Texte intégral
R. Duchemin.- Mai 2008, agriculteurs et fournisseurs dans la rue ensemble, c'est prévu, c'est historique, c'est quoi ? C'est votre révolution à vous qui se profile contre la grande distribution ?
R.- Ce n'est pas la révolution c'est simplement vouloir remettre les choses en ordre au niveau de ce projet de modernisation de l'économie. Des avancées très importantes ont été faites dans le cadre de la loi Chatel, récentes, en supprimant les marges arrière, et en clarifiant la négociation. Là, le Gouvernement veut aller beaucoup plus loin et j'allais dire presque rendre ou plutôt légaliser ce que nous dénoncions, il y a encore quelques temps, c'est-à-dire un certain nombre de contreparties non justifiées accordées à la distribution. Et ce que nous voulons, c'est la transparence.
Q.- Oui, dans ce projet de loi, effectivement, qui arrive aujourd'hui sur la table du Conseil des ministres, il y a deux points en priorité, le premier c'est que l'on puisse à l'avenir négocier librement entre distributeur et grandes surfaces, et les fournisseurs. Vous pensez, vous, que ça vous pénaliser, pour quelle raison ? Vous avez le sentiment que ça va vous faire perdre des emplois ?
R.- La négociation, elle est libre, elle a toujours été libre. Mais ce que nous disons avec les entreprises, notamment les petites et moyennes entreprises, c'est que les contreparties que nous accordons à la distribution doivent être lisibles, vérifiables, contrôlables, parce que lorsque je réclame, peut-être plus fort que d'autres, l'observatoire des marges au-delà de l'observatoire des prix, c'est bien pour que l'on puisse contrôler les marges. Sur votre antenne, vendredi midi, j'ai écouté avec attention M.-E. Leclerc et S. Papin, je n'ai jamais entendu dans leur bouche le mot "transparence". Moi, ce que je veux c'est que l'on puisse contrôler clairement les contreparties qu'on leur accorde. C'est-à-dire que si le prix final, en partant d'un prix de départ de 100, pour être très simple en terme d'exemple, ça se termine à 90, on doit être capable de dire pourquoi il y a eu 10 de ristourne et où de rabais se fait.
Q.- Parce que vous avez le sentiment qu'aujourd'hui, c'est encore les grandes surfaces qui font leur beurre sur le dos des petits producteurs ?
R.- Je le pense, et sur le dos des consommateurs, parce que le combat que nous menons, vous savez, moi, je représente les agriculteurs, on peut être surpris que je sois aux côtés des industriels, en particulier des PME. Mais moi, ce que je veux, c'est pouvoir...
Q.- C'est vrai que c'est assez rare et c'est assez surprenant...
R.- C'est surprenant, mais ce que je veux démontrer justement par-là, c'est qu'à chaque fois, qu'il y a une situation de prix très bas payés aux producteurs - et c'est encore un peu le cas en production porcine -, malheureusement, les consommateurs n'en profitent pas ! Donc s'il doit y avoir à un certain moment, dans la situation des marchés agricoles, des situations de prix très bas, le consommateur doit en profiter. Et pour qu'il en profite, il faut qu'il y ait une clarification de la situation des marges.
Q.- Et il faut que tout le monde fasse un effort, que ce soit vous, les fournisseurs, mais aussi la grande distribution, et que ce soit très clair ?
R.- Nous, la question ne se pose pas trop. D'ailleurs, le Gouvernement essaie de traiter un peu différemment les agriculteurs, j'en conviens, puisqu'il va mettre dans ce texte, je dirais, "en situation à part", les denrées périssables, notamment tout ce qui est fruits et légumes frais, mais c'est l'ensemble ; nous, la majorité de nos produits sont transformés par des petites et moyennes entreprises, et l'enjeu c'est le devenir même de ces entreprises. Vous savez, les marges, si elles étaient très fortes, pour ces petites et moyennes entreprises, ça se saurait. Donc qu'il y ait eu des abus à certains moments, par je dirais presque en accord entre distribution et quelque très, très grandes entreprises multinationales, c'est certainement vrai. Mais ce qu'il faut regarder, c'est le maillage de notre territoire à partir de notre agriculture et de multiples petites et moyennes entreprises. Et c'est cela que nous voulons préserver. Et je ne vois pas pourquoi le Gouvernement n'accepterait pas notre proposition de rendre transparentes les contreparties que nous réclamons.
Q.- Vous parliez de M.-E. Leclerc : justement, il dit, lui, que c'est tout bénéfice pour le consommateur parce que cela va créer une véritable concurrence, et qu'on arrête, dit-il, je reprends ses termes, "de faire pleurer dans les chaumières", ce sont les gros, comme Coca ou L'Oréal qui sont visés, pas les autres. Vous lui répondez quoi ?
R.- Je lui dis que malheureusement, c'est un texte qui vise tout le monde, parce que c'est bien là le problème. Lorsque le Président Sarkozy était au ministère de l'Economie et des Finances, je lui avais déjà fait part de cette situation. On veut régler par un même texte, la situation des grandes multinationales avec les petites et moyennes entreprises, et ça on n'y arrivera jamais. Le rapport de force est déséquilibré entre la grande distribution et les petites et moyennes entreprises et les agriculteurs.
Q.- Et c'est pour ça que vous serez dans la rue, quand le texte viendra devant l'Assemblée au mois de mai, avec les fournisseurs ?
R.- Nous serons dans la rue, si le Gouvernement n'entend pas le message qui est le nôtre en ce moment et ne soumet pas aux députés un amendement qui corrigerait le texte.
Q.- Un mot, puisque vous êtes en direct avec nous, sur un autre dossier qui agite pas mal, c'est celui des agro-carburants. J.-L. Borloo est pour une pause sur de nouvelles capacités pour la première génération de biocarburant, c'est quoi, c'est fini, c'est enterré ? Ces produits sont décriés aujourd'hui...
R.- Non pas du tout, je crois qu'il faut respecter le plan. D'ailleurs, il a dit qu'il fallait en même temps faire une pause, et en même temps respecter le plan qui a été engagé il y a un peu plus de deux ans. Je crois que le plan n'est pas si ambitieux que cela. Il faut qu'au niveau de l'Europe, en attendant les biocarburants de deuxième génération, que tout le monde souhaite, qu'on respecte le plan qui a été engagé et qui, d'ailleurs, mobilise actuellement les acteurs de la filière. Maintenant, il ne s'agit pas d'aller trop loin, il s'agit surtout que les agriculteurs que nous sommes respections notre mission première, qui est celle de nourrir les populations et de répondre justement à ces défis en termes de besoins.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 28 avril 2008