Déclaration de Mme Valérie Létard, secrétaire d'Etat à la solidarité, sur les violences conjugales, la récidive, la prévention et les mesures d'aides aux victimes des violences pour 2008 - 2010, Paris le 15 mai 2008.

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Circonstance : Colloque sur les violences faites aux femmes au sein du couple à Paris le 15 mai 2008

Texte intégral


Je vous remercie sincèrement de m'avoir conviée à ouvrir, avec vous, ce colloque sur ce phénomène des violences faites aux femmes au sein du couple, douloureux et destructeur pour toutes celles qui en sont victimes et particulièrement préoccupant pour notre société.
Il est impératif de combattre ce type de violences avec la plus grande force partout dans le monde, et bien sûr dans nos démocraties européennes. En France, ce phénomène se traduit par des statistiques que je qualifierais de dramatiques :
* 137 femmes sont décédées sous les coups de leur conjoint en 2006, soit en moyenne, une tous les 3 jours ;
* 330 000 femmes ont déclaré vivre avec un conjoint qui a porté la main sur elles au cours des années 2005 et 2006 ;
* mais seulement 8,8 % des victimes ayant subi des violences intra familiales ont déposé plainte, 84 % de ces actes n'ayant fait l'objet d'aucun signalement à la police ou à la gendarmerie. Cette situation est alarmante et elle est indigne de l'idée qu'un citoyen peut se faire d'un pays moderne.
Vous avez rappelé l'action menée par le Conseil de l'Europe et par son Assemblée parlementaire. Elle est exemplaire
Vos travaux sont essentiels. La recommandation de l'Assemblée en 2002 et les résolutions de 2006 et 2007 pour combattre la violence domestique contre les femmes ont contribué et contribuent à mobiliser l'ensemble des parlementaires européens. Elle fait prendre conscience à tous que cette violence domestique n'est pas une question d'ordre privé, mais qu'elle doit être traitée comme un problème politique et public. Ces travaux en encourageant avec les Parlements l'élaboration de stratégies collectives d'intervention dans les pays membres participent de la construction de nos dispositifs nationaux.
En France, disons le clairement, l'ampleur des violences faites aux femmes après avoir été longtemps mésestimée n'a été révélée par l'enquête nationale sur les violences envers les femmes en France réalisée qu'en 2000 ! C'est tout récent !
Et c'est à partir de 2003 et avec un premier plan global triennal de lutte contre les violences de 2005 à 2007 que notre pays a lancé un ensemble d'actions mobilisatrices qui à l'évidence ont fait émerger des besoins nouveaux jusqu'alors tus ou niés et permis de fortes avancées en ce domaine.
I. Le Plan 2005-2007
Les principales avancées du plan 2005-2007 sont tout d'abord d'ordre législatif :
- en 2005, une loi relative au traitement de la récidive des infractions pénales a consacré l'éviction du conjoint violent du domicile du couple, au plan pénal.
- la loi du 4 avril 2006 a renforcé la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs. Elle a élargi le champ d'application de la circonstance aggravante aux pacsés et aux « ex conjoints ».
- la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance a prévu l'extension du suivi socio-judiciaire avec injonction de soins aux auteurs de violences commises au sein du couple ou à l'encontre des mineurs. Et toutes ces dernières années on a constaté qu'un grand nombre d'actions se développent tant pour prendre en charge les femmes victimes que pour sensibiliser les professionnels.
Je retiendrai ici quatre mesures phares
Première mesure, la mise en place en mars 2007 d'un numéro national d'appel unique, le 39 19, qui reçoit actuellement 4500 à 5000 appels par mois.
Deuxième mesure, la formation spécifique des agents chargés de l'accueil dans les commissariats de police ainsi que celle des personnels de la gendarmerie nationale et l'ouverture au cours de la période de 150 permanences d'aides aux victimes dans ces mêmes services avec la collaboration des associations d'aide aux victimes.
Troisième mesure, l'introduction par les partenaires sociaux, dans la Convention UNEDIC du 18 janvier 2006 relative au retour à l'emploi et à l'indemnisation du chômage, d'un nouveau cas de démission légitime qui permet aux femmes victimes de bénéficier des allocations chômage lorsqu'elles doivent changer de lieu de résidence du fait de violence et qui peut faciliter leur insertion professionnelle.
Enfin, quatrième exemple, l'expérimentation d'un parcours de prise en charge de femmes à partir d'une unité médico-judiciaire lancée en janvier 2006 dans 3 sites hospitaliers (Créteil, Nantes et Clermont-Ferrand) pour améliorer la coordination entre les services de police, de santé, et les services sociaux et les lieux capables d'accueillir les femmes.
Toutes les actions menées depuis 2005 ne peuvent bien sûr être citées. En outre nous devons en apprécier tout l'impact à ce jour. C'est pourquoi j'ai demandé une évaluation précise de la réalisation de ce plan dont nous disposerons au mois de juin prochain. Elle est en cours d'établissement par les inspections générales des ministères des affaires sociales, de la justice et de l'intérieur et nous permettra d'ajuster notre nouveau plan d'action en fonction des résultats constatés.
Mais j'ai voulu, sans attendre, lancer un nouveau plan triennal pour poursuivre et amplifier nos efforts pour la période 2008-2010.
II. Le Plan 2008-2010
Ce plan est naturellement transversal et interministériel.
Il s'appuie sur l'existant pour aller de l'avant avec quatre mots clés pour quatre orientations : Mesurer, prévenir, coordonner et protéger.
Il nous faut mesurer car nous cernons encore mal le phénomène auquel nous avons à faire face.
Pour être plus performant, il est impératif de disposer de données précises. Pour ce faire nous allons recenser et harmoniser toutes les données collectées par les différents départements ministériels. Nous devons également développer la réalisation de travaux de recherche tels qu'une étude particulièrement importante qui permettra d'identifier précisément les motifs et les circonstances des décès liés aux violences au sein du couple.
Il est indispensable de prévenir les violences.
La meilleure prévention consiste à sensibiliser l'ensemble de la population à la gravité de ce phénomène. Briser la loi du silence est le 7 seul moyen d'aider les femmes à se défendre et à leur permettre de sortir de l'engrenage de la peur.
Prévenir les violences c'est par exemple agir sur l'image de la femme. Dans une société où le visuel prédomine, certaines images et certains messages stéréotypés mettent en cause de manière humiliante ou dégradante les femmes. Il faut réfléchir en partenariat avec les professionnels de la publicité et plus largement du monde audiovisuel et des médias à une communication plus respectueuse des femmes. C'est pourquoi j'ai mis en place une commission indépendante, présidée par Michèle REISER qui doit me remettre un rapport et des propositions au mois de septembre prochain.
Prévenir les violences c'est aussi éduquer au respect dès le plus jeune âge. Le ministère de l'éducation nationale recensera les violences subies par les filles dans l'ensemble des établissements scolaires. Sur cette base, un plan de prévention de la violence comportant un volet spécifique de prévention des violences envers les jeunes filles sera préparé dans les établissements scolaires.
Prévenir les violences c'est également, comme le Conseil de L'Europe nous y a encouragé, mener des campagnes de communication en direction de tous nos concitoyens. Une nouvelle campagne nationale sera lancée après l'été pour accompagner la mise en oeuvre des mesures de ce second plan national dès 2008.
La troisième orientation est de coordonner les acteurs très divers qui contribuent à aider les femmes dans leur parcours vers l'autonomie. Cette coordination est indispensable. C'est pourquoi j'ai prévu la création de référents locaux qui seront les interlocuteurs de proximité des femmes concernées et favoriseront la mise en réseau de tous ces acteurs. Une instruction sera adressée à cet effet aux préfets dans les prochains jours. Ce n'est pas aux femmes victimes d'avoir, en plus de la souffrance et de la culpabilité, à faire le tour de tous les interlocuteurs susceptibles de les aider.
Mon objectif est qu'à l'échéance du plan, le territoire soit maillé très étroitement pour apporter une réponse personnalisée à chaque victime.
La quatrième orientation, enfin est de protéger les femmes victimes pour leur donner les moyens de sortir immédiatement et durablement de la situation dans laquelle elles vivent.
Parmi les mesures retenues, je voudrais en mettre deux en évidence : Premièrement, nous allons expérimenter un nouveau modèle de réponse à l'hébergement des femmes victimes en donnant un agrément départemental à 100 familles d'accueil. Cela nous permettra de juger si l'accueil dans un cadre familial peut répondre dans certains cas au besoin de sécurité, d'isolement, de reconstruction personnelle des femmes et ainsi compléter les dispositifs d'accueil déjà en place.
Deuxièmement, il faut continuer à renforcer la protection juridique des victimes et avancer en matière de justice. En lien avec le Garde des sceaux, nous avons prévu d'examiner ou de rechercher diverses pistes d'amélioration. Elles porteront en particulier sur l'articulation entre les procédures civile et pénale, l'introduction éventuelle d'une définition des violences psychologiques dans le code pénal et la recherche de solutions adaptées et équilibrées entre la protection des victimes et de leurs enfants, les droits du parent accusé faussement et la nécessité de l'action publique.
Mais outre les femmes, il est aussi essentiel de protéger les enfants qui sont aussi les victimes de ces situations. Les violences conjugales auxquelles ils assistent peuvent laisser des traces profondes et durables. A nous de leur venir en aide. Nous diffuserons des recommandations en ce sens aux pouvoirs publics et aux professionnels. De même, pour compléter ces mesures et favoriser la prévention, nous avons prévu d'agir auprès des auteurs de violences en les informant sur les conséquences de leurs actes et en leur offrant un accompagnement de nature à éviter la récidive.
Proposer à toutes les femmes victimes de violence de sortir de la spirale de la peur, de reconquérir leur dignité et de revenir à une vie normale.
Offrir à ces femmes les aides et la protection que la société se doit de leur apporter.
Engager notre pays pour faire cesser des pratiques indignes.
Telles sont nos ambitions pour les trois prochaines années.
L'impulsion donnée par le Conseil de l'Europe, et son Assemblée parlementaire pour lutter contre ce fléau des violences au sein du couple, nous guide et nous renforce dans notre détermination. Les perspectives de la récente Déclaration de Vienne faite à l'issue de la conférence finale du 30 avril, qui souligne la nécessité de poursuivre ce processus de mobilisation, montrent que nous pouvons compter à l'avenir sur votre engagement. Vous pouvez compter sur le nôtre. Pour ma part, je suis favorable à tout ce qui peut renforcer la lutte contre ce phénomène inadmissible dans les pays du Conseil de l'Europe et le projet de convention-cadre, qui est en particulier, préconisé dans cette Déclaration, recueille chez moi un écho tout à fait favorable.
Mesdames, Messieurs les élus, je vous remercie.Source http://www.travail-solidarite.gouv.fr, le 19 mai 2008