Interview de M. François Chérèque, secrétaire général de la CFDT à "Libération" le 29 avril 2008, sur la durée des cotisations, l'assurance chômage, la retraite, la Confédération européenne des syndicats et la représentativité syndicale.

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Q - Vous avez été reçu hier soir par Xavier Bertrand. Quels sont les points d'accord et de désaccord avec le gouvernement ?
R - Nous avons plusieurs points de désaccord. D'abord, la copie est à revoir sur le déclenchement progressif du passage à quarante et un ans, dès 2009, et sur l'absence de revalorisation des basses pensions. Par ailleurs, je déplore que la question de la pénibilité ne soit pas évoquée et que rien ne soit prévu pour augmenter le Fonds de réserve des retraites. En revanche, la CFDT est satisfaite de la reconduction du départ anticipé des salariés qui ont commencé à travailler jeunes, les fameuses «carrières longues».
Q - La vraie question n'est-elle pas d'abord celle de l'emploi des seniors ?
R - Elle est centrale. Et c'est bien parce que l'emploi des seniors n'a pas progressé depuis 2003 que nous disons stop. Pas d'allongement de la durée de cotisation tant que des progrès significatifs ne sont pas faits. Je rappelle, qu'en France, seulement 38 % des 55-64 ans sont encore au travail au moment de liquider leur retraite, contre 44 % en moyenne en Europe. Les négociations à venir sur l'assurance chômage, la gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences (GPEC) et la formation professionnelle doivent permettre de changer les mentalités et les pratiques dans ce domaine.
Q - Il est aussi question de basculer une part de la cotisation d'assurance chômage sur l'assurance vieillesse. Où en est la négociation, alors que le gouvernement réunit une table ronde le 6 mai ?
R - Elle doit se terminer avant la fin de l'année. L'enjeu de la réunion du 6 mai est de déterminer la part de cotisations d'assurance chômage qui doit être affectée au remboursement de la dette de l'Unédic, celle qui sera consacrée à l'amélioration du système, et celle que l'on pourrait transférer vers les retraites. Et ce dernier thème n'est pas négligeable, quand on sait qu'un point transféré permettrait d'améliorer de 40 % le financement de l'assurance vieillesse d'ici 2020.
Q - Sur l'assurance chômage, la CFDT n'est-elle pas échaudée par son expérience de gestionnaire de l'Unédic ?
R - L'épisode des recalculés en 2004 nous a conduits à nous interroger sur notre rôle de gestionnaire et sur la façon dont ce rôle est compatible avec nos objectifs revendicatifs. Ainsi, nous avons pris la décision de ne jamais confier à la même personne la conduite de la négociation et la gestion d'un organisme. L'autre question importante est celle du partage des rôles entre les partenaires sociaux et la puissance publique. L'État doit assurer la gestion de ce qui ressort de la solidarité nationale, qu'il finance avec les impôts. Notre responsabilité est de gérer l'assurantiel, c'est-à-dire le salaire différé.
Q - Le 1er mai, vous défilez à Paris avec Bernard Thibault. Une première depuis 2003. Faut-il y voir le signe de l'alliance des deux grands syndicats contre les petits, résultat de la « position commune » sur la représentativité syndicale signée par la CFDT et la CGT ?
R - Cela n'a rien à voir. Tous les ans, je participe à un défilé du 1er mai, souvent unitaire comme l'année dernière à Metz. Cette année, l'union régionale CFDT d'Ile-de-France a décidé de participer à la manifestation parisienne avec la CGT, la FSU, l'Unsa et Solidaires. J'ai donc choisi de défiler avec eux. Et les sujets d'actualité ne manquent pas.
Q - Le secrétaire général de l'Unsa, Alain Olive, sera lui à Strasbourg. Que pensez-vous d'un éventuel rapprochement entre l'Unsa et la CFE-CGC ?
R - C'est déjà un premier résultat plutôt positif de la «position commune» ! Deux organisations syndicales envisagent un rapprochement : notre réflexion vise justement à éviter un trop grand morcellement du syndicalisme. C'est le sens de la règle des 10 % dans les entreprises et de 8 % dans les branches ou au niveau interprofessionnel. Mais je suis convaincu que la fusion de deux syndicats par le sommet n'est pas opérante. Nous avons nous-mêmes engagé, il y a quelques années, un travail de ce type avec l'ex-FEN [Fédération de l'éducation nationale, dont est issue l'Unsa, ndlr]. Nous avions mis en place des groupes de réflexion et décidé qu'un rapprochement serait étudié après la création de l'Unsa et une adhésion commune à la Confédération européenne des syndicats (CES). En faisant le choix de se rapprocher de la CGC, l'Unsa met fin à nos réflexions passées.
Q - Donc la CFDT a décidé de virer l'Unsa de la Confédération européenne des syndicats ?
R - La représentation commune de la CFDT et de l'Unsa s'appuyait sur une démarche de rapprochement de nos deux organisations. L'Unsa a rompu cette dynamique. Nous en prenons acte. C'est dommage car la Confédération européenne des syndicats favorise souvent les convergences entre les syndicats français, y compris avec la CGT.
Q - Quand l'Unsa s'est créée en 1994 après l'implosion de la FEN, il était question de créer, avec la CFDT, un pôle syndical réformiste. N'êtes-vous pas dans le dépit amoureux ?
R - L'idée qu'il y aurait un pôle syndical réformiste et un pôle révolutionnaire n'est pas forcément très pertinente. Quand en 1990, alors que le mur de Berlin venait de tomber, des militants de la FEN, dont son secrétaire général, Yannick Simbron qui vient de disparaître, se sont rapprochés de nous, c'était un débat de fond qui partait des pratiques syndicales. Aujourd'hui les responsables de l'Unsa, dont une partie est issue de FO et formée au militantisme par le trotskisme, raisonnent uniquement en termes d'organisation sans s'appuyer sur des valeurs et des pratiques syndicales de terrain. Or, entre la CGC et l'Unsa, elles sont bien souvent opposées, et pas uniquement entre leurs syndicats de policiers.
Q - Pourtant ces deux syndicats sont souvent proches de la CFDT. La CGC par exemple sur les retraites, ou l'Unsa sur l'assurance maladie...
R - Sauf que l'Unsa s'est opposée à la réforme des retraites de 2003 que soutenait la CGC. Et je ne suis pas certain que les militants Unsa qui gèrent la mutuelle de l'Education nationale se retrouvent sur les positions de la CGC en matière de complémentaire santé.
Q - N'êtes-vous pas en train de changer les règles de la représentativité syndicale au profit des deux principales confédérations, la CGT et la CFDT, en reléguant à plus ou moins brève échéance tous les autres dans un rôle marginal ?
R - Nous voulons changer en profondeur les règles de représentativité, c'est une évidence, et 2008 va marquer un tournant essentiel. Mais les règles issues de la position commune, qui doivent encore être transposées dans la loi, ne sont pas dirigées contre les petits syndicats. Elles remettent en question l'ensemble de nos organisations, y compris la CFDT et la CGT, en fondant leur légitimité sur leur présence et leurs pratiques dans les entreprises et les administrations. Nous risquons tous de nous voir remis en cause dans une entreprise ou une branche professionnelle où nous ne serions pas capables de démontrer la réalité de notre présence. Mais c'est à ce prix que nous pouvons légitimer la démocratie sociale.
Propos recueillis par François Wenz Dumas source http://www.cfdt.fr, le 30 avril 2008