Point de presse conjoint de MM. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, et Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'Etat chargé des affaires européennes, sur les priorités de la présidence française de l'UE, à Paris le 13 mai 2008.

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Texte intégral

M. Kouchner - Mesdames et Messieurs, nous avons démontré dans les faits que Jean-Pierre et moi - Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'Etat aux Affaires européennes et votre serviteur - n'avons jamais travaillé qu'ensemble en pleine connivence et que j'ai profité de son talent et de sa connaissance. Je peux vous dire, parce que je lis de temps en temps la presse - hélas, je suis obligé sinon je ne la lirais pas -, comme il bruit parfois de mésentente à l'intérieur d'un gouvernement. Je peux vous dire que lui et moi n'avons jamais, je crois, échangé une parole vindicative ou peu amène.
Q - Et les autres ?
R - Les autres, je n'ai pas le droit de vous en parler. Nous travaillons depuis un an dans une harmonie formidable et nous allons continuer pendant la Présidence française. C'est la raison pour laquelle nous tenions aujourd'hui, à un peu moins de 50 jours du 1er juillet, à vous faire un point sur cette présidence, son état de préparation, ses ambitions, tout cela à grands traits.
Il y a un fil rouge de notre activité, depuis un an, entre Jean-Pierre et moi. Dans la perspective de la Présidence française, à partir du 1er juillet, nous ne voulions certainement pas témoigner de l'arrogance que l'on nous prête de temps en temps, la fameuse arrogance française, parce que ce n'est pas notre genre, mais aussi parce que nous avons été très heureux et très fiers, lui et moi qui venions de la gauche - et qui après tout je crois demeurons à gauche -, de la relance de l'Europe. Nous l'avons accompagnée très fortement, notamment en défendant le Traité simplifié devenu Traité de Lisbonne.
Ce sera sans doute la dernière présidence semestrielle si le traité est accepté par tous ; ce que nous souhaitons infiniment. Un autre temps s'ouvrira, une ère nouvelle avec des rapports - et nous en parlerons encore - assez imprécis entre le président du Conseil, le président de la commission, le haut représentant pour les Affaires extérieures, etc.
Cela donne une gravité particulière à cette période qui s'annonce et impose à Jean-Pierre comme à moi-même et, bien sûr, au président de la République qui sera le président du Conseil de l'Union européenne, la nécessité de convaincre, de proposer sans pour autant être sûr de nous et de nos priorités.
Etre président du Conseil de l'Union européenne, c'est rechercher des majorités, c'est en tout cas ce que Jean-Pierre et moi défendons dans les multiples rencontres que nous avons, car nous travaillons ensemble toute la semaine, tous les jours. Nous pensons que la présidence du Conseil de l'Union européenne ce n'est pas du tout d'imposer ses idées mais au contraire de travailler à proposer les idées des autres pour obtenir le consensus nécessaire, l'unité nécessaire. C'est être le porte-parole, le porte-voix, le facilitateur l'interprète de tous les pays, les Vingt-sept. Nous comptons aussi, bien entendu, mais il ne s'agit pas du tout d'essayer de tirer " la couverture à nous", vers la France, vers nous-même.
Nous avons - puisque je parlais de fil rouge, de ce fil qui a guidé notre action - d'abord visité et discuté avec les partenaires et les institutions européennes. Jean-Pierre a visité 26 Etats membres et il s'est également déplacé en France. Tout se présente donc très bien.
Ce soir, par exemple, j'organise le deuxième dîner informel des ministres des Affaires étrangères de l'Europe. Nous aurons trois de ces dîners. Les Vingt-sept seront invités et, très librement, nous leur demandons leur avis sur ce qu'ils attendent d'une Présidence française - ou de toute autre présidence, mais il se trouve que c'est la Présidence française qui nous intéresse. Nous avons vécu, Jean-Pierre et moi, des expériences formidables : il a été directeur de cabinet de Jacques Delors ; j'ai été député européen et président de commission.
Revenons sur les deux dernières présidences. La Présidence portugaise était une présidence formidablement proche des gens. Elle était humaine, elle s'intéressait à tout le monde, elle était concrète. La Présidence allemande a été efficace. Le traité simplifié était une idée du président Sarkozy, mais qui l'a mise en oeuvre ? Qui l'a acceptée ? Qui l'a adoptée de telle manière que tout le monde puisse l'accepter ? Les Allemands. Nous avions, d'un côté, une présidence rigoureuse, techniquement impeccable et, de l'autre, une présidence plus proche des citoyens européens. Ce sont de bonnes leçons pour nous. Nous pourrions en parler pendant des heures.
En dehors des visites, nous avons abordé certains grands sujets européens dans les grands domaines de l'action du gouvernement.
Nous avons évoqué le Grenelle de l'environnement et la priorité énergie-climat de notre présidence. Nous vous en parlerons.
Nous avons également parlé de l'immigration et du pacte européen pour les migrations.. Est-ce que cela marchera je n'en sais rien, mais l'accueil est favorable. Je n'étais pas moi-même très favorable aux restrictions de l'immigration mais le moins que l'on puisse dire c'est que j'ai été convaincu par l'attitude de nos voisins. Nous avons découvert, Jean-Pierre et moi, la démarche des autorités espagnoles - l'Espagne qui avait voté oui par référendum face à nous qui avions voté non - qui ont régularisé tous les étrangers travaillant clandestinement en situation irrégulière et qui, maintenant, défend une politique très proche de la nôtre. Nous avons découvert la posture des Italiens qui, avec M. Prodi comme avec M. Berlusconi, sont en train, c'est le moins que l'on puisse dire, d'être assez stricts avec l'immigration. Nous pensons qu'il y a la nécessité d'une charte commune, d'un pacte sur l'immigration, en tout cas pour les pays de l'espace Schengen parce que l'accès à un pays permet, bien entendu, d'accéder aux vingt-deux autres. Nous avons là une priorité évidente.
La défense européenne constitue également un dossier particulièrement suivi.
Nous avons en outre parlé des relations entre la société civile, pas seulement les organisations non gouvernementales, mais aussi la société civile et les gouvernements. Si nous pouvons avancer dans ce sens, ce serait formidable.
Nous avons par ailleurs voulu souligner la dimension européenne de notre action internationale. Nous sommes le ministère des Affaires étrangères et européennes, selon le décret d'attribution de cette administration.
Nous avons connu des succès sur la sortie de crise institutionnelle avec le Traité de Lisbonne et au Kosovo avec les efforts pour l'ancrage européen de la Serbie. Ces efforts ont été récompensés hier et personne n'a été plus heureux que nous, Jean-Pierre et moi. N'oublions pas, évidemment, le Darfour, la contribution européenne clef à la FINUL et puis, bien entendu, l'Union pour la Méditerranée, etc.
Nos objectifs sont assez clairs : d'abord, en terme de méthodes, servir l'Europe et les Européens. Etre le porte-parole des Européens et il faut d'ailleurs rendre hommage à la Slovénie dont la Présidence est excellente. Aujourd'hui, par exemple - ni Jean-Pierre ni moi ne pouvons y aller -, il y a eu une convocation exceptionnelle à propos de la Birmanie, c'est Rama Yade qui représentera la France. Le fait qu'il y ait eu cette réaction de la communauté internationale et que l'on s'interroge sur cette nécessité d'apporter des secours aux gens qui en ont besoin, c'est aussi nouveau en Europe. En revanche, je n'ai pas été satisfait du refus de la proposition française d'entendre le Dalaï-lama à vingt-sept. Il y a donc un travail d'équipe.
Sur le fond, il faut s'intéresser aux sujets qui intéressent les citoyens, c'est-à-dire l'environnement, l'énergie, la politique européenne commune de l'énergie qui permette la sécurité des approvisionnements, peut-être en diversifiant les sources mais en parlant d'une seule voix. Il faut avoir une politique commune pour s'adresser, par exemple, aux Russes. Je pense que c'est une grande ambition, je ne sais pas si nous y parviendrons. Il faut aussi une agriculture européenne moderne pour contribuer aux grands équilibres alimentaires mondiaux. Il faut joindre les préoccupations du bilan de santé de la PAC à ce qui se passe dans le domaine de la sécurité alimentaire, c'est-à-dire des crises et des famines. Il n'y a quand même pas beaucoup à se vanter quand on pense qu'en ce début avancé déjà du XXIème siècle, nous assistons à des famines plus importantes qu'auparavant. Il faut donc nous poser la question et la France participe au fonds global sur les famines avec les Nations unies. Nous avons commencé à le mettre en oeuvre comme nous l'avions fait avec le sida - et je ne confonds pas les deux choses.
Il convient de donner du contenu à l'Europe politique : construction de la Défense, mission au Kosovo et au Tchad, politique en Méditerranée, contribution politique en Afghanistan, au Moyen-Orient. La France a pris une attitude extrêmement déterminée dans les deux derniers endroits que j'ai cités : le Moyen-Orient et l'Afghanistan.
Il faut nous mobiliser sur les sujets de crises tels que l'instabilité financière. Le renforcement de la stratégie européenne est nécessaire ; Jean-Pierre expliquera tout cela.
Nous avons un autre objectif, et je vais m'arrêter là, c'est, en même temps que nous présiderons l'Union européenne, de réconcilier l'Europe avec les Français. Vous le savez, ils avaient voté non au référendum sur le traité européen. Le moins que l'on puisse dire, c'est que les motivations de ce vote n'étaient pas toutes complètement européennes, même s'ils y en avaient beaucoup. Nous voulons donc absolument associer les Français et la société civile à l'exercice de la présidence.
Jean-Pierre sait bien comment les associations européennes, avec le gouvernement, avec nous-même, notamment à Marseille le 13 juin, à Nantes, à La Rochelle, à l'occasion de séminaires et de forums civils européens, peuvent contribuer à mieux faire comprendre aux jeunes qui, je crois, s'en sont un peu éloignés, le sens du projet européen. L'Europe, cela paraît aller de soi, tout le monde y est favorable, bien entendu, et puis vous vous apercevez qu'il y a un vote négatif qui surprend tout le monde. Il faut donc, je crois, continuer dans ce sens.
Cette présidence mobilisera tout le territoire français. Il y aura environ 300 manifestations. Il y aura dix sommets au niveau du président de la République avec les pays tiers, une vingtaine de réunion de ministres, en particulier en ce qui concerne les Affaires étrangères. Il y aura le Gymnich à Avignon, dès début septembre. C'est un travail avec les élus, les maires, les parlementaires, avec les régions. Il y aura une saison culturelle européenne qui fera connaître en France la culture des vingt-six autres pays.
Voila ce que nous souhaitons, une présidence moderne et participative, en phase avec son temps, écologique avec le bilan carbone, l'aide à des projets d'environnement, l'utilisation du train qui sera, d'ailleurs, favorisée pour les déplacements des ministres, des hôtes et des visiteurs sur notre territoire.
Vous savez que tout cela a été dessiné - mais il faut dire "designer" - sous la responsabilité d'un homme que le monde entier connaît, Philippe Starck, et vous verrez le résultat de cette créativité particulièrement moderne. Nous allons mettre au concours des livres, des films, des photos, des poèmes. Tous les Européens y participeront et nous allons essayer de faire en sorte que les Français ressortent de ces six mois avec le sentiment que l'Europe peut faire plus pour eux et que c'est le lieu où peut s'incarner notre avenir et sans doute l'avenir de leurs enfants.
L'Europe est une idée neuve. De l'ensemble du monde naît une soif d'Europe, ne serait-ce que comme modèle administratif et politique. Les pays de l'ASEAN, l'Union africaine, l'ALENA, l'Amérique du sud, tout le monde veut imiter l'Europe. Il y a, surtout, une demande politique. Nous avons invité un certain nombre de grands penseurs, de gens qui n'ont l'habitude de ne parler que dans les "think tanks", ils disaient tous que c'est à l'Europe de prendre des initiatives - ne se rendant pas compte d'ailleurs, comme c'est toujours le cas pour les intellectuels, qu'il y a aussi des problèmes politiques dans l'Europe et dans nos pays et qu'il faut convaincre.
L'attente d'une Europe jouant un rôle dans la politique internationale est immense. Dans la mondialisation, c'est l'Europe qui est demandée et qui est enviée. Finalement, on nous demande de régler ce que les Etats-Unis d'Amérique semblent ne plus pouvoir régler seuls. De plus, la période coïncide avec le changement de président américain et il y a une véritable mission de l'Europe, un agenda, des propositions à faire au reste du monde et, singulièrement, de les mettre en musique ensemble, avec nos amis américains.
M. Jouyet - Merci beaucoup Bernard, j'ai peu de mots à ajouter. Vous dire qu'effectivement c'est un bonheur que de travailler avec Bernard Kouchner.
M. Kouchner - Enfin on se connaît depuis 45 ans.
M. Jouyet - Voilà je l'ai dit à tous mes amis. Je le dis à gauche, mais je le dis également à droite, mais enfin je le dis souvent à gauche. Et c'est vrai que c'est un bonheur de travailler avec Bernard et nous sommes complémentaires. Vraiment tout se passe très bien. D'ailleurs, s'il en allait autrement, on ne serait pas la, en tous cas je ne serais pas la. Mais c'est clair que ça se passe comme cela.
Pour compléter nous souhaitons véritablement faire en sorte que cette présidence soit plus vivante, plus populaire, plus citoyenne et ce au travers de trois dimensions. La première c'est, et nous l'avons fait ce matin, comme vous le savez, c'est d'associer les parlementaires. Une des novations du traité de Lisbonne est que les parlementaires nationaux sont davantage associés à la préparation de la législation européenne. C'est ce que nous avons déjà commencé à faire. Il y a une série de 4 rencontres prévues avec les parlementaires nationaux, il y en a eu une sur l'énergie et le climat, il y a quelques semaines, où participaient Jean-Louis Borloo et Nathalie Kociusko-Morizet. Ce matin une rencontre a été organisée par Bernard Kouchner sur la politique européenne de sécurité et de défense et il y en aura deux autres, sur la Politique agricole commune et les défis alimentaires, le 11 juin, et une autre sur les sujets démographiques et d'immigration qui aura lieu le 10 juin. Je crois que ça c'est une novation. Les parlementaires nous en sont reconnaissants et il y a une association très en amont du Parlement, indépendamment des auditions que nous pouvons avoir avec Bernard Kouchner devant les Délégations européennes ou la commission des Affaires étrangères. Mais là vous avez des rencontres avec des parlementaires, des députés, des sénateurs, des élus européens membres de l'opposition, et de la majorité et je crois qu'ils en sont satisfaits.
M. Jouyet - Le second point, Bernard y a fait allusion, c'est qu'il y aura, au cours de cette présidence, des réunions régulières en province : à Marseille, pour la présentation des présidences avec Bernard Kouchner; à Lyon, où il y aura les Etats généraux de l'Europe animés par différents mouvements européens que nous soutiendrons. Ce n'est pas la peine que les pouvoirs publics se substituent à des initiatives qui existaient déjà comme celles du Mouvement européen ou comme le Forum civique. Il y aura également des réunions de "think tank" à Paris, au mois de septembre, et des rencontres plus tournées vers les jeunes européens et le futur de l'Europe, dans le cadre des travaux menés par M. Felipe Gonzalez, Mme Vaira Vike-Freiberga et M. Jorma Ollila pour le groupe de réflexion sur l'avenir de l'Europe demandé par le président de la République et obtenu lors du Conseil européen du mois de décembre.
Le troisième aspect, c'est l'attachement que nous avons aux symboles. Nous avons tous les deux voté "oui" à chacune des avancées de l'Europe, y compris sur la Constitution. Il y a moins de symboles dans le Traité de Lisbonne, qui est un bon compromis entre les craintes des uns et les aspirations des autres et qui permet surtout d'avoir une meilleure prise de décision, de démocratiser le mode de fonctionnement de l'Europe. Cela permet enfin de donner à l'Europe les moyens dont parlait Bernard, d'être plus présente sur la scène internationale. Comme je l'ai indiqué vendredi 9 mai, et comme l'avait indiqué le Premier ministre du Luxembourg, je pense que ce serait une bonne chose, sur le plan symbolique, qu'il y ait une journée fériée commune à l'ensemble des Européens qui commémorent la fête du 9 mai 1950 et la déclaration Schuman sur la CECA prononcée dans cette salle, le salon de l'Horloge, qui est un lieu hautement symbolique de l'Union européenne. Voilà ce que je souhaitais vous indiquer en plus de ce que vous a dit Bernard.
Ce qui est très important, ce qui me frappe, depuis que j'ai pris mes fonctions, je n'avais pas forcément ce sentiment auparavant, c'est l'attractivité de l'Europe par rapport à tous les autres pays. Je voudrais que vous en soyez véritablement convaincus. Ce n'est d'ailleurs pas facile à gérer, il y a des attentes qui sont extrêmement fortes. On parle souvent d'arrogance mais il y a beaucoup plus d'attentes vis-à-vis d'une présidence qui soit active, qui sache gérer l'attractivité croissante de l'Europe, qui reste un espace uni, de droit, de démocratie, de respect des valeurs qui sont les nôtres et qui attire de plus en plus de pays que ce soit à l'Est, dans l'Europe centrale et orientale. Cela s'est fait, nous avons une Europe, non pas élargie, nous avons une Europe réunifiée. Nous devons tous nous en féliciter. L'Europe à Vingt-sept, c'est une Europe qui est rassemblée, qui fonctionne objectivement aussi bien qu'une Europe à quinze. Vous ne pouvez pas prouver qu'il y a moins de décisions, que les décisions sont de moins bonnes qualité. On peut critiquer tel ou tel aspect mais il n'y a pas de différences de nature par rapport à l'Europe qui existait. Il ne faut en rester à la nostalgie sur le plan européen et comme l'a souligné Bernard Kouchner, c'est une construction d'avenir.
Le second point important, c'est que nous aurons véritablement une Europe qui va se projeter à l'international et nous avons un nombre extrêmement important de sommets, notamment avec les grands pays émergents. Là aussi, ce n'est pas la présidence française qui a choisi, c'est le calendrier qui nous impose ces sommets et c'est une chance pour l'Europe car cela va nous permettre de définir nos relations avec les grands pays émergents. Cela va être un des fils conducteurs des sommets puisque nous aurons des rencontres avec la Russie, avec un partenariat à renforcer avec la Russie, nous en aurons avec l'Afrique du Sud, le Brésil, la Chine, la Corée, l'ASEAN, le Canada, l'Ukraine. Vous voyez c'est un ensemble de pays qui, pour certains, sont très attirés par l'Europe et nous aurons à définir une sorte de doctrine entre l'Europe et ces nouvelles puissances économiques. Il s'agit de faire en sorte que l'Europe dispose, au moment ou les Américains choisiront leur prochain président, d'une carte renforcée au niveau international. Voilà ce que je voulais simplement rajouter à ce que vient de dire le ministre des Affaires étrangères et européennes.
M. Kouchner - Merci Jean-Pierre.
Q - Revenons sur la question de la défense européenne. Quelles sont vos propositions concrètes ?
R - M. Kouchner - D'être modeste, de ne pas les énumérer aujourd'hui et, simplement, de parler de notre préoccupation de travailler avec tous les pays européens. Nous avons décidé d'intégrer le commandement stratégique de l'OTAN mais, en même temps, avec l'approbation - ce qui est nouveau - des Etats-Unis, qui l'ont fortement dit par la voix du président Bush à la réunion de l'OTAN, à Bucarest, de travailler à une défense européenne qui nous est indispensable.
Laissons passer les échéances, aussi bien dans votre pays qu'en Irlande ou ailleurs. Laissons le Traité suivre son cours et être accepté, ratifié par les pays qui ne l'ont pas encore fait, puis nous parlerons ensemble. Il n'y a pas de position française, ni d'exigence française. Je crois qu'il y a la nécessité d'avoir, lorsque l'on veut jouer un rôle dans le monde, plus d'harmonisation entre nos défenses.
Voilà ce que nous allons faire et nous attendrons, bien entendu, le début de la présidence. Nous tenons des réunions - ce matin, je vous l'ai dit, il s'en est tenu une - et à chaque fois, dans les voyages que nous effectuons, le président de la République, le Premier ministre, Jean-Pierre et moi, nous parlons à nos homologues et c'est comme cela que nous concevons cette avancée. Elle sera nécessairement plurielle et pas seulement avec les grands pays, avec le Royaume-Uni, bien sûr, avec l'Allemagne, avec l'Espagne, avec l'Italie, la Pologne mais aussi avec les autres Etats membres.
Nous essaierons, et je crois que ce ne sera pas trop difficile, de convaincre de la nécessité, dans ces temps difficiles, d'avoir une diplomatie très performante, qui pourrait s'appuyer sur une défense européenne, sans léser et tout en participant plus encore à l'OTAN, si l'on veut tirer le meilleur parti, d'abord pour nos populations, mais aussi pour le reste du monde qui est dans le besoin.
Q - Y aura-t-il une interdiction des régularisations de masse et à partir de combien de cas peut-on parler de cette régularisation de masse dans le pacte d'immigration ?
R - M. Jouyet - Il est encore difficile de le dire. Il n'y a pas de chiffres qui aient été esquissés. Il y a des propositions de la Commission qui doivent être faites. Le principe qui est fixé, c'est qu'effectivement, nous nous mettions d'accord à vingt-sept sur le fait qu'il n'y ait pas de régularisation globale et massive qui puisse affecter la situation de tel ou tel Etat membre et que si, tout au moins, il devait y avoir des régularisations, que l'on soit prévenu, qu'il y ait un échange d'informations et que l'on anticipe les conséquences. Cela ne veut pas dire que c'est une Europe fermée, Bernard Kouchner a insisté sur ce point, nous sommes attachés tous les deux, en tout cas, mais tous les autres aussi en Europe, à ce que l'Europe reste une terre ouverte, pluraliste mais cela suppose, dans le cadre de Schengen, une organisation nouvelle, échanges d'informations, convergences sur les pratiques de régularisation, politique d'intégration également. Il faudra aussi essayer, cela sera plus difficile compte tenu des traditions nationales qui sont différentes, d'avoir une harmonisation à terme sur tout ce qui concerne les politiques d'asile et d'accueil des réfugiés, ce qui est sans doute le problème le plus délicat qui sera à résoudre, sans oublier les avancées qui doivent être faites en matière d'harmonisation de délivrance de visas. Voilà ce que l'on va chercher à faire dans ce pacte.
Q - Une autre question sur le pacte d'immigration. Monsieur le Ministre nous a dit qu'il avait reçu un accueil formidable, est-ce que vous pourriez nous en dire un peu plus sur le contenu après ce qu'a dit M. Jean-Pierre Jouyet sachant qu'actuellement nous savons que les 27 sont divisés sur la "directive retour" ? D'autres directives seront à traiter pendant votre présidence ? Quels résultats concrets attendez-vous sur ce dossier ?
R - M. Kouchner - N'attendez pas de moi que je fixe des limites avant que la France assume la présidence véritablement. Jean-Pierre vient d'expliquer le contenu général de ce qui serait un pacte à propos de l'immigration et également du droit d'asile. Il l'a souligné, ce sont deux sujets assez différents mais qui comportent tous deux une notion nécessaire d'accueil humain suffisant pour qu'il n'y ait pas de souffrances.
Pour le moment, les pays ne sont pas tous d'accord sur la "directive retour" mais c'est toujours comme cela. Ils ne sont jamais d'accord au premier mouvement. Il faut discuter et il faut ensemble, tenir compte des exigences qui ne sont pas toujours les mêmes dans des pays comme les nôtres. Par exemple, l'Espagne, l'Italie et la France sont des pays d'accueil obligés, si j'ose dire. S'interroger sur des pays plus enclavés ou plus au Nord, c'est évidemment différent, ce n'est pas la même chose. Vous avez l'exemple de Sangatte où les pauvres gens qui espéraient changer leurs vies en allant travailler en Angleterre pensaient que cet accueil était tellement différent et tellement assuré qu'ils risquaient leurs vies pour cela. Ce sont des choses complètement différentes et, pourtant, nous avons pu nous entendre avec Tony Blair à l'époque, avec nos amis britanniques, pour trouver une attitude commune et des moyens pour que soient accueillis ou non ces réfugiés.
Et puis, il y a, bien sûr, ce problème du retour que nous évoquerons et je pense que ces six mois seront tout juste suffisants. Je ne sais pas comment cela se passera pour qu'il y ait une harmonisation. Sur les besoins, sur la nécessité d'avoir, en particulier dans l'espace Schengen, une attitude, une compréhension, un accueil commun, tout le monde est d'accord. Maintenant, nous devons discuter des modalités. Vous savez, ce sont de longues séances à vingt-sept pays et il faut, un par un, les entendre, comprendre leurs nécessités, leurs propositions, préparer un texte, le modifier, le discuter à nouveau, cela prend du temps. Nous y travaillons déjà.
R - M. Jouyet - Juste pour compléter, il y a un point qui est important, c'est que le Parlement européen devra se prononcer sur l'équilibre de cette directive au début du mois de juin et j'ai toute confiance dans les sensibilités différentes du Parlement européen.
Q - Concernant la création d'un 9 mai férié dans toute l'Union européenne, serait-ce à dire, concernant la France, le glissement du 8 au 9 mai ou un jour supplémentaire ? L'acte n'est pas anodin pour la France ?
R - M. Kouchner - Je laisse Jean-Pierre répondre sur ce dangereux et glissant sujet.
R - M. Jouyet - Ce qui est important, c'est que nous voulons faire vivre l'Europe, ce qui est une position commune à Bernard Kouchner, à moi et à tous les Européens. Il est vrai qu'il est nécessaire qu'il y ait un moment où tous les Européens se retrouvent. Après, il dépend de chacun des Etats, et je crois que c'est ce qu'a indiqué le Premier ministre du Luxembourg, il dépendra du Parlement de voir quelle est l'organisation interne à chaque Etat pour faire que ce jour soit férié. Rassurez-vous, ce n'est pas une ambition à court terme. C'est un projet mais je crois que c'est un projet qui, pour tous les Européens, a du sens. Après cela dépend de l'organisation de chacun des Etats pour le régler de façon à ce que l'ensemble du mois de mai ne soit pas férié, ce n'est pas ce que nous recherchons.
Q - Vous avez évoqué à demi-mot le référendum en Irlande. Je voudrais savoir si vous comptiez éventuellement vous rendre sur place pour participer d'une façon ou d'une autre à cette campagne ou depuis la France participer à cette campagne ?
R - M. Kouchner - Non. Laissons les Irlandais. Ne nous montrons pas plus Irlandais que les Irlandais. C'est un débat chez eux. S'ils nous l'avaient demandé, nous aurions participé avec plaisir à cette très importante campagne. Pour nous c'est essentiel, bien sûr, vous le comprenez. Mais laissons-les faire. Il se mélange, chez nos amis irlandais, des problèmes internes et des problèmes agricoles en particulier qui sont majeurs et dans lesquels je crois toute intrusion - je ne dis pas ingérence parce que pour moi ingérence n'est pas un mauvais mot -, serait peut être négative. En tout cas, nous leur souhaitons bonne chance, à tous.
Q - Avez-vous déjà eu l'occasion de parler avec le nouveau ministre italien Franco Frattini parce que sur le sujet de l'immigration, la ligue de Nord, au ministère de l'Intérieur et dans plusieurs autres ministères importants a une ligne plus dure que l'ancien gouvernement de Prodi ?
R - M. Kouchner - J'ai parlé avec mon nouveau collègue à plusieurs reprises. Je l'ai interrogé sur ces déclarations qu'il a minimisées en disant que c'était un problème de réglementation et que lui-même n'était pas très insistant.
Je partage avec vous cette préoccupation. Il faudra discuter avec les Italiens et ce sera en effet moins facile, bien que je vous rappelle que l'attitude de M. Prodi à propos des Roumains et en particulier des Roms dans la région de Rome nous avait surpris. Il y a des problèmes que les Italiens semblent vouloir régler. Nous parlerons avec eux, je ne veux pas en préjuger puisque M. Frattini est en poste depuis à peine huit jours. Ce soir, j'aurais l'occasion d'en discuter avec lui. Jean-Pierre s'est rendu en Italie, il y a peu. Vous savez, c'est un des sujets qui nous a le plus marqué. Les mêmes problèmes se posent en France comme dans les pays d'accueil que sont l'Espagne et l'Italie. C'est cela qui nous a véritablement poussés à avoir une attitude commune, dans le respect des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales.
Q - Monsieur le Ministre, vous nous avez promis une parenthèse sur la situation au Liban et nous en profitons. Aujourd'hui, l'armée libanaise prend en charge avec l'accord de toutes les parties la situation sur le terrain. Demain arrive la mission conduite par M. Amr Moussa et le ministre Qatarien des Affaires étrangères. Vous avez promis et agi en conséquence. Vous avez dit que la France ne resterait pas les bras croisés et elle n'est pas restée les bras croisés. Est-ce que la position de la France viendra en complément de cette mission qui a repris à son compte les trois points du projet de solution français et est-ce que l'on peut espérer un jour, puisque c'est une crise qui hélas va se prolonger, une position européenne commune sur le Liban ?
R - M. Kouchner - J'ai beaucoup parlé avec mes collègues européens et en particulier avec M. Frattini qui vient de succéder à M. Massimo D'Alema et avec M. Miguel Moratinos avec lesquels, Italiens et Espagnols, nous avons beaucoup travaillé au Liban ; je souhaitais une position commune. Sera t-elle, je réponds à la deuxième question, possible à Vingt-sept ? Je l'espère infiniment.
Attendons la Présidence française et nous verrons bien. Tout d'abord, quelle sera la situation et que souhaitent les Libanais ? C'est quand même essentiel. Nous verrons bien. En attendant, nous soutenons le processus de dialogue. Hier soir s'est tenue une importante conférence téléphonique avec les Américains, Mme Condoleezza Rice, les Britanniques, M. Ban Ki-moon, la Ligue arabe, Amr Moussa, les pays de la Ligue, etc.
Le texte n'a pas été simple à corriger. J'étais en Algérie et lorsque je suis arrivé, ils discutaient encore et j'ai eu le temps de m'exprimer. La position de la France, c'est aussi de soutenir la Ligue arabe, pour le moment, et de soutenir cette démarche qui, je l'espère permettra d'apaiser les tensions, d'évacuer la rue de tous les groupes armés, de ne plus pratiquer la politique de force et de revenir à la discussion politique. Si c'est comme cela, la France apportera son soutien - Jean-Pierre connaît le Liban parfaitement, moi-même je crois le connaître très bien aussi. Ne mélangeons pas les initiatives.
Merci d'avoir dit que finalement la Ligue arabe a débouché sur les trois même points que l'initiative française, mais ne mélangeons pas les choses pour qu'il n'y ait pas d'interférence négative. J'ai également parlé aux protagonistes libanais. Nous soutenons le gouvernement officiel de Fouad Siniora, nous l'avons déclaré dès le premier jour - déclaration de l'Elysée qui me mettait en charge, de rencontrer tous les protagonistes, je le ferai mais je ne voudrais pas nuire à l'initiative de la Ligue arabe ; ils arrivent demain à Beyrouth. Laissons-les arriver, je suis en contact permanent avec Amr Moussa.
Q - Pour revenir à la Présidence française de l'Union européenne. Vous avez salué la Présidence slovène et parfois vous avez pourtant du mal à saisir le contenu, la consistance de cette Présidence. Est-ce qu'on pourra afficher des résultats concrets ? Quelle serait une réussite de la Présidence française. A la fin de cette présidence qu'est-ce que vous aimeriez qui soit parfaitement accompli, signé, écrit noir sur blanc ?
R - M. Jouyet - Oui. Il faut laisser les Slovènes terminer leur Présidence. J'ajoute qu'ils font du très bon travail. Ils en ont fait sur les Balkans. C'est quand même un symbole que ce pays qui est le premier pays d'Europe centrale de l'ancien bloc communiste à exercer la présidence et gérer une situation qui n'était, à l'origine, vraiment pas facile. Je crois pouvoir dire - mais Bernard le dira mieux que moi - que c'est une de nos grande fierté, à titre personnel, que de voir ce qui s'est passé hier avec les élections serbes. Je crois que nous n'y avons pas été pour rien. Que vraiment nous avons soutenu tous ceux qui étaient les démocrates serbes et si nous pouvons être fiers de ce qui a été accompli avec la présidence slovène, c'est sans doute un de ces résultats en Europe auquel nous sommes le plus attaché. En ce qui concerne la présidence française, je crois qu'elle doit être jugée au vu des différentes priorités qui ont été énoncées. Si vous en demandez une, là où il y a une obligation de résultat, c'est tout ce qui concerne l'Europe verte, c'est tout ce qui concerne le changement climatique et la politique énergétique et c'est là-dessus au vu des résultats, compte tenu des conférences de Potsdam à la fin de l'année 2008 et la préparation de l'Europe à cette importante conférence internationale de 2009 que nous serons jugés sur les résultats qui seront obtenus. A cela s'ajoute bien évidemment l'issue du processus de ratification et la façon dont le traité sera mis en oeuvre. Et enfin, ce qui est toujours le plus difficile dans les présidences européennes c'est de gérer l'imprévisible et l'international.
R - M. Kouchner - Sur l'imprévisible je suis spécialiste.
Q - Quand la France présidera l'Union européenne, il y aura les Jeux Olympiques de Pékin et en même temps la visite du Dalaï-Lama en Europe, notamment en France. Croyez-vous que la relation entre l'Union européenne et la Chine changera pendant la présidence de la France ? Certaines personnes ont dit que la lune de miel entre l'Union européenne et la Chine est terminée. S'agissant de la question de la levée de l'embargo sur les ventes d'armes à la Chine, est-ce que la France aura la même attitude ?
R - M. Kouchner - J'en profite pour vous dire combien nous déplorons le tremblement de terre qui s'est déroulé dans votre pays, combien nous sommes attentifs et prêts, bien sûr, à aider. Nous avons encore téléphoné et fait état ce matin de notre disponibilité à venir en aide sur le plan matériel, si c'était souhaité. De toute façon, notre solidarité est acquise. Ce tremblement de terre a fait un nombre important de victimes et les conditions dans lesquelles certaines victimes, en particulier les enfants, les lycéens ont été tués nous ont profondément meurtri. Je tiens à dire nos sentiments de compassion et de solidarité.
Maintenant, est-ce que cela va changer les liens entre la Chine et la France en fonction des Jeux de Pékin ? Non, je ne l'espère pas. Est-ce que ça va changer en fonction de la présidence française de l'Union européenne ? Non, je ne l'espère pas non plus et je pense que cela ne pourra que s'améliorer.
Le Dalaï-Lama visitera en effet notre pays, il l'a dit, au mois d'août et, d'ailleurs, les Jeux seront commencés. Peut-être visitera-t-il notre pays avant puisque le Dalaï-Lama, avec lequel je m'entretiens deux à trois fois par semaine, va visiter le Royaume-Uni, comme c'était prévu, l'Allemagne et peut-être d'autres pays. Nous verrons bien mais pour le moment, dans une conversation extrêmement riche, extrêmement intéressante que j'ai tenue vendredi dernier avec le nouvel ambassadeur de Chine à Paris, nous avons éclairci les positions. Cet ambassadeur, qui parle français mieux que moi, est un intellectuel, un homme vraiment très érudit et un fin diplomate. Nous nous sommes entendus pour qu'il y ait de part et d'autre une compréhension indispensable. Je crois que les choses avancent.
Le président de la République avait demandé et espéré que le dialogue reprenne. Le dialogue a repris et de la bouche même du Dalaï-Lama j'ai entendu sa satisfaction. Le chef religieux a dit que ce début de dialogue, qui allait être suivi d'une deuxième rencontre, dans la première quinzaine de juin semble-t-il, était une étape dans une bonne direction. Voilà où nous en sommes et il n'a jamais été question pour nous de boycotter les Jeux de Pékin. Nous sommes simplement attentifs aux Droits de l'Homme sans juger - et certainement pas de façon positive - le système que les Tibétains représentent, système théocratique, système qui n'est pas du tout de notre fait ni de notre goût. La personnalité du Dalaï-Lama par rapport au pacifisme et par rapport à une démarche extrêmement symbolique dans le monde doit être soulignée ; c'est simplement ce que j'ai voulu dire.
Q - Vous n'avez pas mentionné le Conseil de sécurité. Est-ce que cela signifie que vous n'attendez plus rien du Conseil de sécurité ? Et l'autre élément. Vous avez évoqué un texte à corriger, de quel texte s'agit-il ? Finalement, à chaque fois que l'on évoque la situation libanaise, vous vous protégez derrière l'initiative arabe qui a été lancée le 5 janvier. Or on est en mai et jusqu'à présent, ça n'a rien produit et on dirait même que cela a été contre-productif !
R - M. Kouchner - Dites donc, et vous, qu'est-ce que vous avez produit ? Parce que les Libanais, accuser les autres, ils savent très bien faire, n'est-ce pas, mais s'accuser eux-mêmes, cela, jamais. J'ai été très heureux de voir à la télévision des images très fugitives d'une manifestation de la population libanaise, de ce que l'on appelle la société civile, toute tendance confondue, il y a deux ou trois jours. Ils n'étaient pas nombreux, ils étaient un millier mais cela m'a réchauffé le coeur.
Pour répondre à votre question, tout d'abord, je ne me réfugie derrière personne, surtout pas à propos du Liban où j'ai fait ma part et ce n'est pas terminé. J'ai commencé à travailler dans ce pays en 1975 et j'y ai toujours travaillé.
Sur le Liban, hier soir, il y avait un texte qui a été publié, je crois. Je ne l'ai pas vu mais j'y ai travaillé avec le Secrétaire général des Nations unies, avec tous les ministres autour de ce qu'on appelle "les amis du Liban". Il s'agit d'un groupe un peu informel mais qui marche bien. Il y avait la Ligue arabe et d'autres intervenants. Le texte a été publié. Il comportait également un volet qui sera à un moment donné inspiré ou non de ce texte proposé sans doute au Conseil de sécurité.
Je ne sais pas à quel moment le Conseil sera saisi puisqu'il y avait un décalage horaire. Est-ce que ce sera aujourd'hui ou pas ? Je ne sais pas, mais nous n'avons pas renoncé au Conseil de sécurité. Ce texte demande l'apaisement, fait confiance à la mission de la Ligue arabe, ne veut pas interférer avec sa mission avant qu'elle ne soit arrivée, demain, et fait allusion - et moi j'y étais très sensible - à l'unité de l'armée ; je crois qu'il faut aussi tabler sur l'unité de l'armée. Il n'y a eu aucune dissimulation, je crois que le texte est à votre disposition. Sinon, je vous le procurerai. Croyez bien que je ne m'abrite pas derrière la Ligue arabe, mais il se trouve que la Ligue arabe est arrivée à la même conclusion que la France, l'Espagne, l'Italie et l'Union européenne.
Q - Apparemment M. Cameron a dit qu'il était favorable à un largage aérien d'aide sur la Birmanie. Est-ce que la France serait favorable aussi à une telle démarche ? Et deuxièmement, est-ce vous pouvez nous dire plus sur les possibilités européennes de la Serbie après les élections ?
R - M. Kouchner - Le largage a été évoqué par les Américains si l'ouverture tardait de la part des autorités birmanes, si on ne pouvait pas accéder aux victimes. C'est une préoccupation non seulement légitime mais qui a fait avancer le droit international et qui, après s'être appelé le devoir d'ingérence, puis le droit d'ingérence, s'appelle la "responsabilité de protéger" et qui a été défini et accepté à l'unanimité, quasi-unanimité de l'Assemblée générale des Nations unies. On ne peut pas faire un texte plus robuste qui a, par ailleurs, été évoqué presque une fois sur deux dans les préoccupations du Conseil de sécurité.
Cette fois-ci, la France a essayé non pas de proposer une résolution - ce n'est pas encore fait -, mais de travailler à une réunion où l'on s'informerait, comme cela avait été le cas au moment des incidents et des tirs lorsque les manifestations de moines avaient eu lieu dans les rues de Rangoon. Il y avait eu à ce moment-là, sous Présidence française, une déclaration du président du Conseil de sécurité des Nations unies. Nous avons souhaité, cette fois-ci, qu'il y ait aussi une déclaration du président du Conseil de sécurité mais nous n'y sommes pas encore parvenus. Nous avons simplement fait accepter qu'il y ait une déclaration de M. John Holmes qui est le patron de l'OCHA, c'est-à-dire le patron des activités humanitaires pour dire où nous en étions.
Tout le monde se désole mais je vous rappelle qu'à propos de la Birmanie, il y a d'ailleurs eu une déclaration de M. Ban Ki-moon. Tout le monde se désole de ne pas avoir d'accès à l'aéroport en dehors de quelques avions qui se posent. On ne sait pas où ni comment sont distribués les vivres et les protections nécessaires pour au moins un million et demi de victimes. On ne connaît pas le nombre de victimes ; il se situe sans doute entre 100.000 et 300.000.
Je pense, en effet, que la responsabilité de protéger, c'est pour la communauté internationale, par l'intermédiaire des Nations unies - pas une volonté unique d'un seul pays -, de faire tout pour parvenir à aider les victimes. Apparemment, les choses se débloquent un petit peu. Vous savez que nous avons un bateau français, le Mistral, qui se dirige vers le delta de l'Irawady avec 1 500 tonnes d'aide humanitaire.
Qui distribuera ? Nous espérons que nous pourrons le faire avec la Croix Rouge française, avec Médecins du monde, avec Médecins sans frontières, etc. organisations que l'on connaît bien. Il n'en reste pas moins que ces secours arriveront quinze jours après le cyclone, vous vous rendez compte ? Quinze jours. C'est inacceptable. Bien sûr, nous ne pouvons plus rien pour les morts, mais il reste quelques blessés. On ne sait pas où ils sont, mais il y a surtout des victimes de la famine qui sont sous la pluie, qui n'ont rien pour se protéger et rien à manger.
R - M. Jouyet - Alors, sur la Serbie. Cela tombe bien, je suis également avec Mme Matache, secrétaire d'Etat roumaine aux Affaires européennes, qui va pouvoir donner son sentiment. Il est clair que durant la Présidence française, nous accompagnerons la Serbie en lui donnant les perspectives les plus claires en matière européenne. Comme vous le savez, il y a un certain nombre de critères, il y a aussi un certain nombre d'étapes à respecter, nous devons aussi attendre la composition du gouvernement, mais notre volonté est extrêmement claire, nous souhaitons qu'il y ait une impulsion forte qui soit donnée en ce sens par la présidence française, de même que nous souhaitons avec la Croatie, tout au moins l'ouverture de tous les chapitres d'ici la fin de l'année. Donc nous ne sommes absolument pas frileux en ce qui concerne les Balkans, la Croatie et la Serbie. Maintenant, je vais voir si cette position est partagée par ma collègue roumaine.
R - M. Kouchner - Nous avons obtenu la gratuité des visas et nous avons proposé des bourses. Vous savez, il y a 90 % des Serbes qui n'ont pas voyagé en dehors de leur pays.
Notre credo était le suivant : ce n'est pas parce qu'avec le Kosovo vous n'avez pas pu vous entendre et que l'on a été obligé de mettre fin arbitrairement à cette absence de négociation - puisque personne ne se parlait et que nous ne voulions pas suivre l'exemple de Chypre avec la présence durable de forces d'interposition, - que c'est une défaite pour les Serbes. C'est au contraire, débarrassés de ce fardeau, à partir de cette décision, que pour les Serbes commençait la marche vers l'Europe et je souhaite vraiment qu'elle se poursuive. Nous aurions été aujourd'hui désespérés si les nationalistes avaient gagné les élections. Alors franchement nous nous en réjouissons beaucoup.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 mai 2008