Texte intégral
C. Barbier.- L. Parisot, bonjour.
Bonjour.
Le palmarès annuel de L'Expansion révèle que les revenus des patrons du CAC 40 ont augmenté de 58 % en 2007, pour atteindre 161 millions d'euros. N'est-ce pas choquant, en pleine crise du pouvoir d'achat en France ?
Je crois qu'il faut dire très rapidement, mais je ne vais pas m'y attarder, que la méthodologie présentée par L'Expansion est très contestable, et donc, les conclusions à peu près, sont approximatives, celles que vous venez de présenter. Mais, sur le fond, je n'hésite pas à dire que je suis choquée par certains comportements, et il faut savoir que depuis quelques mois, le comité éthique du Medef travaille sérieusement, en profondeur, sur cette question. Il présentera, au plus tard au mois de septembre, un certain nombre de conclusions et de recommandations, et je peux d'ores et déjà vous dire que nous considérons absolument anormal de rémunérer l'échec, et nous nous posons des questions également sur le dévoiement du système de stock-options. Je crois que l'esprit des stock-options, tel qu'il avait été conçu à l'origine, était bon, c'est-à-dire faire participer les dirigeants à la réussite de l'entreprise, en leur permettant d'accéder au capital de l'entreprise. Aujourd'hui, il y a une utilisation largement abusive du système.
Vous souhaitez que la puissance publique, l'Etat, vous aide en proposant, en prévoyant des lois pour encadrer tout cela ?
Non, parce que ce serait certainement très dangereux pour l'attractivité de la France. C'est un sujet qu'il faut traiter au niveau français mais aussi au niveau international. Je crois qu'on y perdrait beaucoup à vouloir... Certainement on se ferait plaisir dans l'immédiat, et on satisferait peut-être l'opinion publique, mais à légiférer, à interdire, on provoquerait certainement une sorte d'exil des meilleurs talents français. Au total, on n'y gagnerait pas. Mais, il est évident qu'il y a des normes, des références, à introduire pour éviter les excès et les excès scandaleux que l'on peut voir dans certains cas.
N. Sarkozy a refusé hier, tout net, de repousser l'âge légal de la retraite à 63 ans et demi. Vous le souhaitiez, de départ à 63 ans et demi. Vous êtes déçue aujourd'hui ?
Je crois qu'il faut bien voir que le Gouvernement, depuis quelque temps déjà, a fait beaucoup avancer le dossier des retraites. D'abord avec la réforme des régimes spéciaux, puis en faisant comprendre qu'il entérinait sans aucun doute les 41 années d'annuités qu'il avait déjà actées en 2003. Donc je dirais que si on considère la problématique des retraites comme un malade à soigner, le Gouvernement améliore l'état du malade. Simplement, j'ajouterais qu'il faut que les Français sachent qu'on peut guérir le malade, que l'on peut, pas simplement améliorer sont état, mais le soigner, le soigner définitivement. Et pour cela, il faut accepter l'idée de ne pas rester figé sur un âge légal de départ à la retraite à 60 ans. J'ai voulu apporter notre contribution au débat, en expliquant cela. Il y a une solution à la question qui nous est posée tous les deux ans, tous les trois ans, des retraites, c'est horriblement anxiogène, sans arrêt on se dit : oh la, la, il faut faire un nouveau rendez-vous retraites, parce que le déficit est là et on ne sait pas comment rétablir l'équilibre.
Le Gouvernement a une autre thérapeutique à proposer : on prend les cotisations chômage, que l'on fait baisser puisque le plein emploi approche et on augmente les cotisations retraite.
Ça, ça ne me semble pas très sérieux. Savez-vous que, à la fin de l'année 2008, selon toutes les prévisions, le régime d'assurance chômage aura encore un déficit de 5 milliards d'euros. Est-ce que l'on va essayer d'entamer voire même à nouveau d'aggraver ce déficit pour rendre un peu moins spectaculaire le déficit de l'assurance vieillesse ? Nous avons plusieurs foyers d'endettement en France : les régimes sociaux, les déficits des systèmes publics. Il faut soigner et éteindre chaque foyer d'endettement les uns après les autres. Alors, ça, j'ai déjà dit clairement au Gouvernement qu'il appartenait aux seuls partenaires sociaux de définir le niveau de cotisations de l'assurance chômage, c'est une négociation qu'on va ouvrir probablement avant l'été et qu'on va essayer de conclure d'ici la fin de l'année. Le Medef, en tout cas, n'est absolument pas favorable à ce transfert qui, sur le fond, ne résoudra rien.
La durée légale hebdomadaire du travail restera fixée à 35 heures, le Président l'a dit. Le regrettez-vous ou bien vous consolez-vous en lisant Les Echos ce matin où X. Bertrand annonce que dans chaque entreprise, on pourra jouer sur les repos compensateurs et sur les contingents d'heures supplémentaires ?
L'idée que nous défendons est qu'il faut abandonner la durée légale du travail pour définir la durée du travail, entreprise par entreprise, par accord entre représentants du personnel et direction de l'entreprise. C'est le système que la plupart des pays européens ont adopté et c'est un système efficace, parce qu'il permet d'évoluer, en fonction des conjonctures, des situations.
Il permet surtout pour les patrons de ne pas payer d'heures supplémentaires, parce que comme il n'y a pas de base de départ...
Pas du tout ! Mais non, non, non. Au contraire, si vous décidez, dans votre entreprise, ici, à LCI, que la durée du travail, par accord entre les représentants du personnel et la direction, elle est à 36 heures par exemple, ça veut dire qu'à partir de 36 heures, vous déclenchez le système des heures supplémentaires, à un tarif que vous pouvez également discuter entre direction de l'entreprise et représentants du personnel. C'est à mon avis la méthode la plus moderne. Ceci dit, nous avons très récemment, avec notamment la CFDT et la CGT, adopté une position commune sur la représentativité et au sein de cette position commune, il y avait des dispositifs d'aménagement de la durée du travail. Eh bien moi je dis : nous devons respecter le travail que nous faisons entre partenaires sociaux, l'effort que nous faisons quand nous concluons un accord. Là, il y a à peine un mois, un accord qui a été conclu, c'est les termes de cet accord qui doivent être respectés aujourd'hui.
Reprenez-vous à votre compte le combat du Président, au niveau européen, pour baisser la TVA sur la restauration, vieux combat, et peut-être sur d'autres domaines, les logements écologiques ou le disque ?
Oui, je pense que... je soutiens en tout cas depuis longtemps le combat sur ce type de TVA pour la restauration, le bâtiment et je suis tout à fait d'accord pour considérer la musique comme un produit culturel, un bien culturel, au même titre que le livre.
La loi de modernisation économique prévoit de favoriser l'implantation de grandes surfaces. Cette idée vous plaît-elle ?
Je ne dirais pas les choses comme ça. La loi de modernisation de l'économie introduit plus de concurrence. Elle introduit les conditions de la négociation entre distributeurs et fabricants pour qu'il y ait le plus de liberté possible dans cette négociation. Par ailleurs, elle essaie d'introduire une plus grande concurrence possible entre grandes surfaces. Moi, je pense que la concurrence, c'est ce qui stimule le plus l'activité économique et qui permet les baisses de prix qui ensuite favoriseront le pouvoir d'achat.
S'il y a plus de liberté pour les entreprises, vous devez être favorable à ce qu'on appelle les "class action", les actions de groupe, pour que les consommateurs puissent se défendre contre certaines firmes.
Eh bien, les consommateurs peuvent déjà se défendre. Il y a déjà beaucoup de mécanismes en droit français pour pouvoir le faire. Et ce qu'on voit, dans tous les pays qui ont introduit des "class action", c'est que tous se demandent comment revenir en arrière, tellement ça a coûté cher aux entreprises et donc aux salariés de ces entreprises, parce que c'est un mécanisme et on n'a pas trouvé pour le moment d'autres façons de l'aborder. C'est un mécanisme qui ouvre grand la porte à tous les abus, à tous les chantages. Donc, dans une économie française qui est encore fragile, compte tenu du contexte international, et qui est en train de se réformer, je pense que ce n'est certainement pas la première réforme à faire.
Est-il vrai, comme l'affirmait Le Parisien hier, que vous avez fait surveiller en 2005 les salariés d'une de vos entreprises, par un cabinet spécialisé ?
Bien sûr que non, c'est absolument scandaleux de dire des choses comme ça et peut-être que ça ne vient pas par hasard, alors que je suis, comme chacun sait, dans un combat de modernisation profonde du patronat. L'entreprise dont il s'agit, à laquelle je pense assez souvent mais que je ne dirige plus aujourd'hui, est une entreprise qui avait connu des vols, qui avait des anomalies très importantes sur ses stocks. Pendant un week-end, j'ai demandé à ce que cette entreprise soit surveillée, les locaux de l'entreprise, le parking de l'entreprise. Et ça, je vais vous dire, c'était d'abord pour défendre les salariés de l'entreprise.
C'est un coup monté, parce que vous êtes dans un bras de fer avec l'UIMM ?
Je n'en sais rien, mais je vois un certain nombre de choses qui me tombent dessus, si je puis dire, depuis quelques temps. Je le savais, je l'avais dit, à partir du moment où j'avais posé un certain nombre de principes de transparence, de modernité, mais ceci dit, aujourd'hui, nous travaillons très bien avec la nouvelle équipe dirigeante de l'UIMM.
Bronca des petits actionnaires, hier, à la Société Générale, contre D. Bouton. Vous les comprenez, vous regrettez qu'il n'ait pas quitté la place ?
Ça, je crois qu'on ne peut pas le dire. Je crois que dans des moments extraordinairement graves comme celui qu'a connu la Société Générale au moment de la découverte de l'affaire Kerviel, seul le conseil d'administration détient toutes les informations et donc toutes le clefs pour dire qui doit rester et pour combien de temps, à la tête de l'entreprise. C'est bien à ça que sert un conseil d'administration, c'est dans les moments exceptionnels, savoir prendre la décision la plus appropriée. Maintenant, je suis aussi pour la démocratie actionnariale et je crois qu'il est normal que les actionnaires expriment leur mécontentement, c'est à la direction de répondre et aux administrateurs de réponde.
L. Parisot, merci et bonne journée.
Merci à vous.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 28 mai 2008