Extraits d'un entretien de M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, à France 5 le 9 mai 2008, notamment sur les priorités de la présidence française de l'Union européenne.

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Média : France 5

Texte intégral

Q - Jean-Pierre Jouyet, vous êtes le secrétaire d'Etat aux Affaires européennes, directement concerné par ces sujets, et par l'action de la France dans quelques semaines.
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On a l'impression que depuis quelques mois, les choses ont un peu évolué, depuis que la France affichait, en vue de sa Présidence de l'Union européenne, de très grandes ambitions. On a l'impression que les ambitions ont un peu changé, que le principe de réalité s'est appliqué. Est-ce que c'est la crise économique, est-ce que c'est la baisse de popularité de Nicolas Sarkozy ? Qu'est-ce que la France veut faire pendant cette Présidence, Monsieur le Ministre ? Et est-ce que, finalement, on a ravalé nos ambitions ?
R - Nous pouvons être réalistes et ambitieux. Nous avons des ambitions pour l'Europe mais pas tant pour la France qui va servir l'intérêt général.
La première ambition, c'est de renforcer la lutte contre le réchauffement climatique et de réduire les émissions de CO². Il faut revoir la politique énergétique : quand vous avez un baril de pétrole qui est à plus de 120 dollars, il y a quand même un sujet. La seconde c'est d'organiser une maîtrise des flux migratoires. C'est un sujet très idéologique en France, mais considéré de manière plus pragmatique au niveau européen. La troisième, c'est d'assurer - ou d'aller vers - une Europe de la défense. Et la quatrième, c'est bien évidemment, dans le domaine économique et social, de faire face à l'imprévu.
Q - Est-ce qu'il y a un recul ? Par exemple on disait, on entendait Nicolas Sarkozy depuis des mois, depuis le début de la Présidence à l'Elysée dire "la BCE ne fait pas son travail, elle ne veut pas baisser les taux, l'euro est trop fort" et puis là on ne l'entend plus, par exemple sur ce sujet clé qu'est notre situation économique aujourd'hui...
R - Non, sur la situation économique, on l'entend. Et sur l'euro, il y a convergence pour dire que, d'une part, un euro fort protège de l'inflation importée, protège le pouvoir d'achat et que, d'autre part, certains secteurs comme l'aéronautique, l'automobile ou des biens d'équipement sont affectés par un euro trop haut. Il n'y a pas de divergences de ce point de vue entre la Banque centrale, les ministres des Finances et nos partenaires. Quant aux taux, comme vous le savez, c'est de la responsabilité de la Banque centrale européenne.
Q - Pour revenir au premier sujet que vous avez cité, on se disait qu'on a pas besoin de présider l'Europe pour faire avancer, par exemple, la question de la baisse du réchauffement, la question de l'effet de serre, de la baisse de notre production de CO². Qu'est-ce que cela va changer le fait de présider l'Europe sur ce sujet ?
R - Ce qu'il faut expliquer aux téléspectateurs, c'est que présider l'Europe, ce n'est pas une volonté de Nicolas Sarkozy, ni une demande qu'il a faite. Cela revient de manière régulière. C'est à la France de présider l'Union européenne à partir du mois de juillet. Elle l'a présidée pour la dernière fois en 2000. Il se trouve que le sujet qui doit être traité durant la Présidence française, le sujet prioritaire, c'est la lutte contre le réchauffement climatique...
Q - Qui l'a décidé, ça, par exemple ?
R - L'ensemble des partenaires sur la base des propositions de la Commission européenne. Lorsque vous présidez l'Union européenne, vous n'avez pas à servir vos intérêts nationaux, vous suivez un agenda. L'Europe doit être prête pour une conférence qui a lieu à Postdam à la fin de l'année 2008 et pour la conférence internationale de Copenhague fin 2009, qui doit fixer ce qu'on appelle le "post-Kyoto" et toute la donne écologique mondiale. Nous devons mettre en place un nouveau modèle de développement pour l'Europe.
Q - On se dit quand même que, au vu de ce qui arrive sur la planète, il faut un peu être président du monde pour changer la donne. Qu'est-ce que, là, Nicolas Sarkozy et les 27 peuvent décider pour amener la planète à aller mieux ?
R - Il y a trois éléments. Le premier, c'est qu'ils peuvent se fixer des objectifs plus ou moins ambitieux mais, quantifiés, pour réduire les émissions de CO² de 20% par rapport à 1990 et d'ici à 2020, voire même de 30% si nos autres partenaires font...
Q - On pourrait prendre des mesures très concrètes en obligeant les industriels...
R - On peut prendre des mesures très concrètes, comme de réduire les émissions dans le domaine des transports ou du bâtiment, de faire évoluer nos technologies et d'adapter nos modes de consommation. Il faut également augmenter la part des énergies renouvelables, le solaire, l'éolien. Dans le bilan énergétique...
Q - Pourquoi vous ne citez pas le nucléaire, la France a envie de...
R - Oui, la France, d'ailleurs il n'y a pas que la France, considère que le nucléaire a un avantage incontesté, c'est d'être une industrie qui réduit les émissions de carbone. Et nous poserons la question du nucléaire au nom de l'indépendance énergétique. C'est le second point. Le troisième point, c'est que le développement durable doit être partagé. Nous devons être exemplaires au niveau international, mais nous veillerons à ce que nos autres partenaires, notamment les Américains, prennent des engagements aussi forts.
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Q - Alors peut-être une Présidence flamboyante en matière de coûts, mais cela c'est peut-être une anecdote, on y reviendra. On parle de ravalement des ambitions. L'Union pour la Méditerranée par exemple, voilà un sujet où Nicolas Sarkozy était monté très fort au créneau, considérait que c'était une très forte ambition. L'Allemagne et la Grande-Bretagne ont dit "bof, cela ne nous concerne pas vraiment", et on n'en parle quasiment plus, ou juste pour ne pas perdre la face.
R - Non, ce n'est pas vrai. Ce n'est plus un projet français, c'est devenu un projet européen adopté en tant que tel au Conseil européen de mars dernier. Je demandais à ce que ce projet soit "européanisé", avec les pays riverains et non riverains. On va travailler ensemble, comme cela a été dit...
Q - Mais qu'est-ce qu'il y a dans l'enveloppe, c'est vide maintenant...
R - Non, deux points vont être discutés le 13 juillet. Un, la gouvernance. On veut que les pays du sud de la Méditerranée et ceux du Nord soient traités sur un pied d'égalité. Et deux, on veut, par rapport à ce qui a été fait auparavant, et les pays européens sont d'accord comme les pays du sud, s'appuyer davantage sur des projets concrets qui associent des partenariats publics et privés. C'est cela qui va changer fondamentalement et c'est ce sur quoi on doit se mettre d'accord le 13 juillet.
Q - Par exemple le Liban. Qu'est-ce que pourrait une Union pour la Méditerranée pour éviter une guerre civile en ce moment au Liban ?
R - Je crois que le but de l'Union pour la Méditerranée n'est pas d'éviter la guerre civile au Liban. Malheureusement, et c'est un pays que je connais bien...
Q - Cela changerait quoi par rapport à la réalité de la situation ?
R - Comme en Europe au sortir de la guerre, ce que vous pouvez faire, c'est travailler sur des projets concrets. Les Libanais, les Israéliens, les Palestiniens et les Jordaniens pourraient travailler par exemple sur l'accès à l'eau. Ce que vous pouvez aussi faire dans le cadre de l'Union pour la Méditerranée, parce que c'est une des pierres d'achoppement au Liban, c'est travailler sur des projets de modernisation des télécommunications. Comme vous le savez, c'est à l'origine des drames qu'il y a au Liban. Je crois que là-dessus, si vous arrivez à monter des projets concrets et à faire travailler les gens et les communautés ensemble, vous n'aurez pas perdu votre temps.
(...)
Q - En si peu de temps, six mois, que peut-on vraiment faire sur le plan environnemental ?
R - C'est vrai qu'on a peu de temps. L'important, c'est qu'on ait un accord politique pour une position commune sur un nouveau modèle de développement. Il y a des propositions qui ont été faites, il y a trois mois, sur des objectifs à réaliser à quatre ou cinq ans.
Q - Jean-Pierre Jouyet, sur ce point très important que vous venez de citer, est-ce qu'on peut imaginer que Nicolas Sarkozy, président de l'Union européenne pendant six mois, arrive à convaincre les 26 autres membres de l'Union qu'il faudra décider, convaincre le nouveau président des Etats-Unis de signer un nouvel accord de Kyoto pour que les Etats-Unis réduisent leur production de CO² ?
R - C'est une très bonne question. L'Europe doit déjà se mettre, à vingt-sept, dans une situation favorable pour négocier. Il y a des pays qui ont plus de difficultés que les autres à atteindre les objectifs en termes d'énergies renouvelables, qui doivent rénover leurs centrales nucléaires. C'est un problème de sécurité qui intéresse tous les citoyens européens.
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Q - Ces mesures, Jean-Pierre Jouyet, on peut imaginer que vous n'attendez pas le 1er juillet pour les préparer, vous savez déjà ce qu'on va faire, vous êtes sur le dossier depuis des mois, qu'est-ce qu'on va faire concrètement ?
R - Un, nous devons avoir des objectifs de réduction de CO² quantifiés. Deux, nous devons encourager les énergies renouvelables, l'efficacité énergétique, et améliorer, notamment en matière de transport...
Q - Mais qu'est-ce que cela veut dire concrètement ?
R - Cela veut dire que, concrètement, au terme de six mois, on doit arriver à un accord à 27. On doit trouver un accord, je m'excuse de rentrer dans les aspects institutionnels, entre le Conseil et le Parlement européen. Voilà notre objectif, pour que l'Europe ait une position de force dans les négociations internationales et pour amener les Américains et les grands émergents, en les aidant par des transferts de technologies, à être vertueux.
(...)
Q - Voilà, la réalité ne serait-elle pas d'intéresser les Européens à l'Europe ? Vous avez entendu ce parlementaire européen qui disait "cela ne marche l'Europe que si tu racontes des histoires" ; alors quelle histoire vous allez nous raconter, on nous parle de paquets, de ratification, de traités, tout cela est extrêmement nébuleux, la réalité est beaucoup plus simple, non ?
R - L'ennui, c'est que les institutions sont toujours abstraites. L'Europe, c'est plus de sécurité - on y reviendra - c'est également une protection dans un monde en mouvement. Il faut aussi raconter ce que fait l'Europe dans le domaine spatial. Un exemple : Galiléo, qui est un projet d'observation spatial européen. C'est le "GPS" européen. Qu'est-ce que cela va permettre ? De localiser plus vite des accidents, de sauver plus rapidement des victimes en les localisant plus aisément, et de réguler le trafic... Pour réaliser ces projets importants, il faut une union politique, il faut l'Europe. On est incapable de mettre en oeuvre de tels projets sur le plan national. C'est bien l'Union qui fait la force. C'est aussi le cas des politiques de soutien aux banlieues dans le cadre de la politique régionale. Quand vous faites, par exemple, des projets concrets de type Erasmus, cela ne peut être fait qu'au niveau européen. C'est Erasmus qui facilite les échanges d'étudiants et qui peut rendre l'Europe populaire.
Q - Mais pour cela il faudrait aussi que les Européens se connaissent et, finalement, on ne sait pas très bien ici ce que c'est qu'un Slovène, on le verra tout à l'heure, ou un Lituanien...
R - C'est pour cela qu'un de mes objectifs, c'est de renforcer les échanges en Europe, c'est de faire en sorte que vous ayez un droit pour tout jeune, quelle que soit son origine sociale, sa qualification ou la zone où il habite, d'aller dans un autre pays d'Europe et de connaître les autres, parce qu'il n'y aura de génération européenne et d'appropriation européenne que si vous favorisez la connaissance de l'autre.
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Q - Jean-Pierre Jouyet, Nicolas Sarkozy veut finalement arriver à faire adopter l'immigration choisie, à la française, à ses 26 partenaires ?
R - C'est exactement le contraire. Vous avez plus d'immigration choisie au niveau européen qu'en France.
Q - Et vous voulez qu'on rattrape en France alors ?
R - Je ne veux pas qu'on rattrape, c'est un état de fait au niveau européen. L'Europe a besoin de frontières de l'espace Schengen bien équipées sur le plan technique. Il faut également lutter contre l'immigration illégale, avoir une convergence dans les pratiques de régularisation pour qu'elles soient réglées au cas par cas. Enfin, et c'est le problème le plus délicat, les questions d'asile. Vous avez des traditions extrêmement différentes en Europe, comme sur les durées de rétentions. Vous avez des pays dans lesquels vous n'avez aucun délai de rétention. C'est le cas de la Suède ou du Royaume-Uni. Vous avez des pays comme l'Allemagne, où vous avez des durées de rétention qui sont importants, en France...
Q - Trente-deux jours.
R - Trente-deux jours, c'est le plus faible d'Europe, contrairement à ce qui est dit en France. Il y a un manque d'information. J'espère que Rama Yade va rendre cela très populaire, je lui fait entièrement confiance. Ce qui me paraît le plus important, c'est que nous nous mettions d'accord sur des durées maximales de rétention en Europe. Pour un Français, surtout pour ceux qui ont ma sensibilité, on ne peut pas accepter qu'il y ait des durées de rétentions si différentes. Vous avez un projet de directive sur la table qui parle d'une durée maximale de rétention de dix-huit mois. Je pense que cela va être dur à faire accepter au Parlement européen et je pense que c'est difficilement acceptable pour un Français.
Q - Attendez, je pense que des gens ne comprennent pas bien, en France quel est le délai de rétention ?
R - C'est trente-deux jours, vous devez statuer sur un cas en trente-deux jours et décider si vous gardez le demandeur ou si vous le renvoyez chez lui.
Q - Ce que vous ne voulez pas c'est que des pays comme l'Allemagne et la Grande-Bretagne gardent des mois et des mois...
R - Exactement, car c'est contraire à une certaine tradition que nous avons en Europe. Mais je le dis bien, ce sont des durées maximales que nous aurions au niveau européen et, parfois il n'y a pas de délais du tout, ce qui pose un certain nombre de problèmes. Voilà ce qu'on veut harmoniser. Plus les visas, qui concernent quand même chacun d'entre nous.
Q - On continue notre passage en revue de ces dossiers importants de la Présidence française de l'Union européenne. Nous allons parler de défense puisqu'il s'agit de nous protéger ? C'était cela l'idée de départ, c'est de maintenir la paix en Europe. Et maintenir la paix c'est peut-être préparer la guerre et se doter d'une armée. On avait l'impression depuis quelques années, depuis la rencontre entre Jacques Chirac et Tony Blair sur ce sujet, qu'il y avait un embryon de défense européenne et là tout d'un coup Nicolas Sarkozy a choisi d'aller plus vers l'OTAN. Alors, on se demande si ce sera, sous présidence française, l'Union européenne vers les Etats-Unis et l'OTAN ou une Union européenne qui va s'affirmer avec sa propre défense ?
Jean-Pierre Jouyet, ce n'est quand même pas pareil d'aller jouer les casques bleus dans des situations délicates mais pas aussi graves que l'Irak, en Afrique par exemple, et puis d'aller se battre, d'envoyer des soldats directement en Afghanistan ou en Irak ? Ce n'est pas pareil ?
R - Envoyer des hommes au front est sans doute la responsabilité la plus importante. Ce que l'on souhaite faire, c'est prendre acte des réalités. Vous avez une coopération entre la politique européenne de défense et l'OTAN. Savez-vous que la première mesure de réintégration effective dans le cadre de l'OTAN, avec malheureusement le premier soldat français tué sous commandement OTAN, c'était sous François Mitterrand. Donc les procès pour savoir si l'on se rapproche de l'OTAN ou non...
Q - C'était où ?
R - Dans les Balkans, à Sarajevo. L'autre point, c'est que le nouveau Traité, avec le Haut représentant aux Affaires étrangères, va permettre d'harmoniser les choses. Il aura à sa disposition des fonctionnaires venant de la Commission, du Conseil, des Etats membres et il aura...
Q - Ce qu'il faut préciser c'est que le Traité de Lisbonne prévoit un ministre des Affaires étrangères.
R - Oui, il y aura une sorte de ministre des Affaires étrangères européen.
Q - Donc on peut espérer que sur certains sujets il y aura une meilleure coordination ?
R - Là où il n'y a pas eu de coordination, c'est sur la question irakienne. Je ne suis pas atlantiste, mais cela a vraiment été la pomme de discorde.
Q - On vous a fait comprendre qu'avec les nouveaux dossiers on va essayer de tenir la corde ?
R - Il faut dire à nos concitoyens que, sur l'Afghanistan, il y a eu un débat un peu surréaliste. La France n'est pas le seul grand pays européen qui a des soldats en Afghanistan. Tous les autres, les Pays-bas, l'Allemagne, ou le Royaume-Uni en ont aussi.
Q - On ne va pas ouvrir le débat...
R - Comme je suis invité, je voulais apporter quelques précisions sur ce terrain.
Q - Alors je ne sais pas s'il y aura plus de champagne sous présidence française ? C'est peut-être cela qui a fait gonfler la note ?
R - Non. La note a été actualisée par rapport à la Présidence française de 2000. La Présidence allemande, c'était entre 150 et 200 millions d'euros. Les Britanniques c'est ....
Q - On fait quoi avec cet argent ? Des cocktails ?
R - Non, l'essentiel du budget ce sont les déplacements des hôtes étrangers, c'est assurer leur sécurité sur le territoire français, ce sont les sommets.
Q - Pourquoi les Anglais ont-il réussi à faire beaucoup moins cher ?
R - Entre nous, l'Europe n'est pas la principale priorité des Anglais. Alors il faut choisir si vous préférez le modèle britannique ou être dans l'Europe. Lorsque vous voulez donner toutes ses chances à l'Europe et y croire, cela suppose des moyens.
Q - Ce ne sera pas plus cher que les Allemands ?
R - Le budget est le même que celui des Allemands
Q - Finalement, c'est assez magnifique puisqu'une toute petite nation de deux millions d'habitants et respectée comme un vrai pays, on lui donne comme aux autres le droit pendant six mois de présider l'Union. C'est magnifique pour le symbole et c'est la paix mais est-ce que ce n'est pas aussi se condamner à l'impuissance. Parce qu'il n'y a pas la même influence politique auprès du reste du monde que les autres grands pays d'Europe ?
R - Il y a trois éléments. Premièrement, c'est l'Europe nouvelle. Deuxièmement, l'Europe à vingt-sept fonctionne....
Q - Vous savez qu'on dit en permanence que c'est très compliqué ?
R - Oui, c'est compliqué mais ce n'est pas plus compliqué qu'à quinze. Il n'y a pas eu de pédagogie de l'élargissement en France. Avoir l'ensemble des pays du continent, avoir donné une perspective européenne à des pays comme la Slovénie, la Pologne, la Hongrie qui ont connu le totalitarisme, s'il y a une grande victoire de l'Europe, c'est celle-là. Je n'ai pas peur d'une Europe à vingt-sept dès lors qu'il y a un bon mode de fonctionnement. Troisièmement, pour répondre à votre question...
Q - C'est l'impuissance, c'est la machine qui grippe ?
R - Le traité va changer les choses puisque la France est la dernière présidence semestrielle...
Q - On dit que c'est la dernière fois qu'il y aura un président de l'Union européenne pour six mois. Est-ce que c'est vrai ? Qu'est ce qu'il va se passer après avec le nouveau Traité de Lisbonne qui va rentrer en vigueur et qui change les règles. Nous avons vu qu'il y avait un ministre des affaires étrangères européennes qui va être institué mais en matière de présidence cela va se passer comment ?
R - Si ce traité est ratifié, vous aurez un président...
Q - On attend que l'Irlande le ratifie ?
R - Oui, on attend que l'Irlande le ratifie. Ce n'est pas cela qui va plomber la présidence française. On arrivera toujours à faire en sorte que cela fonctionne. On se réunira à vingt-sept s'il y a un problème. Vous aurez un président stable du Conseil européen pendant deux ans et demi. C'est-à-dire que vous allez avoir un "Monsieur Europe" qui va incarner le Conseil européen.
Q - Il ne sera pas élu au suffrage universel ?
R - Il va être élu par le Conseil, c'est le mode de fonctionnement. Le président de la Commission sera élu par le Parlement européen. Un autre avantage de ce traité, c'est qu'il y aura plus de démocratie.
Q - Donc il y aura à la fois un président de l'Union et un Président de la Commission ?
R - Un président du Conseil de l'Union, un ministre des Affaires étrangères et un président de la Commission qui sera investi par le Parlement européen au lieu d'être, comme aujourd'hui, désigné par les chefs d'Etats et de gouvernement.
Q - Est-ce que c'est finalement comme le président de la République, le Premier ministre et notre parlement ?
R - C'est assez bien vu. C'est comme avoir un Président du Conseil qui joue l'ordonnancement, les équilibres dans le cadre du Conseil...
Q - Le chef politique ?
R - Voilà, un chef qui doit dire : "Messieurs les chefs d'Etats et de gouvernement, voilà sur quoi vous devez vous concentrer". Ce sera peut-être l'écologie, la défense...
Q - Ce ne sera pas les bisbilles du président Sarkozy puisqu'il aura vingt-sept gouvernements...
R - Ce ne sera les bisbilles de personne. A côté, le Président de la Commission sera une sorte de Premier ministre qui fait des propositions techniques soumises au Conseil et au Parlement. Vous avez un Parlement qui aura un pouvoir renforcé et un ministre des Affaires étrangères, comme en France. Vous aurez également d'autres pays qui présideront des formations ou des conseils plus techniques.
Q - Est-ce que l'Europe finalement ce n'est pas une idée de vieux ? Nous avons tous plus de trente ans autour de la table.
R - L'union européenne est née en 1950 ce n'est pas si vieux que ça...
Q - C'est une utopie qui date d'après la guerre, des années 40, c'est cela que je veux dire.
C'est une utopie qui reste...
Q - Est-ce que vous êtes sûr de cela ?
R - Je vais vous répondre franchement. Au niveau des institutions et des responsables, vous avez le sentiment que c'est un peu mûr. C'est vrai que les jeunes générations ont connu la paix et considèrent que l'Europe est un fait acquis. C'est à nous de leur montrer que l'Europe doit relever un certain nombre de défis de la vie quotidienne, des défis écologiques, économiques... Les jeunes voyagent beaucoup plus que vous ne le pensez en Europe. J'ai été frappé, à Lille le 7 mai et aujourd'hui lors des manifestations à Paris, du nombre de jeunes qui sont impliqués dans les mouvements européens. Vous avez des jeunes militants...
Q - Vous avez beaucoup de gens acquis dans ces réunions...
R - On débat.
Q - Est ce que vous ne croyez pas qu'aujourd'hui il est acquis dans l'esprit de beaucoup et en particulier des jeunes générations, qu'on voyage facilement, qu'on échange entre générations, entre étudiants d'universités mais que l'idée qu'il faut absolument une union politique c'est l'obsession de ceux qui ont connu la guerre, donc des vieux ?
(...)
R - Ce sont les jeunes qui le demandent. Je vais prendre l'exemple des Balkans. C'est la terre en Europe où l'on s'est battu le plus récemment. Parmi les forces montantes et les jeunes il y a une aspiration très forte à l'Europe. L'Europe reste à la mode et reste un modèle attractif au niveau international.
Q - Quelle vision à Nicolas Sarkozy de l'Europe ?
R - Je pense que ce que veut...
Q - C'est une vision bling-bling ?
R - Ce n'est pas du tout une vision bling-bling. C'est une vision extrêmement responsable, il souhaite que l'Europe devienne un acteur global. Vous avez 500 millions de citoyens en Europe. L'Europe n'a pas exploité tout son potentiel. Il veut que nous pesions sur le plan économique, sur le plan écologique, que l'Europe soit un acteur majeur, qu'on ne fasse pas de complexes, que l'Europe défende ses intérêts comme les Américains, les Chinois, les grands émergents ou comme les Russes. Voilà ce que l'on veut faire.
Q - Est-ce que le président ne finira pas par soutenir l'entrée de la Turquie en Europe ? Est-ce que là aussi il ne va pas être obligé d'être pragmatique ? Est-ce que le principe de réalité ne va pas s'imposer ?
R - Je ne le pense pas. Mais exerçant la présidence française à l'égard de la Turquie, nous devons être parfaitement objectifs et impartiaux...
Q - Cela veut dire quoi ?
R - Cela veut dire que l'on continuera le processus de négociations. Le problème de l'entrée de la Turquie ne se pose pas de toute façon avant quinze ou vingt ans....
Q - Vous ne répondez pas à la question, oui ou non ?
R - Non, la position de Nicolas Sarkozy est claire.
Q - Sarkozy tient-il vraiment à ce que Tony Blair devienne le premier président de l'Union européenne ? On a l'impression que les autres ne sont pas d'accord ?
R - Nicolas Sarkozy a une grande admiration pour Tony Blair qui a un charisme incontestable et qui est connu au niveau international. Il faut prendre en compte la majorité. Il s'adaptera aux souhaits des autres lorsqu'il sera président du conseil de l'Union européenne.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 26 mai 2008