Interview de M. Xavier Darcos, ministre de l'éducation nationale, à France Inter le 16 avril 2008, sur les manifestations des lycéens, les effectifs d'enseignants et la carte scolaire.

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Média : France Inter

Texte intégral


 
 
N. Demorand.- Les manifestants manifestaient hier. Le ministre de l'Education nationale, vous, vous restez droit dans vos bottes. Ça peut durer combien de temps ça ?
 
R.- Je ne sais pas, c'est une affaire de vérité. Moi, ce que je dis c'est la vérité. Et même s'il y a des manifestants assez régulièrement, je suis là pour rappeler des chiffres, et des chiffres qui sont simples. Le premier, qui est évident, et que personne ne dit jamais c'est que, à la rentrée prochaine, au mois de septembre 2008, il y aura le même encadrement pédagogique qu'à la rentrée 2007, le même exactement ; le même nombre de professeurs en moyenne...
 
Q.- Alors que vous supprimez des postes ?
 
R.- Oui, tout simplement parce que nous avons beaucoup moins d'élèves ; nous avons perdu 145.000 élèves dans ces trois dernières années, et 40.000 élèves à la rentrée prochaine. Et j'ajoute de surcroît que, comme vous le savez, il y a des mouvements d'élèves d'un lycée à un autre ; lorsqu'il y a des élèves qui sont plus nombreux dans un établissement, nous ajoutons des postes que personne ne dit. Il y a des lycées qui vont recevoir plus de postes, des dotations en augmentation. Lorsqu'il a des élèves qui s'en vont ou lorsqu'il y a des ajustements que nous devons faire, nous retirons des postes. Nous ne le faisons pas de gaieté de coeur, nous le faisons parce que ça nous paraît nécessaire, parce que c'est conforme à la loi de Finances qui a été votée l'an dernier. Et je trouve surprenant d'ailleurs qu'on me demande aujourd'hui, par exemple, de retrouver des postes d'enseignants dont le renouvellement a été décidé en août dernier par une loi de Finances qui a été votée en novembre, et il faudrait subitement que, au mois d'avril ou au mois de mai, on revienne sur ces décisions législatives.
 
Q.- C'est une logique strictement comptable qui a conduit à la suppression de ces postes, ou est-ce vous qui avez dit : il y en a largement assez dans l'Education nationale, on peut en supprimer x milliers, plus en l'occurrence ?
 
R.- Le président de la République a été élu sur un programme, ce programme c'est de réduire la dette. Et pour réduire la dette, il faut notamment réduire la voilure de la fonction publique en France. L'Education nationale c'est la moitié de la fonction publique, nous ne pouvons pas faire comme si ce n'était pas le cas. Et je trouve d'ailleurs que, pour un éducateur ou pour un ministre que je suis, il est tout à fait normal que je considère, de mon devoir, de ne pas laisser aux générations futures, aux élèves, à ces jeunes gens qui sont dans la rue en train de défiler, le poids d'une dette qu'ils assumeront eux. Ce n'est pas moi, ce n'est pas notre génération qui l'assumera, c'est eux ! Je trouve...
 
Q.- C'est donc une logique strictement comptable ? !
 
R.- Non, je voudrais, je... C'est d'abord une logique de respect de nos engagements vis-à-vis non seulement de l'Europe mais vis-à-vis de nos concitoyens en ce qui concerne la dette. Et d'autre part, c'est aussi une logique qui réfléchit à ce qui s'est passé. Parce que - si je puis dire, je suis un vieux de la vieille de la maison Education nationale - depuis 30 ans, qu'est-ce que nous entendons tous les ans ? "Il faut plus de moyens à l'école !". Depuis 30 ans, nous avons cette vieille fadaise idéologique car c'est une fadaise idéologique que de croire qu'il faut sans arrêt continuer à augmenter les moyens pour que l'école marche mieux. Si c'était le cas, on pourrait se poser des questions. Or ce n'est pas le cas. Depuis 30 ans, nous avons augmenté les moyens pour l'Education nationale, nous sommes sans doute le pays au monde où les lycéens restent le plus longtemps au lycée, où ils font le plus d'heures, où ils ont le meilleur encadrement - 1 professeur pour 11 élèves -, où ils ont des résultats par ailleurs les plus modestes, et dans les classements internationaux, ils ne cessent de baisser. Donc, nous voyons bien que, croire que la réponse aux difficultés du lycée, c'est dire : la rentrée prochaine, il y avait 100 professeurs dans ce lycée, on va en mettre 101 et tout sera réglé, je crois que c'est un mensonge, que ce n'est pas vrai, que ce n'est pas que ça se joue !
 
Q.- Je vous pose la question qui est en Une de Libération, ce matin : "Y a-t-il trop de profs en France ?".
 
R.- Il n'y a pas trop de professeurs mais l'organisation, en particulier du lycée, est mal faite. C'est vrai, quand je dis, par exemple des moyennes, quand je dis "il y a un professeur pour 11,9 élèves" tout le monde ouvre des yeux comme des soucoupes en disant : mais qu'est-ce que vous racontez ! Dans la classe de mon fils, ils sont 38, ils sont 40, ou ne je ne sais quoi. Nous avons un système lycéen qui coûte très cher ; un lycéen français coûte 22 % de plus en moyenne que tous les lycées au monde, que les lycées européens en particulier, et qui fait qu'il y a une disparité considérable. Savez-vous qu'on peut présenter 59 langues différentes au baccalauréat ! Savez-vous que nous avons un nombre d'options, de filières, en particulier dans les séries professionnelles, les séries technologiques, considérable. Et donc, nous faisons...
 
Q.- Mais n'est-ce pas une richesse ça ?
 
R.- Oui, je ne dis pas qu'il faille y renoncer, je dis simplement que nous avons fait un choix d'un lycée qui était extrêmement coûteux, ce que je défendrais s'il était par ailleurs efficace. Ce qu'il faut rappeler c'est que, dans le même temps, lorsque deux lycéens sortent du lycée aujourd'hui, du bac, qu'ils vont à l'université, un d'entre eux au bout de trois ans n'aura aucune forme de diplôme. Chaque année nous sortons 150.000 élèves sans aucune qualification du système éducatif. Je le répète, si j'étais convaincu, moi, ministre de l'Education nationale, et je le répète, vieux routier de cette, que la question des moyens était la pierre angulaire de la réforme de l'école, je la défendrais. Je ne le crois pas, je ne le crois plus. Je pense même que c'est le moyen par lequel nous empêchons de penser à la question de fond qui est : comment réformer le lycée ? Comment faire ce que tous les pays comparables ont fait ou sont en train de faire. Nous sommes à la traîne, faire un lycée qui soit adapté au monde moderne.
 
Q.- Le dialogue de sourds risque donc de continuer ?
 
R.- Ce n'est pas un de sourds...
 
Q.- Vous venez de décrire votre vérité comme vous l'avez dit ; les manifestants, en s'appuyant d'ailleurs aussi sur l'avenir et sur leur inquiétude pour l'avenir, disent en substance le contraire.
 
R.- Ils ne disent pas le contraire, parce que...
 
Q.- En tout cas ils manifestent.
 
R.- Non...
 
Q.- Très durement.
 
R.- Quand je vois des lycéens, ils ne disent pas ça. Ils sont d'accord sur le fait qu'il faut réformer le lycée. Et de quoi me parlent-ils ? Ils ne parlent pas des postes, ils me parlent d'orientation, d'accompagnement éducatif, d'études plus que de cours, d'une organisation différente des enseignements, de plus d'autonomie, de plus d'accompagnement, d'une présence plus soutenue des enseignants ; ils me parlent d'une réforme de la classe Terminale qui les préparent mieux à affronter l'université. C'est une... Ne confondez pas les slogans des syndicats et la pensée des lycéens. La pensée des lycéens est très...
 
Q.- Elle s'exprime vivement sur certaines banderoles quand même, hein !
 
R.- Oui, mais, bon, je répète ce que je viens de dire : ne confondez pas les slogans idéologiques ou syndicaux et ce que demandent les lycéens. Les lycées veulent la réforme du lycée, ils le disent, ils l'expriment, ils le formulent d'ailleurs souvent de manière extrêmement intéressante.
 
Q.- Les lycéens sont, d'apr??s vous, "manipulés", je mets les guillemets d'usage, par les syndicats, téléguidés en tout cas ?
 
R.- En tous les cas, il y a une confusion des deux. Mais je trouve que le système est dangereux, je l'ai dit aux syndicats avec qui nous avons repris d'ailleurs contact, enfin "repris" c'est beaucoup dire, on se voit tout le temps d'ailleurs, enfin, nous avons parlé de tout ça récemment. Si les syndicats veulent aller jusqu'au bout de leur vérité, qu'ils le disent, on parlera de tout ; on parlera du temps de service d'enseignant, de leur présence, de la manière dont sont organisées les options, on parlera des 28.000 professeurs qui ne sont pas devant les classes... Moi je veux bien tout mettre sur la table. Mais j'invite chacun à prendre ses responsabilités, à ne pas trop pousser l'angoisse de la jeunesse, que je comprends, à des fins qui sont autres que pédagogiques.
 
Q.- C'est une menace ça, du ministre de l'Education ?
 
R.- Non, je ne menace personne, mes partenaires m'entendent très bien. Je dis ne confondons pas tout. Et si on veut en effet défendre la jeunesse, alors allons jusqu'au bout de notre logique et que chacun prenne ses responsabilités.
 
Q.- Pour parler clair, vous estimez que les syndicats sont irresponsables dans ce conflit ?
 
R.- Je n'ai jamais dit cela M. Demorand ! Ne jetons pas de l'huile sur le feu...
 
Q.- Je vous pose la question, il y avait un point d'interrogation à la fin.
 
R.- Ils savent comme moi le danger qu'il y a à ce que, 15 ou 20.000 élèves circulent dans les rues deux fois par semaine, on sait très bien comment tout cela peut finir : par un incident ou que sais-je. Ils ont parfaitement conscience que ce n'est pas comme ça que nous ferons progresser les choses, ils veulent retrouver un dialogue syndical, ils veulent retrouver un dialogue objectif. En même temps, tout ceci arrange un certain nombre de personnes qu'il y ait des mouvements dans la rue. Je dis : "méfions-nous, il faut que tout ceci s'arrête, il faut qu'on parle au fond, et on ne réglera pas les problèmes de l'école par des monômes tous les deux jours dans les rues de Paris.
 
Q.- Dernière question avant la revue de presse, vous êtes soutenu à 100 % par le Premier ministre, F. Fillon et le président de la République, N. Sarkozy ?
 
R.- C'est tout à fait le sentiment que j'ai, j'ai encore eu hier avec le ...
 
Q.- Ah ! Un sentiment...
 
R.- C'est tout à fait le sentiment que j'ai. Hier, j'ai eu un contact avec l'Elysée qui me l'a confirmé. D'ailleurs, personne ne dira aujourd'hui que je n'affronte pas la situation, je crois. Je trouve même un peu bizarre que certains me disent : il aurait fallu réformer plus tôt avant les suppressions d'emplois, c'est-à-dire qu'il aurait fallu que je le fasse, si je comprends bien, entre le 15 mai et le 15 juin, date à laquelle la discussion budgétaire a commencé. Donc, les conseilleurs, qui disent qu'il aurait fallu aller plus vite avant même la loi de Finances et les discussions budgétaires du mois de juillet, sont invités à me donner des conseils plus utiles.
 
Q.- Donc, vous êtes droit dans vos bottes et soutenu par la hiérarchie, si je puis dire ?
 
R.- Je suis un homme de convictions, et je crois qu'on peut reconnaître une chose, c'est que j'ai consacré ma vie à l'école, et que ce que je dis ici, je ne le dis pas parce que je serais le bon petit soldat qui veut assumer à tout prix une situation difficile. Je le dis par conviction : la question de la quantité ne règlera pas le problème de la qualité.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du  16 avril 2008