Déclaration de Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative, sur les spécificités du système de santé dans les DOM -TOM et le lancement du plan "Hôpital, Santé, Outre-mer" pour les départements d'Outre-mer, Cayenne le 2 mai 2008.

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Circonstance : Déplacement en Guyane les 2 et 3 mai 2008

Texte intégral

Monsieur le préfet,
Monsieur le directeur,
Mesdames et messieurs,
La visite d'un centre hospitalier constitue toujours, pour la ministre de la santé que je suis, un moment particulièrement fort.
Moment fort, parce que l'humanité, la générosité et l'énergie de celles et ceux qui composent une communauté médicale, forcent le respect. Aller à la rencontre des hommes et des femmes qui font vivre l'hôpital, c'est reprendre, encore et toujours, la mesure de l'engagement personnel au coeur de toute vocation hospitalière.
Ce moment est d'autant plus fort pour moi aujourd'hui, que pour la première fois, c'est en qualité de ministre chargée de la santé que je viens à votre rencontre sur cette terre de Guyane.
La Guyane est le département d'Outre Mer qui connaît les plus grandes difficultés économiques et sociales - les plus grandes difficultés humaines en un mot. Et l'hôpital est là, en première ligne, pour les accueillir.
Vous avez, nous avons tous en tête les clichés que nos médias se contentent souvent de répéter au sujet de la Guyane : les flux migratoires erratiques, l'orpaillage illégal, l'espérance de vie inférieure de près de cinq ans à celle de la métropole en constituent le fonds inépuisable.
Comme tous les lieux communs, ils ont évidemment leur vérité. Mais comme tous les lieux communs, ces chiffres, ces marronniers sociologiques dérobent aussi à notre vue les drames réels, les drames individuels, qu'engendrent ces questions politiques, et qui appellent de notre part à tous un effort de solidarité et d'action collective.
Si j'ai commencé par évoquer les difficultés auxquelles votre département est confronté, c'est aussi pour vous redire, deux mois après le président de la République, combien ces défis mettent en valeur la vitalité et le cran de celles et ceux qui se mobilisent, en Guyane, pour changer les choses.
Qui se mobilisent, comme s'est mobilisée autrefois Andrée Rosemon, une grande infirmière, une grande résistante, une grande Française dont le nom glorieux figure au fronton de votre hôpital depuis sa création.
Andrée Rosemon, désormais, est une communauté hospitalière au sens le plus fort, le plus dense de ce terme. C'est pourquoi je tiens d'ores et déjà à rendre hommage à l'ensemble de ces hommes et de ces femmes qui nous accueille aujourd'hui, personnels soignants, personnels techniques et personnels administratifs. A l'image de la Guyane, vous incarnez la diversité et la richesse de parcours individuels dont aucun ne se ressemble tout à fait. Que vous soyez Créoles, Amérindiens, Métropolitains, ou d'origine étrangère, vous avez tous appris à faire de vos différences une force dans l'exercice quotidien de vos missions.
Je sais les difficultés auxquelles vous vous mesurez chaque jour dans vos fonctions. Je sais aussi vos succès, et je mesure les efforts que vous avez dû déployer pour permettre à un nouveau service d'urgences de voir le jour, il y a deux ans, ainsi que pour ouvrir ce tout nouveau service d'hébergement pour personnes âgées dépendantes.
Ces réussites sont les vôtres, ce sont aussi un peu celles d'un certain nombre de valeurs qui portent un nom, et un seul : la République. De même que vous avez pu compter sur le soutien de l'Etat pour accomplir ces réussites, je veux que vous sachiez que les services de mon ministère soient toujours à vos côtés pour vous aider à relever les défis de l'avenir.
La tarification à l'activité sera une réalité dans les DOM-TOM en 2010, autant dire demain. Si je souhaite que vous prépariez dès maintenant cette échéance, je veux vous dire ici que vous n'avez pas à craindre une application aveugle de la T2A. Les situations de précarité dans laquelle se trouve un grand nombre de vos patients ont une véritable incidence sur les conditions de leur accueil, j'en ai conscience. Aussi, je souhaite que nous puissions travailler ensemble, dans le dialogue et la concertation, pour prendre en compte votre situation particulière, tout en définissant rigoureusement les missions qui doivent être celles d'un centre comme le vôtre.
Si je suis venue au Centre Hospitalier Andrée Rosemon, c'est aussi parce que votre établissement incarne les particularités des missions de l'hôpital en Guyane. Vous assurez en effet le fonctionnement de 21 pôles délocalisés, garantissant des soins de proximité et des actions de prévention aux habitants de communes disséminées sur toute l'immensité de la terre de Guyane.
L'éclatement des interventions que vous êtes amenés à assurer appelle une coordination resserrée avec les autres acteurs du monde de la santé guyanaise. Je souhaite que, devant la difficulté que pose le recrutement de certains spécialistes, vous puissiez nouer de vrais liens d'échange et de synergie entre hôpitaux.
A cet égard, je ne peux que me réjouir de la coordination qui est en train de voir le jour entre votre centre hospitalier et ceux de Kourou et de Saint-Laurent du Maroni, en matière d'imagerie médicale.
L'organisation des soins en Guyane repose en partie sur le concours de nombreux médecins étrangers - près de soixante-dix aujourd'hui. Il me semble utile et juste que les gardes de ces médecins, puissent être rémunérés comme celles de leurs homologues attachés français, même lorsqu'ils ne sont pas ressortissants d'un pays membres de l'Union Européenne.
Dès mon arrivée à la tête de ce ministère, il y a un an, j'ai signé un arrêté dans ce sens pour une période allant jusqu'à 2009. Je vous annonce aujourd'hui que cet arrêté sera reconduit.
Le président de la République, lors de son déplacement en février dernier, a souhaité que soit amélioré de manière substantielle le recrutement facilité des médecins étrangers en milieu hospitalier et dans le secteur libéral. Ces mesures dérogatoires, mises en places en 2006, ont déjà montré leurs effets positifs, puisqu'elles ont non seulement permis de maintenir en Guyane un service performant de réanimation néo-natale, mais aussi de concourir au doublement de l'effectif des médecins salariés depuis 2000. Je souhaite que nous donnions à ces mesures incitatives toute leur portée, en concertation avec les représentants des médecins, le Conseil de l'Ordre, et les établissements de santé.
Le Président de la république a d'autre part souhaité que les modalités et le contenu des épreuves de l'examen que passent en métropole les médecins étrangers soient aménagés. Les services de mon ministère travaillent actuellement à définir ces nouvelles conditions, qui seront inscrites dans la loi.
Si la Guyane mérite aujourd'hui de pouvoir compter sur un plus grand nombre de médecins, votre système de santé n'en montre pas moins de vrais signes de dynamisme. Vous le savez, deux cliniques viennent de faire l'objet d'un rachat à Cayenne. L'apparition de ces nouveaux acteurs du monde de la santé est une chance pour les habitants de Cayenne, une chance pour toute la Guyane. C'est aussi, et avant tout, une chance pour vous, un aiguillon qui vous poussera plus avant dans la voie de l'excellence- je pense notamment à certains de vos services qui présentent des signes de vétusté et qui devront dès lors être rénovés.
Si j'ai voulu venir en priorité au centre Andrée Rosemon de Cayenne, dans cet établissement dont j'aime à penser qu'il n'est pas situé pour rien rue des Flamboyants, c'est parce que nous trouvons ici un condensé des défis que notre système de soins doit relever sur l'immense territoire des départements et des territoires d'outre mer.
Le président de la République, vous le savez, vient de fixer le cap d'une réforme majeure de l'hôpital en métropole. Vous en connaissez sans doute les quatre grands axes : amélioration des urgences, équité de l'accès aux soins sur l'ensemble du territoire, meilleure gestion de l'hôpital, soutien à la recherche et à l'enseignement. Les recommandations de Gérard Larcher dessinent l'avenir de l'hôpital en métropole. Je veux aujourd'hui que nous nous donnions les moyens de compléter ce dispositif ambitieux, en lui adjoignant un Plan « Hôpital, Santé, Outre Mer. »
Les établissements publics de santé des départements d'outre mer éveillent chez les uns et les autres des phantasmes contradictoires. Pour les uns, s'impose l'image d'un monde complexe, conflictuel, en butte à de perpétuels déficits. Pour les autres, c'est le doux rêve d'une médecine en vacances, au rythme des langueurs océanes. Ces phantasmes ne partagent guère qu'un point commun, leur éloignement radical d'une réalité autrement plus exigeante, mais aussi autrement plus stimulante professionnellement et humainement.
Il faut désormais apprendre à nous défaire de ce bagage de représentations exotiques, pour mettre au point une politique dynamique de développement hospitalier et sanitaire dans les départements d'outre mer.
J'ai la ferme conviction qu'une politique de santé, quelle qu'elle soit, reste d'abord et avant tout une politique, au sens le plus risqué de ce terme. Toute politique de santé implique des choix de société essentiels. Ce qui se joue dans notre politique de santé, ce n'est rien de moins qu'une certaine idée de ce qui fait l'identité et les valeurs fondatrices de notre pays, la France.
La dimension politique de la santé n'est nul part ailleurs plus visible que dans les départements d'outre-mer, nulle part ailleurs plus manifeste. Nous voyons ainsi combien l'afflux d'immigrants poussés par la famine, ou par le besoin de se faire soigner, peut engendrer de tensions, à Mayotte vis-à-vis des Comores ou de Madagascar, à la Guadeloupe et à la Martinique vis-à-vis d'Haïti, et bien sûr, ici même en Guyane, avec le Brésil ou le Suriname.
Dans ces départements et ces territoires d'outre-mer, le système de soins se retrouve dès lors pris entre deux feux. Les professionnels de la santé sont amenés à gérer des situations d'une grande complexité, auxquelles ils n'ont été préparés ni professionnellement, ni personnellement. Et je sais que beaucoup d'entre eux, quelle que soit leur origine, lorsqu'ils se voient ainsi contraints de naviguer à vue, éprouvent un vrai sentiment d'abandon.
Il nous revient désormais de choisir d'assister à tout cela en spectateurs, depuis le confort de bureaux parisiens, ou d'agir.
J'ai fait le second choix, celui d'une action résolue et ambitieuse, pour garantir à tous les Français, de métropole et d'outre-mer, la même qualité, la même équité, et la même sécurité des soins, tout en tenant compte des particularités de chacun.
Les problèmes que posent l'immigration sanitaire ne sont de fait qu'un exemple parmi tant d'autres des problématiques auxquelles notre système de soins est confronté dans les départements d'outre mer.
Pour demeurer une et indivisible, la République se doit désormais de saisir ses départements d'outre-mer dans leur singularité, afin que les Français bénéficient tous des mêmes droits et des mêmes accès aux soins.
A cette fin, je souhaite que nous puissions tous, acteurs locaux du monde de la santé, du monde économique, de la représentation syndicale, des associations de patients et d'usagers et des pouvoirs publics, réfléchir ensemble à ce que sera l'hôpital de demain, dans les départements d'outre-mer. Cette réflexion doit impérativement prendre en compte non seulement ce qui fait la singularité de ces départements, mais aussi les moyens de garantir dans les DOM la pratique d'une médecine de pointe, exigeante, ambitieuse et efficiente.
D'ores et déjà, six pistes de réflexions me semblent s'imposer.
La première voie que je souhaite explorer est celle du développement de la formation initiale sur place, et de la formation permanente à distance.
La télémédecine doit faire l'objet d'un développement énergique. Le télé-enseignement, et la création de banques de données et de cellules de veille technologiques sont particulièrement adaptés à la Guyane.
Les conseils régionaux auront un grand rôle à jouer dans de telles mesures, qui permettraient de rompre l'isolement des professionnels de santé, de faire partager les innovations locales, de désenclaver certaines zones sanitaires et d'éviter les déplacements coûteux.
Par ailleurs, de nombreux cadres, de nombreux médecins, de nombreux professionnels de santé sont appelés à venir exercer leurs missions dans les DOM. C'est pourquoi je crois impératif de mettre en oeuvre une véritable politique de gestion des ressources humaines au sein du monde de la santé.
Trop souvent en effet, leur passage dans les DOM est assimilé à une parenthèse de vie. Or celles et ceux qui viennent s'installer dans les DOM, qu'ils s'agissent de médecins, de directeurs d'hôpital ou de cadres de la santé, doivent au contraire pouvoir faire de cette expérience.
Pourquoi ne pas sélectionner leurs profils, afin que les ambitions des uns et les besoins des autres puissent se compléter ?
Nous devons également réfléchir à des nominations contractualisées, ce qui nous permettrait de définir des objectifs et des critères d'évaluation objectifs.
Enfin, il me semble essentiel que ceux qui veulent prêter leur concours au système de soins dans les DOM bénéficient d'une préparation avant leur départ et d'un accompagnement au retour.
Je souhaite, dans un troisième temps, que nous puissions rénover le dialogue social en privilégiant la concertation, plutôt que les à-coups et les crises, qui sapent la confiance entre les partenaires sociaux et conduisent trop souvent au blocage. A cette fin, je propose de mettre au point un système de baromètre social, afin de permettre aux uns et aux autres d'évaluer objectivement le climat social.
Nous devons également prendre en compte, dans la rémunération des différents acteurs du monde de la santé, les spécificités liées à l'insularité et à l'éloignement.
Enfin, je souhaite que puisse se tenir chaque année, dans chaque département, une conférence de bilan social.
Quatrième point, je veux promouvoir les cadres locaux et préparer la relève médicale. A cette fin, nous pourrons d'une part renforcer les dispositifs locaux de formation des cadres.
Les étudiants en médecine doivent par ailleurs requérir toute notre attention, qu'ils soient en premier cycle, ou qu'ils s'apprêtent à partir en métropole pour le second cycle. Quel soutien, et quelles perspectives pouvons-nous leur offrir, pour convaincre ces étudiants très motivés de revenir faire leur troisième cycle dans leur université d'origine ? La question est posée, je souhaite que nous puissions y répondre ensemble rapidement.
Le cinquième point concerne le renforcement de la lutte contre les conduites addictives et la transmission du VIH, question particulièrement douloureuse en Guyane. Je tiens à cet égard à rendre hommage à L'INPES, dont la dernière campagne a été exemplaire. Nous devons désormais renforcer la coordination des actions, des compétences, et des moyens mis en oeuvre pour la lutte contre le SIDA.
Dans cette optique, la Guyane fera demain figure de département pilote. J'ai choisi de confier à Monsieur le Préfet Laflaquière la coordination de la lutte contre le SIDA. La responsabilité que le lui confie est considérable, et je souhaite que les résultats qu'il obtiendra nous conduisent à reproduire ce modèle dans d'autres départements d'outre-mer.
Enfin, sixième et dernier point, la France doit faire fructifier les particularités médicales, scientifiques, et environnementales des DOM.
Les départements d'outre-mer sont confrontés, outre les problèmes liés à l'environnement à des maladies infectieuses, telles que la Dengue, le paludisme et le Chikungunya, dont les conséquences sont dramatiques. Contrairement à une idée reçue, et comme en témoigne la récente apparition du Chikungunya en Italie, l'émergence de ces virus sous d'autres latitudes est possible. Les départements d'outre-mer ont développé des compétences très pointues sur ces sujets. Je souhaite qu'ils puissent se constituer en véritables laboratoires sur ces enjeux.
Les contraintes liées à l'éloignement des départements d'outre mer, et leur dissémination sur un espace particulièrement vaste requièrent en outre, plus qu'ailleurs, le développement de la télé-médecine. Je souhaite que les DOM à ce titre fassent figure de tête de pont pour ces techniques porteuses de grands progrès en puissance.
Dans cette perspective, j'ai demandé à Annie Podeur, directrice de l'Hospitalisation et de l'Organisation des Soins, de constituer un groupe d'action. Le 15 juillet prochain, ce groupe me remettra un programme complet, territorialisé selon les spécificités de chaque territoire, et assorti d'objectifs rigoureux, précis et chiffrés.
J'insisterai ici sur la méthode que j'ai choisie de mettre en oeuvre. Elle se décline en trois points : la concertation, la concertation, la concertation.
Les services de mon ministère travailleront ainsi en lien étroit avec les équipes d'Yves Jégo, au secrétariat à l'Outre-mer, et de Valérie Pécresse au Ministère de la Recherche et de l'Enseignement Supérieur.
Je compte d'ores et déjà sur la participation active à cette réflexion des acteurs locaux, issus d'horizons différents et néanmoins complémentaires : les directeurs d'agence régionale d'hospitalisation, les préfets, et les DSDS, ainsi que les fédérations hospitalières régionales publiques et privées. Les élus locaux devront naturellement constituer une force de proposition importante dans ce grand mouvement de réflexion collective, avec les associations d'usagers des DOM.
On vous a trop longtemps imposé des mesures taillées à Paris, mal adaptées aux singularités de vos départements. Ce temps aujourd'hui est révolu. L'organisation de notre système de soins dans les départements d'outre-mer s'apprête ainsi à ouvrir un nouveau chapitre de son histoire. Le 15 juillet prochain, nous disposerons d'une feuille de route pour chaque département d'outre-mer. Elle dessinera l'avenir de l'organisation des soins dans ces départements français.
Quels que soient les obstacles et les défis que nous aurons à relever ensemble, sachez que vous pourrez toujours compter sur moi pour vous soutenir et vous accompagner dans cet effort.
Le chemin qui nous reste à parcourir est long, est ardu. Mais je sais qu'ensemble, nous parviendrons à doter la Guyane, et tous les départements d'Outre-mer, d'un système de soins plus efficace, plus sûr, plus juste. D'un système des soins qui vous ressemble.
Je vous remercie.Source http://www.guyane.pref.gouv.fr, le 15 mai 2008