Point de presse de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, avec les correspondants de la presse française et israélienne le 23 mai 2008 à Jérusalem, sur les progrès enregistrés dans le processus de paix israélo-palestinien, en dépit des obstacles liés aux colonies de peuplement israéliennes et au blocus de Gaza, l'accès des Birmans à l'aide humanitaire et la sortie de crise au Liban.

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Circonstance : Déplacement de Bernard Kouchner dans les Territoires palestiniens les 22 et 23 mai 2008

Texte intégral

Q - Que vous a apporté cette visite ?
R - Je crois qu'elle était très enrichissante, pour moi en tout cas et en particulier parce que cette conférence de Bethléem était quelque chose de tout à fait exceptionnel. Personne n'aurait pensé que dans le secteur privé, il y ait plus de mille investisseurs potentiels, un nombre relatif d'Israéliens et un nombre très relatif de Français. Des investisseurs du monde entier et, je crois, un résultat espéré et un progrès formidable pour la construction d'un Etat palestinien.
Pour le reste, je crois que des progrès existent. Selon les uns et les autres, les deux protagonistes, ils sont mesurés, mais ils existent. Les rencontres se font plus nombreuses, les groupes de travail se réunissent, les experts se rencontrent, donc le processus de paix continue. C'est déjà ça quand on voit les difficultés que cela représente sur tous les sujets, le tracé des frontières, les territoires, les réfugiés, Jérusalem, etc.
Le suivi de la Conférence de Paris, tous les deux mois, a connu des hauts et des bas. Nous sommes parfois, comme la dernière fois, plutôt pessimistes. Cette fois-ci, ensemble, nous avons constaté, lors du sommet bien sûr mais aussi sur le terrain, que des progrès existent. Beaucoup moins sur le terrain, c'est vrai, mais tout ce qui se passe entre Naplouse et Jénine, par exemple, ce n'est pas mal. D'après mes interlocuteurs à Hébron, où j'ai rencontré de nombreuses personnes qui venaient de Naplouse, cela fonctionne, même si ce n'est pas encore aussi bien que nous le souhaiterions.
Il y a toujours les check points, il y a toujours les colonies, il y a toujours ces problèmes immenses, mais le Premier ministre, M. Salam Fayyad, le président, M. Mahmoud Abbas, et, de l'autre côté, Mme Tzipi Livni et Ehud Olmert, continuent de se parler et d'avancer, même s'ils ne sont pas d'accord. Ils ne sont bien entendu pas d'accord et les résultats, comme ils ne sont pas définitifs, ne sont pas publiés. Tout le monde s'interroge, moi le premier : que se passe-t-il ? Le chemin de la paix serait-il bloqué ? Je ne crois pas que ce soit complètement vrai.
Q - Vous revenez d'Hébron. Quand vous voyez cette situation...
R - Je l'ai vu dix-huit fois cette situation : elle est caricaturale. Comme je l'ai dit à mes amis là-bas, je plains les soldats israéliens qui sont obligés de défendre ces gens qui occupent, comme une provocation, le milieu de la ville. Voyons, ce ne sont pas cela les problèmes politiques, ce n'est pas celui là. Bien sûr, c'est très émouvant et même insupportable parce que ce centre ville d'Hébron, qui est un des plus beaux centres historiques de l'humanité, est disputé d'une façon sauvage.
Ce qui est grave, c'est l'immense problème de la colonisation. C'est un problème qui est en train d'être traité et je ne pense vraiment pas qu'Hébron, même le centre, soit le problème politique majeur.
Q - Lorsque vous posez des questions à vos interlocuteurs israéliens sur les check points, sur le blocus de Gaza, sur les assassinats extra-judiciaires, que vous répondent-ils ?
R - Ils répondent tout d'abord que cela s'arrange un peu, ce qui est un tout petit peu vrai même si le nombre de check points n'a pas beaucoup diminué. Je vois plus de compréhension chez eux et je pense, comme beaucoup me l'ont dit et pas seulement les Israéliens, que le problème des check points, qui est évidemment pour la vie quotidienne un problème horriblement présent pour les gens, n'est pas le problème majeur.
Ce qui est plus important, finalement, c'est l'état d'esprit, cet état d'esprit sécuritaire qui est en train de disparaître un petit peu, je crois, de la part de mes interlocuteurs israéliens, ainsi que, bien sûr, le problème des frontières, le problème des échanges, le problème des réfugiés. Je crois que le problème des check points, à Naplouse et Jénine, va s'atténuer entre ces deux villes et qu'ensuite, cela s'atténuera autour de ces villes.
C'est trop long, c'est insupportable pour eux bien sûr, mais je ne pense pas que ce soit le problème majeur. On en a fait le problème majeur parce que c'est tellement criant. Il semblerait qu'il y ait 640 check points ; alors, qu'il y en ait quelques-uns uns qui aient été levés n'est pas une grande victoire. Je pense que cela va s'arranger. Pardonnez-moi de revenir sur ce que je disais, mais c'est parce qu'il n'y a pas d'information sur les progrès fait au sommet qu'on s'attache évidemment à la vie quotidienne ; ce qui est légitime, tout à fait légitime et là, il n'y a pas eu de progrès majeurs, c'est exact.
Q - Avez-vous l'impression que les Palestiniens sont désespérés et que ça n'avance pas assez vite ?
R - J'ai l'impression que cela n'avance pas assez vite et qu'ils se le disent. Mais, il y a deux mois, j'avais davantage l'impression qu'ils avaient ce sentiment qu'il n'y avait plus de processus de paix, des deux côtés, aussi bien dans l'opinion israélienne que dans l'opinion palestinienne. Je n'ai plus cette impression, même et surtout parmi ceux qui ont assisté ou qui ont été les acteurs de la formidable Conférence de Bethléem. Vous ne pouvez pas leur dire qu'il n'y a pas d'espoir ; ils en ont plein. Voilà, je suis désolé, cela ne m'appartient pas.
Q - Monsieur le Ministre, pensez-vous que la nouvelle enquête contre le Premier ministre Ehoud Olmert risque de bloquer le processus de paix ou, du moins, de le retarder, de le ralentir ?
R - Je n'en sais rien du tout et n'attendez de moi aucun commentaire à ce propos ; cela regarde les Israéliens et le Premier ministre.
Q - Que pensez-vous des contacts indirects actuellement menés entre Israël et le Hamas ?
R - Il y a aussi un troisième interlocuteur qui est très important, l'Egypte. Les Egyptiens sont en effet partie prenante et je ne sais pas s'ils sont, pour le moment, disposés à mettre en application ce qui semblait décidé entre eux et le Hamas - et aussi les Israéliens -, pour l'ouverture du passage. Il me semble qu'il y a des complications. Quand j'en ai parlé ici au ministre de la Défense, il m'a dit : "Eh bien, écoute, ce matin, une voiture a explosé". Cela signifie donc que ce n'est pas facile.
Je pense, j'espère, que la perspective d'ouverture du passage est un facteur qui fait espérer un peu plus. Joint au facteur libanais et syrien, cela créé un contexte un peu différent. Je ne dis pas que ce sera réussi à chaque fois, je n'en sais rien du tout, mais il semble que cela donne une atmosphère différente. J'ai constaté qu'elle l'était pour tous ceux que j'ai rencontrés.
Q - Monsieur, tout autre chose, la Birmanie, la junte birmane a accepté que l'aide humanitaire puisse entrer dans le pays.
R - Ce que je sais, c'est que le Secrétaire général des Nations unies a dit que les personnels humanitaires pouvaient entrer dans le pays. J'ai demandé ce que cela voulait dire. S'agit-il de tous les humanitaires qui le souhaitent ? S'agit-il seulement de ceux qui sont en correspondance avec des ONG qui sont là bas ?
En tout cas, pour le moment, il n'y a pas d'autorisation et le bateau français, le Mistral, est toujours bloqué à l'endroit où on aurait besoin de lui. Nous ne sommes plus seuls, il y a là-bas, je crois, trois bateaux américains.
Evidemment, on ne va pas entrer dans les eaux territoriales parce qu'on ne veut pas créer d'incident. Nous sommes juste devant, là où cela va mal, c'est à dire le delta d'Irrawaddy. Il y a donc deux solutions : ou nous irons décharger ailleurs les mille tonnes d'aide humanitaire, c'est à dire en Thaïlande ou des hélicoptères pourraient venir se poser sur le Mistral. Il n'y a aucun problème, mais je ne sais pas si ces hélicoptères seront autorisés à effectuer des rotations en face, dans les îlots où les gens sont isolés. Il y a finalement ces deux alternatives.
Il est prévu une conférence des donateurs, ce qui est quand même le comble, n'est-ce pas ? Les donateurs se rencontreront dimanche à Rangoon pour dire quelle somme ils vont donner à la Birmanie qui refuse l'aide que nous avons déjà payée et qui est juste devant eux. Il y a une situation paradoxale, vous avez vu comment je mesure mes mots. Je ne sais pas ce qui va se passer. En tout cas, dimanche soir, nous, nous aurons pris une décision car nous ne pouvons pas laisser ce bateau, les Américains et tous les autres bateaux qui nous rejoindront non plus, c'est impossible. Ce riz sera utilisé soit par les agences des Nations unies soit directement par le PAM. Nous avons exploré deux ou trois solutions et nous prendrons, je crois, une décision dimanche.
Q - Monsieur le Ministre, le Liban demain, un grand jour ?
R - Ce n'est pas demain, c'est après-demain. Ce n'est pas un grand jour mais c'est un jour attendu. Peut-être, selon une autre configuration, eut-il mieux valu que le Hezbollah ne prenne pas la moitié de Beyrouth pour se faire entendre avec force.
En tous cas, Michel Sleimane, apparemment, enfin je l'espère, sera élu dimanche comme il est le candidat de consensus de l'opposition et de la majorité. Et puis, il y aura la désignation d'un Premier ministre - je ne sais pas lequel - et la formation d'un gouvernement avec une représentation - acceptée à la conférence de Doha -, qui n'était pas exactement celle qui était proposée, mais c'est l'affaire des Libanais.
Je me réjouis quand même, pour y avoir beaucoup participé, que les trois points sur lesquels la France était d'accord avec les protagonistes, avec l'opposition et la majorité, soient les trois points de Doha. C'est mieux que de se faire la guerre et il y a quand même eu, à Beyrouth, plus de 60 morts et 200 blessés. Cela ne pouvait pas basculer davantage encore. Les chrétiens, qui sont divisés ce qui n'est pas un mince événement, ont été assez sages pour ne pas intervenir. Je pense que pour le moment c'est un progrès. En tous cas, cela va dans un bon sens. Nous verrons bien. Rien sur le fond ne me semble réglé, mais c'est mieux d'avoir un gouvernement et un président.
Q - Pour revenir au conflit israélo-palestinien, vos interlocuteurs palestiniens mettent la faute sur les Israéliens ou sur la lenteur des progrès qui sont accomplis ?
R - En particulier sur les colonies de peuplement, bien sûr, mais c'est un obstacle qu'ils ont soulevé dès le début. C'est un des grands problèmes qui, je l'espère, sera réglé. Je ne sais pas exactement comment mais cela viendra après les discussions entre les experts et entre les quatre dirigeants qui mènent la discussion. Comment ? Je n'en sais rien exactement. Par un échange ? J'ai beaucoup apprécié la proposition qui a été faite à cet égard. J'ai rencontré Yossi Beilin, Colette Avital et d'autres membres du parti travailliste et ils m'ont parlé de cette proposition de départ volontaire de certains colons contre une indemnisation - ils m'ont parlé d'un nombre important : 10.000 à 20.000. Il n'est pas question de les forcer, ce n'est pas du tout dans le dispositif ni dans le projet de loi qui va être déposé à la Knesset. Je crois que ce serait un très bon signe pour montrer que la situation va évoluer. Si c'était possible, ce serait un excellent signe. J'en ai parlé à Ehud Barak, par exemple, et à d'autres personnages importants qui sont d'accord et je pense donc que ce projet de loi sera déposé.
Q - Est-il vrai que les députés et les parlementaires israéliens ont demandé à l'Union européenne de participer à la compensation des colons ?
R - Non, ils ne l'ont pas demandé mais après tout nous avons de l'argent. Mais la compensation des colons, ce n'est pas seulement ça, ça ne serait pas possible car l'argent qui a été réservé pour des projets lors de la Conférence de Paris, c'est de l'argent réservé pour des projets qui seraient palestiniens. Mais après tout, qu'est ce qu'on ferait de ces maisons ? Il n'est pas question de les détruire. C'est tout à fait différent de Gaza. A Gaza, on n'avait pas proposé, on a indemnisé les colons après et je crois les colons ne voulaient pas être indemnisés : ils ont détruit leurs maisons, y compris la synagogue. Justement, c'est pour manifester un état d'esprit complètement différent. Moi je trouve que ce projet de loi est très intéressant. Qu'on puisse y participer ou pas, moi, je n'en sais rien du tout. Encore une fois, c'est de l'argent qui a été réservé pour les Palestiniens.
Q - Y a-t-il du nouveau sur le dossier du soldat Gilad Shalit ?
R - Pas à ma connaissance. Pour la première fois, je n'ai pas rencontré les parents de Gilad Shalit. Je ne sais pas si j'aurai le temps de le faire. D'habitude, je les rencontre toujours. En tous cas, ce sont les Egyptiens, en particulier, qui étaient responsables de la négociation actuelle avec le Hamas et je n'ai pas de nouvelles précises.
Q - Monsieur, c'est la quatrième fois que vous venez depuis le mois de septembre. Est-ce que vous avez l'impression que cela a un peu bougé, êtes-vous satisfait ?
R - Je ne suis pas satisfait du tout mais j'ai l'impression que les choses ont bougé. Je ne suis pas satisfait parce que je suis trop impatient. J'ai apporté trop d'espoir à la Conférence d'Annapolis, ce qu'on en a fait après avec la Conférence de Paris. La Conférence de Paris était exaltante. La façon dont les gens intervenaient était... ils parlaient politiquement. Ce n'était pas seulement un chiffre qu'ils donnaient. Ils avaient l'espoir. J'ai des souvenirs émus de ce qu'a dit le Sénégal ou Chypre. Ils y croyaient. Alors, on y croit encore même si nous avons eu le temps d'être déçus. Peut-être est-ce stupide parce qu'après tout, un conflit qui dure depuis tant d'années, qui a été retourné dans tous les sens, toutes les tentatives de paix qui ont été faites, cela prenait beaucoup plus de temps que ce qui s'est passé là. Je suis donc impatient mais, en même temps, relativement satisfait de la façon dont le processus se poursuit.
Q - Monsieur le Ministre, cette semaine, lors d'un colloque, plusieurs ambassadeurs se sont interrogé sur les relations entre la France et Israël et notamment sur l'ère Sarkozy. Pensez-vous qu'il y a un changement, dans quelle mesure y aurait-il un changement, dans les relations entre la France et Israël depuis la présidence de M. Sarkozy ?
R - D'abord il y a un changement dans la manière de faire, d'être au côté des gens, de rester plus longtemps, de revenir, d'être avec eux, aussi bien les Israéliens que les Palestiniens. D'ailleurs, il n'y a pas un voyage en Israël qui ne s'accompagne d'un voyage en Palestine. Il y a un changement parce que nous avons décidé, de façon volontariste, que la Conférence de Paris se tiendrait au lieu dit : Paris. Et puis nous avons beaucoup investi : sentimentalement, politiquement. C'est plus facile d'être reconnu comme des amis de part et d'autre, sans arrière pensée je le crois, et cela permet donc de parler franc. Donc, nous parlons franc. Nous n'avons jamais caché à nos amis israéliens que les colonies ne pouvaient être tolérées plus longtemps, que ce n'est pas possible, que ce sera un obstacle. Nous l'avons dit clairement. Je l'ai répété aujourd'hui.
Le problème se pose, ils le savent et ils ne parlent que de cela. Ils en parlent sans faire état des progrès parce qu'il semble que sur cet aspect précis les progrès soient lents. Mais ils sont décidés, j'en ai parlé à Abou Mazen, hier, et il m'a dit qu'ils avaient été échaudés quand on a publié les progrès à Madrid. Je pense que c'est leur façon de travailler. Ils sont tout à fait responsables de ce qu'ils font. En tous cas, c'est plus facile.
Qu'est ce qui a changé ? Nous sommes très bien reçus dans le monde arabe et nous sommes très bien reçus en Israël. Est-ce que cela veut dire que tout est clair entre nous ? Non. Ce veut dire qu'on le dit clairement ; c'est autre chose. Sur bien des points, on a le droit d'être en désaccord. Ce n'est pas un désaccord parfait mais c'est plus facile, franchement. On parle plus clairement, les arrières pensées n'existent pas, le langage n'est pas le même. Peut-être est-il un peu plus moderne.
Q - Pour en revenir à ma question de tout à l'heure, avec M. Olmert tout risque d'être bloqué. Tout le processus risque d'être bloqué ?
R - Si j'avais une réponse, d'abord, je ne le dirais pas. Le Premier ministre et la justice israélienne en savent plus que moi. Franchement, je constate que oui cela pourrait... Mais il y a bien des choses qui pourraient bloquer le processus. Et d'ailleurs, à ce propos, mes interlocuteurs palestiniens s'en soucient également et ils ont répondu : "nous avons commencé une négociation avec quelqu'un et nous souhaitons la finir avec la même personne". Je comprends cela très bien mais je n'ai pas de renseignement précis. Je souhaite que cela se passe vite et bien. Pour qu'un processus de négociation aboutisse, il faut que s'installe entre les gens une véritable alchimie et je crois que c'est le cas. C'est d'ailleurs peut-être qui ce fait le changement de ton. Cela met du temps. Il faut quelques mois pour devenir familier. Au début, ils se voyaient une fois tous les 15 jours, ce n'était pas suffisant. Désormais, ils se voient assez régulièrement, parfois deux fois par semaine. Tzipi Livni et Abou Ala font la même chose. Ils se sont découverts, ils ne se connaissaient pas non plus.
Merci.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 mai 2008