Texte intégral
CONFERENCE DE PRESSE A DOHA :
Q - Monsieur Védrine, la politique française vis-à-vis de l'Iraq se concentre sur l'imposition d'un régime de contrôle à long terme des installations iraquiennes. Pensez-vous que l'Iraq a des armes nucléaires qui nécessitent un contrôle permanent ? Ces armes nucléaires, n'ont-elles pas été démantelées et détruites déjà par le contrôle précédent et également par les raids ?
R - Avant de répondre à la question, je voudrais dire à mon tour, toute l'importance que j'attache à cette concertation, à ce dialogue politique entre la France et le Qatar qui est marqué par une dimension politique, par des accords de défense, par une coopération économique très vivace et qui a à la fois une dimension bilatérale et un sens évident quant à la stabilité régionale. Ce dialogue politique est très vivant, il suffit de voir les nombreuses visite à haut niveau, dans un sens comme dans l'autre. Cela vous montre l'intérêt que la France et le Qatar éprouve à se parler et à compléter leurs propres analyses par la connaissance des analyses de l'autre partenaire.
En ce qui concerne la question qui ma été posée sur l'Iraq, les idées françaises présentées au Conseil de sécurité le mois dernier sont toujours là. Elles sont plus que jamais d'actualité. Parmi ces idées, il y a le contrôle que l'on appelle à long terme, - c'est-à-dire aussi longtemps qu'il le faudra de tout réarmement dangereux qui pourrait être décidé par le régime iraquien. Ce n'est pas fondé sur l'idée qu'il y a un potentiel nucléaire actuel : cela fait un certain temps que l'Agence internationale pour l'énergie atomique, comme par ailleurs l'UNSCOM ont reconnu que ce n'était plus le cas. Il n'y a pas que l'aspect nucléaire, il y a d'autres armements de destruction massive et il y a le risque de voir une menace redéveloppée dans l'avenir, si les contrôles n'étaient plus présents, n'étaient plus efficaces. C'est pour cela que nous avons proposé un contrôle de tout futur réarmement dangereux, un contrôle financier pour éviter le détournement des revenus du pétrole vers un réarmement et une levée de l'embargo dans la mesure où, si nos idées étaient appliquées, l'embargo deviendrait inutile. Les discussions se poursuivent notamment au sein du Conseil de sécurité, à propos de nos idées. C'est un des sujets sur lequel nous avons déjà eu un échange tout à l'heure au cours d'un entretien où nous avons saisi d'emblée, les plus importants.
Q - Nous avons observé de nombreuses visites de responsables militaires au Qatar. Au moment-même où vous étiez, Monsieur le Ministre, aux Etats-Unis, le chef d'état-major français est venu ici. Maintenant c'est le ministre des Affaires étrangères français. Et le ministre anglais viendra bientôt. Quelle est la signification de toutes ces visites ?
R - D'abord, je vais revenir à la question précédente : je voudrais également associer mon pays aux condoléances qui ont été exprimées à l'occasion du décès de cheikh Issa. Je voudrais exprimer la profonde sympathie de mon pays envers la population de Bahreïn. J'ai moi-même rencontré l'émir du Bahreïn il y a longtemps, il y a 20 ans. Je lai revu après mais j'ai gardé de cette rencontre un vif souvenir.
En ce qui concerne l'Iraq, ce que nous cherchons, c'est à faire avancer les choses. Toute idée doit être considérée. Je crois qu'aujourd'hui, dans l'immédiat, la difficulté se concentre au sein du Conseil de sécurité, - ce qui n'écarte évidemment aucune autre idée, aucune autre approche d'aucun autre pays. Il n'y a aucune forme de concurrence. C'est au Conseil de sécurité, notamment à travers le travail des trois commissions qu'il a organisées de voir comment il peut redéfinir le cadre de la recherche dune solution au problème iraquien. Ceci en tenant compte de tous les éléments, la dimension humanitaire évidemment mais aussi la sécurité régionale, aujourd'hui et demain. A cet égard, je dois dire que les actions militaires récentes auxquelles il a été fait allusion tout à l'heure ne vont pas du tout dans le sens de la solution telle que nous la concevons.
En ce qui concerne le calendrier des visites, je dirais que c'est un peu le hasard de la vie internationale. C'est très compliqué de gérer les emplois du temps de ministres des Affaires étrangères ou de la Défense ou de chefs d'état major des Armées. En ce qui me concerne, je serais certainement venu plus tôt si je n'avais pas eu les négociations européennes, la négociation sur le Kossovo et beaucoup d'autres choses.
Les visites entre la France et le Qatar ont lieu parce que la relation entre la France et le Qatar est vivante et dynamique. Il ne faut pas trop interpréter les visites en fonction d'un contexte qui souvent n'était pas là lorsque lon a décidé la date. L'important, c'est de savoir si elles sont fructueuses comme je sens que cela va être le cas ici.
Q - Une question au ministre français, y a-t-il un accord européen concernant les garanties qui seraient données au président Arafat ou aux Palestiniens pour un report de leur déclaration de l'Etat palestinien ? Est-il vrai quil y a des dissensions entre Paris et Bonn sur ce sujet ?
R - Pour la question qui me concerne, ce n'est pas un secret de dire que tous les pays de l'Union européenne n'ont pas tous la même approche ni les mêmes positions sur les questions du processus de paix. Néanmoins, il y a un dialogue actif entre l'Union européenne et les Palestiniens sur le point précis auquel vous faites référence, - le 4 mai -, et j'ai bon espoir qu'il aboutisse à une conclusion constructive. La France, à cet égard, fera ce quelle a toujours fait, c'est-à-dire quelle essaiera d'inspirer les meilleures positions possibles.
Q - Vous avez une relation avec le Liban. Le Premier ministre libanais a fait une déclaration selon laquelle le Liban serait prêt à mettre son armée à la place de l'armée israélienne qui occupe le sud du Liban ?
R - En ce qui concerne la question sur le Liban, vous savez que la France joue un rôle actif au sein d'un comité de surveillance des accords sur le Sud-Liban, dans cette région qui est, périodiquement, l'objet d'affrontements. C'est mon prédécesseur qui avait mis au point ce dispositif qui permet aux Etats-Unis, à la France, aux Syriens, aux Libanais, aux Israéliens de calmer la tension et cela a été, à plusieurs reprises, très utile. Evidemment, ce serait encore mieux de régler le problème de fond. Le cadre du règlement a été donné il y a longtemps par des résolutions au sein du Conseil de sécurité. Les trois pays concernés, les trois protagonistes savent que la France est disponible pour toute action utile. Ceci pourrait aller assez loin puisque le président de la République a déjà déclaré que, en cas d'accord, la France serait prête à examiner une éventuelle participation à un système de garantie au sol. Evidemment, nous ne pouvons pas nous substituer aux trois pays concernés par ce problème pour conclure à leur place mais nous les y encourageons.
Je voulais ajouter deux choses. Je voulais vous dire d'abord que nous nous réjouissions de recevoir en France, en juin prochain le Prince héritier, et d'autre part, je voudrais dire quelque chose qui est presque une ingérence, mais une ingérence sympathique : à vos élections municipales du 8 mars prochain, les femmes qataries vont voter pour la première fois. Il se trouve d'ailleurs que cela coïncide avec la journée internationale de la femme, même si ce n'est qu'une coïncidence de calendrier peut-être. Je voudrais simplement exprimer ma sympathie pour cette avancée.
ENTRETIEN AVEC RFI :
Q - Quelle appréciation portez-vous sur les derniers bombardements anglo-américains dont l'Iraq dit qu'ils ont touché ses installations pétrolières ?
R - A l'occasion de la visite que j'effectue dans le Golfe, à Abou Dabi, au Qatar, au Koweït ainsi qu'à Bahreïn, étape que jai décidé de faire en plus pour présenter mes condoléances au nouvel émir, j'ai été naturellement interrogé sur plusieurs des sujets sensibles de ces derniers jours, des manoeuvres iraniennes dans le Golfe, sur les îles Tomb et Abou Moussa et d'autre part sur les frappes américaines ou anglo-américaines. A cet égard, jai dit que ce type de développement militaire ne nous rapprochait pas de la solution du problème iraquien, tel que nous le concevons.
Q - Vos interlocuteurs dans le Golfe partagent-ils ce point de vue ?
R - Je trouve mes interlocuteurs tels que je m'y attendais sur ce plan. C'est-à-dire qu'ils sont très soucieux du sort du peuple iraquien. Ils pensent tous que le régime iraquien a accumulé les mauvaises décisions pour en arriver là, ils souhaiteraient que l'on trouve une issue à ce problème pour aller vers l'avenir sans avoir à ajouter des facteurs supplémentaires de déstabilisation. Ils sont tous attachés à l'équilibre de la région, c'est-à-dire en clair, à l'intégrité de l'Iraq. Aucun de ces pays n'est favorable à ce que l'Iraq puisse être fragmentée, morcelée ou divisée car cest un élément de déstabilisation incontrôlable. Ils sont pris dans une situation difficile et ils savent que leur sécurité, pour l'ensemble de ces émirats, leur développement économique, leur prospérité sont étroitement liés à un certain équilibre régional. Il faut traiter les questions qui se posent avec fermeté et en essayant de ne pas enclencher des mécanismes incontrôlables de désordre supplémentaires. J'ai trouvé mes interlocuteurs très préoccupés et qui, pour ces raisons, ont semblé considérer avec intérêt et sympathie les idées qui ont été mises en avant par la France au Conseil de sécurité.
Q - Lundi prochain, les citoyens du Qatar voteront pour la première fois, les hommes et les femmes pour des élections municipales, qu'est-ce que cela vous inspire ?
R - Je me suis permis une petite ingérence dont j'ai dit que c'était une ingérence inspirée par la sympathie : j'ai salué cette avancée démocratique que représente ce vote des femmes du Qatar qui sont à la fois électrices et éligibles à ces élections municipales qui tombent en plus un 8 mars, c'est-à-dire le jour de la journée internationale des femmes. J'ai fait cette déclaration et il ma semblé que les responsables en étaient assez heureux.
Q - Vous allez vous dérouter quelques heures pour vous rendre à Bahreïn, ce qui n'était pas prévu initialement. Vous aviez rencontré à plusieurs reprises l'émir du Bahreïn.
R - Je n'ai pas prévu daller dans tous les émirats parce que je suis obligé de faire cette visite en deux ou trois fois pour des raisons d'emplois du temps ou d'autres urgences en Europe, et aujourd'hui j'ai appris, au début du déjeuner la disparition de lémir du Bahreïn. Cela ma rappelé plusieurs souvenirs, je lai rencontré à l'époque où j'étais conseiller diplomatique de François Mitterrand, mais je lavais rencontré avant, alors que j'étais chargé de la coopération culturelle scientifique et technique avec les pays arabes, à la direction générale au Quai d'Orsay. Je lai rencontré parce que j'étais à la tête dune mission qui parcourait l'ensemble des émirats. Je lavais rencontré alors qu'il était dans un parc jouxtant son palais, près dune plage, un parc ouvert au public. Je lavais rencontré là, il avait été dune simplicité, dune gentillesse, dune bonhomie frappante. Il m'avait parlé de la France, du général de Gaulle, de son désir de voir la présence française et notamment culturelle être développé dans la région. Jai gardé ce souvenir très vif à travers ce moment de simplicité et de sagesse.
Q - Si je peux me permettre une question plus générale, la Jordanie a un nouveau roi, le Qatar un nouvel émir, c'est une nouvelle génération de quadragénaires qui arrive aux commandes au Moyen-Orient ?
R - Oui, c'est un fait.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 mars 1999)