur les décombres du marché communautaire que nous construirons les bases de la puissance commerciale mondiale de notre agriculture !
En outre les prix ont déjà chuté. Comment la Commission peut-elle pousser à la baisse systématique des prix, alors qu'on nous dit qu'il faut faire des économies sur le budget ?
Entendons-nous bien. Il ne s'agit pas de nier la libéralisation des échanges. L'Uruguay round a fait entrer l'agriculture dans les négociations multilatérales et l'a intégrée au courant général de libéralisation des échanges, à l'instar des autres secteurs.
Nous en prenons acte. Mais la libéralisation des échanges ne doit pas faire renoncer l'Europe à mener une véritable politique agricole commune. Ne soyons ni naïfs, ni fatalistes!
Si l'Europe veut éviter que les nouvelles règles du jeu du commerce mondial ne la désavantage, elle doit dans les négociations de l'OMC, faire accepter à ses partenaires ses spécificité. Et pour que ce message soit entendu, compris et accepté par ses partenaires, l'Europe doit montrer une volonté politique forte, unanime et sans faille.
C'est dans cet état d'esprit qu'il faut aborder les négociations et tout particulièrement en ce qui concerne l'agriculture.
Il ne s'agit pas d'anticiper à tout crin les contraintes de l'OMC dans la réforme de la PAC.
Il s'agit d'adopter une attitude offensive dans ces négociations de l'OMC. Le résultat de la négociation et nos marges de manuvre dépendront de la volonté politique exprimée par l'Europe de faire reconnaître son modèle agricole européen. Cela ne sera possible que si les quinze conjuguent leurs efforts pour replacer ce modèle agricole européen au centre de la réforme de la PAC.
Le sommet des chefs d'Etat et de gouvernement de Luxembourg en décembre 1997 a réaffirmé l'importance du modèle agricole européen. Alors, aux politiques de se ressaisir !
A la France, première puissance agricole européenne, d'y veiller, pour que les grandes orientations et les choix des Européens effectués depuis 40 ans avec la PAC, ne soient pas bouleversés par la négociation de l'OMC.
La pire des solutions pour les agriculteurs seraient de payer deux fois : d'abord à l'adoption de la réforme de la PAC, ensuite à l'issue des négociations de l'OMC !
Il faudra aussi souligner que l'agriculture n'est pas un secteur comme les autres. Elle ne s'accommode pas d'un libéralisme intégral. Les lois abstraites de l'offre et de la demande s'appliquent mal à une activité qui dépend étroitement des contraintes de climat et d'espace.
L'agriculture ce n'est ni la chimie ni le textile. L'agriculture entretient un rapport privilégié au territoire : elle le structure, l'aménage, l'anime. C'est particulièrement vrai en Europe et en France puisque nous avons fait le choix d'une agriculture présente sur l'ensemble du territoire.
En outre, nourrir sa population, assurer son indépendance alimentaire, contribuer à l'équilibre alimentaire mondial ne sont pas seulement des objectifs économiques. Ce sont des enjeux politiques, géostratégiques ! Ils sont trop décisifs pour l'Europe pour être arbitrés par le seul jeu des marchés.
On nous reproche le coût de la politique agricole commune. Elle représente la moitié du budget européen - et je dirais, beaucoup plus encore auparavant, quand la politique agricole était la seule politique européenne ! Mais on oublie trop souvent que les dépenses agricoles ne font pas plus de 0, 5 % du PIB européen ! C'est bien peu pour une activité qui permet à la fois de nourrir les hommes, d'équilibrer l'espace, d'aménager les territoires, d'entretenir les paysages, de gérer les ressources naturelles, d'animer le milieu rural !
Pour toutes ces raisons, l'ultralibéralisme à la sauce du groupe de Cairns n'est pas la bonne recette pour l'agriculture.
Elle ne convient pas à l'Europe et encore moins aux pays en voie de développement ! Ce n'est pas en subissant le choc d'une concurrence mondiale à laquelle ils ne sont pas encore préparés que les PVD pourront développer leur agriculture et créer de la richesse. Le décollage de ces pays passe par la réussite de leurs paysans !
Encore faut-il leur laisser les moyens de réussir. Aujourd'hui, ce n'est pas le dynamisme agricole de l'Europe qui les en empêche. C'est l'absence d'une véritable politique agricole adaptée à leurs spécificités, qui leur fait défaut. A nous d'en faire les alliés de l'Europe pour promouvoir des règles d'échange plus équitables et plus pragmatiques !
En définitive, pour toutes ces raisons, les négociations seront probablement plus difficiles en agriculture que dans les autres secteurs.
Néanmoins, c'est dans l'intérêt de l'Europe d'éviter de les reculer : l'Union Européenne sera en position de force juste après l'adoption de la réforme de la PAC, alors que le nouveau farm bill interviendra plus tard.
La maîtrise du calendrier de négociation sera un facteur clé de réussite. Retarder l'aboutissement des négociations agricoles risquerait d'isoler le volet agricole du reste des négociations, avec le danger de concessions unilatérales. Le rythme de négociation entre les secteurs doit se rapprocher afin de respecter la dimension globale du round et d'équilibrer les concessions entre les secteurs, au mieux des intérêts de la France et de l'Europe.
L'expiration de la clause de paix en 2003 rend impérative la conclusion d'un accord avant cette date en matière agricole. Mais l'Europe devra aussi soumettre la conclusion de l'accord à l'obtention par les USA du fast track, sinon les concessions de l'exécutif américain pourraient être remises en question par le Congrès. Il serait malheureux que le "monicagate" nous oblige à allonger les négociations !
Le processus de l'élargissement de l'Union Européenne complique encore les contraintes de calendrier. L'Europe des quinze doit s'efforcer de coordonner les positions des PECO avec les siennes dans la négociation de l'OMC, afin que l'Europe politique, actuelle ou future, présente un front uni. Nous devrons déjà être des alliés dans la négociation.
Je voudrais enfin évoquer le passage à l'Euro. La monnaie unique doit permettre à l'Europe de conforter sa place dans le commerce mondial. Les Européens peuvent désormais exporter dans leur propre monnaie. Mais il faudra que l'euro s'impose comme monnaie de transaction, à l'instar du dollar. La parité dollar-euro ne devra pas non plus pénaliser nos exportations. Si une part croissante des échanges mondiaux est libellé en Euro, alors le risque de change sera partagé entre le dollar et l'euro. Les règles du jeu et les rapports de force entre l'Europe et les Etats-Unis seront rééquilibrés au profit de tous les Européens.
Monsieur le Ministre, mesdames, messieurs, les agriculteurs sont pleinement conscients que l'avenir de l'agriculture française et européenne est lié à la réussite des négociations de l'OMC. A la France, à l'Europe, de préserver cet avenir. Je pense qu'elles en ont les moyens, elles doivent en avoir la volonté !
Ce combat passe d'abord par la réforme de la PAC. L'Agenda 2000 est le premier acte de positionnement de l'Europe dans la perspective de l'OMC. Monsieur Moscovici appelait ce matin la FNSEA à peser de tout son poids dans le débat en Europe.
Nous y sommes prêts ! La FNSEA mène d'ores et déjà le combat au sein du COPA avec tous les syndicats de l'Europe des quinze et en liaison avec le CNJA, le CEJA et la coopération agricole avec le COGECA !
C'est dans cet esprit que nous appelons à une grande mobilisation européenne le 22 février à Bruxelles pour la PAC, pour notre modèle agricole européen ! Les agriculteurs de toute l'Europe seront mobilisés et au-delà nous en appelons aussi aux consommateurs, aux citoyens, car notre combat pour l'agriculture européenne est aussi un combat pour une agriculture au service de l'homme et de la société tout entière !
Je vous remercie.
(Source http://www,fnsea,fr, le 12 février 2001)