Déclaration de Mme Christine Boutin, ministre du logement et de la ville, sur les constats du rapport de l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale pour 2007-2008, notamment l'aggravation de la situation financière des plus pauvres et la difficulté persistante de l'accès au logement, Paris le 29 avril 2008.

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Circonstance : Remise du rapport annuel de l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale, à Paris le 29 avril 2008

Texte intégral

Monsieur le Haut Commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté
Madame la présidente de l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale
Monsieur le président du Conseil national de lutte contre l'exclusion
Mesdames et Messieurs les représentants de chacun des trois collèges composant l'ONPES
Madame la Directrice de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques
Mesdames, Messieurs,
Je suis heureuse de vous retrouver pour la présentation de ce 5e rapport 2007-2008 qui rend compte des évolutions de la pauvreté en France.
Je tiens à remercier tous les représentants de l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale pour ce document riche de l'apport de ses trois collèges : les représentants des administrations économiques et sociales / les personnalités qualifiées travaillant à la lutte contre la pauvreté / les universitaires et chercheurs.
Je veux également saluer les membres du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale et leur président, M. Bernard Seillier, pour leur collaboration fructueuse.
La persistance de la pauvreté voile l'avenir de notre pays. Il y a toujours du danger à voir, au sein d'une même société, la réunion de la pauvreté et de la richesse, de l'opulence et de la privation. Un sondage, réalisé par les Restos du coeur l'année dernière, montrait que plus d'un Français interrogé sur deux disait connaître quelqu'un en situation de pauvreté et un tiers d'entre eux avoir connu pareille situation.
D'où l'importance des travaux que vous menez depuis maintenant 10 ans. La prévention a vocation à devenir une ligne majeure de nos interventions, tant il est vrai que pauvreté est souvent le résultat d'un processus long, qui peut parfois être enrayé, si on agit à temps. Merci donc à vous tous.
Ce que vous nous apportez avec cette édition 2007-2008, c'est
1. une méthode d'analyse renouvelée ;
2. une réflexion approfondie sur les causes de la pauvreté ;
3. le constat d'une triple évolution du phénomène, qui appelle une réponse politique calibrée.
1- D'abord : deux avancées majeures dans la méthode d'analyse :
La première, c'est le développement d'une analyse dynamique des phénomènes de pauvreté ;
L'Observatoire a fait déjà appel à 11 indicateurs centraux pour rendre compte du caractère multidimensionnel de la pauvreté. En vue d'affiner plus encore son approche, il a fait le choix pour 2007-2008 d'appréhender aussi les dynamiques de la pauvreté.
En effet, on ne peut pas avoir une connaissance réelle de ce phénomène si on en reste à des statistiques. Vous vous êtes donc penchés sur les trajectoires individuelles au regard de trois prismes : les minima sociaux, l'emploi et le logement. Ceci, afin de détecter les périodes charnières et de concevoir des réponses adaptées.
La seconde avancée dans la méthode, c'est la volonté de prendre en compte le point de vue des personnes en situation de pauvreté, elles-mêmes.
L'Observatoire a eu l'idée d'associer étroitement les personnes pauvres à la collecte des données. Quelle est leur expérience, comment analysent-elles et vivent-elles leur pauvreté ?
Je suis très favorable à cette démarche qui rejoint celle d'ATD Quart-Monde il y a 10 ans, pour croiser les savoirs scientifiques et les savoirs personnels empiriques.
Cela m'amène à vous faire part d'une préoccupation, forte pour moi, qui est celle de promouvoir la place des personnes en situation de pauvreté dans notre pays, non plus exclusivement par l'exercice de leurs droits, mais aussi par leur contribution à la vie sociale.
Car si on attend quelque chose de quelqu'un, c'est bien que cette personne est considérée comme capable de la donner. Et cette capacité à donner contribue à reconnaître la personne dans sa dignité.
C'est pourquoi, je salue tout spécialement cette participation des personnes en situation de pauvreté à l'étude de l'ONPES.
Et c'est justement dans cet esprit que plusieurs de nos concitoyens, qui connaissent les mêmes difficultés, siègeront à la Table ronde européenne sur la pauvreté sous Présidence française, à la veille de la grande journée du refus de la misère, les 15 et 16 octobre prochains.
2 - Ensuite, je salue dans ce rapport le travail sur la recherche des causes de la pauvreté :
D'abord les causes du basculement dans la pauvreté :
L'analyse dynamique que vous avez menée met en lumière le rôle joué par les ruptures de toutes sortes : rupture familiale, licenciement ... qui entraînent fréquemment la perte du domicile. Autant de cassures qui peuvent facilement faire basculer dans la pauvreté, puis l'exclusion.
Je fais confiance aux travailleurs sociaux pour agir au bon moment et je les encourage à renforcer leur vigilance pour détecter toujours plus tôt ces moments « clef », si décisifs dans une vie.
Il y a aussi les causes du « maintien » dans la pauvreté
Je pointerai en particulier le faible niveau de formation et l'illettrisme. C'est un sujet qui me préoccupe doublement, comme ministre en charge de la lutte contre l'exclusion mais aussi comme ministre de la ville.
Je suis un fervent défenseur du droit à la 2e chance et je me réjouis de voir que le Président de la République a fait de la 2e chance une priorité de son quinquennat. Je vous renvoie à son discours sur la nouvelle politique en faveur des banlieues du 8 février. Ce n'est pas parce qu'on a échoué à l'école, qu'on doit être condamné à vie à des petits boulots ou au chômage. C'est contraire à l'égalité des chances et aux valeurs de la République. Fadela AMARA, Secrétaire d'Etat chargée de la politique de la ville, et moi-même, soutenons ardemment le développement des Ecoles de la 2e chance et de « Défense 2e chance », notamment par un recours plus large à la taxe d'apprentissage.
Sachez par ailleurs que des conventions ont été signées par mes collègues Christine LAGARDE et Fadela AMARA avec 38 grands groupes pour l'embauche de jeunes en difficulté, et que j'ai signé pour ma part une convention avec la Fédération Française du Bâtiment pour l'emploi de 10.000 « jeunes bâtisseurs » et une seconde avec la Fédération nationale des travaux publics pour 3.000 recrutements. Il faut agir concrètement pour prévenir la précarité et la pauvreté. Et nous continuerons à le faire.
Je voudrais enfin pointer un constat de votre rapport : le RMI a du mal, à lui seul, à infléchir les trajectoires de ses bénéficiaires et à les sortir de la pauvreté. Et c'est tout l'intérêt du RSA de les aider à sortir de ce qu'on appelle « la trappe à pauvreté ». Chacun sait ici, combien Martin HIRSCH défend ce projet ambitieux, comme il vient de le faire devant vous.
3 - Pour terminer, je souhaiterai dire quelques mots à propos de vos trois constats sur les tendances de la pauvreté en France :
Le premier, c'est que la pauvreté ne touche pas plus de monde en France, mais elle frappe plus durement ceux qu'elle touche
C'est vrai, le taux de pauvreté monétaire se stabilise plutôt dans notre pays. Mais en même temps, la situation financière des plus pauvres s'aggrave.
Qui est concerné ? Les personnes âgées isolées, les familles monoparentales, les personnes isolées en général. Où ? Dans le Nord et l'Est, le pourtour méditerranéen, les départements d'outre-mer et enfin, les quartiers en difficulté.
L'équation est donc limpide. Nous savons là où notre vigilance doit s'exercer en priorité.
Le deuxième constat : c'est que la baisse du chômage ne s'accompagne pas en même temps de la baisse de la pauvreté
Le recul de la pauvreté est donc à la traîne. Il accuse un retard par rapport à la reprise de l'emploi, puisque notre taux de chômage est repassé sous la barre des 8 %.
7 % des travailleurs, vivent encore sous le seuil de pauvreté et pour certains dorment dans des centres d'hébergement. C'est grave.
Voilà qui confirme la pertinence des mesures que nous avons adoptées ces derniers mois. Je pense en particulier à la loi en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat, avec notamment la défiscalisation des heures supplémentaires.
Enfin, troisième et dernier constat dressé par vous : l'affirmation des droits universels résout difficilement les problèmes spécifiques des personnes en situation de pauvreté
Sans surprise, je m'attarderai sur le droit au logement.
Comme vous le savez, le Droit au Logement est devenu opposable ; il est notre grand rendez-vous cette année. Sa mise en place le 1er janvier dernier a d'ores et déjà mis en relief plusieurs tendances :
- la difficulté à résoudre la question du logement de certaines populations, faute d'un accompagnement social suffisant. Grâce au DALO, ces personnes seront maintenant mieux prises en charge ;
- la persistance de logements insalubres. J'ai demandé aux préfets cet hiver la mise en oeuvre d'un plan d'urgence contre les marchands de sommeil. Je travaille avec Roselyne BACHELOT sur ce sujet pour aller encore plus loin.
Bien sûr, rendre le DALO effectif est un défi dans le contexte de pénurie et de cherté du parc locatif, que vous pointez à juste titre. Mais, c'est aussi un formidable levier pour relancer la construction dans notre pays. Déjà toutes les courbes sont reparties à la hausse !
435 000 logements ont été commencés en 2007 contre 310 000 en 2000 ;
108 000 logements locatifs sociaux ont été financés contre 42 000 en 2000.
Enfin, je rappelle qu'à la suite des propositions du 29 janvier 2008 du parlementaire en mission Etienne PINTE, le Premier Ministre a adressé le 22 février 2008 une circulaire aux préfets relative au "Chantier National prioritaire 2008-2012 en faveur des sans abri et des mal logés".
La mise en oeuvre de ce chantier sera dynamisée par l'action de Monsieur Alain REGNIER, préfet, délégué général à la coordination à l'offre d'hébergement et de l'accès au logement des personnes sans abri et mal logées.
Voilà Mesdames, Messieurs ce que je tenais à vous dire sur la question du logement.
Merci encore pour le travail que vous avez fourni.
Je prends acte de toutes les conclusions de votre rapport qui apporte un éclairage plus complet sur la pauvreté en France.
Je tiens à vous dire que je porterai avec Martin HIRSCH cette question de la lutte contre la pauvreté et l'exclusion pendant toute la Présidence française de l'Union européenne. La réunion de ministres qui suivra immédiatement la Table ronde européenne portera sur le thème : « La lutte contre la pauvreté : un objectif politique pour l'Europe ».
C'est la première fois que cette question sera portée au niveau ministériel. Il s'agira de poursuivre à l'échelle de l'Union européenne, un objectif chiffré de réduction de la pauvreté, en se fondant sur des indicateurs communs de mesure de la pauvreté.
Aussi, les travaux de l'ONPES vont devenir ipso facto d'intérêt général européen.
Je vous remercie.
Source http://www.logement.gouv.fr, le 30 avril 2008