Texte intégral
C. Barbier.- Professeurs et lycéens manifestent demain contre la suppression des postes d'enseignants. Avez-vous l'intention de leur lâcher du lest et de leur concéder quelques ajustements ?
R.- Je vais faire comme je fais depuis plusieurs jours : je vais répéter la vérité, c'est-à-dire leur dire que ces retraits d'emplois d'abord ils ont été décidés l'an dernier dans la loi de finance. Et d'autre part, ils font qu'à la rentrée prochaine, nous aurons le même encadrement. Il y aura toujours 28 élèves par classe en moyenne dans les lycées généraux, 19 élèves par classe dans les lycées technologiques, que nous recrutons à la rentrée prochaine 18.000 professeurs. Bref, que le système éducatif offrira la même qualité aux élèves et que ces inquiétudes sont sans aucun doute exagérées. 11.000 professeurs, dites-vous. Non, même pas 8.500, puisque sur ces 8.500, 5.000 sont transformés en heures supplémentaires. 3.500 sur près de 1 million, on doit pouvoir faire la même école dans ces conditions.
Q.- La semaine dernière quand vous avez reçu les représentants des lycéens, on avait l'impression que vous commenciez à vous assouplir, notamment sur quelques académies sensibles, que vous pourriez revoir la copie de la redistribution des postes.
R.- Ce qui m'a beaucoup frappé en parlant avec les représentants des lycéens, c'est qu'ils parlent d'autres choses que des postes et qu'on a pu parlé des questions de fond. Et je leur ai cependant rappelé que la carte scolaire, c'est-à-dire la distribution des moyens, se faisait en deux temps : d'une part, d'appliquer strictement une répartition par académie, et qu'ensuite, au mois de juin, on ajustait en fonction du nombre d'élèves qui arrivait, qui partait, des difficultés qui se présentaient dans tel ou tel établissement. Et que de fait, s'il y a des établissements qui souffrent plus que d'autres, notamment, dans l'académie de Créteil et l'académie de Versailles, puisque ce sont ceux qui nous sont souvent cités, des petits ajustements seront possibles. Mais fondamentalement, la donne ne changera pas en ce qui concerne la rentrée prochaine sur les 11.200 postes qui ne seront pas renouvelés sans que cela change la qualité du système éducatif, je le répète.
Q.- Avez-vous l'impression que les lycées sont manipulés par les professeurs, par leurs enseignants qui les envoient manifester ?
R.- Ce que je crois en tout cas, c'est que nous puissions parler avec les syndicats. Je ne peux pas simplement parler du destin de l'école avec des lycéens, même si, j'ai, je le répète, de la sympathie pour eux. Je comprends en grande partie leur malaise. Et donc, je veux voir les syndicats. C'est pour cela que je les ai un peu provoqués la semaine dernière...
Q.- La FSU vient cette après-midi.
R.- Je les vois aujourd'hui même ! Je veux qu'on reparle quand même des questions de fond, et qu'on ne soit pas simplement entre des filets interposés pour parler de choses aussi importantes que l'avenir de l'école française.
Q.- Est-ce que vous avez quelque chose à leur donner, à leur céder quand même, pour amorcer la discussion ?
R.- Non, je voudrais que les syndicats quand même redeviennent un peu raisonnables. Je vais vous donner un exemple. Nous mettons en place en ce moment, pendant les vacances, des études surveillées, des stages pour les élèves qui sont en très grande difficulté. Nous leur offrons gratuitement du français et des mathématiques dans la semaine. Dans la zone B, il y a eu 40.000 enfants qui se sont inscrits, 8.000 professeurs volontaires. Un des syndicats qui représente l'école primaire est contre. Comment peut-on être contre le fait qu'on donne gratuitement à des enfants qui sont en échec scolaire l'occasion de progresser, alors que les familles le demandent et en profitent ? Voyez qu'il y a quand même dans ces discussions, j'allais dire peut-être de la mauvaise foi. Je ne veux pas chercher la provocation. En tous les cas, il faut qu'on puisse parler un peu plus sérieusement des problèmes de fond.
Q.- Reconnaissez-vous néanmoins que le mouvement actuel, lycéens, profs, parents, est en train de s'étendre ?
R.- Je ne veux pas spéculer sur la dimension du mouvement. Ce n'est pas là-dessus que je me place. Moi, je comprends l'inquiétude des lycéens, je sais ce que c'est qu'un jeune de 16 à 18 ans. Je dis simplement qu'il y a beaucoup de mensonges qui sont dits. J'entends des élèves qui me disent "oh la la, à la rentrée prochaine, on n'aura plus de professeur de ceci ou de cela, on va être 50 par classe, on va retirer des dizaines et des dizaines de professeurs...". Ce n'est pas comme ça que ça se présente. Dans un établissement, dans un lycée classique moyen, vous avez 1.000 élèves, 100 professeurs. A la rentrée prochaine, il y aura un ou deux professeurs qui ne seront pas remplacés. Les choses s'organiseront avec les heures supplémentaires, le service sera assuré, et j'assure que les élèves auront devant le même service éducatif.
Q.- Avec cette fermeté, bous ne craignez pas que le mouvement lycéen et enseignant rejoigne d'autres mouvements, par exemple contre les retraites, les syndicats l'ont promis et qu'on se retrouve dans un cocktail très explosif ?
R.- Oui, mais ben même temps, il faut dire la vérité. La vérité, c'est qu'il faut à tout prix que d'ici 2012, nous retrouvions l'équilibre budgétaire, que ce que nous proposons ici, c'est ce que nous avons toujours dit que nous ferions. C'est notre devoir. Lorsqu'on me dit, "mais attendez, il ne faut pas faire d'économies, il ne faut pas faire de réduction d'emplois publics", cela veut dire qu'il faut que je dise aux enfants : "écoutez, on vous laisse la dette, on vous met dans votre cartable avec vos livres et vos cahiers la dette ; nous de toute façon, nous serons partis et vous l'assumerez". Est-ce que c'est vraiment comme ça qu'on fait de la politique honorablement. Je trouve qu'il faut que nous disions la vérité, surtout lorsque, je le répète, en ce qui concerne la réforme du lycée et les retraits d'emplois, nous aurons à la rentrée prochaine, vu la baisse démographique du nombre d'élèves, le même service éducatif, les mêmes classes, les mêmes options et c'est un mensonge que de faire croire aux élèves qu'à la rentrée prochaine, ils seraient subitement en face d'un lycée déserté.
Q.- Face à l'argument budgétaire, face à l'argument de la rationalité économique, J. Lang vous dit, "c'est l'avenir des jeunes qui est question à travers l'Education nationale et il ne faut rien sacrifier".
R.- Nous ne sacrifions rien, je le répète. Nous constatons simplement qu'il y aura moins d'élèves dans les établissements du second degré. Voyez, par exemple, à l'école primaire, nous savons que nous aurons plus d'élèves. Qu'est-ce que nous avons fait ? Nous avons ajouté des enseignants, nous avons augmenté le nombre de professeurs parce qu'il faut répondre à la demande. L'ajustement que nous faisons aujourd'hui, c'est un ajustement de bons sens, qui est d'ailleurs, en plus, à la marge, qui touche vraiment à la marge, je le répète, 3 500 postes qui sont vraiment supprimés sur près d'un million, nous sommes vraiment dans l'épaisseur du trait.
Q.- L. Parisot, présidente du Medef, comprend l'angoisse des lycéens et estime qu'ils sont maltraités, que lui répondez-vous ?
R.- Je pense qu'elle a raison, je pense que le malaise est réel. La preuve, c'est qu'il ancien. C'est moi qui subis aujourd'hui ces manifestations mais puis-je rappeler qu'il y en a pratiquement, maintenant, tous les ans ou tous les deux ans, de très ampleur et, sûrement, sur des sujets qui ne devaient pas normalement provoquer de telles émotions. Donc, il y a, en effet, un malaise. Je comprends très bien ces jeunes. D'ailleurs, c'est pour cela qu'il faut réformer le lycée. Ces jeunes de 16 à 18 ans ou plus, qui sont souvent majeurs dans nos établissements, qui ont l'accès à l'internet, qui vivent une vie extrêmement connectée avec le monde extérieur ; en même temps, on leur offre un lycée qui a gardé un caractère napoléonien, comme ils disent eux-mêmes d'ailleurs. Ils veulent faire évoluer le lycée, ils veulent un lycée plus réactif, plus moderne, où ils seront plus autonomes, ils demandent du soutien scolaire alors même que les syndicats du premier degré dénoncent ce que j'installe. Donc, on voit bien qu'il y a une différence entre ce que demandent les lycéens et ce que demandent les syndicats et donc, je comprends, en effet, les inquiétudes des jeunes gens d'aujourd'hui ; oui, je les comprends.
Q.- Vous perdez 12 points dans le sondage OpinionWay pour Metro, ce matin. N'auriez-vous pas intérêt à lâcher quelques postes pour remonter, quand même ?
R.- C'est le prix à payer lorsqu'on est un réformateur. Excusez-moi de le dire, j'en suis fier. Cela prouve que je résiste au conservatisme, cela prouve que je suis courageux dans les réformes et je suis prêt à assumer le risque évident, pour tout réformateur, c'est-à-dire de créer un petit peu d'impopularité.
Q.- C'est le prix de la réforme ou vous vous sacrifiez pour N. Sarkozy ? Déjà, il y a une fracture entre les jeunes et le Président.
R.- Non. Aujourd'hui, la question est une question scolaire. C'est à moi d'assumer, il ne faut pas du tout que je cherche à élargir des responsabilités sur d'autres. C'est une question qui se passe dans les lycées. C'est moi, ministre, qui doit assumer ma responsabilité.
Q.- Pourtant, sur la carte "famille nombreuse" à la SNCF, sur la réforme hospitalière, on voit le Gouvernement être très prudent, prudent jusqu'à la reculade parfois.
R.- Ecoutez, moi je ne suis pas un homme à reculer. Je serais homme à reculer si je pensais que je me suis mis dans un mauvais pas. Je le répète, ce que nous faisons, c'est évidemment des ajustements de postes, mais nous recrutons à la rentrée prochaine 18.000 professeurs. Mais surtout, nous voulons parler au fond de la question du lycée. Le lycée d'aujourd'hui n'est pas adapté, un lycéen coûte 22 % de plus que la moyenne des lycéens d'Europe et nous avons perdu un nombre de places dans les classements internationaux impressionnants, nous sommes dans les cinq derniers. Donc, le lycée ne fonctionne pas. C'est d'ailleurs ce que disent les lycéens et c'est avec eux qu'il faut que nous prenions du contenu et non pas des questions d'un poste de plus ou un poste de moins.
Q.- Alors, les parlementaires doivent avoir leur mot à dire sur toutes les réformes, c'est ce que réclame J.-F. Copé, président du groupe UMP à l'Assemblée. Etes-vous prêt, pour les réformes éducatives, à associer les parlementaires ?
R.- Bien entendu, nous le faisons. Là aussi, il faut que les parlementaires soient raisonnables, c'est-à-dire qu'ils nous soutiennent lorsque dans leur propre circonscription, des aménagements sont faits en matière d'emplois publics. J'ai besoin, en effet, de leur soutien et je les appelle à me soutenir localement.
Q.- Le Gouvernement durcit le ton envers les chômeurs qui refuseront un emploi impliquant moins de 2h de transport par jour et aucune baisse de salaire. Pourquoi cette sévérité ?
R.- Eh bien parce qu'il faut quand même dire la vérité, c'est-à-dire que, aujourd'hui, je le vois en particulier dans les premières insertions professionnelles, vous avez des métiers sans jeunes et des jeunes sans métiers. Donc, il faut à tout prix que la connexion entre ceux qui bénéficient des dispositifs d'assistance chômage, des Assedics de toute nature, et ceux qui proposent de l'emploi, car il y a de l'emploi qui est proposé en France, il faut que cette connexion se fasse mieux, il faut créer un peu de contraintes. Il n'y a pas de raison que nous ayons un taux de chômage qui reste élevé, même s'il baisse très régulièrement, alors que nous avons des entreprises qui cherchent à trouver des employés.
Q.- Vous avez été ministre de la Coopération. La France ne devrait-elle pas renforcer son aide aux pays pauvres, aide en chute libre, alors que les émeutes de la faim gagnent du terrain face au prix des denrées alimentaires ?
R.- Il faut à tout prix que la France reste très solidaire vis-à-vis des pays en voie de développement, des pays qui ont des difficultés. La question de l'aide française vient du fait que les annulations de dettes que nous faisions naguère, et qui permettaient d'obtenir le chiffre auquel nous aspirons, 0,7 % du PIB, étaient plus faciles à atteindre qu'aujourd'hui. Aujourd'hui, ce sont de vraies liquidités, ce sont de vraies aides qu'il faut donner. Je crois que le Président de la République en est parfaitement conscient et que, sans aucun doute, dans les jours qui viennent, il fera en ce sens des annonces.
Q.- On a l'argent pour ça ? Il n'y a pas d'argent pour les lycées, il n'y a pas d'argent pour l'économie ? On va mettre de l'argent ?
R.- Il faut faire des choix. Vous savez, avoir une Afrique qui aura bientôt 1,7 milliards d'habitants dont les 2/3 auront moins de 20 ans et qui seront en complète déhérance, en grande pauvreté, pendant que nous, nous serons 550 millions et que nous aurons tout, c'est un déséquilibre dont il faut que nous prévoyions les risques ; il faut aider les pays qui sont proches de nous et qui ont besoin d'être développés.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 14 avril 2008