Texte intégral
N. Demorand Bonjour B. Kouchner et bienvenue dans nos studios. Le bilan provisoire du cyclone Nargis, en Birmanie : 22.000 morts, 40.000 disparus, des millions de sans-abri selon les organisations non gouvernementales ; C'est une catastrophe humanitaire de très grande ampleur, dans l'une des dictatures les plus fermées du monde. La France cherche-t-elle à envoyer sur place de l'aide ?
Bien sûr. Il y a une cellule de crise qui a été montée au Quai d'Orsay mais avec le concours de la Sécurité civile, du ministère de l'Intérieur, de la Défense. Et puis, les gens sont prêts, en particulier les équipes de la Sécurité civile, très aguerries, sont prêtes. Mais voilà, nous ne pouvons pas parvenir à envoyer le matériel, ni les hommes, ni les volontaires, l'aéroport de Rangoon est fermé. Et puis, jusque-là, la position très dure des autorités birmanes était : "oui de l'argent mais nous le distribuons nous-mêmes". Donc, la confiance ne règne pas. Cela veut dire que non seulement ces autorités - dictature depuis 44 ans, dictature militaire - n'ont pas prévenu la population, puisque les autorités indiennes... Dans le golfe, c'est très facile, il y a beaucoup de typhons de la sorte, il y a beaucoup de catastrophes qui se préparent, on se prévient d'un pays à l'autre. Là, l'Inde, nos amis indiens ont prévenu les Birmans et les Birmans n'ont pas prévenu la population. Dans ce fameux golfe, la grande rivière qui s'appelle l'Irrawaddy se jette dans ce golfe. C'est là que les victimes sont les plus nombreuses et personne n'y parvient, bien sûr. Dans ces cas-là, les déplacements sont extrêmement difficiles, de toute façon, quelle que soit la nature du régime. Mais là, le régime n'encourage pas à l'aide. La France a proposé et a donné 200.000 euros - c'est peu, semble-t-il, c'est peu mais c'est tout à fait comparable à ce que donnent les Etats-Unis, le Japon, la Thaïlande, etc. Le problème, c'est à qui ? Nous, nous avons la chance, si j'ose dire, en tout cas les Birmans ont la chance d'avoir à leur côté 4 organisations françaises, 4 ONG - Médecins du Monde, Aide Médicale Internationale, Action Contre la Faim et la Croix-Rouge Française. C'est à travers eux, je crois, qu'il faudra faire passer l'aide au plus vite. Nous sommes prêts. Je donne le téléphone même si vous voulez de la cellule d'urgence, c'est 06 43 17 86 86.
On re-indiquera le numéro sur le site Internet de France Inter. On va le redonner dans... Non 01, pardon. Excusez-moi, j'ai l'habitude de dire 06. On a tous l'habitude de ça. C'est le 01 43 17 86 86.
Est-ce que vous demandez aux autorités birmanes d'ouvrir le pays à l'aide internationale ?
Le monde entier leur demande. Nous, nous le demandons ; nos visas sont déposés à l'ambassade de Birmanie à Paris, mais hélas, en vain pour le moment. J'espère qu'ils changeront d'attitude.
Et vous n'avez aucun moyen de contrainte, quel que soit le canal ?
Il y a une contrainte... Nous avons même nos bateaux et les hélicoptères à bord, qui sont donc en face d'Irrawaddy avec des bateaux anglais et indiens, car il y avait une manoeuvre navale prévue et donc ils sont à leur disposition. Nous pourrions intervenir dans les heures qui viennent, dans les minutes, si j'ose dire, qui viennent. J'ai parlé avec D. Milleband encore hier soir, le ministre anglais des Affaires étrangères. Nous nous lamentons, et d'ailleurs nous avons écrit un article tous les deux, qui va paraître, aujourd'hui ou demain, dans les journaux français et anglais, pour exiger cet accès aux victimes. Mais malheureusement, en vain, pour le moment.
Un an de quai d'Orsay, B. Kouchner. Quel bilan tirez-vous de cette année diplomatique au côté du Président Sarkozy ?
Un an ce n'est pas assez pour comprendre le monde, mais quand même, on s'en fait une bonne idée. Je n'étais pas complètement un débutant. Mais un an... on mesure les progrès à faire pour notre pays, pour les Français et surtout les réformes à accepter, parce que les réformes ce n'est pas agréable. Et donc, en particulier dans le domaine de la politique extérieure, où là les choses sont quand même plus faciles, sauf qu'il faut des moyens, et qu'en ce moment, très clairement nous n'en n'avons pas, pas assez, parce qu'il faut que les économies soit faites, que la dette est criante, et que les réformes doivent produire...
La France n'a pas les moyens de sa diplomatie, de ses ambitions en la matière ?
Elle a les moyens de sa diplomatie, parce que nous avons maintenu - mais ce fut un exploit - le niveau de l'aide mais il faudrait le développer, bien sûr, et il en faudrait encore plus dans les années qui viennent. Je pense que nous pourrons y parvenir. La diplomatie française c'est d'abord le service de son pays, le service des intérêts de son pays, bien entendu combiné aux intérêts des autres.
Les promesses du candidat Sarkozy, B. Kouchner, c'était la rupture avec la Realpolitik, la mise en place d'une politique des droits de l'homme, la rupture avec les héritages anciens dits de la Françafrique. Un an après, on voit plus la continuité que ces multiples ruptures.
Je ne le crois pas du tout. Je crois que vous vous trompez.
Kadhafi, la Tunisie...
Kadhafi, ça n'a amusé personne !
Poutine...
Attendez ! Kadhafi. Vous dites "Kadhafi, Kadhafi, Kadhafi", il n'y a rien eu d'autre.
Si, j'ai dit la Tunisie et Poutine derrière. Mais quoi la Tunisie, s'il vous plait ! Vous savez, il y a un gros livre de Human right Watch qui paraît tout les ans, pour faire l'état des droits de l'homme dans le monde : la Tunisie n'y figure même plus, alors bon.
Vous confirmez que l'espace des libertés progresse ?
Non, je pense que cette phrase fût maladroite, non. En dehors de cette phrase, oui par rapport aux autres pays et en particulier dans la région, cela va bien mieux, mais c'est insuffisant et il fallait le souligner. Mais s'il vous plait, ce sont vraiment des péchés véniels comparés à l'état du monde. On parlait de la Birmanie, s'il vous plait, quand même. Donc je crois que les droits de l'homme, ça ne peut pas résumer une politique, je l'ai toujours dit, mais ça doit toujours la colorer et l'inspirer, toujours. Et donc, nous nous y forçons.
Elle n'est pas un peu pâle la couleur ?
Non, elle n'est pas trop pâle pas rapport aux autres. Franchement, je ne crois pas. Mais regardez autour de vous l'Allemagne, l'Angleterre, l'Italie, l'Espagne, nous sommes en concurrence permanente. Il faut bien sûr penser aux droits de l'homme et il faut, je vous le répète, que ce soit la base d'une des trois... Je voulais que les ambassades soient à la fois une démonstration des techniques et des progrès de la France, un rendez-vous de tous les ministères, de tous les Français qui doivent se retrouver et une maison des droits de l'homme. Les trois exigences pour la transformation, transformation pas toujours nécessaire d'ailleurs, parce que les ambassadeurs y ont déjà pensé. Mais enfin, que ce soit la nouvelle ligne, je n'en suis pas mécontent. Vous parlez de...
C'est mitigé comme bilan B. Kouchner, franchement ?
Ne soyez pas sectaire.
Je ne suis pas sectaire, je vous pose des questions.
J'arrive d'Amérique latine Venezuela, Colombie, Equateur. Eh bien je vous assure que la France, non seulement elle existe mais n'existait pas. L'Amérique latine était entièrement négligée. Alors on peut dire d'un côté vous vous acharnez à libérer I. Betancourt, pour le reste, qu'est-ce que vous faites pour les droits de l'homme ? Ça, c'est une juste question et il faut que nous soyons plus attentifs, comme d'ailleurs le Président Sarkozy l'avait promis dans sa campagne.
"Atlantisme" vous semble un mot qui correspond à la nouvelle orientation de la politique étrangère française ? Je vous pose la question de manière très agréable.
J'ai compris que vous me la poser alors je vais vous répondre. C'est aussi ridicule que le passé composé en permanence. L'atlantisme, c'est quoi ? C'est pouvoir parler aux Américains et surtout lorsqu'on n'est pas d'accord et je vais vous donnez tous les exemples de désaccord, avec confiance et d'abord pouvoir leur parler. Eh bien, nous pouvons maintenant leur parler surtout quand nous ne sommes pas d'accord. Et croyez moi, de Bucarest, c'est-à-dire du sommet de l'OTAN à la politique au Moyen-Orient, en passant par le Kosovo ou même l'Amérique latine, puisque je viens d'en parler et encore j'en passe et des meilleurs, nous ne sommes pas d'accord avec les Américains. Où est l'Atlantisme ? C'est simplement de s'adresser aux Américains non pas comme des ennemis mais comme des partenaires. Je ne suis pas de l'Atlantisme. Je vous signale que le mouvement vers l'OTAN avait été amorcé d'abord par le Président F. Mitterrand. Je vous rappelle que l'opération de l'OTAN de bombardement de la Serbie, nos avions y participaient et que ça, c'était lourd. Et je vous rappelle aussi que rentrer dans tous les cadres de l'OTAN, y compris, le comité stratégique des plans, parce que nous y sommes dans l'OTAN. Il y a deux opérations de l'OTAN maintenant, c'est le Kosovo et l'Afghanistan, au service des Nations unies, sous mandat du Conseil de sécurité, sous résolution du Conseil de sécurité. Nous n'avons pas fait plus. Simplement, nous pensons que c'est la bonne occasion pour construire une défense européenne. Voilà la politique, et de celle-là, je suis très heureux de pouvoir la mener si je peux - ce n'est pas sûr. Mais l'idée, c'est que nous n'accéderons pas au sommet mais à l'endroit qui nous est encore caché. Le comité stratégique des plans, si nous arrivons, si nous parvenons, si nous réussissons, si nous inspirons une politique de défense européenne. Le meilleur exemple c'est quand même ce qui se passe au Tchad, où il y a 22 pays engagés, 22 pays de l'Union européenne engagés pour la défense des populations.
Puisqu'on est passé de l'autre côté de l'Atlantique, restons y un instant : peut- être un virage en tête décisif pour B. Obama dans la primaire démocrate ? Votre sentiment ce matin...
Il faut prendre les paris ! En Caroline oui, en effet, Obama a gagné et puis madame Clinton a gagné mais de très peu en Indiana. Ce n'est pas terminé, il semblerait, mais je peux me tromper complètement - cela m'est arrivé souvent - que B. Obama fasse très grande impression, très, très grande impression par son talent et par la perspective du changement qu'il représente. Ce que, on le comprend bien la famille Clinton personnifie un peu moins.
60ème anniversaire de la création de l'Etat d'Israël...
Vous avez vu mon langage diplomatique, pas mal !
Oui, c'est une langue, il faut bien l'apprendre. Le processus de paix en est où ?
Hélas, pour résumer trop brutalement, il va bien au sommet, dans les dialogues entre le Premier ministre israélien et le président de l'Autorité palestinienne, E. Olmert et A. Mazen, la ministre des Affaires étrangères et A. Allah. Ça va bien, je les ai vu il y a quelques jours, trois jours, mais à la base, ça ne va pas assez bien, la vie quotidienne des Palestiniens ne se transforme pas, elle ne s'améliore pas, ce qui, à mon avis - mais j'espère me tromper - est complètement nécessaire. Vous savez qu'il y a eu la conférence de Paris, arrêtons de dire, s'il vous plait, - mais vous ne l'avez pas dit, je le reconnais - qu'il n'y a pas de changement dans la diplomatie française. Nous sommes présents partout, on organise des... La conférence de Paris, c'était 7,7 milliards, nous avons l'argent sur des projets et les projets ne se développent pas assez. Seuls, nous avons réussi - et c'est un petit triomphe, parce que c'était à Gaza - à faire passer 40 a 60 tonnes de ciment pour faire construire la station d'épuration à Gaza, tous les jours. Mais c'est évidemment insuffisant.
Le président Medvedev arrive au pouvoir en Russie. Il nommera très certainement, en Premier ministre, V. Poutine. Qui dirige ce pays ?
Jusqu'à aujourd'hui, c'était vraiment nettement monsieur Poutine, est-ce que monsieur Medvedev, qui a prononcé un bon discours, témoignant d'ouverture par rapport à une certaine inflexibilité de monsieur Poutine, va-t-il l'emporter ? Il est président pour le moment, il dirige l'armée ; vous savez ce qui se passe en Géorgie, qui est quand même assez dangereux... On va voir quelle sera la répartition des réalités du pouvoir entre le l'ancien président Poutine et le nouveau président, monsieur Medvedev. Encore une fois, c'est difficile de prévoir mais il semble que monsieur Medvedev ne soit pas disposé à se laisser faire si facilement. On sait vraiment que malgré les contestations - nous parlions des droits de l'homme -, et surtout l'attitude de monsieur Poutine devant monsieur Kasparov, qui n'est vraiment pas une bonne attitude, le moins qu'on puisse dire, il est magnifiquement élu. On n'en discute pas, or ça, c'est la popularité de monsieur Poutine. Est-ce que Medvedev va pouvoir s'imposer ? Je crois que ce n'est pas perdu.
Dernière question pour voir votre maîtrise du langage diplomatique : est-ce que l'ensemble de ce qui se passe en Russie fait une démocratie ?
Il n'y a aucun doute que c'est une démocratie. Souvenez-vous un petit peu - vous avez de la mémoire, vous êtes un homme cultivé ! -, il y a vingt ans, c'était le coeur du communisme ! Que de transformations ! Personne ne s'en souvient, personne ne l'apprécie suffisamment, quel maelstrom ! Alors, évidemment, ce n'est pas parfais, loin de là, et certainement, dans le domaine des droits de l'homme, ça ne l'est pas. Surtout, la discussion avec monsieur Poutine n'est pas facile. Mais regardez même le Kosovo - je sais qu'on n'a pas le temps d'en parler, les Russes sont sages et j'espère que le 11 - c'est dans quatre jours -, les Serbes vont voter, comprenant que leur avenir est européen et qu'au Kosovo, ce n'était pas une défaite, c'est un nouveau départ.
B. Kouchner attaque l'An II de la présidence Sarkozy droit dans ses bottes et en pleine forme ?
Regardez : mon genre, c'est pas la botte.
Ah oui, c'est la chaussure, effectivement. Mais en tout cas, vous êtes bien dans vos pompes, pour le dire comme ça ?
Je m'efforce d'être au mieux dans mes pompes. Je ne suis pas content tous les jours, ne croyez pas ça.
Et le Quai d'Orsay est toujours au quai d'Orsay ou il est à l'Elysée ?
Ah non, le Quai d'Orsay est au quai d'Orsay et il y restera, croyez-moi, ou alors, je me déplacerais moi-même !
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 7 mai 2008