Interview de M. Jean-Claude Mailly, secrétaire général de FO, dans "La Tribune" du 28 avril 2008, sur la politique sociale du Gouvernement, l'allongement des cotisations sociales, le pouvoir d'achat, la TVA sociale, le SMIC et la négociation sur l'assurance chômage.

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Média : La Tribune

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LA SEULE CHOSE QUI PEUT FAIRE RECULER LE GOUVERNEMENT, C'EST UNE MOBILISATION FORTE
Q - Comment jugez-vous l'état du pays un an après la victoire de Nicolas Sarkozy et sa volonté affirmée jeudi de maintenir le cap des réformes ?
R - Nous considérons que le chef de l'État n'a pas apporté d'inflexion essentielle à sa politique. Un an après, la France ne va pas bien pour deux raisons principales. La première est liée à la situation internationale et aux répercussions de la crise des subprimes, qui se prolonge aujourd'hui par la crise alimentaire, quelques spéculateurs ayant joué au Docteur Folamour. La deuxième raison se situe sur le plan national. Pour certaines promesses faites par Nicolas Sarkozy pendant sa campagne, les résultats ne sont pas là. Ainsi, les attentes sont toujours très fortes sur le pouvoir d'achat. Les chiffres confirment, comme nous l'avions prédit, que l'opération heures supplémentaires ne concerne essentiellement que ceux qui faisaient déjà des heures supplémentaires et continuent à en faire. Comme de multiples dossiers sont sur la table, les gens n'y comprennent plus rien. Il y a un vrai manque de visibilité à moyen et long terme. Comme disait le général de Gaulle, c'est un peu la chienlit.
Q - Considérez-vous qu'il y a eu une politique de rupture depuis un an ?
R - Tout dépend de ce qu'on appelle «rupture». Sur les éléments de fond, notamment en matière de politique économique, il n'y a pas eu de rupture. Nous sommes toujours sous le coup d'une politique économique restrictive. La France continue de se soumettre à la même logique du pacte de stabilité et de croissance. Rien n'a changé, si ce n'est le décalage dans le temps de l'objectif de retour à l'équilibre des comptes publics: 2012 au lieu de 2010. C'est pour moi l'élément essentiel. À partir du moment où il n'y a pas de changement là-dessus, le reste en découle.
Q - Estimez-vous, comme l'affirme la gauche, que le gouvernement applique un plan de rigueur, sans le dire ?
R - C'est pire que de la rigueur. Pour moi, la rigueur est une parenthèse, comme en 1982-1983. Quand le gouvernement de l'époque a fait un plan de rigueur, ce que nous avions condamné, c'était pour un temps limité. Là, il s'agit d'une politique structurelle, qui passe notamment par la Révision générale des politiques publiques (RGPP). Ce plan d'austérité structurel aura des conséquences, y compris sur notre modèle de société. Notre modèle républicain va glisser vers le modèle anglo-saxon.
Q - Si la TVA sociale semble abandonnée, les Français échapperont-ils à de nouveaux prélèvements ?
R - L'idée de la TVA sociale est enterrée parce qu'un système de TVA, même qualifié de social, aurait obligatoirement des effets sur l'inflation. Avec une inflation à 3,2, ce n'est pas maintenant que l'idée va resurgir. Mais il peut y avoir de nouveaux prélèvements, par exemple pour financer les retraites.
Q - À l'approche du 1er Mai, comment jugez-vous la combativité des salariés ?
R - Cette combativité existe aujourd'hui. Le 1er Mai, nous faisons comme d'habitude. À Force Ouvrière, il n'y a pas de consigne confédérale. Ce sont les départements qui décident. Mais compte tenu des tensions existant sur notamment quatre dossiers -la RGPP et ses conséquences, la retraite, le pouvoir d'achat, l'assurance-maladie-, nous considérons qu'il faut essayer de faire converger une réaction de l'ensemble des salariés. Nous avons proposé aux autres organisations la date du 15 mai, date également retenue par les lycéens et enseignants.
Q - Force Ouvrière va-t-elle appeler à la grève ?
R - C'est une journée de mobilisation. Mais nous n'excluons aucun moyen. La mobilisation, cela signifie des manifestations, voire plus, si nous parvenons à nous mettre d'accord.
Q - Concernant la réforme des retraites, vous vous opposez à l'allongement de la durée de cotisation à 41 ans, mais il est inscrit dans la loi de 2003 et doit s'appliquer quasi automatiquement...
R - Nous refusons en effet les 41 ans de cotisation parce que tout ce qui contribue à allonger la durée d'activité, par définition, est restrictif pour les salariés. Allonger la durée de cotisation, cela conduit à rendre l'acquisition de la retraite à taux plein plus difficile, les salariés vont s'arrêter avant, mais avec une retraite amputée. D'ailleurs, que dit la réforme Fillon de 2003 ? Elle acte le passage à 41 annuités, «sauf élément nouveau». Or je considère qu'il y a pas mal d'éléments nouveaux. L'un concerne le taux d'emploi des seniors, où les choses n'ont pas bougé. Quand bien même le gouvernement annoncerait de nouvelles mesures en faveur des plus de 55 ans, il faudra se laisser le temps de voir si elles sont efficaces. Cela suppose qu'on ne peut pas augmenter la durée de cotisation d'un trimestre dès 2009. Il faut donc rouvrir le dossier.
Q - Quelle pourrait être la bonne mesure qui permette d'améliorer l'emploi des seniors ?
R - Ce ne sera pas simple, parce que tout dépend du comportement des entreprises. On voit très bien que, ces dernières années, elles ne l'ont pas modifié. Lors du débat autour de la contribution Delalande, les employeurs expliquaient qu'elle était contre-productive, qu'ils ne recrutaient plus de salariés de 48-49 ans pour ne pas risquer de payer la taxe Delalande en cas de licenciement d'employés de plus de 50 ans. Ils ont obtenu la suppression de la Delalande, mais ils n'ont pas changé leur comportement. Alors, comment dissuader les entreprises de licencier les seniors ? Il n'y a pas de remède miracle, et le contexte économique et démographique est déterminant.
Q - Qu'est-ce qui pourrait faire reculer le gouvernement ?
R - Il suffit d'un décret pour que le gouvernement bloque la durée de cotisation à 40 annuités. Mais la seule chose qui peut faire reculer le gouvernement, c'est une mobilisation forte.
Q - Comment financer les régimes de retraite sans allonger la durée de cotisation ?
R - Il est tout à fait soutenable financièrement de bloquer à 40 ans. La charge supplémentaire s'élèverait à un peu plus de 4 milliards pour les secteurs public et privé à l'horizon 2020. Si nous ne sommes pas capables de dégager de telles sommes en douze ans, c'est problématique. À titre de comparaison, l'an dernier le gouvernement a fait voter en deux mois un paquet fiscal qui représente, quoi qu'on en pense, 13 à 15 milliards d'euros par an. Nous suggérons par ailleurs des pistes de financement: une taxe de 3% -ou une augmentation de l'impôt sur les résultats- sur les bénéfices non réinvestis qui rapporterait 3 milliards d'euros par an, que l'on pourrait verser au Fonds de réserve pour les retraites (FRR). Nous n'excluons pas non plus une augmentation de la cotisation, une hausse d'un point rapportant un peu plus de 4 milliards. Nous proposons également de soumettre l'intéressement, la participation et les stock-options à cotisation, ce qui peut générer, uniquement pour la branche vieillesse, 3 milliards de recettes.
Q - Que pensez-vous de la piste du gouvernement de baisser les cotisations chômage et d'augmenter d'autant les cotisations retraite ?
R - Nous n'en faisons pas une question de principe, notamment si cela permet de baisser non pas la cotisation patronale, mais la cotisation des salariés. Toutefois, il revient aux partenaires sociaux, et non pas au ministre, de discuter d'une baisse des cotisations d'assurance-chômage. Et, avant d'envisager un transfert de cotisation, il va falloir faire le point sur les droits des salariés au chômage.
Q - La libération du cumul emploi-retraite représente-t-elle un danger ?
R - Aujourd'hui, qui pratique le cumul emploi-retraite? Essentiellement les cadres supérieurs qui ont envie de continuer à travailler et, dans une bien moindre mesure parce qu'ils sont usés, des salariés non qualifiés. Quel est l'intérêt pour le gouvernement de lever les plafonds de revenus pour étendre ce dispositif, si ce n'est de postuler sur le fait que demain les retraites seront insuffisantes et qu'il faudra continuer à travailler pour pouvoir vivre, comme c'est le cas aux États-Unis. C'est le danger du cumul emploi-retraite: vous prenez votre retraite, vous n'avez pas de quoi vivre, alors vous allez pousser des Caddie sur les parkings de supermarchés. Et puis libéraliser les cumuls emploi-retraite, c'est autant d'emplois qui ne sont pas créés. Cela veut dire que les populations salariées les plus jeunes vont aussi être pénalisées pour l'entrée sur le marché du travail.
Q - Pourquoi combattez-vous la fusion ANPE-UNEDIC ?
R - Avec la fusion UNEDIC-ANPE, le rôle des interlocuteurs sociaux sera beaucoup moins important qu'il ne l'était dans l'UNEDIC. On se dirige vers l'étatisation du système et on remet en cause une structure paritaire qui avait fait ses preuves. Le paritarisme, qui est un lieu de responsabilisation pour les syndicats de salariés, comme pour le patronat, est en train de s'éteindre.
Q - La réforme du SMIC préparée par le gouvernement vous inquiète-t-elle ?
R - Tout dépend de ce qu'ils veulent faire. Nous sommes, par exemple, totalement opposés à l'annualisation de la rémunération, car cela contribuerait à intégrer les primes dans le SMIC et donc à ne pas l'augmenter. Nous ne voulons pas non plus que le SMIC soit décidé par une commission dite indépendante. La décision doit appartenir au gouvernement. On peut discuter cependant de la date de revalorisation pour qu'elle intervienne plus tôt dans l'année, au 1er mars ou au 1er janvier. Cela permettrait d'enclencher plus tôt les négociations salariales de branches et de prévoir une clause automatique de rendez-vous de revalorisation dans les branches.
Q - La définition d'une offre «raisonnable d'emploi» est-elle du ressort de l'État ou de la négociation entre partenaires sociaux ?
R - Cette question avait déjà été abordée dans la négociation sur le marché du travail, mais les interlocuteurs sociaux avaient décidé de la renvoyer dans le cadre de la négociation sur l'assurance-chômage. Pour nous, l'offre valable d'emploi doit porter sur la qualification du salarié, la rémunération et la nature du contrat de travail. Au bout de trois mois de chômage, on ne peut exiger d'un demandeur d'emploi qu'il effectue, par exemple, deux heures de transport aller et retour pour aller travailler ou qu'il gagne 30% de moins que son salaire antérieur sous peine d'être sanctionné.
Q - Quels sont les sujets qui doivent être prioritairement abordés dans la négociation sur l'assurance-chômage ?
R - Il y a le problème de la couverture et des droits des chômeurs actuels, mais il faut aussi aborder le problème des travailleurs saisonniers qui, après trois saisons, ne sont plus indemnisés. Nous ferons également tout notre possible pour maintenir la dispense de recherche d'emploi pour les salariés dits âgés, que le gouvernement veut remettre en cause. Car exiger d'un demandeur d'emploi de 57 ans et demi et plus qu'il recherche un emploi est absurde.
Q - Vous vous êtes prononcé contre la «position commune» sur la réforme de la représentativité syndicale. Est-ce parce que cela menaçait l'existence de FO ?
R - Ce n'est pas une inquiétude pour FO, puisque nous sommes d'accord pour remettre en cause ce que l'on appelle la représentativité irréfragable et retenir un critère pour réviser régulièrement la représentativité des syndicats. Pour mesurer l'audience des syndicats, nous avions suggéré de retenir un critère mixte qui prenne en compte les résultats des élections des comités d'entreprise et ceux des prud'homales. Ce dernier critère n'a pas été retenu parce que le MEDEF a peur que, si on le retient parmi d'autres pour mesurer la représentativité syndicale, on le lui oppose demain en termes de représentativité patronale.
Q - Pourquoi êtes-vous contre ce texte ?
R - Ce texte ne traite pas de la représentativité patronale. Il conduit également à remettre en cause, à terme, les conventions nationales collectives de branche. Que l'on mette un critère de majorité qualifiée à 30%, c'est une chose. Mais si, comme le souhaitent certains syndicats et maintenant le patronat, le critère majoritaire se situe à 50%, avec une déconnexion des trois niveaux (entreprise, branche et interprofessionnel), que se passera-t-il demain si, dans une branche, on signe un accord et que, dans l'entreprise, il est décidé d'y déroger avec un accord majoritaire à 50% ? On dérogera. C'est cela le modèle anglo-saxon, puisque l'on négocie au niveau de l'entreprise. Ce texte est également un recul du droit syndical. Aujourd'hui, les confédérations ont le droit de désigner un délégué syndical dans une entreprise où il n'y a pas de syndicat. Celui-ci constitue ensuite sa section et peut négocier avec l'employeur. Demain, la position commune prévoit qu'il faudra avoir une section syndicale avant de pouvoir désigner un représentant syndical qui ne pourra pas négocier avant les élections suivantes, à condition qu'il fasse 10% du premier coup!
Q - Comment expliquez-vous que la CGT et la CFDT aient signé le texte ?
R - C'est une logique d'appareil. Tout en parlant de démocratie, elles ont comme objectif de modeler le paysage syndical. Dans les couloirs on parle beaucoup de trois syndicats à terme, dont FO.
Q - Cela va-t-il se traduire par une recomposition du paysage syndical ?
R - Il y a des syndicats qui se sentent menacés: la preuve, la CFE-CGC cherche à se recomposer. Quand l'évolution du paysage syndical dépend d'une loi ou d'un décret, cela m'inquiète. La CFE-CGC et l'UNSA annoncent un rapprochement qui, visiblement, ne se passe pas si bien. C'est un peu le rapprochement de la carpe et du lapin, celui qui voulait être reconnu et qui a le sentiment qu'il ne le sera pas, et celui qui a peur de disparaître. Pour sa part, comme elle l'a toujours été, FO est une organisation ouverte, sur la base de la liberté et de l'indépendance.
Propos recueillis par Véronique Chocron, Delphine Girard et Isabelle Moreau.Source http://www.force-ouvriere.fr, le 30 avril 2008