Interview de Mme Laurence Parisot, présidente du MEDEF, à France 2 le 30 avril 2008, sur le chômage, la croissance économique, la durée du travail, le passage à 41 ans de cotisations sociales pour la retraite et l'emploi des séniors.

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Média : France 2

Texte intégral


 
 
 
R. Sicard.- Hier, les chiffres du chômage pour mars ont été communiqués : plus 0,4 %. C'est le deuxième mois de hausse depuis le début de l'année, est-ce que cela veut dire qu'il y a un inversement de la tendance ?
 
R.- Pas forcément. Vous savez le progrès d'une manière générale, n'est jamais linéaire. Il faut bien se rendre compte que nous avons, en France, un des taux de chômage les plus élevés du monde occidental depuis des décennies, depuis vingt-cinq, presque trente ans. Donc la tendance favorable que nous mesurions, que nous observions "avec bonheur", si je puis dire, depuis quelques mois, qu'il y ait des hésitations, ce n'est pas surprenant. Et il faut se dire, à partir de là, qu'il faut continuer à prendre des décisions qui vont nous permettre de vraiment faire baisser le chômage. Et hier - je me permets de le souligner, parce que cela a vraiment un lien -, l'Assemblée nationale a adopté un texte, qui est issu du travail des partenaires sociaux - c'est-à-dire des syndicats avec le patronat - et ce texte a vraiment pour objectif d'améliorer le fonctionnement du marché du travail.
 
Q.- C'est ce qu'on appelle la rupture du contrat de travail par consentement mutuel ?
 
R.- Il y a beaucoup de dispositifs dans ce texte, il faut retenir que d'une manière générale, c'est un texte qui va permettre aux chefs d'entreprise d'embaucher plus facilement, plus rapidement, tout en apportant de nouvelles sécurités aux salariés. J'espère que le Sénat va très vite, également, adopter ce texte pour qu'on puisse le mettre en oeuvre, en pratique. Et ça, parmi d'autres choses, permettra de continuer à faire baisser le chômage.
 
Q.- Mais quand même, cette remontée du chômage, est-ce qu'elle n'est pas due aussi à la baisse de la croissance ?
 
R.- On le sait très bien, vous avez raison, qu'il faut à la fois pour lutter contre le chômage et surtout faire en sorte que le pouvoir d'achat, le niveau de vie de l'ensemble des Français augmente significativement, il nous faut un bon niveau de croissance, que nous n'avons pas eu non plus en France depuis des années.
 
Q.- On ne l'aura pas cette année, clairement ?
 
R.- On est en train, je trouve, en France, de bouger des lignes et de faire un nombre de réformes structurantes qui, à mes yeux, vont nous permettre dans les années à venir d'avoir des taux de croissance beaucoup plus favorables.
 
Q.- Mais pour cette année par exemple, qu'est-ce qu'on peut espérer ?
 
R.- Pour cette année, je ne joue pas la prévision de la croissance. Moi, je dis que la croissance c'est un combat, un engagement plutôt quotidien de chacun. On sait très bien que si on bosse un peu plus, si on invente un peu plus, si on est plus créatif pour concevoir un nouveau produit, un nouveau service, cela apporte de la croissance. Si on fait des voyages à l'étranger, l'équipe France réunie, c'est-à-dire chefs d'entreprise et gouvernement, comme on vient de le faire en Tunisie ces deux derniers jours pour emporter des succès commerciaux, cela contribue à la croissance. Bien sûr, la croissance dépend aussi du monde extérieur, de l'environnement international, qui est, comme chacun le sait aujourd'hui, troublé, chahuté.
 
Q.- A propos de "travailler plus", qu'est-ce que vous pensez de la direction de Peugeot qui a dit qu'il faut renégocier les 35 heures, sinon elle délocalise la production de scooters ?
 
R.- Je trouve que l'approche qui consiste à dire, "faisons tout pour garder l'activité industrielle sur notre territoire", c'est évidemment la bonne approche. Et la deuxième chose, qui est, je trouve, une bonne nouvelle dans ce qui a été dit...
 
Q.- Mais ce n'est pas un petit peu du chantage ? C'est un peu ce que disait X. Bertrand...
 
R.- Mais comment peut-on croire qu'une direction d'entreprise veut a priori partir à l'étranger et à tout prix ? Ce n'est pas vrai. On a plutôt envie de tout faire pour rester, même dans des lieux historiques, quand on parle d'une entreprise comme Peugeot, dans des lieux historiques de production. Et ce qui est important, c'est de pouvoir discuter, négocier à livre ouvert avec les organisations syndicales, c'est-à-dire avec les chiffres de production, de productivité, de coût, mis sur la table pour trouver le meilleur équilibre possible, l'optimum, entre temps de travail et équilibre de l'entreprise.
 
Q.- Mais vous, vous dites, qu'il faut supprimer à terme les 35 heures...
 
R.- Oui, nous l'avons dit plusieurs fois. Ce n'est pas supprimer à terme les 35 heures, c'est donner la possibilité, comme l'initiative de Peugeot le montre, de discuter de la durée du travail, entreprise par entreprise. Parce qu'elle n'est pas optimale de la même façon partout et pas toujours non plus au même moment, cela dépend des circonstances. Donc il faut pouvoir discuter avec les syndicats, je trouve que cela doit être une responsabilité propre des organisations syndicales avec la direction de l'entreprise. Ce n'est pas une responsabilité du législateur.
 
Q.- Sur les retraites justement, et à propos des syndicats, il y a une journée de mobilisation qui est prévue le 22 mai contre le passage aux 41 ans de cotisations ; cela promet une vraie épreuve de force...
 
R.- Vous savez, avec les organisations syndicales, nous avons beaucoup travaillé ces derniers mois, nous avons signé des accords, adopté des positions communes très intéressantes, notamment sur le dialogue social...
 
Q.- Mais là, il y a désaccord...
 
R.- Mais là, il reste toujours des thèmes de débat et effectivement de mésentente. Je crois que sur la question des retraites, il faut quand même rappeler un certain nombre d'évidences et, par exemple, ne pas oublier que quand on a conçu notre système de retraite, tel qu'il existe aujourd'hui, il s'agissait de financer, cinq, dix ans, maximum de retraite. Aujourd'hui, compte tenu de l'allongement - et c'est génial - de l'espérance de vie, et compte tenu aussi du fait qu'on rentre sur le marché du travail beaucoup plus tard, parce qu'on fait des études longues, aujourd'hui il faut financer, trente, quarante ans de retraite ! Donc on ne peut pas rester au nombre d'années de cotisations, comme cela a été le cas ces dernières années et on ne peut pas non plus rester à un âge légal de départ à la retraite à 60 ans. Nous sommes le dernier pays, le dernier pays de l'Union européenne et du monde occidental...
 
Q.- Pour vous, l'âge de départ, ça doit être quoi ?
 
R.- D'après les derniers calculs que nous avons pu obtenir du COR, - le Conseil d'orientation des retraites, qui est donc vraiment un comité d'experts et de sages qui réunit tous les acteurs, tous les partenaires sociaux -, on commencerait à rééquilibrer les retraites, si on ajoutait aux 41 années de cotisations, ce qui est tout à fait indispensable, un âge légal de départ à la retraite de 62 ans. Donc je crois qu'il faut comprendre que le débat, il n'est pas terminé sur cette question là.
 
Q.- Mais ce que disent les syndicats, c'est que le problème, c'est que les gens partent bien avant 60 ans, c'est le problème du travail des seniors.
 
R.- Je crois qu'il y a quelques abus statistiques dans l'argumentaire sur les seniors. D'abord, c'est vrai qu'on a un taux d'activité des seniors un peu plus bas en France que dans la moyenne européenne ; un peu plus bas, pas beaucoup plus bas. Mais c'est justement parce qu'on a un âge légal de départ à la retraite à 60 ans. Et vous comprenez bien que, si vous êtes chef d'entreprise, vous avez aujourd'hui quelqu'un à recruter, si vous avez un candidat qui a 58 ans et un autre qui a 28 ans, il y a de forte chance que vous prendrez celui qui a 28 ans parce que vous aurez le temps d'investir sur lui en termes de formation, d'apprentissage. Alors qu'à 58 ans, on se dit que dans deux ans, il va partir et finalement, ce que qu'on lui aura donné dans l'entreprise en termes de formation...
 
Q.- Donc pour améliorer le travail des seniors, il faut reculer l'âge de la retraite ? Cela parait paradoxal...
 
R.- Mais non, vous avez des études qui montrent que la corrélation est parfaite et là où le taux d'activité des seniors est le plus élevé dans les pays où on travaille jusqu'à 65-66 ans. Cela ne veut pas dire que dans les entreprises, on ne doit pas faire des efforts pour que ce qu'on doit faire à 58 ans soit adapté au savoir spécifique qu'on a à cet âge, à l'état physique aussi que l'on peut avoir à cet âge-là.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 30 avril 2008