Interview de M. Xavier Darcos, ministre de l'éducation nationale, à France Info le 11 avril 2008, sur les manifestations lycéennes, les suppressions de postes d'enseignants et la carte scolaire.

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Média : France Info

Texte intégral


 
 
C. Bayt-Darcourt.- Bonjour X. Darcos. Ministre de l'Education nationale, confronté à la grogne grandissante des lycéens. La mobilisation s'est amplifiée hier : plus de 20 000 personnes dans les rues de Paris. Alors, est-ce que vous maintenez ce chiffre de 11 200 suppressions de postes à la rentrée ?
 
R.- D'abord, rappelons que ces 11 200 ne concernent pas les enseignants. Sur ces 11 200, il n'y en a que 8 500 qui concernent les enseignants et que sur ces 8 500, 5 000 sont des transformations d'heures supplémentaires, donc ils ne se perçoivent pas de la part des élèves. Donc, le chiffre réel de départs à la retraite qui ne sont pas renouvelés, c'est 3 500. 3 500 ramenés à près d'un million d'enseignants, donc observons que ces chiffres sont modestes. Et tout simplement, je vais vous dire une chose très claire, qu'il faut que les gens entendent : à la rentrée prochaine, à la rentrée 2008, l'encadrement, c'est-à-dire le nombre d'élèves que nous aurons en moyenne, par classe, en France, sera identique à celui de la rentrée précédente, voire un tout petit peu inférieur.
 
Q.- Mais alors, pourquoi ils sont inquiets les lycéens ?
 
R.- Nous aurons 29 élèves par classe, en moyenne, dans les lycées généraux et 19 élèves par classe dans les lycées professionnels. Plutôt 28 que 29 dans les lycées généraux. Eh bien ils sont inquiets parce que, ici ou là, en effet, il y a des ajustements, mais qui portent, je le répète, vraiment à la marge. Je vois d'ailleurs des lycées qui sont, à Paris, complètement bloqués, je pense au lycée Voltaire, par exemple, pour citer celui-là, où il n'y a aucun retrait d'emploi. J'entends aussi beaucoup de contrevérités, tout de même. Je voyais hier des élèves qui disaient : « à la rentrée prochaine, nous seront 40 ou 50 par classe », ce n'est pas vrai, il n'y aura pas de classe à 40. Nous ne savons même pas les faire, les classes à 40.
 
Q.- Enfin, à 35, c'est quand même difficile.
 
R.- 35, ça peut se produire en effet, mais ce ne sont pas des groupes classes impossibles, ce sont des groupes classes qui correspondent à ce qui se fait dans le Monde entier. Nous avons, je le répète, le meilleur taux d'encadrement du monde, pratiquement. Il ne faut pas croire que la France échappe à la règle. Un lycéen français, il coûte 22 % de plus que la moyenne des lycéens européens, donc, ne disons pas que le lycée français est en déshérence, qu'il est à l'abandon, et surtout, ne racontons pas des blagues. J'ai entendu aussi, même, un des responsables, d'ailleurs, du mouvement d'hier, dire : dans mon lycée, le nombre d'élèves augmente, et on retire des postes. C'est faux, ce n'est pas possible, il n'y a pas d'endroit où le nombre d'élèves augmente, où on leur retire des enseignants. De même, lorsqu'on parle d'ailleurs du nombre d'élèves que l'on aura pas classe l'an prochain, nous n'en savons strictement rien, personne ne le sait, ça dépendra des redoublements, ça dépendra des demandes, ça dépendra des regroupements de classes et nous ne savons pas si dans une classe de Première ou de Seconde on sera 30, 32, 34, 36. Nous ne le savons pas.
 
Q.- Alors, vous allez recevoir les syndicats de lycéens aujourd'hui.
 
R.- Oui.
 
Q.- Qu'est-ce que vous allez leur dire ? Apparemment, ils ne vont pas obtenir gain de cause sur les suppressions de postes.
 
R.- Eh bien, écoutez, je le répète, quand bien même d'ailleurs ils obtiendraient gain de cause, c'est-à-dire que l'on rajouterait 3 000 professeurs plutôt que d'en retirer 3 000, ça ne changerait rien à l'affaire. Je le répète, qu'on soit un million avec 3 000 de plus ou un million avec 3 000 de moins, ce n'est pas ça qui changera le lycée. Je vais leur dire ce qu'ils savent déjà, parce qu'on présente ma rencontre avec eux, comme si c'était l'évènement du siècle. Nous nous sommes déjà vus, nous nous connaissons, nous nous téléphonons, nous nous parlons, et ce n'est pas d'aujourd'hui que je parle avec les représentants des lycéens.
 
Q.- Non, mais ça survient au lendemain d'une grande mobilisation.
 
R.- Oui, vous avez raison, mais enfin, nous nous parlons, et je vais leur dire que, en effet, ils ont raison de s'inquiéter, que je comprends leur malaise et qu'il faut que nous parlions de l'essentiel, du fond.
 
Q.- C'est quoi le fond ?
 
R.- Eh bien le fond, c'est que le lycée ne va pas bien. C'est que la manière dont ils travaillent au lycée ne les satisfait pas et surtout que nous amenons des élèves au Baccalauréat, qu'ensuite nous lâchons dans l'enseignement supérieur. Or je rappelle que un sur deux d'entre eux échoue complètement ; au bout de deux années d'études il n'a aucun diplôme, ça c'est la question. Pourquoi est-ce que les lycées français, qui coûtent plus cher, qui a un très bon encadrement - je le répète, dans le second degré nous avons un professeur pour 12 élèves, dans le second degré, un professeur pour 12 élèves - pourquoi le lycée qui coûte si cher, qui a un très bon encadrement, qui offre tellement de possibilités, d'options, etc., pourquoi est-ce que ce lycée, pourtant, a des performances qui sont moins bonnes que celles des pays comparables et surtout amène ses élèves derrière le Bac à un échec massif à l'enseignement supérieur ? Ça, c'est des questions qu'il nous faut nos poser.
 
Q.- Mais, vous avez la réponse ?
 
R.- Je n'ai pas la réponse toute faite, évidemment, mais j'ai des pistes que je voudrais explorer avec les lycéens, en particulier sur une beaucoup plus grande autonomie, de leur manière de travailler en Terminale. Il est clair qu'il y a une mauvaise préparation à la vie du monde étudiant, par rapport à la façon dont on travaille en Terminale, mais enfin, je n'ai pas d'idées préconçues sur cela. Je veux en parler avec eux, je veux les entendre. J'entends ce malaise. Contrairement à ce que j'entends dire ici ou là, moi j'ai beaucoup de respect pour les jeunes de 16 à 18 ans qui ne vont pas bien, je sais ce que c'est...
 
Q.- Mais ils ne se sentent pas entendus, par vous, Monsieur le Ministre.
 
R.- Je ne crois pas qu'ils ne se sentent pas entendus par moi, je suis un vieux professeur de lycée, j'ai des enfants, j'ai eu des enfants du même âge, je connais les jeunes de 16 à 18 ans, je les connais très bien, nous nous parlons. Mais si être entendu ça consiste à dire : « oui, vous avez raison, la solution au problème du lycée c'est de rajouter des emplois tous les ans », ce que nous faisons depuis 30 ans, alors que nous perdons chaque année 40 à 50 000 élèves, s'ils attendent de moi que je leur dise ça, je ne leur dirai pas, parce que ce n'est pas la vérité. Je leur dirais, si c'était vrai, je suis un homme de vérité, je leur dis la vérité, je leur dis que ce n'est pas là que ça se joue.
 
Q.- B. Thibault, de la CGT, menace d'une extension du conflit. Ça vous inquiète, X. Darcos ?
 
R.- C'est bien ce que j'ai compris. Je vois qu'aujourd'hui on cherche à faire en sorte que, parti d'une question d'emplois d'enseignants, dont on s'est rapidement rendu compte, quand même, qu'elle a été à la marge - je le répète, 3 500 sur un million - on essaie de transformer ce mouvement en quelque chose de plus large, en une protestation du malaise de la jeunesse. Je vois très bien la tactique, il y a derrière tout cela, beaucoup de politique, et ne soyons pas innocents et je voudrais aussi que les syndicats enseignants, qui participent à ce mouvement et qui poussent un peu les élèves devant eux, reprennent leurs responsabilités, qu'on se parle, qu'on n'ait pas d'interlocuteurs interposés. Les questions de l'organisation du lycée, les questions de l'avenir de l'école, les questions de l'encadrement pédagogique, sont des questions qui doivent être traitées aussi avec nos personnels, que je vois régulièrement, et j'aimerais qu'ils ne se cachent pas derrière les mouvements lycéens pour venir parler avec nous.
 
Q.- Il nous reste une minute pour parler de la carte scolaire, X. Darcos.
 
R.- Oui.
 
Q.- Elle sera assouplie à la rentrée. Concrètement, qu'est-ce que ça va changer pour les élèves ?
 
R.- C'est tout simple, toutes les familles ont aujourd'hui le droit de demander une affectation, dans un établissement de leur choix. L'établissement, ensuite, examine ces propositions, même si la solution la plus simple c'est d'aller dans l'établissement le plus proche, c'est ce qui est le plus simple. Mais enfin, les établissements examinent ces dérogations. Si elles peuvent accueillir les élèves, elles les accueillent, si elles ne le peuvent pas, je leur ai demandé d'avoir comme critères de sélection, des critères qui soient des critères sociaux : le handicap, les boursiers sociaux, boursiers au mérite, les choix de parcours particuliers, le regroupement de fratries, etc. Faire en sorte, autrement dit, que cet assouplissement de la carte scolaire bénéficie surtout à des élèves qui, sur le plan social, méritent d'être encouragés ou aidés.
 
Q.- Ça risque de vider certains établissements, d'en surcharger d'autres, en tout cas c'est la crainte de nombreux parents d'élèves.
 
R.- Non, je ne crois pas, parce que, je le répète, les établissements n'accepteront ces dérogations que dans la mesure où elles peuvent le faire, et dans les établissements qui perdent des élèves, nous maintenons, comme c'est le cas, d'ailleurs, actuellement, nous maintenons les moyens à l'identique pour les établissements qui perdent des élèves, de sorte de leur permettre de se ressaisir un peu parce que souvent, des établissements qui sont quittés sont des établissements qui ont des difficultés, liés tout simplement à la population scolaire qu'ils ont.
 
Q.- Merci X. Darcos.
 
R.- C'est moi qui vous remercie.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 11 avril 2008