Interview de M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'Etat à l'emploi, à "LCI" le 15 avril 2008, sur la politique de l'emploi et notamment le devoir pour les chômeurs d'accepter "une offre d'emploi raisonnable", le projet de loi sur la modernisation du marché du travail.

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Média : La Chaîne Info

Texte intégral

C. Barbier.- Le Comité national olympique et sportif français refuse aux athlètes tricolores le droit de porter le badge "Pour un monde meilleur" aux Jeux Olympiques, initiative pourtant soutenue par B. Laporte et le Gouvernement. Êtes-vous choqué ?

R.- Un peu. Parce que je pense que ce n'est pas l'esprit de l'olympisme. L'esprit de l'olympisme, ce n'est pas de surtout ne pas s'occuper d'une moindre question d'engagement, l'olympisme c'est aussi porter des valeurs, porter des valeurs universelles. Et je ne voudrais pas qu'après les excès qu'on a eus, sur les manifestations sur la flamme, on tombe sur d'autres excès qui soient "surtout ne rien voir, ne rien dire".

Q.- Le Gouvernement met la pression sur les chômeurs et veut supprimer les aides à ceux qui refuseront deux offres "valables" d'emploi. Que veut dire "valables" pour vous ?

R.- Alors, la première chose, c'est que ce n'est pas "mettre la pression sur les chômeurs", c'est avoir un meilleur équilibre entre les droits et les devoirs. Plus de droits pour les demandeurs d'emploi, ça va être mon travail, essayer de faire en sorte qu'ils soient mieux accompagnés par le service public de l'emploi. Mais à l'inverse, plus de devoirs, et le devoir notamment, c'est d'accepter des offres d'emplois quand elles sont raisonnables.

Q.- Alors, "raisonnables", par exemple, quand on est moins payé que dans son emploi précédent, est-ce "raisonnable" ?

R.- "Raisonnable" d'abord, c'est une offre d'emploi qui est dans le prolongement de ce que vous aviez fait avant et de votre formation. "Raisonnable" ensuite, c'est dans un bassin géographique qui vous permet de vous déplacer pour aller sur votre job, on le définira en concertation avec les syndicats. Et puis enfin, "raisonnable", c'est avec un niveau de salaire et de rémunération qui est à peu près dans la fourchette. Je rappelle juste un point : 500.000 offres d'emplois non pourvues en France. Il y a un moment où il faut aussi que la balance soit correcte, avoir une bonne politique sociale et une bonne politique de l'emploi, c'est aussi cet équilibre entre les droits et les devoirs. Ça, c'est notre principe. Sur les modalités, on va en discuter avec les syndicats. Mais sur le principe, on ne lâchera pas, parce que je pense que c'est une question de justice sur notre politique de l'emploi.

Q.- Fourchette de rémunération, alors jusqu'où va-t-on aller ? Deux tiers, trois-quarts, la moitié du salaire précédent ?

R.- Non, je pense que, enfin...Ça, ça fait vraiment partie de l'éventail qu'il faut qu'on arrêter avec les syndicats et puis il y a aussi un autre équilibre à trouver, à la fois fixer un cadre, c'est-à-dire, qu'on définisse au niveau national ce qu'est une offre raisonnable d'emploi, et en même temps, être capable de faire du sur-mesure en fonction de chaque demandeur d'emploi. On sort d'une période de chômage de masse, où on traitait les demandeurs d'emploi comme des numéros les uns après les autres. Et ce que je voudrais, c'est en tout cas l'impulsion que je souhaite donner sur mon ministère, c'est qu'on bascule vers une logique de sur- mesure, où on s'occupe de chaque demandeur d'emploi. Mais cela suppose encore une fois, cet équilibre entre les droits et les devoirs.

Q.- Auront-ils de recours les chômeurs, si on leur dit : voilà, c'étaient deux offres raisonnables, vous les avez refusées, vous êtes sanctionné. Auront-ils des instances de recours ?

R.- Tout cela fait partie des modalités. Pour l'instant, ce que je voudrais bien expliquer à tout le monde c'est que, le président de la République en avait parlé depuis longtemps. Il avait dit aux syndicats : "saisissez-vous de ce sujet". Ça n'a pas franchement bougé au cours des cinq à six derniers mois. Donc, il y a un moment où il faut qu'on enclenche le processus. Donc, on met sur la table, et ça a été une de mes priorités en arrivant, ce sujet, on a rendez-vous avec les syndicats le 6 mai, et dès cette semaine, on va commencer à préparer, jeudi notamment, avec C. Lagarde, en en discutant avec les syndicats.

Q.- Alors, le 6 mai vous présentez cela aux syndicats, ils auront combien de temps pour vous répondre et rendre leur copie ?

R.- J'ai plutôt envie de dire, le 6 mai, on discute après avoir présenté aux syndicats les différentes options. Donc on commence dès jeudi...

Q.- Donc, ils rendent leur copie le 6 mai...

R.-...En tout cas, on voudrait bien le 6 mai, déjà, avoir une bonne vision sur ce qu'on veut faire. C'est un sujet...ça fait plus de cinq mois que le président de la République a vraiment envoyé des signaux en la matière. Donc, il y a un moment où il faut qu'on avance, on est sans doute le seul pays en Europe à ne pas avoir suffisamment cet équilibre entre les droits et les devoirs.

Q.- Il y aura une loi avant l'été ?

R.- On va voir. Tout cela va un peu dépendre de la volonté des syndicats d'avancer dessus. En tout cas, c'est un sujet sur lequel on est très déterminés à avancer, parce que je pense que...Enfin, mettez-vous à la place d'un demandeur d'emploi qui fait l'effort de prendre une offre qui est dans son secteur, quitte d'ailleurs à ce que ce ne soit pas le job dont il rêvait, et qui à côté voit qu'il y en a d'autres qui ne jouent pas le jeu, ça n'est pas équilibré.

Q.- Au bout de combien de temps de chômage mettra-t-on les chômeurs face à leurs devoirs ? Six mois, un an ?

R.- Tout ça encore fait partie des sujets sur lesquels on va échanger. Il est probable d'ailleurs qu'il faille l'étaler dans le temps, parce que ce n'est pas la même chose quand on vient de perdre son travail, qu'on a besoin de se retrouver, d'avoir une période sur laquelle on vous laisse sans pression, et puis, au fur et à mesure, on dit : bon, là, y compris dans votre intérêt, ce n'est pas bon de rester longtemps au chômage, parce que si vous restez longtemps au chômage, vous vous dévalorisez. Donc, essayer d'aider sur ces passerelles. Aujourd'hui, un point quand même : les principales radiations qui ont lieu, ont lieu dans des secteurs qui sont des secteurs où on trouve de l'emploi. Donc, c'est sûr qu'aujourd'hui, quand vous êtes demandeur d'emploi, que vous êtes dans le BTP, et qu'au bout d'un an, vous n'avez pas trouvé de job, il y a quelque chose qui n'est pas normal.

Q.- "Radiations", vous lâchez le mot, vous chercher aussi une manière de radier les chômeurs qui encombrent les statistiques ?

R.- Non, pas du tout. C'est exactement l'objectif qui n'est pas le nôtre. C'est-à-dire que notre objectif, c'est vraiment d'avoir une politique qui soit plus dynamique pour amener les demandeurs d'emplois vers l'emploi, ce n'est absolument pas de dire, un traitement statistique en nombre, ça n'est pas du tout ce qui m'intéresse. Ce qui m'intéresse, c'est cette idée du sur-mesure, chaque demandeur d'emploi, on met le paquet pour l'aider, mais en contrepartie, on est fondés à demander à ce qu'il accepte des offres qui sont "raisonnables".

Q.- "Consentement mutuel" pour rompre un CDI, "contrat de mission", de 18 à 36 mois... le projet de loi sur la modernisation du marché du travail arrive à l'Assemblée aujourd'hui. Souhaitez-vous que les députés l'adoptent en l'état, puisque tous les partenaires sociaux sont tombés d'accord ?

R.- Je pense que oui, pour une raison. C'est la première fois depuis quasiment dix ans qu'on a les partenaires sociaux qui se mettent d'accord sur un accord réformant en profondeur la modernisation du travail. Et là, on récolte les fruits du choix qui a été fait le président de la République de faire confiance aux partenaires sociaux, et de leur dire : moi, si jamais vous vous saisissez d'un sujet et que vous vous mettez d'accord, je suivrai vos orientations.

Q.- Et le Parlement ne sert à rien ?

R.- Pas du tout, mais je pense que sur ce sujet-là, on a un devoir un petit peu plutôt d'essayer d'accompagner la démocratie sociale et de l'encourager. Après, c'est tout à fait juste, c'est un équilibre qu'il faut qu'on trouve entre démocratie sociale et démocratie politique.

Q.- Le Contrat nouvelle embauche va donc disparaître...

R.- Oui.

Q.-...Que deviennent les CNE en cours ?

R.- Ils sont tous transformés en CDI.

Q.- Comme les autres ?

R.- Oui.

Q.- J.-P. Raffarin a accusé S. Royal, qui a perdu un jugement pour des licenciements abusifs, il l'accuse de délinquance sociale. Elle dit que le licenciement abusif n'est pas dans le jugement. Quel est votre sentiment ?

R.- Mon sentiment c'est que, quand on fait de la politique, il faut mettre son comportement personnel en harmonie avec ses grands discours. Et que, si jamais on a des grands discours qui consistent à dire : attention, politique généreuse, ordre juste, et qu'on ne l'applique pas sur ses plus proches collaborateurs, il y a une petite dissonance, et je crois que c'est notamment ce type de dissonances qui a beaucoup décrédibilisé la politique par le passé.

Q.- Faut-il confier les soins d'optique aux mutuelles et non plus à la Sécu, comme l'a suggéré R. Bachelot ?

R.- C'est vraiment juste une piste de réflexion qu'a ouverte R. Bachelot. Je crois surtout qu'en matière de Sécurité sociale, il faut à la fois qu'on arrive à mieux gérer nos ressources et les cibler là où les dossiers, les enjeux de santé sont prioritaires. Mais c'était vraiment juste une piste de réflexion qu'elle a ouverte, et à ce stade, il n'y a pas de propositions précises.

Q.- Il y a des cagnottes cachées dans les mutuelles, elles sont riches ?

R.- Non, mais par contre, et ça vaut dans d'autres domaines, les organismes qui agissent avec des fonds publics ont un impératif de bonne gestion. Et si jamais les frais de gestion, les frais de personnels sont supérieurs à ce qui est servi comme prestations aux usagers du service public, il y a un problème. Je pense notamment à un domaine qui va beaucoup me concerner, c'est la formation professionnelle. En matière de formation professionnelle, il faut qu'on arrive à avoir une meilleure gestion pour faire en sorte que le maximum d'euros aille en direction de ceux qui ont besoin de formation.

Q.- "Malhonnête" aviez-vous dit à propos de l'étude de D. Migaud sur l'efficacité de la loi sur les heures supplémentaires. Quand est-ce que le Gouvernement produira une étude montrant que c'est efficace ?

R.- Alors, on la produit au jour le jour, c'est-à-dire que chaque mois, on essaye d'avoir un tableau de résultats sur le nombre d'heures supplémentaires qui sont faites dans le pays depuis l'adoption de "travail, emploi, pouvoir d'achat". Plus 25 % depuis l'adoption de la loi du nombre d'heures supplémentaires en France. Un impact sur le pouvoir d'achat des salariés modestes qui est extrêmement important, quasiment l'équivalent d'un 13ème et d'un 14ème mois dans l'année.

Q.- Toujours pour les mêmes, ceux qui avaient déjà des heures supplémentaires en font un peu plus ?

R.- Non, pas forcément. Dans ces 25 %, il y a d'autres d'autres secteurs qui les découvrent. Par contre, c'est vrai qu'il y a aussi un changement de culture qui s'est enclenché et qui était un des choix forts qui est fait. Jusque-là, l'idée c'était de dire : le travail moi, je m'arrête à 35 heures. Maintenant, pour quiconque se déplace sur le terrain et va dans les entreprises, la demande des salariés c'est au contraire : permettez-nous de faire plus d'heures supplémentaires.

Q.- L'UNSA et la CGC vont fusionner. Avec les nouvelles règles de représentativité syndicale, vous cherchez à chambouler complètement le paysage syndical ?

R.- Non, mais je pense qu'il ne faut pas quand on est politique craindre les partenaires sociaux, on a besoin de partenaires sociaux qui sont puissants, qui sont organisés, et c'est tout le sens du travail qui a été fait par X. Bertrand de discussions avec les syndicats sur leur représentativité, leur organisation. Là encore, je trouve, ça fait partie de ces chantiers de réformes importants qui ont été ouverts depuis dix mois, et petit à petit on s'en aperçoit, les contours du pays changent.

Q.- Et vous craignez qu'un Medef trop désorganisé nuise à ces réformes ?

R.- Non, je pense que là, enfin... Le Medef, ce n'est un scoop pour personne, a traversé une période de turbulences importante...

Q.- Et ce n'est pas fini.

R.- Je pense quand même que c'était un choix qui est un choix courageux. Maintenant, pour nous, c'est évidemment essentiel d'avoir autour de la table un Medef qui soit capable de négocier, qui soit capable d'aller de l'avant, mais je n'ai aucun doute que ce sera le cas.

Q.- F. Bayrou affirme que l'Elysée orchestre des manoeuvres pour détruite le MoDem. Est-ce vrai ?

R.- Enfin, personnellement, j'essaye de garder un peu un regard d'une jeune génération sur la politique. Je trouve ça risible. Qu'est-ce que nous joue F. Bayrou ? Il nous joue la thèse du complot ? Moi, ce que je préfèrerais c'est qu'il explique sur le fond qu'est-ce qui fait le sens de sa démarche ?

Q.- La note à l'Elysée, la volonté de réveiller l'UDF, ce n'est pas la thèse du complot ça, c'est la réalité ?

R.- Oui, non, mais la réalité c'est quoi ? La réalité c'est que quand on porte un parti politique qui est une coquille vide, dans laquelle il n'y a aucun repère, aucune ligne directrice forte, en termes de fond - moi je suis incapable de vous citer un sujet fort, identifiant, sur lequel F. Bayrou aurait pris position, sur des sujets de vie quotidienne des Français, j'en suis incapable ! Donc, quand vous avez une coquille vide, le problème ce n'est pas les autres, c'est vous.

Q.- S. Berlusconi gagne haut la main les élections en Italie, vous êtes inquiet ?

R.- Non, je ne suis pas inquiet, je pense que c'est le fonctionnement de la démocratie italienne. Voilà. Après, je pense que pour tout pays, l'instabilité est mauvaise. Mais là, visiblement, c'est avec un programme de réformes qui est assez fort.

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 15 avril 2008