Texte intégral
C. Barbier.- Dialogue de sourds, hier, entre X. Bertrand, ministre du Travail, et vous-même, les syndicats, sur le passage à 41 ans de cotisations pour les retraites. Vous voyez tout à l'heure le Premier ministre, F. Fillon, qu'allez-vous lui dire ?
Eh bien nous allons lui répéter ce qu'on a dit hier sur les retraites : dans la loi qui porte son nom, il était prévu un rendez-vous en 2008, c'est ce qu'on fait, et il était prévu la possibilité de différer le passage à 41 ans, en fonction, en particulier de l'emploi des seniors, c'est-à-dire la capacité de travailler des salariés de plus de 55 ans. Je dis bien "différer", c'est-à-dire déplacer, prendre la décision de le faire plus tard. Parce qu'aujourd'hui, si on le fait, il n'y a qu'un tiers des salariés qui passeront à 41 ans, c'est injuste ! Et en plus, comme ils ne peuvent pas travailler 41 ans, cela fait baisser leur pension.
Est-ce que ce n'est pas un peu court, le seul argument, l'emploi des seniors, alors qu'il n'y a pas d'élément démographique nouveau majeur qui remette en question cette loi que vous avez soutenue à l'époque ?
C'est "court", non, dans le sens où on l'avait prévu, puisque justement, on sait très bien que cette mesure n'est pas suffisamment efficace. Elle ne rapporte pas, en fait, suffisamment pour le système de retraite. Alors moi, je lui ai proposé une solution alternative. En France, on a fait le choix de ne pas faire travailler les seniors, c'est un choix collectif, on en subit les conséquences maintenant, et les entreprises ont une forte responsabilité. Donc, ce que je propose, c'est qu'on augmente la cotisation des entreprises, de 0,5 %, jusqu'au moment où l'emploi des seniors arrivera au niveau européen et à ce moment-là, on déclenche les 41 ans et on baisse la cotisation des entreprises de 0,5. C'est-à-dire provisoirement faire payer aux entreprises l'effort qu'elles n'ont pas fait et une fois qu'elles auront fait l'effort, on fait baisser cette cotisation.
C'est-à-dire qu'on va dépasser 2012 pour le passage aux 41 ans avec votre système ?
La moyenne européenne, elle est à 43 %, en France on a 38 % d'employés seniors. Si on atteint la moyenne européenne en deux ans, au bout de deux ans on commencera à déclencher le passage à 41 ans. C'est histoire de motiver les entreprises, en disant : "puisque vous ne voulez pas garder les employés seniors, vous payez ; si vous les gardez vous payez moins".
Si dans deux ans, on commence à appliquer les 41 ans, on fait les quatre trimestres sur deux ans, parce que là, on va faire 2008- 2012... ?
Non, on peut décaler de deux ans. De toute façon, financièrement, ce que je propose est équilibré jusqu'à cette époque là.
Est-ce que la solution du Gouvernement n'est pas la même finalement, puisqu'il dit aux entreprises, "attention, si vous n'employez pas les seniors, il y aura des pénalités financières pour vous". Ce n'est pas des 0,5 % de cotisations retraite, ce sera l'amende.
Oui, mais il y a une injustice. En 2003, on s'était engagé - j'en sais quelque chose - à la CFDT, on s'est engagé à empêcher les entreprises de mettre à la retraite d'office, d'arrêter les préretraites, c'était un engagement des entreprises. Or le Gouvernement a cédé devant les entreprises en 2003, c'est-à-dire que le Gouvernement a modifié la loi pour faire plaisir aux entreprises, pour qu'elles continuent à expulser les seniors du travail, et aujourd'hui ils font payer aux salariés la légèreté du Gouvernement, ce n'est pas normal !
Etes-vous sûr que les seniors ont encore envie de travailler quand on a 55, 57 ans, on est fatigué...
Mais c'est un des problèmes dans notre pays. Les personnes, et je comprends, veulent quitter le travail ; il faut changer les mentalités ! C'est-à-dire qu'il faut anticiper sur ces problèmes par de la formation, par de l'accompagnement, en modifiant l'organisation du travail pour que les seniors aient plus de facilité pour travailler jusqu'au bout. Il faut multiplier les retraites à mi-temps, c'est-à-dire je pars à mi-temps, je travaille à mi-temps. Il y a des possibilités, comme dans les autres pays, de trouver des solutions, mais on ne peut pas le faire du jour au lendemain.
51 % des Français, selon BVA pour Les Echos ce matin, sont d'accord avec ce passage à 41 ans ; est-ce que, finalement, vous n'êtes pas à rebours de la société qui a pris acte ?
Mais 51 % des Français, quand vous avez à cet âge-là qu'un tiers des salariés qui travaillent ! Quand on est retraité, qu'on ne travaille pas, il est facile de dire que les autres doivent travailler à 41 ans. Demandez aux salariés, la majorité des salariés n'est pas d'accord.
Pourquoi refusez-vous la proposition du Medef, qui dit : "on ne bouge pas, on garde 40 ans, mais on repousse l'âge légal de la retraite à 61 ans" ? Cela obligera les entreprises à ne pas se débarrasser des seniors !
Oui, mais quelle va être la solution, quelle va être la conséquence ? Le salarié qui a commencé à travailler à 16 ans, qui aujourd'hui, grâce à la CFDT peut partir à 56 ans, il cotise 42 ans. Si vous lui dites, "vous partez à 61 ans", il va cotiser 45 ans ! Alors que le cadre, qui a fait ses diplômes d'ingénieur, qui a commencé à travailler à 22 ans, lui, il va cotiser 39 ans. Donc on va demander aux ouvriers de travailler plus longtemps et aux cadres de travailler moins longtemps, c'est injuste !
Alors justement, pour ceux qui travaillent plus longtemps, au-delà des 40, 41 ans, le Gouvernement propose une sur-côte intéressante cette fois-ci, ils toucheront une meilleure retraite.
Ça, c'est le choix, c'est-à-dire ceux qui veulent travailler plus longtemps, eh bien ils ont une meilleure retraite. Donc le gouvernement propose d'améliorer leur retraite de 5 % par année de travail. On propose même, nous, d'aller jusqu'à 7 ou 8 %. C'est-à-dire que la première année, on a un vrai choix ; cela laisse la possibilité aux gens de décider, c'est mieux de faire évoluer les choses par le choix que par la contrainte.
Sur la retraite anticipée, en cas de pénibilité pour les métiers pénibles, accusez-vous le patronat d'enliser les négociations ? Etes-vous sensible aux propos de X. Bertrand qui veut obliger le patronat à se remettre autour de la table ?
"Les propos de X. Bertrand"... : c'est nous qui lui avons proposé ça, c'est-à-dire que dans la loi 2003, on avait une obligation de négocier avec le patronat pour trouver une solution pour les travailleurs qui ont une atteinte à la santé, qui ont une espérance de vie plus courte, pour qu'ils puissent partir plus tôt, parce qu'il y a une injustice, ils sont à la retraite, ils décèdent plus tôt. On n'a pas trouvé de solution avec le patronat, le patronat bloque. Donc, maintenant, monsieur Bertrand - et c'est un point positif d'hier - nous dit : "si vous ne trouvez pas de solution d'ici la fin du mois de mai j'imposerai une solution par moi-même et je ferai payer les entreprises". C'est une démarche que l'on soutient, d'où le fait que maintenant, il va falloir faire pression sur le patronat pour trouver une solution.
Manifestations du 1er mai, unitaires à Paris, CFDT et CGT seront côte à côte - vous en serez. Est-ce que c'est le début d'une grande mobilisation anti-retraite, comme le souhaite B. Thibault ?
Ecoutez, on va voir. On a des divergences entre organisations syndicales, en particulier sur les 41 ans. A la CFDT, on souhaite les décaler, d'autres souhaitent s'y opposer, donc ce n'est pas tout à fait, je dirais, une convergence. Mais je pense qu'il est important de montrer au Gouvernement qu'on est en désaccord pour ce déclenchement maintenant, et qu'on faire pression sur le patronat sur le problème de la pénabilité. Donc on a des sujets de manifestation, on va faire une manifestation le 1er mai, on verra si on en fait une deuxième, et on verra le succès qu'on aura dans ces manifestations.
Si vous en faites une deuxième, est-ce que cela pourrait être le 15 mai, comme le suggère Force Ouvrière pour vous additionner avec les manifestations sur l'école et les lycéens ?
Non, quand même, utiliser les lycéens comme force d'appoint pour défendre nos retraites, je trouve ça déplacé. Excusez-moi, les lycéens doivent avoir leur mouvement autonome, donc il n'est pas question que le 15 mai soit une journée sur les retraites pour la CFDT.
On peut additionner les mouvements sociaux, on l'a vu en 1995, on l'a vu en 2003...
Non, l'amalgame n'apporte jamais rien, ça, c'est un point important. Et deuxièmement, je le dis bien, je souhaite qu'on trouve des problèmes (sic) pour la jeunesse et on ne va pas faire croire que la jeunesse trouvera les problèmes dans les retraites des seniors, ça c'est un amalgame qui est insupportable. Les jeunes sont inquiets, il faut leur donner des réponses sur leur avenir ; dissocions nos problèmes d'adultes des problèmes de la jeunesse.
Si on favorise l'emploi des seniors, les juniors vont rester au chômage plus longtemps...
Non, je ne le pense pas. La France est le pays qui a le chômage des seniors le plus élevé et l'accès à l'entreprise des jeunes le plus faible. Donc on est mauvais des deux côtés.
Loi de modernisation de l'économie adoptée hier en Conseil des ministres. Elle prévoit de multiplier les implantations de grandes surfaces commerciales, approuvez-vous ?
C'est la première loi très libérale du Gouvernement. Donc provoquer une compétition sur le commerce, c'est bon pour les prix. Mais ceci dit, le rapport Attali qui proposait ça, proposait un plan très important pour les commerces de centre-ville ; rien du tout pour les projets du Gouvernement ! C'est-à-dire qu'on va uniquement dans la libéralisation, on n'aide pas les commerces de centre-ville. Donc j'ai une inquiétude pour les centres-villes. Ensuite, on voit bien, on va développer le discount, le hard discount, on sait très bien ce que c'est que travailler dans une entreprise de hard discount, on voit bien tous les conflits sociaux qu'on a. Donc au bout d'un moment, travailler sur les prix, oui, c'est important pour les consommateurs, mais il faut que l'on respecte le travail, ce n'est pas le cas des hards discount très souvent. Et puis, il faut que l'on pense aussi aux entreprises qui fournissent ces grandes surfaces, sur lesquelles on fait une pression terrible, et j'ai peur que ce soit aussi la suppression de pas mal de PME qui ne supporteront pas la concurrence. Donc on ne peut pas voir ce problème-là sans voir les conséquences derrière et le Gouvernement ne les voit pas.
C. Lagarde assure que cette LME va créer 50.000 emplois pendant cinq ans, chaque année. Une note secrète de Bercy dit même qu'il y aura un point de croissance à gagner à moyen-long terme ; vous croyez à cet optimisme ?
C'est ce qu'on nous a dit sur le "travailler plus pour gagner plus". Cela devait révolutionner le monde du travail, on voit bien qu'on n'y est pas. Donc je me méfie des prévisions. Mais ceci dit, je répète : je suis inquiet pour le commerce de centre-ville et je voudrais qu'il y ait des mesures d'accompagnement pour le commerce de centre-ville et que l'on travaille sur la qualité des emplois dans ces magasins-là. Or les magasins de hard discount qui se développent, la qualité de l'emploi est terrifiante parfois, en termes de conditions et de salaires.
Peugeot Motocycles propose aujourd'hui à ses salariés un donnant-donnant : l'entreprise reste en France, produit en France si la RTT est abolie. Encouragez-vous le comité d'entreprise à accepter le marché ?
On vient aujourd'hui de signer un accord entre le patronat, la CGT et la CFDT, qui donne la possibilité de déroger aux accords de branche sur les heures supplémentaires. Utilisons cette possibilité dans les entreprises pour négocier dans ce type d'entreprise. Ce n'est pas la peine de faire du chantage à l'emploi, on a maintenant les outils que, quand même, les deux grands syndicats français sont en train de donner pour négocier dans les entreprises. Utilisons ces outils plutôt que de faire ce chantage, qui est à mon avis déplacé. On a la possibilité de faire différemment !
CGT et CFDT soutiennent la réforme de la représentativité des syndicats, qui inquiètent les plus petites formations, elles ont peur de disparaître. Etes-vous prêt, par exemple, vous, à fusionner avec la CFTC ?
Mais non, le débat n'est pas là, le débat n'est pas de fusionner ou de ne pas fusionner. Le débat c'est qu'on ait des outils pour travailler ensemble. Là, c'est les salariés qui vont légitimer leurs représentants pour négocier à leur place, c'est-à-dire qu'ils vont voter pour qu'on sache quels sont les syndicats qui peuvent négocier avec eux. Donc, après, c'est nous, dans les entreprises, dans les sections syndicales, de travailler en commun pour amener des résultats aux salariés. Essayons de voir ça de cette façon-là et non pas comme une lutte d'appareil.
En un mot, le PS s'abstient aujourd'hui sur la loi, sur la modernisation du marché du travail, tous les partenaires sociaux étaient d'accord ; vous regrettez cette abstention ?
C'est évident que je regrette. Je pense que le Parti socialiste devrait distinguer ce que sont les propositions du Gouvernement et ce que les partenaires sociaux amènent. Cette logique, où on amène, nous, un résultat, un accord majoritaire, devrait être soutenue par tous les partis politiques. Une abstention, c'est déjà pas mal.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 29 avril 2008