Interview de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, à "RFI - L'Express" le 17 février 2001, sur les relations franco-algériennes, la coopération franco-allemande comme moteur de la construction européenne et la position de la France face à la tension actuelle entre Israéliens et Palestiniens.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Radio France Internationale

Texte intégral

Q - Vous nous recevez dans votre bureau du Quai d'Orsay, à votre retour d'Algérie et avant votre départ pour Stuttgart. Des entretiens avec le gouvernement et avec le président algérien, un tête-à-tête ce vendredi soir avec votre homologue allemand Joschka Fischer. Ce sont deux déplacements qui illustrent sans doute deux des préoccupations importantes de la France, ces relations avec la Méditerranée d'une part, la suite de la relation allemande et de la construction européenne d'autre part.
Voici un an et demi, lors de votre précédente visite à Alger, vous vous félicitiez de voir l'alchimie entre Alger et Paris fonctionner à nouveau. Etes-vous toujours aussi confiant sur cette relation ? Nous avons l'impression qu'il y a une sorte de désenchantement, que s'est-il passé depuis un an ?
R - Dès que le président Bouteflika est arrivé à la présidence, il a manifesté une volonté de relancer les relations entre la France et l'Algérie, une volonté de relancer la coopération y compris dans le domaine très longtemps tabou en Algérie de la francophonie. Très vite, je me suis rendu là-bas pour lui exprimer, au nom du président de la République et du gouvernement, la disponibilité pleine et entière de la France à participer à cette relance. Nous avions parlé de refondation d'une coopération nouvelle, adaptée aux besoins de l'Algérie d'aujourd'hui. A partir de là, nous avons beaucoup travaillé beaucoup. Cela a été confirmé avec beaucoup d'éclat lors de la visite d'Etat du président Bouteflika en France il y a 9 mois. Dans tous les domaines, économiques, culturels ou autre, ou grâce aux mouvements de personnes à travers la réouverture des consulats nous avons justement relancé pas mal de projets.
Depuis lors, nous travaillons, et il faut distinguer la situation de l'Algérie sur laquelle on peut faire toutes sortes d'analyses ou de commentaires souvent sans beaucoup d'informations tout à fait sûres d'ailleurs, et la coopération franco-algérienne. Quand nous menons cette politique, c'est une politique à long terme, nous ne faisions pas la coopération algérienne, nous ne le reconstruisons pas uniquement en nous basant sur la situation d'aujourd'hui. Nous pensons aux rapports entre les deux pays, et entre l'Europe et le sud, pour dans 5, 10 ou 15 ans. C'est un travail de fond qui n'a pas forcément de portée spectaculaire immédiate.
Q - C'est peut-être pour cela que l'on note une certaine impatience quelquefois chez les Algériens. Il y a ce mot que la presse algérienne cite du président Bouteflika, qui dit que la coopération entre la France et l'Algérie est simplement raisonnable. Visiblement, il en souhaiterait davantage. Ne cherche-t-il pas un adoubement de la part de la France ?
R - Il y a plusieurs choses. D'une part, le président Bouteflika a une conscience assez aiguë de la fierté et de la souveraineté algérienne pour ne pas chercher à être adoubé par qui que ce soit d'autre que le peuple algérien. C'est la source de sa légitimité et je pense que c'est l'objet de ses efforts. Il est vrai, maintenant, que le président Bouteflika a une façon de s'exprimer, qui est à la fois rationnelle et construite et qui est, en même temps, très affective et par rapport à la France, il y a une attente énorme.
Il y a des sujets concrets :
Quand Air-France pourra-t-elle revenir ?
La COFACE place-t-elle l'Algérie dans la bonne catégorie ? Chaque pays voudrait toujours mieux et l'Algérie comme les autres.
Peut-on faire des efforts par rapport à la dette ? Et là aussi, tous nos partenaires voudraient que nous fassions un effort supplémentaire et on peut comprendre leur attente. Mais, on ne peut pas répondre à tout.
Le mouvement des personnes, les visas pour les Algériens. Lorsque le gouvernement Jospin est arrivé le nombre de visas était tombé à 40 000 alors que le rythme de croisière des années pas si éloignées que cela était de plusieurs centaines de milliers.
Il y a tout un ensemble et c'est vrai que le président Bouteflika est à la recherche, à travers la solution de problèmes concrets, de quelque chose de plus vaste.
Q - Y aurait-il un besoin de France ?
R - Je crois qu'il y a une sorte de mouvement vers la France, à travers la société algérienne, d'après ce que l'on m'explique, à travers la façon dont les Algériens regardent les journaux, les médias français, à travers les demandes de visas pour un court ou un long séjour, la France reste un objectif très important. Mais cela ne veut pas dire qu'en terme politique, les responsables politiques français détiennent la clef de la solution des problèmes algériens. Il faut donc bien distinguer les deux. L'Algérie a des problèmes, elle a surmonté la fin d'une tragédie que l'on voudrait voir complètement terminée, derrière eux. Mais il y a des soubresauts, ce n'est pas complètement fini, même si les choses ne sont pas comparables à ce qu'elles étaient il y a quelques années. Ce ne sont que les Algériens qui peuvent traiter ce problème à travers ce qui a été tenté par la politique de Bouteflika, avec une combinaison entre la répression du terrorisme, de la violence et des politiques de concordes. Tout cela n'est pas simple, mais c'est une affaire algérienne que nous traitons avec beaucoup d'émotion car ce qui se passe nous bouleverse souvent. Mais nous ne pouvons pas le résoudre et le surmonter à leur place. Nous travaillons donc sur la coopération franco-algérienne qui est une coopération de gouvernement à gouvernement.
Q - Au moment de votre visite, un livre "La sale guerre" venait de sortir, publié par un ancien officier algérien, la publication de ce livre aurait-elle pesée sur cette visite ?
R - Cela a pesé sur les commentaires de la visite mais pas sur la visite elle-même car lorsque je travaille avec les Algériens, les deux choses ne sont pas liées. Par contre, cela occupe une place importante dans les commentaires en France et en Algérie et puisque vous êtes attentifs à la presse algérienne, vous avez vu qu'un certain nombre de journaux ont fait remarquer que l'auteur raconte comme lui-même a fait des bavures et plus encore. La presse proche des autorités en Algérie fait remarquer - ce que l'on ne dit pas beaucoup à l'extérieur - que tous les militaires ou membres des forces de sécurité qui sont convaincus d'avoir commis des exactions sont l'objet de procédures judiciaires ou emprisonnés.
Q - Il n'est pas dit que des militaires commettent des exactions, cela ne vous surprendrait pas de l'apprendre ou d'en avoir une confirmation ?
R - Cela ne me surprendrait pas car je ne connais pas de grande guerre civile dans lesquelles cela n'ait pas eu lieu.
Q - Le président Bouteflika a-t-il besoin qu'on l'aide, qu'on le renforce ?
R - Non. Notre rôle n'est pas de peser sur des rapports de force internes, ni d'agir pour ou contre les militaires. Il y a un président de la République en Algérie, il y a un gouvernement, nous travaillons avec eux comme nous le ferions avec n'importe quel autre pays et nous cherchons à ajuster leurs besoins d'aujourd'hui pour préparer l'Algérie de demain dans un respect mutuel. Mais, nous n'avons pas à interférer et d'ailleurs je ne vois pas comment nous le ferions et au nom de quoi. Les voisins de l'Algérie qui souhaitent que ce pays réussisse à sortir au plus vite des séquelles ou des derniers soubresauts de la tragédie n'ont pas plus de moyens que nous de le faire. Je pense au Maroc, à la Tunisie ou à d'autres pays.
Q - On a quand même l'impression que c'est quelque chose qui n'est pas sans fin mais quelque chose dont l'Algérie n'arrive pas à sortir. Il y a eu beaucoup d'espoir à l'arrivée du président Bouteflika il y a deux ans et à nouveau, des vagues de massacres, à nouveau une situation économique qui ne décolle pas malgré l'aide. Qu'est-ce qui bloque ?
R - Il faut essayer de porter un jugement mesuré sur tout cela, c'est difficile car c'est compliqué et les passions sont très présentes. Mais, il y a encore peu d'années, les massacres faisaient jusqu'à 10 000 morts par an voire plus. L'an dernier, il n'y en a eu que 2000. C'est horrible, c'est 2000 de trop, c'est abominable, mais il y a une sorte d'évolution semble-t-il. Vous savez bien qu'au fil des années, certains des mouvements terroristes qui menaient ce combat ont décidé d'arrêter, ont accepté le cessez-le-feu. La politique de concorde qui a été préconisée n'a pas permis de les réintégrer tous, mais une partie d'entre eux, et on a récupéré une partie des armes même s'il en reste encore. Tout cela est très laborieux, cela a l'air extrêmement difficile. Et puis, ce n'est pas évident de savoir exactement ce qui se passe et si les Algériens eux-mêmes ne s'y retrouvent pas, je ne vois pas pourquoi les responsables français en sauraient plus qu'eux. On voit que cela bouge, que cela avance, mais c'est lent, laborieux et difficile. Je le répète, ce n'est pas pour cela qu'il ne faut pas préparer la relation franco-algérienne de demain.
Q - Les visites annoncées du président de la République française et du Premier ministre en Algérie, où en sont ces projets ?
R - Le principe est toujours acquis, aussi bien pour le président de la République que pour le Premier ministre, mais le calendrier exact n'a pas encore été fixé.
Q - C'est dans l'année ?
R - Je ne peux pas vous dire, les calendriers exacts ne sont arrêtés ni pour l'un ni pour l'autre. Pendant ce temps, je fais mon travail, je fais avancer les choses sur chacun des points que nous avons lancés lorsque j'y suis allé et surtout lorsque le président Bouteflika était venu à Paris. Il y a encore pas mal de travail à faire pour que le résultat concret de nos travaux apparaisse nettement. Sauf pour les consulats qui ouvrent après avoir été remis aux normes actuelles.
Q - Ce sont des visites qui se feront lorsque les travaux auront abouti au rythme que vous indiquiez tout à l'heure ?
R - Oui, ce serait bien qu'elles aient lieu dans un contexte où elles apparaissent liées à des progrès tangibles.
Q - Si vous le voulez bien, nous allons parler d'Europe. Depuis le Sommet de Nice, certains s'interrogent beaucoup sur la qualité de la relation franco-allemande dont tout le monde s'accorde pour dire qu'elle est essentielle depuis 50 ans pour la construction de l'Europe. Au moment où nous enregistrons cette émission, vous vous apprêtez à rencontrer à Stuttgart votre homologue. Quelle est la méthode retenue à la suite de ce dîner près de Strasbourg entre les plus hautes autorités françaises et allemandes pour densifier à nouveau cette relation franco-allemande ?
R - Il est vrai que, depuis ces dernières années, entre la France et l'Allemagne, il est apparu un certain nombre de différences. Je ne dis pas des divergences, ce n'est pas aussi net que cela, mais de différences de réactions spontanées ou d'approches ou d'intérêts d'ailleurs sur un certain nombre de sujets qui peuvent tenir à l'avenir de l'Europe ou à l'élargissement ou à la Politique agricole commune, aux relations avec la Russie ou les Etats-Unis, et beaucoup de sujets.
Q - Donc, c'est une relation qui ne va pas de soi ?
R - Non, cela n'a jamais été automatique de toute façon, même aux grandes époques, il y avait en permanence, et je suis bien placé pour le confirmer, toutes sortes de sujets de désaccords. Ce sont des pays très différents qui réagissent différemment. Alors, que fait-on ? Se contente-t-on d'enregistrer la différence ou travaille-t-on pour surmonter ces approches différentes ou divergentes pour retrouver des approches convergentes. Et ce qui s'est passé il y a quelques jours lors de ce dîner avec le président de la République, le Premier ministre et le chancelier ainsi que Joschka Fischer et moi-même ? C'est que nous sommes, tous, arrivés à la conclusion qu'il n'y a pas d'alternatives crédibles sérieuses à cette relation entre nous et qu'il faut par conséquent la reconstruire.
Q - Reconstruire...
R- Non, je dis "reconstruire" au sens technique. Les choses n'étaient pas cassées mais comme il y a pas mal de sujets où les approches ne sont pas les mêmes, je dis "reconstruire" au sens méthodique. M. Fischer et moi avons été chargés de prendre les dossiers les uns après les autres pour voir où nous en sommes exactement, là où les positions convergent ou non et ce que l'on peut faire pour augmenter cette convergence. C'est ce travail que je fais avec lui à Stuttgart et nous devons nous revoir encore une fois avant un nouveau dîner avec les cinq. Il y aura un certain nombre de séances que nous n'avons pas décidé à l'avance pour arriver à cette vision.
Cela ne porte pas que sur l'avenir de l'Europe, sujet dont on a beaucoup parlé ces dernière semaines puisque nous avons un résultat, alors qu'en 1997 à Amsterdam il n'y en avait pas eu. Le résultat obtenu à Nice, quel que soit le jugement porté sur le contenu du résultat permet de se préoccuper de l'avenir, et c'est un des éléments.
Q - Lorsque vous dites que l'objectif est de proposer quelque chose, cela veut-il dire qu'à l'issue de ce processus, il pourrait y avoir sur l'Europe par exemple, des propositions françaises et allemandes conjointes ?
R - Sur l'Europe, il faut articuler cela avec le grand débat démocratique et le travail des autres pays. J'ai pensé à un certain nombre de dossiers franco-allemands. S'assurer que nous aurons la même approche sur la gestion des demandes d'adhésions, sur le processus d'élargissement qu'il faut réussir. Sur la question de l'avenir de l'Europe, les Quinze ont décidé à Nice, sur une proposition du chancelier Schröder de réunir une nouvelle CIG en 2005. Cette date a été choisie pour qu'elle n'interfère pas avec la ratification de Nice, pour que nous ayons le temps d'avoir un vrai débat démocratique qui ne soit pas confisqué par les seuls milieux spécialisés dans le débat sur l'Europe.
Q - Y compris à l'occasion des échéances électorales en France et en Allemagne.
R - Il y a d'autre part des élections dans tous les grands pays en Europe de 2001 à 2003, cela a paru plus raisonnable de prévoir une date après pour trancher tout cela dans la sérénité. Et pour que le débat ait lieu, il faut du temps. Aujourd'hui, lorsque l'on parle de l'avenir de l'Europe, le débat a lieu avec ce que les linguistes appellent des mots "valise", constitution, fédération d'Etats nations, intégration... les mêmes mots peuvent vouloir dire une même chose et son contraire.
Q - Au-delà des mots "valise", quel est l'objectif précis de la France et de l'Allemagne ?
R - Je pense que la France et l'Allemagne, après les différentes rencontres de travail programmées dans les semaines qui viennent devraient arriver à une vision commune, méthodologique sur la façon de gérer ce débat pour qu'il soit vraiment démocratique, que tous les pays y soient associés. A Nice, nous avons dit que nous y associerions des pays candidats aussi, c'est important, et que nous allions associer des parlements nationaux et l'ensemble des forces vives dans chaque pays. Encore une fois, pas uniquement les mouvements spécialisés dans la question européenne. Il faut donc du temps. Nous pourrions avoir une approche commune franco-allemande que nous proposerions à nos amis suédois puisqu'ils ont été chargés par les Quinze de nous faire des propositions là-dessus au Conseil européen qui aura lieu en juin à Göteborg. Les Belges sont, eux, chargés de préparer un texte pour décembre qui doit organiser un peu plus la suite de la discussion.
D'ici là, sur tous ces mots "valise", nous aurons été au-delà des mots et nous aurons commencé de débattre sur le contenu réel. Ce contenu est simple, quelle répartition des pouvoirs veut-on au bout du compte entre le niveau européen, le niveau national et le niveau régional et qui l'exerce à chaque niveau.
Le deuxième point est de savoir si cela concerne toute l'Europe c'est-à-dire potentiellement les 27, ou un groupe et dans ce cas. Lequel ? Voilà ce dont il faut débattre aujourd'hui si on veut dépasser les simples commentaires sur les mots attrape-tout.
Q - Nos partenaires voient-ils toujours dans la relation franco-allemande le moteur de l'Europe et la volonté politique est-elle toujours aussi grande à Berlin qu'à Paris ? On a parfois l'impression que le chancelier Schroeder est moins européen que le chancelier Kohl.
R - Concernant nos partenaires, nous voyons qu'il y a une attente d'engagements et d'initiatives de la part de la France et de l'Allemagne. Lorsque cela n'est pas le cas, ils considèrent que cela perturbe le fonctionnement l'Union et en même temps, ils pensent aussitôt que cela ne suffit pas. Ils disent qu'il faut un moteur franco-allemand mais il faut que ce soit complété car l'Europe a changé par des relations fortes et ouvertes de la France et de l'Allemagne avec chacun des autres partenaires. Aucun d'entre eux ne veut être exclu même s'ils apprécient qu'il y ait une source d'impulsion quelque part. Sur le second point, il est vrai que lorsque l'on regarde le débat de l'opinion publique allemande, un certain nombre de voix s'élèvent pour dire que l'Allemagne est un pays suffisamment fort pour ne pas avoir besoin d'une entente privilégiée. Nous pensons que ce n'est pas une bonne analyse, la France, la Grande Bretagne, l'Italie sont des grands pays comme l'Allemagne et qu'il ne faut pas trop raisonner de cette façon-là comme si un pays avait un rôle particulier. Certains défendent cette thèse en Allemagne. Nous nous en sommes expliqué franchement au niveau du président, du Premier ministre et du chancelier et la réponse du chancelier comme de son ministre est très claire, pour eux, il n'y a pas d'alternative à la relation franco-allemande. Ils disent qu'ils ne sont pas sur cette ligne et que ce qui les intéresse, au contraire, c'est de reformer, de redéfinir comme dit le chancelier la relation franco-allemande à partir des questions qui nous sont posées aujourd'hui. Voilà leur réponse à cette question et c'est pour cela qu'ont lieu ces rencontres de travail.
Q - Sur la méthode concernant la suite de la construction européenne, certains à Berlin sont tentés par l'idée d'ouvrir d'un coup l'Union à 9 des pays candidats et cela, dès 2004 ou peu de temps après. Qu'en pensez-vous ?
R - Je pense que nous avons adopté, pour les négociations d'élargissement, une méthode rationnelle et logique. C'est la Commission qui négocie sous la supervision de la présidence tournante, la Commission négocie avec chaque pays candidat jusqu'au moment où le pays candidat apporte la preuve qu'il est en mesure de reprendre tout ce que nous appelons les acquis communautaires.
Q - C'est-à-dire que chacun rentre à son rythme ?
R - C'est ce que l'on appelle le principe de différenciation.
Q - Il n'y a pas de bloc, de groupe ?
R - Non, il n'y a pas de vague. Il n'y en a plus et chaque pays est examiné à partir de sa situation propre, et c'est logique d'ailleurs car il faut que chaque pays soit capable de remplir ses obligations. C'est le principe de différenciation adopté par les Quinze, y compris par les Allemands bien sûr. Maintenant, rien n'empêche que quelques pays soient arrivés au terme ensemble et soient prêts, ensemble, à entrer à peu près au même moment.
Q - Cela déstabiliserait peut-être moins l'Union de faire des groupes plutôt que des adhésions les unes après les autres.
R - A partir du moment où nous avons réussi à faire à Nice les réformes sur les trois points non réglés à Amsterdam, plus les coopérations renforcées et le rendez-vous pour l'avenir de l'Europe, l'Union est en mesure d'accueillir de nouveaux membres, un par un ou tous ensemble s'il le fallait.
Il faut que les pays candidats se mettent en mesure d'entrer. C'est donc le principe de réalité qui doit commander nous verrons en fonction de l'avancement réel des négociations, aucune formule n'est exclue.
Q - Les interrogations sur la relation franco-allemande, sur la façon dont la France voyait la construction européenne tiennent-elles en partie au silence que l'on note de la part du Premier ministre Lionel Jospin sur ce sujet ?
R - Je ne pense pas car pendant la période passée, si vous regardez tous les discours faits sur l'Europe, tous, y compris celui de Joschka Fischer, ils se terminent tous par une même et seule phrase, "mais le préalable absolu à cela est de réussir à Nice".
Q - Nice est terminé depuis décembre, tout le monde attend que le Premier ministre dise un peu comment il voit la construction européenne ?
R - Non, pas tout le monde, il y a quinze pas dans l'Union européenne et le point de vue que vous relayez n'a été exprimé que par quelques voix en France et en Allemagne. Il est tout à fait évident que le Premier ministre va s'exprimer mais il avait décidé durant la présidence européenne de mettre le "paquet" sur la meilleure gestion possible de la présidence. De fait, pendant la présidence française, les différents ministres ont obtenu une quantité considérable de résultats dans de nombreux domaines dont on parle moins car on s'est focalisé sur la question institutionnelle. Beaucoup de questions qui n'étaient pas réglées depuis de longues années, fiscalité, transports, politique sociale ou autres... le Premier ministre a employé toute son énergie à faire avancer l'Europe concrètement pendant les six mois de la présidence française. Maintenant, il va s'exprimer à un moment opportun qu'il choisira lui-même mais qui ne pouvait pas se situer entre la fin de la présidence, l'après-Nice et les municipales, le délai était trop court. Ce sera dans la période qui s'ouvrira après les municipales. Il dira quelle est sa vision à la fois réaliste ambitieuse pour l'Europe et le rôle que nous avons à y jouer.
Q - J'imagine qu'il y a un autre sujet de préoccupation qui est évidemment l'extrême tension une fois de plus entre les Palestiniens et les Israéliens. Comment voyez-vous la situation et cette montée de la tension n'est-elle pas de nature à amener une sorte d'internationalisation du processus ou la France pourrait avoir un rôle encore plus important ?
R - La tension est permanente au Proche-Orient, et il y aura une tension permanente tant que les protagonistes n'auront pas réussi à conclure une paix globale, juste, donc durable. Elle est plus ou moins forte selon les moments, on sait ce qui se passe depuis des semaines, dans les territoires occupés. Il était prévisible que la tension allait remonter - le contrecoup de la perte de l'espérance - même si certains ne croyaient pas à une solution possible à court terme. Comme nous nous retrouvons à nouveau dans une perspective où il n'y a plus de discussion, plus de négociation, où l'on ne sait pas quels sont les objectifs atteignables ou non, tous les éléments sont réunis pour que la tension remonte.
Nous avons analysé la nouvelle situation. Nous avons dit que nous jugerions le nouveau gouvernement israélien sans a priori, mais sur ses actes et sur sa politique. Nous avons aujourd'hui confirmation qu'il va y avoir un gouvernement d'union nationale, nous attendons son programme. Et c'est à partir de ce programme et de ses initiatives que nous saurons, exactement. Bien sûr, on voit une extrême inquiétude dans le corps électoral israélien qui la conduit à voter comme il l'a fait par rapport aux risques d'insécurité, et cela il faut l'intégrer dans nos raisonnements, il faut en être conscients. Mais il faut faire très attention au désespoir palestinien qui est aujourd'hui très profond.
Q - Lorsque l'on parle d'une logique de négociations, d'accords intérimaires et non plus d'accords définitifs, cela ne risque-t-il pas d'alimenter ce désespoir ?
R - Ce n'est pas à nous de le dire à leur place. Sur le Proche-Orient, il faut faire la part des choses, c'est très important pour nous. Cela nous émeut. Nous voudrions, tous, ardemment qu'il y ait une vraie paix. Les Américains, les Européens peuvent faire tout leur possible à l'extérieur. Nous pouvons encourager, faciliter, conseiller, proposer des garanties, faire des suggestions, accompagner des mouvements, être là. Nous pouvons tout faire sauf prendre la responsabilité historique de faire l'accord.
Q - Mais dans une logique d'accord intérimaire, ce n'est pas repartir en arrière ?
R - Non. Je disais cela pour répondre à votre question et pour dire que c'est à eux d'en juger. Ce n'est pas à nous de dire quoi que ce soit sur un accord final. Il faut avoir un respect de la situation historique très difficile dans laquelle les Israéliens et les Palestiniens se retrouvent face à face. Ils devront un jour la surmonter ensemble par une démarche qui supposera de part et d'autre, un immense courage politique. Il n'y a pas si longtemps, nous avons cru que nous en étions très proche. Ce n'est pas fait, il ne faut jamais baisser les bras.
Q - La cohabitation est encore possible ? Récemment, un éditorialiste disait qu'il était temps de nous séparer ?
R - Oui, mais ce n'est pas forcément dit dans un sens dramatique, beaucoup d'Israéliens sont arrivés, par ce biais, à l'acceptation d'un Etat palestinien et beaucoup de gens à droite et à gauche en Israël et dans les milieux militaires pensent qu'un Etat palestinien viable qui fonctionne serait après tout une bonne solution pour la paix et pour la cohabitation, ce commentaire n'est donc pas un signe d'aggravation.
Nous attendons que le nouveau gouvernement exprime sa politique, ses intentions, son programme et il me paraît impératif de rétablir une perspective politique./.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 février 2001)