Interview de M. Brice Hortefeux, ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire, à France 2 le 4 juin 2008, sur l'éventuelle régularisation de travailleurs clandestins occupant un travail, le chômage des immigrés légaux et la mise en place du Pacte européen pour l'imigration.

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Média : France 2

Texte intégral

F. Laborde.- Avec B. Hortefeux, nous allons débuter par l'immigration. Bonjour monsieur le ministre et merci d'être ave nous. On sait qu'il y a eu à peu près 1.000 dossiers qui ont été déposés, de travailleurs clandestins en situation irrégulière mais qui occupent un travail en France. Il y en 250 qui ont été régularisés, mais on estime entre 200 et 400.000 le nombre de clandestins en France. Est-ce qu'il n'y a pas le risque que, j'allais dire, ces hommes et ces femmes, un jour, eux aussi viennent vous voir en disant : "Mon dossier, mon dossier, mon dossier !"
 
Vous avez raison de le souligner, c'est effectivement limité aux alentours de 1.000. On examine les dossiers au cas par cas, c'est ce que j'ai dit, il n'est pas question qu'il y ait des régularisations massives et générales. Pour une raison assez simple : parce qu'on nous demande aux uns et aux autres, tous les jours, à chaque membre de la communauté nationale, de respecter la loi dans tous les actes de la vie quotidienne. On doit tous le faire. Et puis, parallèlement, effectivement, il y a des étrangers qui sont venus sur le territoire français, sans autorisation, sans y avoir été invités, sans y avoir été autorisés, en produisant des visas qui sont souvent des visas touristiques, et puis qui, dans un deuxième temps - donc c'était un premier acte illégal en réalité -, dans un deuxième temps, ils fournissent des papiers pour obtenir un travail, d'ailleurs des papiers qui sont obtenus, il faut le savoir, dans des conditions invraisemblables, avec des filières qui les rackettent, qui les rançonnent, mais en tout cas, ils produisent des faux papiers. Et donc, ma responsabilité c'est de rappeler une chose simple : c'est qu'on ne peut pas donner de prime à l'illégalité. Donc, quand on est en situation irrégulière sur notre territoire, on a vocation à être reconduit dans son pays d'origine, sauf bien évidemment des situations particulières, humanitaires, sociales, sanitaires, et ainsi de suite. Mais notre principe il est simple, il est clair, je pense qu'il est très honnête.
 
Et ces reconductions, comment cela se passe ? Parce qu'on a eu ici même le président Wade du Sénégal, qui nous disait : moi je suis tout à fait d'accord pour en effet que rentrent au Sénégal les Sénégalais qui sont partis dans des conditions qui n'étaient pas régulières.
 
Oui, vous savez, sur ce sujet comme sur tous les autres, la franchise et l'honnêteté c'est toujours payant. Qu'est-ce que je fais, sous l'autorité du président de la République et du Premier ministre ? Je vais discuter avec les pays qui sont des pays terres d'émigration. Pour la France, c'est assez simple : deux immigrés sur trois proviennent du continent africain. Je vais discuter avec les responsables, et je leur dis : "Mettons-nous d'accord. Mettons-nous d'accord sur l'organisation des migrations légales. Par exemple, nous avons intérêt à accueillir davantage d'étudiants ; demain, ce sera l'élite économique, sociale, politique du pays. Nous on a intérêt à ce que la culture française se développe et rayonne de cette manière. On se met d'accord sur l'immigration légale, mais on se met aussi d'accord sur les conditions de retour des immigrés illégaux. Encore une fois, ça se fait très calmement, ça se fait très sereinement, et ça se fait avec le souci de l'honnêteté.
 
Est-ce qu'il n'y a pas tout de même le risque, entre guillemets, d'être un jour confronté en tout cas à des chômeurs, à des demandeurs d'emploi, qui diraient : mais après tout, tout cela est bel et bon, on a un ministre qui s'occupe de travailleurs en situation irrégulière, et moi qui ai mes papiers en règle, qui suis inscrit à l'ANPE, on ne s'occupe pas de moi, et je passe après en quelque sorte...
 
En réalité, c'est simple : toujours, ce qui doit guider l'action des pouvoirs publics c'est le souci de la justice. Et on ne peut pas faire comme s'il n'y avait pas d'immigrés qui soient en situation légale. Les immigrés illégaux sont venus en donnant, encore une fois, de faux titres de séjour ou en fraudant. Et puis, vous avez des immigrés...
 
Et puis, qui ne sont pas mieux traités que les autres.
 
Et donc, vous avez des immigrés qui sont en situation légale, c'est-à-dire qui respectent nos lois, qui respectent nos valeurs, qui sont aussi à la recherche d'un travail. Vous avez 20 % de la population immigrée légale qui est à la recherche d'un emploi contre 7,5 % pour l'ensemble de la communauté nationale. Sur Paris, par exemple...
 
Vous avez les chiffres de l'ANPE ?
 
Par exemple, je vous donne sur Paris, vous avez 20.000 immigrés légaux qui sont à la recherche d'un emploi. Je le dis très clairement, il y a une volonté de se préoccuper en premier lieu de l'insertion, de l'intégration de ceux qui sont venus sur notre territoire en y respectant les règles.
 
Et les patrons vous écoutent quand vous leur dites cela ?
 
Mais bien sûr, je le dis aux patrons, et je le dis aux patrons qui, dans leur immense majorité sont naturellement très honnêtes, et très honnêtes, mais je le dis aussi aux patrons qui ont essayé de profiter, à l'occasion de ce mouvement, ils ont essayé de se refaire une petite virginité, c'est-à-dire, sans payer un certain nombre de taxes, et faisant comme s'ils découvraient ce qui en fait ils n'ignoraient pas.
 
L'Europe, la France va prendre bientôt la présidence, et parmi les gros dossiers, il y a le fameux Pacte pour l'immigration. Comment cela se passe-t-il ? Vous le négociez avec tous vos homologues Européens ?
 
Cela ne s'improvise pas d'abord du jour au lendemain. En réalité, j'ai commencé depuis le 2 ou 3 janvier à prendre mon bâton de pèlerin, à aller dans toutes les capitales européennes. Et ce que j'ai découvert, la vraie découverte, c'est que, que ce soit l'Europe du Nord, du Sud, de l'Est, de l'Ouest, tous les pays européens sont confrontés au défi de l'immigration. Je ne dis pas "le problème", je dis "le défi" de l'immigration. Et c'est pour cela qu'il y a une attente très forte vis-à-vis de la France, pour qu'elle puisse proposer un pacte, qui soit un pacte cohérent, et qui souligne simplement que l'Europe s'occupe des préoccupations concrètes, des préoccupations quotidiennes.
 
Donc, on aura une vraie politique européenne qui sera la même dans tous les pays, parce que c'est cela qui est compliqué ? C'est qu'on a l'impression que l'Espagne, un jour, décide un truc, la Grande-Bretagne autre chose...
 
Eh bien, par exemple, il y aura deux aspects très simples, il y en a réalité plusieurs autres, il y a cinq aspects, cinq critères, mais vous avez un premier exemple, c'est les conditions d'asile. Aujourd'hui, un candidat...vous prenez un réfugié irakien, il se présente en Grèce, et pour des raisons diverses, il a quasiment zéro chance d'obtenir le statut de réfugié ; il tente sa chance en Suède, il a à peu près 85 chances sur 100 de l'obtenir. Su vous prenez un Tchétchène, s'il se présente en Pologne, il a à peu près 5 % de chance ; s'il se présente en France, il a 58 % de chance. Voyez, il y a donc une très grande inégalité en tout cas dans l'approche de ces dossiers, et il faut donc que l'on avance dans ce domaine-là. Et puis il y a un deuxième aspect, c'est qu'effectivement les pays pourraient s'engager à ne pas procéder, à ne plus procéder à des régularisations générales et massives de sans-papiers. C'est ce qu'attend l'Espagne, c'est ce qu'attend l'Italie, c'est ce qu'attend la Grande-Bretagne, c'est ce qu'attend l'Allemagne, et c'est ce que nous pratiquons.
 
Dernière question concernant justement les étrangers en situation irrégulière. Il y a eu un amendement à la révision constitutionnelle, parlant d'une juridiction d'exception. Aujourd'hui, il y a deux juges, pour dire les choses simplement pour les téléspectateurs : il y a un juge des libertés qui surveille les libertés, par définition ; et puis, un juge administratif, qui regarde le dossier. Pourrait-il y avoir une seule juridiction demain ?
 
Je ne peux pas aujourd'hui vous répondre, parce que la méthode c'est la méthode de la concertation, du dialogue et de la réflexion. Et j'ai confié à P. Mazeaud, qui l'a accepté, ancien président du Conseil Constitutionnel, dont chacun connaît l'engagement républicain...
 
Qui est une figure, oui...
 
...une vraie personnalité, d'animer une commission, très diverse, avec des professeurs, des juristes, des praticiens, des politiques de toutes sensibilités, de réfléchir, de prendre le temps de la réflexion, pour formuler des propositions. La Commission...
 
 
 
C'est P. Mazeaud qui vous donnera...
 
Voilà. La commission animée par P. Mazeaud rendra ses conclusions avant la fin du mois de juin, et nous en tirerons donc toutes les conséquences.
 
Toute dernière question qui est un petit peu à la marge de vos compétences mais qui pose un peu question tout de même, cette fameuse décision du Tribunal de Lille d'annuler un mariage civil au motif qu'une qualité essentielle, entre guillemets "la virginité de l'épouse", n'était pas avérée, enfin en l'occurrence, elle n'était même pas avérée du tout. Cela vous choque-t-il au plan personnel ? Et faut-il, en effet, revoir la loi là-dessus ?
 
D'abord, à titre personnel, je suis interloqué par cette décision. Simplement, le garde des Sceaux, R. Dati, a dit à juste titre qu'il appartenait aux juristes de dire le droit, et donc, il y a eu un appel, et que sera la Cour de Cassation qui dira le droit. Simplement, je pense qu'il y a une grave distorsion dans cette décision : c'est que, cela remet en cause le principe de l'égalité homme-femme, par définition. Donc, il y a une forme de discrimination...
 
Parce que la virginité de la femme est assez facile à établir, pas celle du garçon ?
 
Elle est assez facile à établir, celle de l'homme est beaucoup plus difficile, donc il y a une discrimination, et cette discrimination ne correspond pas à l'évolution de notre société qui, au contraire, revendique l'égalité entre l'homme et la femme.
 
Donc, il faut changer la loi ?
 
Pas forcément. La Cour de Cassation peut dire le droit. Dans ce sens-là, il n'y a pas forcément obligation de changer la loi.
 
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 4 juin 2008