Texte intégral
R. Duchemin.- Quarante ans de cotisations, ça y est, on oublie, c'est derrière nous, ou vous allez vous battre ?
Nous allons nous mobiliser, nous l'avons redit au Gouvernement qui, manifestement ne veut pas entendre nos arguments. Je considère d'ailleurs que c'est comme si nous n'avions pas rencontré le ministre du Travail il y a un mois, pour déposer un certain nombre de propositions, de suggestions, pour assurer la pérennité du système de retraite par répartition et surtout améliorer le niveau des retraites versées. Le Gouvernement s'en tient à des solutions que je qualifierais de "classiques", et qui sont gravissimes de notre point de vue, dès lors qu'elles vont contribuer à diminuer le niveau des retraites versées au fil des années à venir.
Qu'est-ce qu'elles sont devenues vos propositions, elles ont été enterrées, complètement oubliées par le gouvernement ou il en a tenu compte un petit peu dans la manière dont il vous a présenté les choses hier ?
Il y a, dans les huit feuillets qui nous ont été remis, une ligne qui précise que le Gouvernement a pris acte des positions exprimées par les organisations syndicales et patronales, c'est dire le peu de cas qui a été fait de nos approches. Il n'y a donc absolument pas d'esprit de négociation pour définir l'avenir des retraites dans notre pays. Le Gouvernement avait déjà son avis très arrêté sur le sujet, le président de la République l'a confirmé et nous avons l'impression que les consultations d'hier relèvent plus de la parade que de l'esprit de dialogue social que nécessite un chantier comme celui-là. C'est la raison pour laquelle, dès maintenant, il faut plutôt travailler à la mobilisation des salariés, c'est la raison pour laquelle la CGT propose de faire du 1er mai, dès cette semaine, une journée de mobilisation supplémentaire sur le sujet après la journée du 29 mars. Et ce soir, vous le savez, nous avons une rencontre avec l'ensemble des organisations syndicales pour envisager les suites de cette mobilisation.
Alors justement, on a le sentiment d'ores et déjà que vous n'êtes pas tous sur la même longueur d'onde, qu'il y a déjà une division syndicale ?
Je ne le crois pas. Il me semble que toutes les organisations syndicales contestent l'approche que fait le Gouvernement, à savoir ...
A l'exception, peut-être, de la CFDT ?
Demandez à F. Chérèque ce qu'il en pense, je crois avoir lu, avoir entendu à plusieurs reprises que la CFDT n'était pas favorable à une nouvelle étape de l'allongement de la durée de cotisation, dès lors que cela participera - mais ça, nous en sommes, nous, convaincus depuis 2003 - à diminuer le niveau des retraites.
Sauf à ce qu'il y ait des contreparties avec des avancées, notamment sur l'emploi des seniors ; c'est ce qu'avance visiblement ce matin F. Chérèque...
Oui, mais là je crois qu'il faut être lucide sur ce qui risque de se passer. Je voudrais redire d'une part qu'à l'argument qui nous est opposé, quant à l'accroissement de l'espérance de vie qui est une réalité, le Gouvernement ne traite pas de la pénibilité du travail. Et je rappelle que cela fait trois ans que nous négocions avec le patronat sans parvenir à déboucher sur une reconnaissance des métiers pénibles. Nous avions demandé il y a un mois au Gouvernement de prendre une initiative dans l'orientation concernant l'avenir des retraites, c'est un enterrement de première classe pour la reconnaissance de la pénibilité. C'est donc inadmissible que de traiter tous les salariés à la même enseigne sans tenir compte du fait qu'un certain nombre d'entre eux ont une espérance de vie inférieure de sept années, dès lors qu'ils ont travaillé dans des activités et des tâches particulièrement pénibles durant toute leur carrière.
Malgré tout, l'espérance de vie rallonge aujourd'hui, est-ce qu'il ne faut pas aussi en tenir compte quand on calcule les retraites ?
Naturellement. Est-ce que, pour autant, cela signifie qu'à espérance de vie croissante, doit systématiquement et automatiquement correspondre à un allongement de la période travaillée ? Il nous semble que dans un pays moderne comme la France, il est tout à fait concevable que la cessation d'activité salariée ne soit pas synonyme de fin de participation à la vie sociale. Il y a de multiples manières d'être utiles à la société sans que cela dépende ou repose systématiquement sur une relation salariale. Alors, il faut bien dire que le Gouvernement refuse d'envisager d'autres ressources de financement - nous l'avons dit et nous ne sommes pas les seuls à l'avoir dit, la Cour des Comptes elle même a suggéré au Gouvernement de mettre à contribution un plus large panel de revenus, à la fois salariaux mais aussi financiers, pour contribuer au financement de la retraite -, dès lors que le Gouvernement se refuse d'aller sur ces pistes-là, il n'y a pas d'autres solutions que celles qu'il préconise, à savoir durcir les conditions d'accès à la retraite et dès lors qu'il y aura de plus en plus de difficultés pour atteindre les 41 annuités de cotisations pour l'ensemble des salariés, eh bien la seule conséquence ce sera la diminution du niveau des retraites versées à chacun.
Le rendez-vous chez F. Fillon, puisque c'est programmé, servira à quelque chose d'après vous ?
Il me semble - je n'ai pas encore de précision sur l'ordre du jour précis de cet entretien - qu'on est censés regarder l'ensemble des sujets en discussion avec le Gouvernement. Mais je dois dire que dans le climat actuel des discussions, je doute pour l'instant de l'utilité d'une telle rencontre.
L'autre gros dossier - ce sera ma dernière question -, c'était hier la loi de modernisation de l'économie ; vous en pensez quoi vous ? On parle de créations d'emplois importantes, 50.000 par an pendant cinq ans - c'est ce que dit en tout cas C. Lagarde -, on va créer des supermarchés, on va favoriser l'entreprenariat individuel ; ce sont de bonnes nouvelles ?
Moi, il me semble que déjà il faudrait être en capacité de défendre davantage l'emploi existant. Je ne crois pas qu'on puisse donner comme perspective à chacun de nos concitoyens d'être des entrepreneurs ou des employeurs systématiques, je crois que pour qu'il y ait des employeurs, il faut aussi qu'il y ait des employés. Pour ce qui concerne les mesures concernant la concurrence, nous savons, en d'autres domaines, que ce qui est annoncé comme une mise en concurrence, a priori plutôt profitable dans un premier temps aux consommateurs, s'avère très souvent déboucher sur des ententes des principaux groupes, qui ne sont pas d'ailleurs que des groupes français mais des groupes internationaux, qui, une fois la place occupée, pratiquent y compris l'entente. Donc je ne veux pas donner à la concurrence entre enseignes les vertus qu'elle n'a pas. Et il me semble que la question du pouvoir d'achat, du niveau des salaires, serait un point à examiner beaucoup plus pertinent pour contribuer à l'amélioration du pouvoir d'achat et de la consommation des salariés.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 29 avril 2008