Interview de Mme Laurence Parisot, présidente du MEDEF, à RTL le 23 mai 2008, sur la réforme des retraites, notamment la durée des cotisations sociales, la pénibilité et la durée du travail.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

L. Parisot (Medef)
 
RTL 7h50
 
Vendredi 23 mai 2008
 
 
 
J.-M. Aphatie.- Plusieurs manifestations ont eu lieu hier, à l'appel des syndicats, en province et à Paris, pour protester contre la réforme des retraites. Quelles leçons tirez-vous de cette journée ?
 
Il me semble que c'est une journée qui est un signe de protestation, mais surtout, le signe d'une très grande angoisse. Et cette angoisse me semble tout à fait justifiée. Nous avons, sur la question des retraites un énorme problème qui n'est même pas devant nous, qui est déjà. Nous ne somme spas certains, aujourd'hui, de pouvoir verser les retraites de ceux qui partiront à la fin de leur carrière professionnelle, et ce, dans quelques années. Il y a un très grand danger.
 
Les manifestants d'hier, ce n'était pas l'angoisse qu'ils manifestaient c'était le désaccord : nous ne voulons pas, pour une majorité d'entre eux - on rentrera dans les nuances un peu après - de l'augmentation de la durée de cotisation soit prise par le Gouvernement - la décision d'augmenter la durée de cotisation.
 
Oui, c'est vrai que beaucoup disaient cela de manière tout à fait claire. Mais est-ce qu'au fond, ce n'est pas parce qu'ils disent d'abord - et ça, je crois que nous l'avons tous entendu aussi - "nous voulons un système de retraite qui marche". Or cela fait des décennies que nous comprenons tous, à la faveur de tel rapport, de telle position de Gouvernement, qu'il soit de droite ou de gauche, que nous savons que notre système de retraite va dans le mur.
 
Selon vous, il n'y a pas d'autre moyen que d'augmenter la durée de cotisation ?
 
La vraie question, c'est que tous les deux, trois ans, tous les cinq ans, on nous dit qu'il faut faire telle ou telle chose, par exemple allonger la durée de cotisation et cela nous permettra de résoudre une partie du problème ; eh bien je crois qu'il faut arrêter de donner régulièrement des rendez-vous pour dire "on va résoudre une partie des problèmes". Il faut, aujourd'hui, résoudre totalement le problème. Or il existe une solution, il n'y a pas plusieurs possibilités, il y a une solution. La solution, c'est à la fois allonger la durée de cotisation, 41 ans, ça c'est une évidence, et déplacer l'âge légal de départ à la retraite.
 
C'est votre nouveau cheval de bataille ça !
 
Ce n'est pas un cheval de bataille pour le Medef en particulier, c'est, je crois, un cheval de bataille pour toute la société française. Vous savez, ce n'est pas une question idéologique, ce n'est pas une question symbolique, c'est tout simplement une question démographique et mathématique. Quand, en France, nous avons adopté au début des années 80 un âge de départ à la retraite à 60 ans, nous l'avons fait juste au moment où l'espérance de vie de l'ensemble des Français était en train de s'allonger et de s'allonger d'une manière accélérée. A l'époque, on était à peu près à une espérance de vie de 70 ans, aujourd'hui, on a une espérance de vie de 77, 78 ans, plus encore pour les femmes. C'est une bonne nouvelle ; intégrons cette bonne nouvelle mais comprenons aussi qu'elle a des conséquences sur le financement des retraites.
 
Et donc, vous dites 63,5 ans. F. Chérèque était à votre place hier matin, et il disait que quelqu'un qui aura commencé à travailler à 18 ans, cotisera 45 ans, ce n'est pas normal. Ce n'est pas une égalité devant la retraite, disait-il.
 
Mais pourquoi pas ? En quoi c'est si dramatique que ça de travailler jusqu'à 63,5 ans ?
 
 
Il y a des gens qui ont envie de s'arrêter avant, parce que leur travail est pénible, parce qu'ils en ont marre, parce qu'à 60 ans, ils sont fatigués, il y a plein de raisons...
 
On peut d'abord imaginer un système de retraite par point qui permet de choisir à la carte son départ à la retraite. Mais il y a aussi beaucoup de gens qui ont envie de travailler plus longtemps. On entend aujourd'hui pas mal de catégories professionnelles dire "pourquoi nous oblige-t-on à partir si tôt alors que nous, on veut travailler parce qu'on aime notre métier, parce qu'on y prend du plaisir, parce que le travail, c'et aussi un lieu d'épanouissement et de liberté. Savez-vous, par exemple, que beaucoup de salariés issus de la fonction publique ou d'entreprises publiques qui ont des régimes qui les ont amené à partir à la retraite à 50/55 ans, ensuite cherchent à travailler dans un autre métier, une autre carrière.
 
Il y a aussi des gens qui ont des travaux pénibles et qui eux, aimeraient partir plus tôt, et cela renvoie à une négociation que vous n'arrivez pas à conclure, "de la faute du Medef", disaient les syndicats, sur la pénibilité.
 
Ce n'est pas de notre faute en particulier, c'est une question de raisonnement. Ce que nous disons sur les métiers pénibles, premièrement c'est, oui, il y a des métiers qui, s'ils ont été exercés toute une vie peuvent provoquer des séquelles physiques et psychiques extrêmement graves. Nous sommes tout à fait d'accord pour délimiter ou définir un certain nombre de critères qui seraient des facteurs de risques de définition de métiers pénibles. Mais ensuite, il faut que ces personnes qui rentreraient dans ces critères, puissent passer par une commission médicale pour établir d'une manière certaine, d'une manière scientifique, que leur état est lié à leur carrière professionnelle. Je vous donne une exemple : souvent, on me dit, certains syndicats me disent "mais par exemple une carrière où toute sa vie on a été en plein air, c'est le signe d'un métier pénible", non ! Parfois oui, parfois, d'autres fois, non. Quand vous êtes moniteur de surf, vous êtes en plein air, ce n'est pas un métier pénible. Donc, il faut...
 
Individualiser la question...
 
Voilà. Il faut le filtrage individuel. Dans ce cas-là, bien sûr que nous sommes pour la reconnaissance et un mécanisme spécifique pour les métiers pénibles.
 
Qu'attendez-vous du Gouvernement sur cette question, sur l'âge légal du départ à la retraite ? Qu'il prenne une mesure rapidement ?
 
J'attends tout d'abord que la vérité soit dite aux Français, la vérité des chiffres.
 
Il ne la dit pas ?
 
Je crois que le débat n'est pas assez approfondi. Je vais vous donner un exemple : on nous parle beaucoup du taux d'activité des seniors, en nous disant "mais c'est dramatique, en France on a un taux d'activité des seniors..."
 
De 38 %...
 
Voilà, 38 %, "c'est bien moins que la moyenne européenne, etc." Mais c'est logique, c'est mathématique. Les seniors, c'est une tranche d'âge qui va de 55 à 65 ans. Comme on part à la retraite à 60 ans, eh bien évidemment vous avez un taux d'activité, si vous calculez sur ces 55-65 ans, qui est particulièrement bas, alors que dans tous les autres pays européens, et nos voisins immédiats, l'Angleterre, la Belgique, l'Allemagne, l'âge légal du départ à la retraite c'est 65 ans. Donc, mécaniquement, mathématiquement, leur taux d'activité des seniors est plus élevé puisque tous ceux qui ont entre 60 et 65 ans travaillent.
 
Donc qu'on dise la vérité et que le Gouvernement prenne une mesure pour retarder l'âge de départ... Vous souhaiteriez qu'il fasse quelque chose là-dessus ?
 
Oui, je pense que ce Gouvernement, qui a, depuis un an, été très courageux a, je crois, mis beaucoup de tabous sur la table. Je crois qu'il faut approfondir le débat et ne pas avoir peur de poser la question de l'âge légale de départ à la retraite.
 
P. Devedjian demande le démantèlement des 35 heures, vous le soutenez dans cette demande ?
 
Je crois que j'ai été la première personne en France à dire qu'il fallait penser différemment la durée du travail, et faire en sorte que celle-ci soit définir entreprise par entreprise, à la rigueur branche professionnelle par branche professionnelle, par contrat, par accord, entre la direction d'entreprise et les représentants du personnel de l'entreprise, entre le patronat et les syndicats.
 
Donc, bravo Devedjian ?
 
C'est-à-dire qu'il ne faut pas que la durée du travail soit définitivement et uniformément par la loi mais par le contrat. Mais il y a des moments pour faire les choses. Nous avons, avec les syndicats adoptés une position commune dans laquelle nous apportons des aménagements sur la durée du travail. Ce qui est important maintenant, c'est de mettre en oeuvre ces aménagements, et on verra plus tard. Les bonnes choses sont bien, mais à des moments qui leur conviennent.   
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 23 mai 2008