Interview de M. Jean-Claude Mailly, secrétaire général de FO, à LCI le 2 juin 2008, sur la durée du travail, le pouvoir d'achat et les retraites, la représentativité syndicale et la grève du 17 juin prochain.

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Média : La Chaîne Info

Texte intégral


 
 
 
C. Barbier.- J.-C. Mailly, bonjour.
 
Bonjour.
 
Force Ouvrière se joindra-t-elle à la journée d'action du 17 juin programmée par la CGT et la CFDT ?
 
La commission exécutive de Force ouvrière s'est réunie hier dimanche, a débattu de la situation. Nous faisons plusieurs constats. Premièrement, que sur le dossier comme celui des retraites, nous considérons qu'une manifestation de plus, ce n'est pas ça qui fera changer le Gouvernement et qu'il faut donc taper fort. Ce que nous avons proposé aux organisations syndicales, lors des deux dernières intersyndicales la semaine dernière, lundi et jeudi, la CGT et la CFDT ont refusé ce que nous appelons nous une "journée de grève interprofessionnelle" qui serait appelée par l'ensemble des organisations pour peser fort sur le Gouvernement. Premier constat. Et nous demeurons, nous, fermes sur notre volonté de bloquer les compteurs à 40 comme je dis, de ne pas passer à 41, et entre les organisations il n'y a pas forcément homogénéité là-dessus. Deuxième point, le mécontentement qui persiste sur le pouvoir d'achat, sur l'absence de prime transport qui est là depuis des mois et qui continue, et notamment le prix du pétrole. Troisième point, sur la durée du travail, le Gouvernement c'est inacceptable ce qu'il fait, mais ce que nous avons confirmé hier et à l'unanimité de la commission exécutive, c'est qu'il ne fallait pas mettre le doigt dans le porte. Or CGT et CFDT, dans la position commune sur la représentativité, d'une certaine manière lui donnent un feu vert, un feu vert en ce sens où ils acceptent de déroger dans l'entreprise par accord majoritaire au contingent des heures supplémentaires. Et qu'à partir de là, le Gouvernement s'est engouffré là-dedans pour faire quelque chose de dangereux, c'est inévitable. Et nous sommes, nous, attachés à la réduction de la durée du travail et aux 35 heures. Mais ce que nous disons, la meilleure manière aujourd'hui pour couper ou tirer le tapis sur le pied au Gouvernement, c'est que ces organisations retirent leur signature.
 
Vous leur avez demandé de retirer leurs signatures, elles n'ont pas répondu.
 
Chacun ses responsabilités. Dans ces conditions-là, nous, on ne veut pas être complice de ce genre de situation. Donc, Force Ouvrière a décidé de ne pas appeler au 17 juin, nous sommes nous toujours demandeurs d'une forte mobilisation par le biais d'une journée de grève interprofessionnelle, notamment sur le dossier retraite, nous allons mobiliser dans les semaines à venir, faire des meetings, mobiliser nos militants, faire beaucoup d'informations mais à un moment donné, il faut savoir ce que l'on veut. Si l'on veut bloquer le Gouvernement, ce n'est pas en faisant des manifestations, même avec un million de personnes dans la rue, que ça changera.
 
B. Thibault veut rassembler un million de personnes dans la rue. Vous aviez fait, dit-il, 700.000 pour les retraites le 22 mai, ça serait quand même très très fort : un million de personnes dans la rue contre le Gouvernement ! Est-ce que vous n'êtes pas en train de priver le mouvement social global d'une grande journée ?
 
Non, non, pas du tout parce que si l'on voulait vraiment taper fort sur les retraites par exemple, ce n'est pas simplement une manifestation de plus. Ah non ! Nous avons fait le 22 mai, il y a eu 700.000 manifestants sur l'ensemble du territoire, imaginez un million de manifestants, est-ce que le Gouvernement dira « ok, j'arrête tout et on reste à 40 ans » ? Je n'en ai pas le sentiment, ce n'est pas ce qu'il y a. Donc il faut aller plus fort, il faut taper plus fort, qui plus est... je rappelle qu'on arrive à la mi-juin, que 15 jours après c'est les vacances. Si l'on veut peser vraiment, c'est maintenant qu'il faut taper. Ce n'est pas dans 15 jours sur une manifestation, qui plus est en mélangeant les dossiers : retraite, 35 heures - et 35 heures dans les conditions que j'ai indiquées. Il faut bien comprendre que dans cette affaire, demain la législation européenne qui était très en dessous de la législation française risque d'être le rempart, ce qui est inacceptable. Pourquoi avoir accepté à partir de là, sur un texte sur la représentativité, de parler du temps de travail ? Est-ce qu'ils ont cédé à une demande de Madame Parisot ou pas ? Je n'en sais rien. Mais nous, dès la signature de la position commune, nous avions dit « nous ne signons pas notamment pour cette raison ». Nous avions anticipé... non pas ce que ferait le Gouvernement, on n'était pas au courant mais que c'était un danger, comme j'ai dit, d'entrouvrir la porte si on ne veut pas qu'elle s'ouvre.
 
Vous avez l'impression que CGT et CFDT ont vendu leur âme sur la réduction du temps de travail parce que sur la représentativité, la domination du syndicalisme leur était acquise ?
 
Attendez, elles ont surtout, sur la représentativité et pour avoir ce qu'elles souhaitaient en matière de représentativité, accepté des concessions mais des concessions qui sont graves pour les salariés, moi je le dis clairement. On est dans un modèle qui s'appelle le modèle républicain qui ne donne... il y a des négociations d'entreprise, mais au-dessus des négociations d'entreprise, il y a des négociations de branche, il y a la loi etc. Si demain, la logique qui est entamée dans cette position commune conduit à privilégier la négociation d'entreprise - ce dont Monsieur Seillière rêvait - au détriment des autres niveaux de négociation, ça veut dire que les travailleurs vont être pieds et mains liés dans leurs entreprises, notamment quand il n'y a pas de syndicat vis-à-vis des employeurs. Donc, pourquoi avoir mis ça dans un texte sur la représentativité ?
 
Pourquoi ne faites-vous pas confiance au niveau de l'entreprise pour négocier ? On peut dans les entreprise, en connaissant bien son marché, les périodes d'activité fortes et faibles, avoir la bonne négociation sur les hommes supplémentaires !
 
Parce que ce que nous appelons le modèle républicain, c'est qu'on assure un minimum d'égalité de droits entre les salariés. Quand vous signez un accord de branche, dans la chimie par exemple, cet accord de branche va s'appliquer dans les entreprises où il y a des syndicats, les grosses multinationales par exemple, mais il s'appliquera aussi dans la TPE. C'est un minimum d'égalité, de solidarité entre les salariés. Si demain, on renvoie l'essentiel des débats dans les entreprises, là où les syndicats seront forts, les salariés seront couverts comme aux Etats- Unis, mais là où il n'y a pas de syndicats, ils seront pieds et mains liés. C'est la fin du modèle républicain...
 
La TPE, la PME ont peut-être besoin de plus de souplesse que la multinationale justement, pour...
 
Oh attendez ! Ils l'ont la souplesse, la TPE et la PME. Vous savez, la liberté syndicale dans notre pays dans une PME, c'est loin d'être évident. Si vous êtes salarié dans une PME, s'afficher syndicaliste ce n'est pas aussi évident que ça, vous pouvez être viré pour ça.
 
En préservant la durée légale de 35 heures comme durée hebdomadaire du travail, le Gouvernement garantit tout de même que les heures effectuées en plus soient mieux payées, très bien payées, défiscalisées...
 
Théoriquement...
 
C'est l'un des avantages de la loi TEPA ?
 
Théoriquement, parce qu'à partir du moment où on pourra déroger sur tout, sur le forfait, sur les heures supplémentaires, le contingent d'heures supplémentaires, ça veut dire quoi demain ? Que la garantie ce sera quoi ? 48 heures maximum au niveau hebdomadaire, ça c'est l'Europe, et 11 heures de repos consécutives. Ça veut dire que dans les faits, on remet en cause la durée légale du travail, c'est ça que ça signifie, donc c'est inacceptable.
 
Le système du forfait d'heures annuelles, système très compliqué, pourra être étendu à de nouvelles catégories de salariés, là aussi il s'agit de mieux répondre à l'économie moderne qui est fluctuante !
 
Non, non, il s'agit surtout de faire une durée du travail sans la contrôler, ça existe déjà aujourd'hui pour les cadres dans les entreprises ou pour certains salariés itinérants, de faire des tonnes d'heures parce qu'on est sur un système de forfait. Ecoutez, moi j'ai visité l'entreprise de la métallurgie la semaine dernière de 280 salariés, Schneider pour ne pas la citer, le syndicat a fait un sondage chez les salariés en disant : par exemple, est-ce que vous êtes prêts à vendre vos jours de RTT ? 70 % ont répondu non. Donc les salariés sont aussi attachés, non seulement à la durée légale du travail à 35 heures mais aussi à pouvoir récupérer. Parce que la mise en place des 35 heures, ça s'est traduit aussi par beaucoup plus de flexibilité et des conditions de travail dégradées dans les entreprises. Là, la remettre en cause c'est... on met en place les 35 heures à l'époque et nous, nous avons été critiques, non pas sur les 35 heures mais sur la méthode retenue à l'époque. Après, on a aidé les entreprises par des exonérations, on continue toujours d'ailleurs ce que j'appelle la double peine. Et là, si on remet en cause de fait la durée légale, c'est la triple peine, ce n'est pas acceptable.
 
« X. Bertrand manie le mensonge » déclare B. Thibault, « nous avons été trompés » disait F. Chérèque, c'est votre sentiment, c'est un ministre...
 
En tout cas, moi je ne sais pas ce que le Gouvernement a dit à B. Thibault et F. Chérèque, mais là aussi il y a un problème de fond si vous voulez. Ce n'est pas parce qu'on signe un accord - et là ce n'est même pas un accord, c'est une position commune - que les députés sont obligés de suivre ce que vous avez signé, sinon ça voudrait dire que syndicalement nous sommes aussi députés. Que l'on signe un accord, comme nous avons signé le 11 janvier, que l'on regarde...
 
Sur le contrat de travail.
 
Oui, sur le contrat de travail, que l'on regarde s'il n'est pas dénaturé... mais moi, j'avais dit à mes interlocuteurs à l'époque, gouvernement et députés : vous ferez ce que vous voudrez, c'est vous qui votez les lois, nous on n'est pas à votre place, on ne mélange pas les choses, syndicalisme indépendant ce n'est pas faire de la politique. Mais je vous préviens, si jamais vous touchez à l'équilibre de ce texte et que ça ne nous convient pas, alors nous retirerons notre signature.
 
Alors vous voulez taper fort en mélangeant retraite et réduction du temps de travail et le contrat dans le même combat...
 
Et salaire. Salaire et retraite.
 
C'est la carpe et le lapin quand même...
 
Non. Nous, nous avions dit la semaine dernière, avant qu'on parle du dossier des 35 heures, nous avions proposé aux autres confédérations sur le seul dossier retraite : est-ce que tout le monde est vraiment d'accord pour qu'on n'aille pas au-delà de 40 ans ? Ce n'est pas aussi évident que ça. Nous, on ne veut pas se retrouver dans un scénario à la 2003, où une organisation finalement avait accepté, une autre avait...
 
CFDT...
 
Oui, une autre avait, aux dires de Monsieur Fillon, ministre du Travail à l'époque, CGT, joué un rôle d'opposition raisonnable. Attendez, ce n'est pas sérieux ça, à un moment donné, il faut tenir le langage de la vérité. Nous, nous sommes prêts à en découdre mais nous sommes prêts à en découdre clairement. Et sur les retraites, ce que nous avons proposé c'est une journée de grève interprofessionnelle.
 
En découdre, une journée de grève mais une journée de grève reconductible, vous voulez partir pour un conflit long, dur ?
 
Monsieur Barbier, ce n'est pas comme ça que ça se passe dans la vie. Imaginez que l'ensemble des syndicats, sur un dossier comme les retraites, disent : allez, ça suffit maintenant, on appelle l'ensemble des salariés du public et du privé à se mettre en grève tel jour. Après on regarde. Si la grève prend bien, parce que tout le monde a appelé - une seule organisation ne peut pas faire ça aujourd'hui, il faut que ce soit l'ensemble des organisations - si la grève se passe bien le premier jour, quand je dis se passe bien c'est qu'elle est réussie, eh ben ! On se revoit le soir ou le lendemain matin et on voit ce qu'on fait, c'est ça la réalité des choses.
 
Prendre les surplus actuels de l'Assurance chômage pour financer les retraites, c'est une solution que vous retenez ?
 
Nous ne l'écartons pas a priori mais ce n'est pas dans nos priorités et ce n'est pas au Gouvernement de décider. D'abord si la situation financière du régime d'Assurance chômage s'améliore, il faut d'abord mieux indemniser les chômeurs, ça c'est notre priorité. Il faut régler le problème des saisonniers. Aujourd'hui, avec la dernière convention d'Assurance chômage, au bout de 3 saisons ils ne sont plus couverts. Et après, on regarde s'il reste de l'argent, mais d'abord améliorer la situation des chômeurs.
 
Le président de la République va annoncer les grandes lignes de la réforme du lycée aujourd'hui, et notamment des profs qui auront un niveau d'un an supérieur pour rentrer dans la carrière, et donc qui seront mieux payés, niveau master c'est bien !
 
C'est une entourloupe. Je dis que c'est une entourloupe parce que ça veut dire qu'on va mettre... il n'y aura plus les IUFM, les écoles de formation des maîtres, même s'il fallait les réformer. On va dire aux étudiants : on va vous créer une filière spéciale pour enseigner, vous aurez un master, ça fait 4-5 ans d'études, mais vous n'êtes pas sûr pour autant d'être enseignant après. Ça veut dire que l'Etat économisera... parce qu'aujourd'hui, vous passez le concours de l'IUFM...
 
Vous êtes payé.
 
Vous êtes payé et vous êtes assuré quasiment d'être enseignant. Là, vous ne le serez plus, il y a un côté entourloupe.
 
Le 10 juin, jour du débat sur la mobilité des fonctionnaires, mouvement social dans la Fonction publique. Pourquoi les fonctionnaires ne sont-ils pas satisfaits du système de pécule pour les inciter à quitter la Fonction publique ?
 
Parce qu'on est en train de faire dans le public les mauvaises choses du privé je dirai : favoriser une mobilité qui existe dans le public, mais si vous n'acceptez pas la mobilité, vous êtes viré. Premier exemple, on est en train de faire les mêmes règles de dialogue social dans la Fonction publique que dans le privé. La France, de manière je dis honteuse parce que personne n'en discute et ça c'est révoltant, on est en train de passer du modèle républicain vers le modèle anglo-saxon. Mais comme il est difficile pour les responsables politiques de dire « écoutez, la République on n'en veut plus », ils n'osent pas le dire, parce que tout le monde est attaché aux principes républicains, donc on fait ça en catimini.
 
J.-C. Mailly merci, bonne journée.
 
Merci à vous.
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 2 juin 2008