Texte intégral
Mesdames et Messieurs,
J'ai eu le plaisir de recevoir le nouveau ministre des Affaires étrangères de la République d'Arménie, M. Edouard Nalbandian, qui fut, pendant bien des années l'ambassadeur de la République d'Arménie en France. Je suis très heureux que sa première visite à l'extérieur de son pays soit pour la France, ce qui, s'il en était encore besoin, conforte ma vision des rapports entre nos deux pays, qui sont des rapports amicaux, fraternels et confiants.
Nous avons évoqué - mais peut-être le fera-t-il beaucoup mieux que moi - la réunion avec le ministre des Affaires étrangères d'Azerbaïdjan, à Strasbourg, et je me réjouis de cette reprise de contact. Vous savez qu'il y a trois co-présidents au Groupe de Minsk qui, depuis de nombreuses années, s'efforce d'apaiser les tensions entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie, en particulier à propos du Haut-karabakh : la France, la Russie et les Etats-Unis.
J'ai connu l'Arménie et le Haut-karabakh en des circonstances un peu difficiles. Aujourd'hui, c'est véritablement un plaisir pour moi de recevoir le ministre des Affaires étrangères et de lui répéter combien nous sommes disposés - nous en avons parlé, en analysant un peu les rapports avec tous les pays qui entourent l'Arménie -, à aider ce pays, n'importe quand, peut-être au moment de la Présidence française de l'Union européenne, à partir du mois de juillet, mais nous n'en sommes pas là.
Bienvenu mon cher Edouard.
Q - Avez-vous évoqué les relations entre l'Arménie et la Turquie, notamment en ce qui concerne le blocus qui est exercé aujourd'hui sur l'Arménie ?
R - Bien sûr, nous avons évoqué cela et je déplore que ce soit une des seules frontières fermées du monde. Nous avons, Edouard et moi, dénombré les frontières, il n'y en a pas beaucoup : entre l'Algérie et le Maroc, les deux Corée et entre l'Arménie et la Turquie.
Je crois que c'est plutôt au ministre des Affaires étrangères arménien de parler. Le premier échange avec son collègue, M. Ali Babacan - que je connais bien -, a été plutôt positif et j'espère, là aussi, que nous allons arrêter entre voisins, à ce niveau de demande ou de désir européen, de rester à une frontière fermée.
C'est, pour moi, une surprise permanente que ce blocage qui, d'ailleurs, est politique, certes, mais aussi intellectuel. Je ne comprends pas pourquoi les choses demeurent à ce point bloquées. Mais je ne doute pas qu'avec le travail que va effectuer le nouveau ministre des Affaires étrangères, on puisse, là aussi, espérer que le passage sera de plus en plus facile aussi bien physiquement qu'intellectuellement.
La France est pleine de bonne volonté et je ne veux surtout pas faire de gestes qui mécontenteraient une partie ou l'autre. Si cela peut être efficace, nécessaire et si une demande est formulée, encore une fois, nous sommes vraiment à la disposition de l'Arménie et de la Turquie pour faciliter les négociations - vous savez, on appelle cela des facilitateurs quand cela marche, sinon on appelle cela des gêneurs. Je crois que ce sera plus facile lorsque nous présiderons l'Union européenne, à partir du mois de juillet. Nous aimerions que la situation se normalise. Là aussi, paix et sécurité en Europe, c'est quand même l'ABC de tout ce mouvement européen dont je vous rappelle que c'est ici, dans le salon de l'Horloge, le 9 mai 1950 - l'anniversaire sera célébré vendredi - que la proposition de Robert Schuman a été faite. Depuis, il y a eu un certain nombre de progrès ; il faut continuer.
Q - Avez-vous évoqué la situation politique intérieure de l'Arménie ?
R - Bien sûr. J'ai simplement déploré cette période de tensions, de manifestations et de répressions après les élections qui avaient été, je le crois, contrôlées et satisfaisantes. Je ne veux pas porter de jugement sur l'ancien président par rapport au nouveau, cela n'est pas du tout mon rôle, mais nous avons évoqué le problème des prisonniers qui n'ont pas encore été libérés. Je souhaite que tout cela s'apaise et mon ami et collègue va vous répéter que comme j'avais pu l'observer, il semblerait que la situation évoluait dans un bon sens.
Q - Le statut qui est préconisé pour le Kosovo, à savoir l'indépendance, pourra-t-il selon vous...
R - Il n'est pas préconisé ! Le statut du Kosovo, c'est l'indépendance. Il y a déjà 41 pays qui l'ont reconnue.
Q - ...Alors, cette décision, selon vous, pourra-t-elle influer favorablement sur le statut du Haut-Karabagh ?
R - Honnêtement, je ne vois pas le rapport. Ce n'est pas un exemple qui a été donné avec le Kosovo, c'est ce que l'on a appelé une situation "sui generis", c'est-à-dire qui ne peut pas servir d'exemple. Et cela pour une raison très simple, c'est que ce qui nous a animés - moi qui était responsable du Kosovo et, surtout, la communauté internationale -, c'est que la présence militaire exercée sous mandat du Conseil de sécurité des Nations unies avec, tout de même, des troupes de l'OTAN, ne pouvait en rien continuer. Notre exemple, évidemment, c'est Chypre avec 34 ans de présence des forces de maintien de la paix des Nations unies - j'ai reçu d'ailleurs ce matin le ministre des Affaires étrangères de Chypre, l'ancien commissaire européen, avec qui j'entretiens des relations formidables.
Au Kosovo, cela ne pouvait pas durer. Nous ne pouvions pas, à l'intérieur de l'Union européenne, concevoir une présence militaire permanente. Nous y avons déployé près de 2000 soldats. Les Italiens sont également présents, ainsi que les Espagnols qui, pourtant, n'ont pas encore reconnu le Kosovo. Il y a eu, à cet égard, un exemple formidable d'unité européenne, quelles que soient les décisions : reconnaissance ou pas.
En réalité, les pays des Balkans - on l'a vu avec la présidence slovène, le premier pays qui s'est dégagé de la Fédération yougoslave -, comme la Serbie ont vocation à aller vers l'Union européenne. J'espère que les résultats des élections qui se dérouleront dimanche prochain en Serbie iront dans ce sens. Nous ne voulions pas et nous ne voulons toujours pas que l'indépendance du Kosovo soit considérée comme une défaite de la Serbie ; ce n'est pas une défaite. La réalité, c'est qu'ils ne voulaient pas se parler, après des mois et des mois de négociations. Je pense donc que le Kosovo ne peut pas servir d'exemple, sauf intellectuellement, mais pas dans la pratique.
Figurez-vous que les Azerbaïdjanais et les Arméniens, grâce au groupe de Minsk, grâce à tous les efforts, se sont plus parlés que les Kosovars et les Serbes. Les Kosovars et les Serbes ne se parlaient pas du tout. Quatorze mois d'efforts de Martti Ahtisaari, quatre mois encore de notre part. Les gens s'asseyaient les uns en face des autres mais ne parlaient pas d'avenir ; on aurait pu attendre 40 ans de plus.
Vous pouvez dire cela parce qu'il y a eu une situation de conflit mais, franchement, je pense que le conflit des Balkans est quand même très particulier, d'un niveau beaucoup plus élevé avec une intervention internationale. Mais, je ne mésestime pas le niveau du conflit du Haut-karabakh, que je souhaite par ailleurs apaiser.
Je pense que cela ne créera pas autre chose que la nécessité d'une entente entre les protagonistes, je le crois sincèrement.
Q - Vous rendrez-vous en Arménie ?
R - Oui. D'ailleurs, je m'y suis déjà rendu. J'étais même le premier visiteur, membre d'un gouvernement, à visiter l'Arménie et, d'une certaine façon, à la reconnaître. Cela s'est passé en France. La signature a eu lieu avec le président Levon-Ter-Petrossian.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 7 mai 2008